Joseph Garnier, Le droit au travail : quelques mots d’explication et d’histoire. Introduction à la discussion qui a eu lieu au sein de l’Assemblée Nationale, Paris, Guillamin, 1848
LE DROIT AU TRAVAIL
La Révolution de Février n’a pas été faite pour le Droit au travail. — Le Droit au travail des Socialistes n’a rien de commun avec le Droit du travail proclamé par Turgot. — Signification variable donnée à la formule par les Socialistes. — Analogie du Droit à l’assistance avec le Droit au travail. — Historique de ce droit.
I.
La Révolution de Février s’est faite, comment et pourquoi ? C’est inutile à raconter ici. Peut-être serais-je fort embarrassé de le faire : seulement je dois dire, pour l’avoir constaté dans les rues, en les parcourant comme tant d’autres, que la foule encombrant les places publiques n’est point arrivée, les premiers jours, avec les formules du Droit au travail ou de la Garantie du travail. On les lui a apprises ; et encore n’ont-elles jamais été répétées bien clairement par elle. Ce n’est même qu’au bout de quelques jours que les étendards des députations, allant à l’Hôtel-de-Ville, portaient la formule plus connue d’Organisation du travail, et remplaçant une plus ancienne formule un peu usée, celle d’Association. Plus tard, lors de la fameuse manifestation du 16 avril, organisée par les délégués des ouvriers à la Commission du Luxembourg et par les menées de quelques clubs, on lisait sur les drapeaux : Organisation du travail par l’association, et abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme. Ce n’est que plus tard encore, en juin, lorsque l’Assemblée nationale s’occupait de guérir la plaie des ateliers nationaux, que l’on mit en avant la formule du Droit au travail, formule qui n’a été définitivement vulgarisée qu’après les sanglantes journées de juin, pendant lesquelles le gros des insurgés ne l’invoquait même pas ; car on lisait à peu près exclusivement sur leurs drapeaux (quand il y avait quelque chose, ce qui était rare): Vive la République démocratique et sociale ! ou bien la formule des ouvriers Lyonnais en 1834 : Vivre en travaillant ou mourir en combattant, laquelle était un cri de désespoir et nullement la réclamation d’un droit : car, dans ce cas, les ouvriers Lyonnais l’auraient positivement dit : les classes ouvrières n’ayant pas précisément l’habitude de biaiser à propos de leurs demandes.
Cette filiation n’est pas sans importance. En la traçant ici, je veux exprimer que l’agitation et la préoccupation publiques, en faveur du prétendu Droit au travail, ne sont pour rien dans la Révolution de Février, quoiqu’on ait dit dans la presse et à la tribune, que le mouvement qui a amené le changement de forme du Gouvernement n’avait pas pour principe la conquête d’un droit nouveau ou qui serait plus explicitement reconnu ; que les revirements de l’opinion tenaient bien à un mécontentement ayant sa source dans la non-satisfaction de plusieurs besoins économiques et sociaux[1], mais qu’ils avaient des causes immédiates, plus particulièrement personnelles et politiques ; et en définitive que le Socialisme s’est glissé subrepticement, comme on l’a dit, dans les plis du drapeau de la République. En d’autres termes, quand on a crié : Vive la République ! tout le monde a accepté cette forme de Gouvernement, comme celle qui, par son élasticité, pouvait mieux s’allier avec la réforme des abus gouvernementaux et les progrès de la civilisation ; et personne, si ce n’est une imperceptible minorité, n’a cru que République fût synonyme de Socialisme. On a eu beaucoup de peine à faire pénétrer dans la masse cette notion élémentaire, que par République il faut entendre le suffrage universel appliqué à l’élection d’un pouvoir exécutif temporaire et d’un pouvoir législatif également temporaire ; comment cette masse aurait-elle fait une Révolution pour installer le Socialisme, qu’elle ne connaissait même pas de nom[2] ?
Nous venons d’expliquer comment la formule du Droit au travail est entrée dans le domaine des discussions publiques et des difficultés les plus ardues de la politique, artificiellement, c’est-à-dire par les efforts de quelques socialistes en tête desquels on doit certainement placer M. Louis Blanc : cherchons maintenant à comprendre ce qu’elle veut dire ; car, bien qu’elle ait largement contribué à mettre le pays en combustion, on est loin de bien s’entendre sur le sens de sa signification.
II.
Que comprennent les socialistes par le Droit au travail ? Est-ce le droit pour tous les citoyens de travailler de leurs bras, de leur intelligence, d’exercer leur industrie, leur profession, conformément à leur aptitude, à leur capacité, à leur goût, à leurs facultés, à leurs moyens ? Alors le Droit au travail, ce serait simplement la Liberté du travail, ou bien encore le Droit du travail que Turgot proclamait dans ses mémorables édits de 1776 : liberté du travail dont les économistes réclament l’application franche et complète ; que la Constituante a proclamée en partie, et à laquelle les gouvernements subséquents ont de nouveau mis des entraves.
Turgot, ce type de l’homme de bien, du philosophe politique, de l’économiste aux affaires, mettait dans la bouche de Louis XVI[3] les paroles suivantes :
« Louis, etc. Nous devons à tous nos sujets de leur assurer la jouissance pleine et entière de leurs droits ; nous devons surtout cette protection à cette classe d’hommes qui, n’ayant de propriété que leur travail et leur industrie, ont d’autant plus le besoin et le droit d’employer, dans toute leur étendue, les seules ressources qu’ils aient pour subsister.
Dieu, en donnant à l’homme des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme, et cette propriété est la première, la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes.
