Le Grand Méchant marché : une psychose française ?
Par Louis Rouanet*, d’après un article publié en anglais sur le Ludwig von Mises Institute
Il existe un cliché selon lequel les français seraient génétiquement opposés au libéralisme et au libre marché. Pourtant, une telle affirmation est complètement démentie par les faits. A la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, la plupart des bureaucrates et des politiciens admettaient le caractère inefficient de l’Etat et avait adopté la doctrine de l’Etat minimum. L’école libre des sciences politiques, crée en 1871, (qui deviendra par la suite Sciences Po) fut un foyer de libéraux : Hyppolite Taine, Anatole et Paul Leroy Beaulieu… y enseignèrent. René Stourm, qui y avait une chaire de Finances publiques, enseigna à des générations d’étudiants les vertus des dépenses publiques modérées et d’un budget équilibré. Chaque étudiant de Sciences Po devrait prendre en compte les conseils de ce professeur quand celui-ci écrivait :
« L’impôt […] ne se justifie que par sa nécessité budgétaire. Là réside sa seule raison d’être, sa seule excuse. Le droit de puiser dans nos poches, de prélever, chaque année, une part de nos revenus et de nos facultés individuelles est un droit exorbitant, par conséquent, strictement limité. »[1]
Paul Leroy Beaulieu, quand à lui, fut le premier à utiliser le terme de « règle d’or » en matière de budget. Les grands commis de l’Etat, qui étaient formés à L’Ecole libre de sciences Politiques, n’avaient par conséquent aucune envie de voir les prérogatives de l’Etat empiéter sur l’économie.
La société française du XIXème siècle est une société de propriétaires fonciers et financiers. A la fin de la Belle Epoque, 2,5 millions de français étaient porteurs de titres financiers ![2] De même, 8 millions de français sur 40 étaient propriétaires fonciers à la fin du XIXème siècle.[3] Par conséquent l’opinion publique était très attachée au respect des droits de propriété et à l’Etat limité. De même, les français de 1900 s’opposaient à l’inflation qui menaçait d’éroder leur immense épargne-retraite. Le protectionnisme, quand à lui, était clairement dénoncé par les syndicalistes ! Il faut noter que même une partie des socialistes d’inspiration Proudhonienne étaient farouchement opposés à l’impôt et à l’Etat obèse, critiquant les gaspillages et le parasitisme de l’Etat. Dans sa Théorie de l’impôt, publiée en 1861, Proudhon décrivit l’impôt comme une « illusion » et fustige l’impôt progressif comme étant un « joujou fiscal » brandi par des progressistes autoproclamés pour distraire le peuple. L’opposition à l’impôt sur le revenu montre parfaitement l’atmosphère plutôt libérale qui pouvait exister aux alentour de 1900. C’est en 1898 que l’économiste et politicien Yves Guyot écrivit « Les tribulations de M. Faubert » où il prévient du danger que représente l’impôt sur le revenu pour la liberté et la prospérité. La France, en 1914, fut quasiment le dernier pays développé à adopter un impôt sur le revenu (même après les Etats-Unis qui l’adoptèrent en 1913). Notons cependant que la fin du XIXème siècle marque le déclin de l’école française d’économie politique et la montée des idées socialistes. Déjà en 1895, Anatole Leroy Beaulieu dénonçait « le vague et confus socialisme, le socialisme vaporeux dont est imprégné l’atmosphère ambiante. »[4] De plus, les français à l’époque avaient déjà un rapport ambigu envers la concurrence. Néanmoins, affirmer comme le fit Emile Faguet en 1903 que « la France est un des pays les moins libres du monde et les moins libéraux de l’univers. »[5] est une grossière exagération de la réalité.
Mais comment se fait il, qu’aujourd’hui, les français soient aussi antilibéraux ? En 2013, un sondage indiquait que 80% des français désapprouvaient le système capitaliste et 25% des interrogés considéraient que nous devrions abandonner le capitalisme ! Ce triste record, premièrement, peut être expliqué par le poids qu’eut le Parti Communiste après la seconde guerre mondiale. Notons qu’en 1976, celui-ci obtint le plus grand nombre de maires en France ! Les deux conflits mondiaux eurent également leur part de responsabilité dans la montée du gouvernement omnipotent. Enfin, on peut avancer une explication d’influence tocquevillienne : La monarchie absolue puis la Révolution jacobine auraient affaiblit les corps intermédiaires, remplaçant les liens sociaux qui avaient lieu par un Etat omniprésent.
Mais où est passé le libéralisme ?
