Le commerce européen dans les Amériques et le projet d’union douanière pan-américaine

SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE ROCHEFORT

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CONGRÈS NATIONAL DES SOCIÉTÉS FRANÇAISES DE GÉOGRAPHIE

XIIe SESSION — ROCHEFORT-SUR-MER — 1891

COMPTE RENDU DES TRAVAUX DU CONGRÈS 

(Séance du 8 août 1891)

(Extrait.)


Le commerce européen dans les Amériques et le projet d’union douanière pan-américaine.

…… M. LE PRÉSIDENT donne la parole à M. Martineau, pour une communication sur Le commerce européen dans les Amériques et le projet d’union douanière pan-américaine.

 M. MARTINEAU rappelle qu’il y a deux ans à peine, se réunissait aux États-Unis un congrès comprenant des délégués de tous les États d’Amérique à l’effet d’organiser une union douanière pan-américaine reposant sur le principe d’une prohibition complète à l’égard des produits européens. Ce projet ayant échoué parce qu’il était trop évident que les États-Unis de l’Amérique du Nord seuls profiteraient d’une telle convention, cette République s’attacha à réaliser le même objet en ce qui la concernait, au moyen des dispositions ultra-protectrices des bills Mac Kinley.

À côté des États-Unis, le Canada, lui aussi, a adopté depuis longtemps une législation douanière protectionniste ; mais il existe dans ce pays un parti puissant disposé à abaisser les tarifs, et il y a lieu d’espérer qu’aux élections prochaines ce parti l’emportera, au grand profit du commerce français.

Aux États-Unis, les partisans de l’abaissement des tarifs ont déjà triomphé dans le scrutin pour l’élection de la Chambre des représentants. La question électorale a été posée sur ce principe de bon sens que chacun doit rester libre d’acheter ce dont il a besoin au meilleur marché, et de vendre ses produits le plus cher possible. Le peuple des États-Unis s’est dérobé, en cette circonstance, à la direction des politiciens, et a envoyé au Congrès une majorité libre-échangiste avec le mandat formel de faire passer dans la loi douanière ce principe de liberté, en faisant de la douane un instrument purement fiscal, destiné uniquement à procurer des revenus au Trésor fédéral, conformément à l’esprit de la Constitution des États-Unis, qui veut que les ressources de ce Trésor soient prises surtout dans les impôts indirects. C’est sur ce principe que s’est appuyé l’ancien président Cleveland quand il a voulu, comme l’Angleterre, à la suite de Cobden et de Robert Peel, faire de la douane une institution purement fiscale.

Cette révolution est grosse de conséquences pour l’avenir du commerce français sur ce vaste marché des États-Unis qui lui était fermé depuis la guerre de Sécession ; mais ces conséquences ne commenceront à se produire que lorsque les pouvoirs du Sénat et du Président actuels, partisans du système restrictif, auront passé en d’autres mains. Il est, toutefois, certain qu’à bref délai la réforme de la législation douanière sera accomplie et que les tarifs seront abaissés. C’est au commerce et à l’industrie de la France à se tenir prêts pour ce moment.(Approbation.)

M. Martineau termine en proposant au Congrès l’adoption du vœu suivant :

« Le congrès, considérant que la structure géographique du monde, la variété des produits suivant le climat et la diversité du génie des races s’opposent à l’isolement économique des divers peuples, émet le vœu que l’on emploie les moyens utiles à l’effet de développer l’influence française dans les deux Amériques. »

La proposition de vœu, mise aux voix, est adoptée.

M. Le docteur BOURRU dit qu’il a voté contre le vœu parce qu’il ne croit pas que la question soit de la compétence du Congrès.

M. LE PRÉSIDENT dit qu’en effet c’est une question d’économie politique plutôt que de géographie.

M. MARTINEAU explique qu’il a improvisé la rédaction de son vœu à la séance même.

M. VIBERT dit que, bien que libre-échangiste convaincu, il va faire des constatations protectionnistes.

Au lendemain de la guerre de Sécession, les États-Unis avaient une dette de 30 milliards ; grâce aux tarifs de protection qu’ils ont établis à cette époque, ils ont éteint leur dette ; en outre, et c’est ce qui fait que la France n’a plus d’intérêt à voir abaisser les tarifs aux États-Unis, ils ont créé chez eux, à l’abri de ces tarifs, une grande industrie nationale, laquelle se heurtera sur leur marché à l’industrie européenne, et contre laquelle celle-ci doit déjà lutter sur tous les marchés du monde. Cette protection, qui serait désastreuse en Europe, a donné aux États-Unis des résultats merveilleux. Ainsi donc, quand même les États-Unis réduiraient leurs tarifs, la France ne peut guère espérer y importer que des objets d’art ou de grand luxe.

Quant à l’Amérique du Sud, les marchés en seront ouverts au commerce français longtemps encore, jusqu’au moment où la République Argentine aura réalisé les mêmes progrès que les États-Unis. Alors, dans cinquante ou soixante ans, les marchés de l’Amérique du Sud seront fermés à leur tour.

M. MARTINEAU répond qu’un système douanier comme celui dont il prévoit l’établissement aux États-Unis, c’est-à-dire un système ayant pour unique objet de fournir des ressources au Trésor fédéral, donnerait des recettes bien plus considérables que celui de la prohibition complète, car ce qui n’entre pas dans un pays ne paie pas de droits de douanes. Les États-Unis ont donc un intérêt financier à ne créer que des droits modérés, ce qui laissera nécessairement leur marché ouvert.

D’autre part, plus le marché se développera, plus les États-Unis s’enrichiront, et plus le commerce européen aura de chances d’y trouver des débouchés et d’y écouler les produits dont il dispose ; les produits ne s’échangent que contre des produits ; ceux de l’Amérique auront ceux de l’Europe pour contre-valeur. Le résultat prévu par M. Vibert ne peut donc pas se produire.

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