Nous regardons comme un des premiers devoirs de notre justice, et comme un des actes les plus dignes de notre bienfaisance, d’affranchir nos sujets de toutes les atteintes portées à ce droit inaliénable de l’humanité. Nous voulons en conséquence abroger ces institutions arbitraires, qui ne permettent pas à l’indigent de vivre de son travail ; qui repoussent un sexe à qui sa faiblesse a donné plus de besoins et moins de ressources, et qui semblent, en le condamnant à une misère inévitable, seconder la séduction et la débauche ; qui éteignent l’émulation et l’industrie, et rendent inutiles les talents de ceux que les circonstances excluent de l’entrée d’une communauté ; qui privent l’État et les arts de toutes les lumières que les étrangers y apporteraient ; qui retardent le progrès de ces arts, par les difficultés multipliées que rencontrent les inventeurs auxquels différentes communautés disputent le droit d’exécuter des découvertes qu’elles n’ont point faites ; qui, par les frais immenses que les artisans sont obligés de payer pour acquérir la faculté de travailler, par les exactions de toute espèce qu’ils essuient, par les saisies multipliées pour de prétendues contraventions, par les dépenses et les dissipations de tout genre, par les procès interminables qu’occasionnent entre toutes ces communautés leurs prétentions respectives sur l’étendue de leurs privilèges exclusifs, surchargent l’industrie d’un impôt énorme, onéreux aux sujets, sans aucun fruit pour l’État ; qui enfin, par la facilité qu’elles donnent aux membres des communautés de se liguer entre eux, de forcer les membres les plus pauvres à subir la loi des riches, deviennent un instrument de monopole, et favorisent des manœuvres dont l’effet est de hausser au-dessus de leur proportion naturelle les denrées les plus nécessaires à la subsistance du peuple.
Nous ne serons point arrêté dans cet acte de justice, par la crainte qu’une foule d’artisans n’usent de la liberté rendue à tous pour exercer des métiers qu’ils ignorent, et que le public ne soit inondé d’ouvrages mal fabriqués, La liberté n’a point produit ces fâcheux effets dans les lieux où elle est établie… »
Est-ce cette doctrine que les socialistes résument dans leur formule ? Est-ce la condamnation des anciens droits féodaux perçus par la noblesse ou le clergé ? Est-ce la condamnation des corporations, des jurandes et des maîtrises ? Est-ce la suppression des inégalités, des monopoles, des privilèges, des règlements inutiles ou abusifs, de la tyrannie bureaucratique, de l’intervention administrative, des prohibitions et des tarifs réglementaires qui se sont glissés ou perpétués dans nos lois, et qui enchaînent à la fois le travail agricole, le travail industriel, le travail commercial, le travail intellectuel et scientifique ? En un mot, le Droit au travail, est-ce l’application du principe de Liberté et d’Égalité dans le domaine du travail ?
Si telle était la signification du Droit au travail, assurément il n’y aurait pas eu nécessité d’une nouvelle formule. Pour l’exprimer, il n’y aurait eu qu’à reprendre la formule de Turgot, ou bien ce mot si connu depuis 1789 : la Liberté. Mais les socialistes entendent bien autre chose, en vérité ! Ils entendent tout le contraire. Il y en a parmi eux qui rêvent des organisations analogues aux corporations. Loin de demander le développement de la liberté du travail et la cessation de toute réglementation administrative ou bureaucratique, ils proposent la suppression de toute liberté et une réglementation universelle qu’ils décorent du nom pompeux d’organisation. Que leur parlez-vous d’exceptions, de privilèges, de monopoles, de prohibitions, de hauts tarifs ! Ils disent qu’il n’y a point assez d’entraves, que l’industrie et le commerce sont trop libres, et que tout va mal parce que, sur beaucoup de points, la Révolution de 1789 a proclamé le laisser-passer en commerce, le laisser-faire en industrie, la concurrence enfin : abominable laisser-faire que les disciples de Quesnay n’appliquaient, il est vrai, qu’à l’ordre commercial ou industriel, et que les socialistes affectent de critiquer dans l’ordre moral, afin de rendre leurs adversaires à la fois plus ridicules et plus odieux[4]. Si les socialistes repoussent la liberté du travail, ils repoussent aussi l’égalité dans le travail. L’égalité, c’est encore la concurrence : la concurrence, ils l’ont dit sur tous les tons, est cause des trois quarts des maux de la société, des falsifications, des sinistres commerciaux, des faillites, de la baisse des salaires, de la misère, de la prostitution, du vol, et de je ne sais combien d’autres crimes encore.
Le Droit au travail, est-ce le droit de jouir des fruits de son travail ? Est-ce, en d’autres termes, le droit de propriété ? Tout aussi peu ; car ce droit, personne ne le conteste, si ce ne sont les socialistes eux-mêmes, si ce n’est surtout l’école d’un socialiste éminent[5] plus nouvellement arrivé à la connaissance du public, qui a été jusqu’à nier le droit à la propriété et notamment le droit à la jouissance des fruits de la propriété du travail accumulé, c’est-à-dire du Capital.
Mais, qu’est-ce donc que le Droit au travail ?
III.
Nous venons de dire ce que n’est pas le Droit au travail ; pour dire ce qu’il est, il nous faudra encore faire d’interminables énumérations.
La formule a été et est employée par plusieurs espèces de socialistes plus ou moins avérés, plus ou moins complets, plus ou moins francs, plus ou moins honteux :
1° Ceux qui prennent les mots pour ce qu’ils disent, ceux qui nomment les choses par leur nom, et
Appellent chat un chat, et Rollet un fripon[6] ;
Rollet, pour eux c’est le Capital.