Il est habituel d’attribuer la paternité des problèmes économiques actuels au (néo)libéralisme. On retrouve ici l’anticapitalisme vague et confus dont est imprégné l’atmosphère ambiante. Mais où sont passées les réformes libérales ? Tout de suite, on nous parlera d’austérité, de dérèglementation… Deux phénomènes qui ne représentent absolument pas la réalité. Il y a eut en effet une politique d’austérité ces dernières années. Mais la question à se poser est : à qui est destinée l’austérité ? En France, la réponse est simple, le principe appliqué est : austérité pour le peuple, dépenses pour l’Etat. En effet, même si leur progression est désormais plus lente, les dépenses publiques n’ont jamais cessé d’augmenter. Les impôts ont quand à eux augmenté significativement.
Source: INSEE
Entre 2011 et 2013, 84 nouvelles taxes furent crées. Les augmentions d’impôts furent de 16.2 milliards d’euros en 2011, de 19.3 milliards en 2012 et de 22.1 milliards en 2013.[6]
En 1974, Valéry Giscard D’Estaing déclarait : « Au dessus de 40% de prélèvements obligatoires, c’est le socialisme. ». En 2013, les prélèvements obligatoires atteignirent 46,2%. Comment peut-on dans cette situation parler de responsabilité du libéralisme dans la crise ? Mais malgré cet ahurissant état de la fiscalité, les économistes français, fortement influencés par le keynésianisme, continuent de renier les effets désastreux de l’imposition sur l’accumulation du capital, la croissance et l’emploi. A la place, un débat eut lieu sur la taxation du travail et du capital. Certains économistes comme Thomas Piketty affirment de manière erronée que le travail est moins taxé que le capital.[7] Cela montre bien le caractère irréel du débat économique en France. L’économiste appartenant à l’école autrichienne Pascal Salin a montré qu’au contraire, c’est le capital qui, en France, est plus taxé que le travail.[8] Les économistes keynésiens considèrent que c’est la consommation, et non l’épargne et l’accumulation du capital, qui est la clé de la prospérité. Mais de la même manière que bruler ses meubles n’est pas la meilleure façon de chauffer sa maison, réduire le stock de capital par la consommation n’est pas la meilleure façon de promouvoir la croissance économique. Les politiques keynésiennes de ces dernières décennies ne font que nous appauvrir.
Concernant la dérèglementation, ce phénomène est un mythe urbain. L’inflation législative et non la dérèglementation est le problème. Aujourd’hui, les français sont gouvernés par 400 000 règles, 22 000 articles de lois, 137 000 décrets.[9] En son temps, Montesquieu écrivait : « Les lois inutiles affaiblissent les nécessaires. ». Mais les lois inutiles, nous tyrannisant et créant de l’incertitude, affaiblissent aussi la croissance économique. Quand les politiciens ne peuvent pas changer la réalité, ils font des lois pour faire croire qu’ils ont une influence sur elle.
Source: Slate.fr
Les augmentations d’impôts et les défauts apparents de l’étatisme aideront peut être le développement des idées libérales en France. Il est dommage, cependant, que le nouveau gouvernement ne semble pas adopter des réformes vraiment libérales, restaurant la liberté et la responsabilité de chacun. En effet, les réformes libérant l’économie furent souvent entreprises par des gouvernements de gauche. Ce fut le travailliste David Lange qui dans les années 80 entreprit des réformes libérales en Nouvelle Zélande. De même, dans une moindre mesure, ce fut Gerhard Schröder qui fit des réformes décisives en Allemagne.
*Louis Rouanet est étudiant à Sciences-Po.
Notes :
[1] René Stourm, « Système généraux d’impôts », 1893, page 69-70
[2] Chiffre cité dans : Augustin Landier et David Thesmar, « Le Grand Méchant Marché : décryptage d’un fantasme français », 2007, page 87
[3] Ibid. page 89
[4] Anatole Leroy Beaulieu, « Pourquoi nous ne sommes pas socialistes », 1895, //www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2014/01/Anatole-Leroy-Beaulieu-Pourquoi-nous…pdf
[5] Emile Faguet, « Le Libéralisme », 1903, page 307. disponible sur gallica : //visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-55110&M=notice ou partiellement sur l’Institut Coppet : //www.institutcoppet.org/2012/07/31/emile-faguet-%C2%AB-pourquoi-les-francais-ne-sont-pas-liberaux-%C2%BB-1903/
[6] Source : Serge Schweitzer, Loïc Floury, « Théorie de la révolte fiscale, Enjeux et interprétations », 2014
[7] Voir : Thomas Piketty and Emmanuel Saez, « Pour une révolution fiscale: un impôt sur le revenu pour le XXème siècle », Paris, Seuil, 2011
[8] Pascal Salin, « La tyrannie fiscale », Odile Jacob, 2014
[9] Philippe Eliakim, « Absurdité à la française : Enquête sur ces normes qui nous tyrannisent », 2013