Le socialisme va-t-il dans le sens de l’histoire ?
La question peut s’interpréter dans deux sens. Et cela dépend des tendances de fond que l’on prend en compte au cours de l’histoire des civilisations humaines. Je tâcherai de développer les deux pour faciliter l’entendement d’une question qui n’est pas des plus simples.
Je présuppose que l’on peut considérer la démocratie comme un retour en arrière par rapport à la monarchie absolue. Ce postulat est purement conceptuel mais fait apparaitre de possibles conclusions assez intéressantes. L’on peut alors dire que puisque la représentativité implique dans une certaine mesure un retour à un lien contractuel entre administrateurs et administrés, ce système politique est celui qui se rapproche le plus du féodalisme, comparé à un idéal absolutiste. Comment envisager le socialisme à partir du paradigme énoncé ci-dessus ? Le découpage que j’ai fait apparaître pousse à effectuer un découpage historique qui peut se résumer en trois grandes périodes pour l’Occident Chrétien.
- Le féodalisme aristocratique : du Ve siècle au XVIe
- L’absolutisme royal du XVIe au XVIII ou mi XIXe selon les pays
- Le féodalisme socialiste de la fin XVIII ou mi XIXe à nos jours
Vu son importance chronologique, la période caractérisée par l’absolutisme royal peut apparaître comme une parenthèse dans l’histoire des structures socio-politiques occidentales. Quelques ponts peuvent alors être jetés entre les deux systèmes de type féodal, qui présentent des similarités étonnantes, et même des perfectionnements sur certains aspects. Le féodalisme aristocratique repose sur un contrat social matériel et symbolique entre un suzerain et son vassal. Les prémices de constructivisme se font par l’intermédiaire de l’institution religieuse, fortement liée à l’aristocratie et consacrée à la promotion d’un mode de vie qui s’épanouit dans une vision dualiste Bien/Mal, ce qui constitue une forme de planisme. Le féodalisme socialiste reprend l’idée d’un contrat social, bien qu’il fasse disparaître la plus grande partie de l’existence matérielle de celui-ci, ce qui rend d’ailleurs l’emprise de la minorité plus forte sur la majorité. Je vois dans le féodalisme aristocratique les germes du planisme et du constructivisme, que le féodalisme socialiste va exacerber par la suite. La différence institutionnelle principale apparaît alors comme le passage de l’Eglise à l’Etat comme outil de coercition servant à implémenter ce constructivisme.
En ce sens, le socialisme est pro-historique : il va donc dans le sens de l’histoire. Mon postulat de départ ne remet donc pas en cause le schéma linéaire marxiste. L’on assiste en effet à une tendance au renforcement du pouvoir d’une minorité sur la majorité. Cela n’est pas choquant, étant donné que le socialisme puise ses sources dans une forme de scientisme. La négation de l’individu atteint son paroxysme avec Auguste Comte, qui parlait de « L’éternelle maladie occidentale : la révolte de l’individu contre l’espèce ». La représentativité et la centralisation ont beaucoup joué dans l’effacement du lien direct entre gouvernants et gouvernés, ce qui met en exergue le caractère extrêmement aristocratique des systèmes collectivistes, favorisés par l’extension de systèmes représentatifs. L’on considère ainsi différemment les prolongements de toute l’idéologie de Rousseau, qui n’accorde pas une place prépondérante à la liberté de penser d’autrui. C’est ce qui fait apparaître la grande illusion du socialisme, c’est à dire la croyance qu’il est attaché à l’affirmation de l’individu. L’intérêt du groupe est toujours capté et détourné par une minorité qui s’approprie grâce à la dialectique le monopole de l’intérêt général.
Mais l’on peut également considérer l’histoire de la civilisation occidentale d’une manière plus philosophique et moins politique. L’on peut voir l’histoire de l’Occident comme une grande tendance à l’affirmation de l’individu. C’est ce que met Hayek en avant dans la Route de la Servitude. Il remonte jusqu’à Thucydide pour expliquer une tendance à l’individualisation des sociétés. A nouveau, le découpage peut être discuté. Certains voient plutôt l’impulsion initiale de ce moteur avec l’apparition de la Chrétienté qui la première voit l’individu en tant que créature unique de Dieu. Pour la première fois, le « je » se dissocie formellement du « nous ». L’ensemble de l’histoire des sociétés humaines occidentales peut se voir comme une lutte de l’individu contre le collectivisme. Lorsque le collectivisme, qui implique de manière inévitable la coercition, atteint un point de non-retour, se produisent des révolutions axées sur l’affirmation de la primauté de l’individu sur le groupe. C’est le cas de la révolution humaniste et de la révolution Française en 1789. La raison principale étant que les sociétés maintiennent un degré acceptable de vivre-ensemble tant que la collectivité (qui n’est toujours qu’une minorité je le répète) perturbe avec trop d’insistance l’utilisation spontanée des forces sociales à des fins non planifiées par le planificateur.
Les carcans rigides ayant poussé les peuples occidentaux à la révolution sont conservateurs par nature. Dans cette perspective, le socialisme est un conservatisme. Comme progressisme et conservatisme sont hiérarchisés dans la valeur morale qu’on a attribués à ces termes, le conservatisme apparaît comme un frein à l’affirmation de l’individu. Le postulat que j’ai formulé amène à considérer le collectivisme comme un conservatisme, et par conséquent le socialisme comme un conservatisme puisqu’il puise ses sources dans le collectivisme. L’on peut alors aussi voir le socialisme comme un mouvement antihistorique en ce qu’il freine l’affirmation de l’individu tout en revendiquant le fait d’être une force de progrès. Si j’approche le sujet des avantages socio-économiques dans une perspective historiciste, ce qui est plutôt rare pour un libéral, je peux aisément affirmer que ceux-ci ne sont qu’une résultante du niveau technologique d’une société à un moment donné de son développement. Concernant la question des avantages sociaux, l’on pourrait alors donner la définition suivante du socialisme : le socialisme est une idéologie revendiquant la paternité d’avantages sociaux engendrés par le système de production qu’elle exècre.
J’espère que la virulence de certaines des idées exprimées ne fera pas oublier au lecteur que l’ensemble des conclusions que j’ai tirées ici découlent des postulats que j’ai posés au début de chacun de mes deux développements principaux, qu’il faut les considérer ainsi et n’en point faire des généralités abusives !
Charles Maurice