2° Ceux qui comprennent ou feignent de comprendre comme les précédents, mais manquent de bonne foi ou de courage ;
3° Ceux qui par irréflexion, ignorance, ou par conception incomplète, donnent à la formule un sens qu’elle n’a réellement pas ; qui ne croient pas que les populations aient une logique inexorable ; qui croient au contraire qu’il est possible de les satisfaire par des clauses jésuitiques, identiques ou ambiguës, à l’instar de l’article 14 de la charte de Louis XVIII.
Un jour M. Proudhon (M. Proudhon est le type de la première espèce), discutant avec M. Goudchaux au sein du comité des finances, lui dit : « Oh ! mon Dieu, monsieur Goudchaux, si vous me passez le droit au travail, je vous cède le droit de propriété. » Ces paroles ont eu quelque retentissement : elles ont été prises pour une trahison par tous les socialistes qui ne pensent pas qu’il soit politique de dire la vérité. Ces paroles furent prises pour une extravagance par les socialistes de la troisième catégorie ; et ainsi s’expliquent tous les lardons lancés de la tribune, par une foule de socialistes inconséquents, à M. Proudhon, le plus franc d’entre eux[7]. M. Proudhon avait raison : si l’on admet le droit au travail, il faut renoncer au droit de propriété. Ce n’est pas là un axiome de scélérat, c’est un raisonnement très vrai et très sain. M. Proudhon n’admet pas le droit de propriété, mais il admet le droit au travail ; il est simplement logique. D’autres admettent le droit de propriété et le Droit au travail ; mais ils ne peuvent échapper à la qualification de fourbes qu’en acceptant celle d’inconséquents.
Le Droit au travail des uns est si bien un droit à la propriété des autres, qu’il ne se conçoit pas sans cette corrélation. Je demande du travail à la société représentée par une autorité quelconque ; avec quoi celle-ci peut-elle occuper mes bras, fournir des avances à mon industrie ? Avec un Capital. Comment cette société peut-elle se procurer ce Capital ? Par l’impôt. Or, qu’est-ce que l’impôt, si ce n’est un prélèvement sur la propriété des autres ? Y a-t-il besoin d’insister sur cette évidence ? Cependant, c’est parce que la propriété des uns passe par la phase d’impôt et salarie des percepteurs et des intermédiaires, avant d’alimenter le travail des autres, que beaucoup de gens se laissent prendre au sophisme. À leurs yeux, il semblerait que l’impôt est un produit spontané de l’État, être réputé supérieur et mystérieux, mais qui, en fait de subsides, se borne très simplement à demander aux contribuables ce qu’on réclame de lui.
Il est vrai que ceux à qui on fait toucher la chose du doigt peuvent répondre que l’impôt ou la propriété de ceux-ci, destiné à faire travailler ceux-là , sera consacré à des emplois productifs capables de rembourser et au-delà cette espèce d’emprunt forcé ; ils peuvent répondre que leurs systèmes d’organisation donneront ces résultats, et ici il faudrait m’arrêter sur les plans des divers communismes, sur ceux du fouriérisme et autres. Je me borne à dire que le jour où on me montrera quelque part des phalanstères et des communautés, des monastères ou des combinaisons d’association quelconques en prospérité, et les populations libres empressées d’y accourir, ce jour je trouverai naturel et inutile qu’on mette dans la Constitution une promesse facile à tenir et qui n’aura plus le moindre danger, car alors les hommes sauront bien que le Droit au travail des uns est le sacrifice de l’avoir des autres ; car, à cette époque, ce partage sera tout à fait de leur goût, et fera partie de la nature humaine dès lors totalement changée. J’ajouterai que pour mon compte je verrais avec plaisir porter au budget, et exceptionnellement, une somme destinée à faire les avances de quelques phalanstères ou communautés, afin de mettre les auteurs de systèmes en demeure.
Je ne m’arrêterai pas aux socialistes de la seconde espèce qui comprennent la formule et qui en enveloppent le sens dans des circonlocutions littéraires, sentimentales et politiques, et suffisamment insidieuses pour faire prendre le change aux auditeurs inexercés. Convaincre, n’est pas leur affaire ; ce qu’il leur faut, c’est agiter ; sauf, quand le flot des passions les a poussés en avant, à se tirer de la difficulté par quelques-unes des roueries que l’histoire se charge d’enregistrer, et qui réapparaissent le lendemain des révolutions avec une périodicité semblable à celle des phénomènes ordinaires du ciel.
Il n’y a rien à faire avec les gens de cette espèce, si ce n’est de travailler à empêcher les populations de devenir leurs dupes. Il n’y a rien à faire non plus avec les socialistes de la première espèce : leur conclusion est le travail de tout un système d’idées ; il leur a été prescrit de tenter des efforts surhumains pour mener leurs plans à réalisation, pour les faire pratiquer jusqu’à ce que l’expérience les condamne et qu’ils soient abandonnés de leurs partisans. À tout prendre, ce sont des natures utiles ; et il y a une incommensurable différence entre ceux qui parcourent le champ de la pensée, même pour s’y égarer et égarer les autres, et ceux qui abusent sciemment de l’ignorance des masses. Les uns sont les pionniers de la civilisation ; les autres en sont les fléaux.
