Le principe de toutes sortes d’impôt, quelque grand qu’il soit, est le revenu des peuples

Le principe de toutes sortes d’impôt, quelque grand qu’il soit, est le revenu des peuples

 

La source du revenu des peuples est la vente des denrées excroissant sur leurs fonds, ce qui mène à la suite tous les revenus d’industrie, qui haussent et baissent à proportion de cette vente, quoique personne n’y fasse de réflexion. 

Il n’est donc point ridicule de soutenir que l’on peut doubler les impôts en trois heures de temps, s’il est possible dans ce court espace de temps de doubler la vente des denrées. 

Or comme il est certain que la misère présente ou l’incapacité au peuple de fournir les besoins du Roi ne prouvent que de l’impossibilité où ils sont d’avoir le débit de leurs denrées, c’est-à-dire chaque possesseur de l’une d’elles en particulier, pendant qu’il périt par la privation des autres, la communication nécessaire des besoins mutuels entre les peuples en s’aidant réciproquement, tant d’homme à homme que de pays à pays, est absolument empêchée, en sorte que cette violence forme une infinité de défectuosités de tous les membres, qui auraient été très parfaits sans cette force majeure.
Ici on boit de l’eau, là on arrache les vignes ; en un endroit les ouvriers périssent, manque de travail, et tout contre, ou plutôt sur le lieu même, la besogne demeure, manque d’ouvriers ; ce qui concourt également à arrêter toutes sortes de dépenses, et par conséquent de vente de denrées. 

Or comme on prétend que c’est par une plus grande violence que n’éprouve l’eau que l’on enlève de la Seine à Marly, ou de la famine que souffrait La Rochelle lors du dernier siège, il ne faut pareillement qu’un instant pour remettre les choses dans leur état naturel. C’est de cette sorte qu’on maintient qu’il est possible en un instant de rétablir pour plus de quatre cents millions par an de vente de denrées, et par conséquent la possibilité de quatre-vingts millions de hausse d’impôt qui feront une richesse au peuple, loin d’être une surcharge. 

Toutes les causes, encore une fois, qui tiennent ces denrées dans le néant, et qui en ont abîmé, de notoriété publique, pour plus de quinze cents millions, étant du degré de violence qu’on vient de marquer, il ne faut qu’un instant pour les faire cesser. 

Mais comme on ne peut inspirer que la simple cessation de ce qu’on a cru établir avec très grande connaissance de cause soit une richesse immense, sans faire convenir en même temps que ces établissements étaient des fautes effroyables, cela ne rend pas une infinité de gens assez connus fort dociles ou fort disposés à écouter une pareille doctrine, sans parler de quantité d’autres intérêts plus vifs et plus sensibles qui ont eu part aux surprises, en sorte que les peuples sont très peu persuadés que l’état où ils se trouvent soit l’effet de simples méprises. 

Mais l’intégrité du ministère d’aujourd’hui donne lieu de croire que l’on n’aura point de pareils ennemis à combattre, et que, pourvu que la vérité soit constante, elle triomphera de toutes sortes d’intérêts personnels, ce qu’elle n’avait pu faire jusqu’ici, à beaucoup près. 

Il y a trois attentions, réduites chacune en une feuille, à apprendre nécessairement par cœur : la première, de convenir que le manque des espèces n’est point la cause de la misère d’aujourd’hui, et qu’il y en a trois fois plus qu’il ne faut quand on leur permettra, tant à elles qu’à leurs représentants, c’est-à-dire le papier, le parchemin et le crédit, de circuler, ce qui dépend absolument de la consommation et de la vente des denrées, dont elles sont les esclaves, et se cachant aussitôt qu’on détruit leur maîtresse. 

La seconde, que plus les riches déchargeront les pauvres d’impôts et en prendront une plus grande part, et plus ils augmenteront leur opulence, et par conséquent celle du Roi, bien que, par un aveuglement effroyable, ils pratiquent le contraire et regardent comme un outrage les dérogeances qu’on y veut apporter. 

Et la troisième enfin est que les manières pratiquées depuis quarante ans de lever les impôts, tant à l’ordinaire qu’à l’extraordinaire, coûtent dix fois plus au peuple, l’une portant l’autre, que ce qui va au profit du prince, le surplus, à quelque chose près qui tourne à l’utilité de l’entrepreneur, étant entièrement réduit au néant. 

Et pour montrer que ce n’est point une chimère qu’on propose qu’une fois plus de revenu au Roi, quand tout passera droit dans ses mains, sans déconcerter la vente des denrées, il faut convenir, malgré qu’on en ait, que le roi François Ier, qui ne jouissait en argent que de seize millions de rente, levait sur le pied de trois cents millions, parce que l’argent n’étant une richesse que par rapport au pouvoir qu’il donne de se procurer ses besoins, qu’il soit à un haut ou à un bas prix, cela est indifférent, pourvu que le tout soit général et réciproque. 

Or il est certain que le blé, du temps de François Ier, ne valait que vingt sols le setier, les souliers cinq sols, les perdreaux et les poulets six deniers, et cela par les ordonnances de ce temps-là imprimées, bien que toutes ces choses valent présentement, année commune, quinze ou vingt fois davantage ; et ce prince possédant un cinquième moins d’États que ne fait le Roi régnant, il fallait que les peuples, pour lui fournir ces seize millions, vendissent la même quantité de denrées qu’il serait nécessaire de faire à présent pour donner trois cents millions ; et les troupes et autres personnes à qui le roi François Ier distribuait cette somme, se procuraient pareillement la même quantité de besoins que feraient aujourd’hui ceux qui recevraient trois cents millions. Ainsi la parité y est de tous points, et cette heureuse situation était procurée au prince sans attirer les mauvaises suites que l’on pratique à présent, c’est-à-dire de ruiner les terres et le commerce et réduire les peuples dans la dernière misère, pour ne pas dire au désespoir. 

A propos de l'auteur

Personnage haut en couleur, mais à l'esprit brillant, Pierre de Boisguilbert mérite le titre de fondateur de l'école française d'économie politique. Par sa critique des travers de l'interventionnisme et sa défense du laissez faire, il a fourni à ses successeurs un précieux héritage.

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