Les variétés des socialistes de la troisième espèce, des socialistes sans principes arrêtés, sans boussole, sont infinies, et les définitions qu’ils ont données du Droit au travail sont également innombrables. Chacun d’eux, niant le droit absolu, est obligé de s’accrocher à un point quelconque de l’échelle de relation, les uns plus haut, les autres plus bas ; mais leurs propositions ne résistant pas à l’épreuve d’un raisonnement tant soit peu serré, ils sont forcés de se rallier au Droit au travail proprement dit, ou de nier ce droit, à moins qu’ils ne s’échappent par un véritable saut de mouton, par une inconséquence. Plusieurs des orateurs de cette catégorie, incapables de formuler nettement en quoi consiste le Droit au travail, en ont été réduits à dire qu’ils demandaient l’insertion de la formule dans la Constitution, sauf à l’expliquer plus tard.
Nous avons entendu dire à M. Ledru-Rollin[8] : « Quand je demande le Droit au travail, que voulé-je ? Que vous l’inscriviez dans une Constitution qui apparemment sera durable. Le peuple ne se soulève pas tous les jours pour faire des chartes. Or, quand vous inscrirez le Droit au travail, vous ne serez pas forcés de l’organiser le lendemain. »
Nous avons entendu dire à M. Billault[9] : « Écrivons dans notre Constitution ce principe dont la formule nous obligera à étudier, à nous ingénier… Ce pays-ci, malheureusement, se passionne trop souvent pour les mots, sans même trop bien se rendre compte des choses ; tenez compte, Citoyens, de cette prédisposition. Ce redoutable mot du Droit au travail est devenu dans le mouvement de la Révolution une sorte de bannière ; le Gouvernement provisoire y a donné comme une consécration. »
Je pourrais prendre dans ce volume plusieurs autres citations semblables, et je dis que des législateurs qui ont des convictions si peu arrêtées devraient être mis en charte privée comme les jurés anglais, jusqu’à ce qu’ils se soient prononcés plus catégoriquement. Les populations, celles surtout qui n’ont pas été façonnées par l’étude aux subtilités de l’argumentation et du langage, donnent toujours aux mots un sens précis. On avait dit et répété solennellement aux populations qu’on donnerait du travail à chaque citoyen ; on leur avait dit que cette garantie était un droit, et lorsqu’on a été obligé de revenir sur ses pas, d’avouer qu’on n’avait pas de ressources, qu’on avait promis plus qu’on ne pouvait tenir, elles se sont crues trompées, et elles ont pris les armes pour porter aux affaires ceux des hommes politiques qui continuaient à leur promettre l’accomplissement de leurs illusions[10]. La masse a si bien pris au sérieux les doctrines qu’on lui a prêchées, que vous avez vu des paysans ignorants travailler de force sur le champ d’autrui et exiger leur salaire avec violence[11] ! Il n’y a eu, je crois, qu’un procès semblable en police correctionnelle ; mais tout le monde pourrait citer de nombreux cas analogues à celui qui est arrivé à Lunel, et que les circonstances ont mis à l’abri des poursuites.
Mais, voulez-vous savoir combien MM. Ledru-Rollin, Billault et autres, s’abusent en croyant qu’on leur donnera le temps de chercher ? Lisez le discours prononcé, dans la séance même où M. Ledru-Rollin a pris la parole, par M. Pelletier, l’élu des ouvriers lyonnais. M. Pelletier disait : « Nous ne pouvons dire au peuple que nous ne demandons pas mieux que de lui consacrer son Droit au travail et de le rendre heureux ; mais que, ne sachant pas comment lui en procurer ni l’organiser, et redoutant le socialisme, qui prétend que cela est possible, nous le lui supprimons ; le peuple vous répondrait : ‘Si vous ne savez rien faire de neuf, rentournez-vous, et faites place à d’autres.’ (Rires.) Messieurs, il y a assez d’hommes capables dans cette enceinte pour résoudre cette question : il s’agit tout simplement de les consulter. » M. Pelletier, comme on le voit, prenait au sérieux la formule et les hommes qui l’invoquent, je ne sais ce que la discussion lui a appris à cet égard ; mais ce que je veux répéter, c’est qu’il est très déplorable de mettre en avant, dans les déclarations publiques, des promesses vagues dont on se réserve d’étudier plus tard la possibilité, ou d’éluder le sens et la portée à l’aide d’interprétations judaïques. C’est là un indigne procédé que les masses punissent tôt au tard par des violences, et auquel la majorité de l’Assemblée n’a pas voulu s’associer. En agissant ainsi, elle a rempli un impérieux devoir.
IV.
Je raisonne autrement que M. Louis Blanc[12] ; mais je pense comme lui, et avec Malthus (M. Louis Blanc serait bien étonné d’être en communion d’idées avec cet affreux Malthus !), que le droit à l’assistance n’est autre chose que le droit au travail, et que la proclamation de ce droit engage la société dans des difficultés, dans des impossibilités tout à fait semblables à celles qui dérivent du droit au travail. Qui dit Droit, dit que celui qui a ce droit, que celui à qui l’assistance est due, peut sommer la société et le gouvernement qui la représente de lui donner cette assistance. Or, comment payer cette assistance due ? Par l’impôt : — et l’impôt, encore une fois, est-ce autre chose que la propriété ? Ainsi, droit au travail, droit à l’assistance, droit à la propriété d’autrui, sont au fond synonymes. Les Anglais l’ont bien compris. Une fois le principe posé dans la loi des pauvres, ils en ont accepté toutes les conséquences pratiques, jusqu’à ce que l’expérience leur ait ouvert les yeux, et les ait engagés à rebrousser chemin ; ce qu’ils ont déjà tenté par la réforme de 1834, et ce qu’ils ont beaucoup de peine à réaliser. Or, savez-vous jusqu’où allaient ces conséquences ? Dans la séance des communes du 15 décembre 1830, un député, M. Watmann, signalait cinquante familles de la Cité qui avaient été obligées de vendre leur mobilier pour acquitter la taxe des pauvres. En 1834, année à partir de laquelle le Parlement a mis quelques restrictions au droit à l’assistance, la taxe des pauvres a coûté six millions de livres, ou près de 140 millions de francs[13]. Mais le chiffre de la dépense n’est que le moindre des arguments ; et, bien que je ne veuille et que je ne puisse pas traiter la question ici, je rappellerai que la taxe des pauvres a produit pour résultats généraux : la multiplication des pauvres, l’imprévoyance des populations, leur démoralisation, et finalement la baisse des salaires, le pauvre faisant entrer en ligne de compte le revenu assuré qu’il touche du bureau de charité.
C’est là un immense fait acquis à l’économie politique, et que reconnaissait très bien un orateur de cette partie de l’Assemblée nationale, la Montagne, qui, faute de logique et de réflexions suffisantes, fait du socialisme sans le savoir. M. Mathieu (de la Drôme) disait : « Votez ! oui, votez le droit à l’assistance pour l’homme valide au lieu du droit au travail, et je vous affirme que l’histoire dira un jour que vous avez voté l’abaissement, la dégradation, la démoralisation de la première nation du monde ! » Rien n’est plus vrai que ces paroles : toutefois je ne m’explique pas que celui qui les a prononcées soit partisan du droit au travail.
Il y a donc identité entre le droit au travail et le droit à l’assistance ; mais l’Assemblée nationale se serait plus facilement laissé imposer le second que le premier : d’abord parce qu’on est plus familiarisé avec le second ; ensuite parce qu’il paraissait plus facile à restreindre dans les limites du possible. Toutefois, elle a eu le sentiment vague de l’identité que nous venons d’indiquer, et elle a, sur la proposition de sa commission, tourné la difficulté en ne proclamant pas le droit du pauvre à l’assistance ; mais le devoir de la société à l’assister, et elle a ajouté que ce devoir social serait subordonné à ses ressources.
On a dit à ce sujet qu’il y a des devoirs qui ne correspondent pas à des droits ; on a dit, par exemple, que l’homme a devant Dieu le devoir de faire la charité, d’assister son semblable, et que le pauvre n’a pas le droit d’exiger l’exercice de cette vertu[14]. Assurément cela est vrai ; mais je ferai remarquer qu’on mêle ici deux choses tout à fait différentes : une Constitution politique ne peut point commander les devoirs de l’ordre religieux, sous peine de faire trébucher la nation dans des abîmes ; ce qu’elle doit seulement prescrire, c’est la justice, la plus stricte justice, sans doute ; mais, cependant rien que la plus stricte justice. Que puis-je devoir à mon semblable, absolument parlant ? Rien. — Mon devoir est de ne pas lui nuire ; et à ce devoir correspond son droit d’exiger que je ne lui nuise pas.
M. Cormenin fait cette demande : « Chrétiens, hommes libres, mes amis, mes égaux, mes frères, laisserez-vous cette âme sans morale, cet esprit sans culture, ce corps sans subsistance ? Les laisserez-vous tous trois mourir dans la personne d’un égal, d’un homme libre, d’un frère ? Voyons, les laisserez-vous mourir ? répondez[15]. » — Je ne m’occupe ici que de la subsistance, et je réponds qu’il ne s’agit pas de savoir si je serai assez peu charitable pour laisser mourir mon semblable de faim, lorsque je pourrai faire autrement ; mais bien de savoir si l’homme qui a faim a le droit strict d’exiger de moi sa nourriture. — À M. Cormenin, éveillant en moi le sentiment religieux, humanitaire, je réponds que je ne laisserai pas mourir mon semblable ; mais je l’embarrasserais fort si je lui demandais à mon tour dans quelle limite je dois religieusement partager avec lui… — À M. Cormenin, président de la commission de Constitution, je réponds qu’en admettant par hypothèse que ma propriété n’est pas le fruit d’un privilège manifeste, opposé aux lois positives en vigueur, je n’en dois la plus petite parcelle à qui que ce soit : sinon ce n’est plus ma propriété ; c’est celle de ceux à qui je la dois et dans la limite de mon devoir.
C’est donc selon moi une erreur préjudiciable, que d’avoir proclamé que la société doit l’assistance à tous les citoyens nécessiteux dans les limites de ses ressources. Que la société donne à quelques nécessiteux, sans engagement de sa part, rien de mieux ! Mais si la Constitution s’engage à donner à tous les citoyens nécessiteux en temps de crise, elle promet ce qu’elle ne peut tenir ; elle habitue les populations à compter sur la providence sociale qui est la plus marâtre des providences, au lieu de compter sur l’énergie propre et individuelle qui est la seule force véritable, vis interna rerum, que Dieu ait établie. Heureux si la société, l’association générale, parvenait à maintenir la sécurité et la justice à l’abri desquelles tous les citoyens développent librement et le mieux possible leurs facultés, leur industrie ; à l’abri desquelles ils peuvent le mieux satisfaire le plus de besoins en faisant le moins d’efforts.
Si on me disait que j’oublie dans cette appréciation que le devoir de l’assistance a été limité par les ressources, je répondrais qu’il ne manquera jamais d’hommes de parti qui persuaderont aux plus pauvres et aux plus nombreux, qu’avec telle ou telle combinaison gouvernementale, avec telle ou telle politique, les ressources se multiplieraient[16]. Cet amendement, cette échappatoire des ressources est un danger de plus.
Ce biais du devoir social remplaçant le droit individuel, on l’a également employé pour la question du travail. L’article 13 énumère, non sans danger pour l’avenir, les moyens par lesquels la société, c’est-à-dire le gouvernement qui la représente, doit favoriser et encourager (la Constitution dit, pour atténuer : la société favorise et encourage) le développement du travail. Ces moyens sont : l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle, l’égalité des rapports entre le patron et l’ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les associations volontaires, et l’établissement par l’État, les départements et les communes, de travaux publics propres à employer les bras inoccupés. La Constitution dit ensuite que la société fournit l’existence aux enfants abandonnés, aux infirmes et aux vieillards sans ressources et que leurs familles ne peuvent secourir.
Ces promesses peuvent nous mener loin si on veut les tenir. Qu’a-t-on entendu par l’égalité des rapports entre le patron et l’ouvrier, par les institutions de prévoyance et de crédit ? Dieu seul le sait. Vous verrez que d’aucuns diront que la Constitution proscrit la tyrannie du capital, qu’elle proclame l’égalité des salaires, la gratuité du prêt, etc. Et qu’est-ce encore que cette promesse de travaux aux bras inoccupés, sinon une cachette d’où l’on pourra tirer, sans de trop grands efforts de logique, le droit au travail ? — Puisque la Constitution déclare que la société doit du travail aux bras inoccupés, constatez que mes bras sont inoccupés et donnez-moi du travail, ou bien je vous prends en flagrant délit de mensonges. — Voilà ce que pourront dire et ce que diront malheureusement un trop grand nombre d’hommes.
En résumé, on a promis plus qu’on ne peut tenir ; on a signé une convention dont on ne comprend pas bien la portée ; on a suivi en partie le conseil de MM. Ledru-Rollin et Billault ; on a inscrit dans la Constitution des droits et des devoirs qu’on n’expliquera, qu’on ne comprendra, qu’on n’appliquera que plus tard ; si tant est qu’on arrive à les formuler nettement.
V.
Nous avons dit, en commençant, notre sentiment sur la manière dont la formule de la Garantie du travail, qui n’est autre que celle du Droit au travail retourné, s’est produite en février. M. Louis Blanc avoue dans sa dernière brochure[17] qu’elle a été imposée par la force ; d’autres témoins parlent de fusils mis en joue. Nous ne nions pas ces faits ; mais nous maintenons que ces violentes manifestations avaient été suscitées (l’histoire dira par qui), et que, dans la foule stationnant sur la place de Grève, un très petit nombre d’hommes savaient ce qui se passait à la tête des députations qui pénétraient à l’Hôtel-de-Ville, et venaient imposer leur volonté ou la volonté de ceux qui les poussaient. Qu’il y ait eu violence ou non, l’histoire reprochera à ceux dont la conscience a été violentée, de n’avoir pas su protester plus tôt et mieux, et de n’avoir compris le danger des promesses illusoires qu’après six mois de déplorables expériences.
Si maintenant on recherche l’origine de cette formule, on voit que l’école phalanstérienne en réclame l’invention. M. Victor Hennequin, qui, dans cette école, prend rang après M. Considérant, revendiquait dernièrement, au banquet donné à l’occasion de l’anniversaire de Fourier, la priorité pour ce socialiste, en citant, à l’appui de son opinion, le passage suivant de la Théorie de l’Unité universelle, qui date de près de trente ans :
« L’Écriture nous dit que Dieu condamna le premier homme et sa postérité à travailler à la sueur de leur front : mais il ne nous condamna pas à être privés du travail d’où dépend notre subsistance. Nous pouvons donc, en fait de droits de l’homme, inviter la philosophie et la civilisation à ne pas nous frustrer de la ressource que Dieu nous a laissée comme pis aller et châtiment, et à nous garantir au moins le droit au genre de travail auquel nous avons été élevés.
… Nous avons donc passé des siècles à ergoter sur les droits de l’homme, sans songer à reconnaître le plus essentiel, celui du travail, sans lequel les autres ne sont rien. Quelle honte pour les peuples qui se croient habiles en politique sociale ! Ne doit-on pas insister sur une erreur si ignominieuse, pour étudier l’esprit humain et étudier le mécanisme sociétaire qui va rendre à l’homme tous ses droits naturels, dont la civilisation ne peut ni garantir ni admettre le principal, le droit au travail. »
M. Considérant discutait la formule ex professo, il y a dix ans, dans un article de la Phalange[18], qu’il a reproduit tout récemment en brochure sous le titre : Du droit de propriété et du droit au travail[19]. Enfin, depuis quelques années, la Démocratie pacifique, journal quotidien des fouriéristes, a repris le thème sur tous les tons, et sous différentes appellations, notamment sous celle de droit à un minimum de salaire.
Cependant cette formule n’apparaissait que rarement ailleurs dans le langage politique, et elle était loin de jouir de la même faveur que celle de l’Association ou de l’Organisation du travail, la première vulgarisée surtout par l’école saint-simonnienne ; la seconde, dont tout l’honneur revient, si honneur il y a, à M. Louis Blanc[20].
On ne la trouve pas, ce me semble, dans le pamphlet de ce dernier écrivain, sur l’Organisation du travail, publié en 1840[21] ; on ne la trouve pas non plus dans des éditions postérieures, celle de 1845, par exemple, la plus récente que j’aie sous les yeux ; et ce fait suffit pour pouvoir affirmer qu’elle n’a été que depuis très peu de temps mise en circulation. À tout prendre, il me semble bien que c’est le premier projet de la Constitution qui lui a donné la vogue, à la suite de laquelle sont arrivés les débats dans les bureaux de la Chambre, dans la presse et à la tribune. Dès ce moment le droit dont M. Considérant serait non pas tout à fait le père[22] (comme a dit M. Duvergier de Hauranne à la tribune), mais le père nourricier, a été successivement adopté, avec des significations diverses, non seulement par l’extrémité de l’Assemblée nationale peuplée de montagnards ou de socialistes purs, mais encore par des groupes où se trouvent des hommes de nuances diverses, tels que MM. Lamartine, Crémieux, Billault, etc.
La majorité de la commission de Constitution a certainement commis une faute, en se laissant imposer dans sa première rédaction une formule qui devait être vague aux yeux du plus grand nombre, et dangereuse aux yeux de ceux qui étaient un peu versés dans les questions économiques[23]. Plus tard, les partisans du droit au travail se sont prévalus de cette faiblesse, et ont présenté l’opposition que la déclaration de ce droit rencontrait dans les bureaux et à l’Assemblée comme une réaction contre le progrès, tandis qu’il n’y avait au fond que plus de réflexion et une intelligence plus rationnelle des conditions du progrès. Au reste, le rapprochement de deux dates explique tout. Le premier projet de la Constitution a été lu le 20 juin ; le second, qui a été rédigé après la discussion dans les bureaux, a été lu le 29 août. Entre ces deux époques les discordes civiles avaient vieilli nos représentants de plusieurs années.
Nous ne parlons ici que de la formule du droit nouveau qu’on a dit être la cause et le but de la Révolution de Février, et que nous croyons avoir été parfaitement inconnu et n’avoir pris, nous le répétons, quelque consistance pour le public qu’à l’approche des débats de la Constitution. Car, enfin, est-il possible qu’une révolution soit faite au nom d’un droit qui ne serait pas connu, formulé, proclamé par la masse ? Le 22 février, le 23, le 24, demandait-on le droit au travail ?
Maintenant nous avouons que l’idée socialiste à laquelle se rattache cette formule est très ancienne, mais beaucoup plus ancienne qu’on ne le suppose. M. Considérant et M. Victor Hennequin peuvent la retrouver chez tous les publicistes qui se sont mépris sur le rôle et le pouvoir réel des gouvernements. La célèbre controverse qui s’éleva vers la fin du dernier siècle entre Malthus et Godwin n’avait pas d’autre point de départ ; et Quesnay répondait déjà aux socialistes de son temps : « Le droit naturel de tous à tout, se réduit au droit de l’homme aux choses dont il peut obtenir la jouissance ; il est semblable au droit de chaque hirondelle à tous les moucherons qui voltigent, mais qui, dans la réalité, se borne à ceux qu’elle peut saisir. » Ce qui veut dire qu’avec la liberté tout homme n’a droit qu’au travail disponible concurremment avec les autres hommes ; ce qui réduit à néant le droit au travail comme on l’entend.
Au reste, tout le monde sait que l’idée du droit à l’assistance, dont le droit au travail n’est qu’une répétition en d’autres termes, remonte très haut, et a été de bonne heure le résultat d’une fausse interprétation politique de la morale religieuse du Christ. Nous disons fausse interprétation, parce que si le Christ a toujours recommandé aux riches de partager, au nom de leur intérêt futur, il a aussi formellement nié le droit des pauvres à exiger le superflu des riches. C’est pour ne pas faire cette simple distinction qu’une foule de catholiques fourvoyés sont conduits à un charitisme qui aboutit forcément au communisme[24].
JOSEPH GARNIER.
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[1] Et non socialistes ; bien que les socialistes soient bientôt parvenus à jeter la confusion dans les sens des deux mots. Social veut dire qui a trait à la société. Socialiste signifie qui a trait à la société, d’une certaine manière, de la manière de MM. Louis Blanc, Considérant, Cabet, Proudhon et quelques autres.
[2] Je ne parle pas de quelques sociétés d’ouvriers travaillées par les écoles socialistes ; je parle de la masse de la population de Paris. La vérité de mon assertion pour le reste de la France, Lyon et quelques grands centres exceptés, ne saurait être contestée.
[3] Exposé des motifs de l’édit portant suppression des Jurandes, donné à Versailles en février 1776, enregistré le 12 mars, malgré le parlement, en lit de justice.
[4] Ce qu’il y a de singulier, c’est que ce reproche perfide part souvent de l’école fouriériste, qui se plaint précisément que la morale actuelle comprime trop les passions, et qui prétend avoir les moyens de les laisser faire toutes avec profit pour l’individu et la société.
[5] P.-J. Proudhon. (B.M.)
[6] Boileau, Première Satire, 1666. (B.M.)
[7] Je fais mes réserves pour un article sur les Malthusiens, dans lequel M. Proudhon faisait vraiment de la polémique de broussailles.
[8] Voir son discours, p. 113.
[9] Voir son discours, p. 250.
[10] Voir, aux Notes finales, une lettre de M. Proudhon sur l’excusabilité de l’insurrection de juin.
[11] Voir, aux Notes finales, un jugement du tribunal correctionnel de Montpellier contre des cultivateurs qui ont travaillé sur un champ qui ne leur appartenait pas.
[12] Voir son opinion, p. 385.
[13] L’an d’après, cette dépense était encore de plus de 100 millions de francs. Elle était, en 1845, la dernière année dont j’aie les chiffres sous les yeux, de 130 millions.
[14] Voyez l’écrit remarquable de M. Cousin, Justice et Charité.
[15] Voir un extrait de son pamphlet, p. 378.
[16] De nos jours n’a-t-on pas mis au nombre des ressources : le défrichement des terres incultes, les assignats, l’organisation du travail, le crédit par l’État, etc. ?
[17] Droit au travail, réponse à M. Thiers.
[18] Journal mensuel de l’école fouriériste, mai 1839.
[19] Juillet 1848.
[20] Voir quelques notes d’explication et d’histoire au sujet des principales formules socialistes, que j’ai insérées dans le J. des Economistes, t. xx, p. 375, juillet 1848.
[21] Chose curieuse, M. Louis Blanc donne pour remède à la situation ce conseil : « ASSUREZ du travail » ; mais jamais la formule du Droit au travail ne se rencontre sous sa plume.
[22] M. Cormenin réclame aussi sa part de paternité. Voy. son opinion, p. 378.
[23] M. Considérant disait, le 6 juillet, dans la préface de la brochure citée plus haut : « Le droit au travail, admis à l’unanimité par la commission de Constitution, est fortement contesté dans les bureaux. »
[24] Les Anglais pratiquent le droit à l’assistance depuis trois siècles. La taxe des pauvres si bien caractérisée par M. Mathieu (de la Drôme), socialiste fort peu logique, et par M. Louis Blanc qui l’appelle une colossale extravagance (Organisation du travail, p. 55, 4° édit., 1845) remonte à 1563 selon les uns, et même au XIVe siècle, au temps d’Edouard III, selon les autres.
En France nos deux premières Constitutions le proclament.
On lit dans la déclaration de la Constitution de 1791 (3-14 septembre) :
Il sera créé et organisé un établissement général de secours publics, pour élever les enfants abandonnés, soulager les pauvres infirmes, et fournir du travail aux pauvres valides qui n’auraient pas pu s’en procurer.
On lit dans la déclaration de la Constitution de 1793 (24 juin) :
Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.
La Constitution de 1791 promettait en outre l’enseignement primaire gratuit, celle de 1893 promettait de mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens. On ne lit plus rien de semblable dans la déclaration de la Constitution de l’an III (5 fructidor. — 22 août 1795), [laquelle formule comme celle de 1848, non seulement des droits, mais aussi des devoirs.
Tout le monde sait qu’il n’y a pas de déclaration de principes dans les Constitutions qui suivirent, ni dans la charte de 1814 et celle de 1830.
Le premier projet de la Constitution de 1818 disait (20 juin) :
« La Constitution garantit à tous les citoyens :
La Liberté, l’Égalité, la Sûreté, l’Instruction, le Travail, la Propriété, l’Assistance.
Le droit au travail est celui qu’a tout homme de vivre en travaillant.
La société doit par les moyens productifs et généraux dont elle dispose, et qui seront organisés ultérieurement, fournir du travail aux hommes valides qui ne peinent s’en procurer autrement.
Le droit à l’assistance est celui qui appartient aux enfants abandonnés, aux infirmes et aux vieillards, de recevoir de l’État des moyens d’exister.
Les garanties essentielles du droit au travail sont : la liberté même du travail, l’association volontaire, l’égalité des rapports entre le patron et l’ouvrier, l’enseignement gratuit, l’éducation professionnelle, les institutions de prévoyance et de crédit, et rétablissement par l’État de grands travaux d’utilité publique, destinés à employer, en cas de chômage, les bras inoccupés. »
Le second projet disait un peu plus simplement (29 août) :
« … Le citoyen doit concourir au bien-être commun en secourant fraternellement autrui…
La République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail, et mettre à la portée de chacun l’instruction indispensable à tous les hommes ; elle doit la subsistance aux citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.
La société favorise et encourage le développement du travail par l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle, l’égalité de rapports entre le patron et l’ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les associations volontaires et l’établissement, par l’État, les départements et les communes, de travaux publics propres à employer les bras inoccupés ; elle fournit l’assistance aux enfants abandonnés et aux infirmes ou aux vieillards sans ressource, et que leurs familles ne peuvent secourir. »
Enfin la Constitution proclamée le 12 novembre sur la place de la Concorde, dit :
« …Les citoyens doivent concourir au bien-être commun eu s’entraidant fraternellement les uns les autres… »
La République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail, et mettre à la portée de chacun l’instruction indispensable à tous les hommes : elle doit, par une assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d’état de travailler.
La Constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l’industrie.
La société favorise et encourage le développement du travail par l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle, l’égalité du rapports entre le patron et l’ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les institutions agricoles, les associations volontaires, et l’établissement par l’État, les départements et les communes, de travaux publics propres à employer les bras inoccupés ; elle fournit l’assistance aux enfants abandonnés, aux infirmes et aux vieillards sans ressources, et que les familles ne peuvent secourir. »
Notre dernière réflexion est que tout cela est fort embrouillé, et tellement élastique que le socialisme et les partis politiques y trouveront toujours tout ce qu’ils voudront ; mais la France n’y trouvera pas le calme et la tranquillité, le travail et le progrès. Combien ont été mieux inspirés les républicains qu’on aurait pu prendre pour modèles, et qui se sont bornés à dire, en tête de la loi fondamentale, ces paroles simples et vraiment majestueuses :
« Nous le peuple des États-Unis, pour former une union plus parfaite, établit la justice, assurer la tranquillité intérieure, pourvoir à la défense commune, accroître le bien-être général, et assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, décrétons et établissons cette Constitution pour les États-Unis d’Amérique. »
Suivent les articles de la Constitution, sans autre déclaration de droit, de dogmes ou de principes.]
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