Traduction Stéphane Geyres, Institut Coppet
Cet article est tiré du chapitre trois de L’Impôt sur le Revenu : Racine de Tout le Mal. Il est reproduit ici tel qu’il apparut dans un petit livret publié par la Foundation for Economic Education (Fondation pour l’Enseignement Economique). Frank Chodorov fut l’un un des derniers représentant de la Old Right aux Etats-Unis et l’un des moteurs de la renaissance du libéralisme classique au XXe siècle.
L’axiome de ce qui est souvent appelé « l’individualisme » est que chaque personne possède certains droits inaliénables. Par exemple, l’individualisme avance qu’il n’y a pas de droit à la propriété en tant que telle ; il n’y a que le droit inhérent d’une personne envers ses biens honnêtement acquis…
L’axiome du socialisme veut que l’individu n’ait pas de droits intrinsèques. Les privilèges et prérogatives dont l’individu jouit sont des aumônes de la société, agissant par son comité de direction, le gouvernement. C’est la condition que l’individu doit accepter afin d’être un membre de la société. Ainsi, les socialistes (y compris beaucoup qui ne se dénomment pas ainsi eux-mêmes) rejettent la Déclaration d’Indépendance, la qualifiant de fiction du XVIIIe siècle.
À l’appui de son déni des droits naturels, le socialiste avance qu’il n’existe aucune preuve positive en faveur de cette doctrine. Où est la preuve écrite ? Dieu a-t-il tendu à l’homme une déclaration signée lui conférant les droits qu’il réclame pour lui-même, mais nie pour les oiseaux et les bêtes qui habitent aussi la terre ? Si, en réponse à ces questions, vous mettez en avant l’idée de l’âme, vous voilà retourné au point de départ : Comment pouvez-vous prouver que l’homme a une âme ?
Ceux qui acceptent l’axiome des droits naturels se voient coincés dos au mur par ce genre de raisonnement, jusqu’à ce qu’ils examinent l’axiome contraire, celui où tous les droits seraient des dons ou des prêts du gouvernement. Où le gouvernement obtint-il les droits qu’il dispense ? Si on pose que son financement des droits est collecté auprès des individus, comme condition de leur appartenance à la société, la question se pose : d’où viennent les droits que l’individu a abandonnés ? Il ne peut pas renoncer à ce qu’il n’a jamais eu auparavant, c’est-à-dire à ce que le socialiste maintient.
Qu’est-ce que le gouvernement ?
Quelle est cette chose dénommée gouvernement, qui peut accorder et retirer des droits ? Il y a toutes sortes de réponses à cette question, mais toutes les réponses tomberont d’accord sur un point, que le gouvernement est un instrument social jouissant d’un monopole de la contrainte. Le socialiste dit que le monopole de la contrainte est confié au gouvernement afin qu’il puisse apporter un ordre social et économique idéal ; d’autres disent que le gouvernement doit avoir le monopole de la contrainte dans le but d’éviter que des individus utilisent la coercition l’un envers l’autre. En résumé, la caractéristique essentielle d’un gouvernement tient au pouvoir. Si de plus, nous posons que nos droits viennent du gouvernement, comme hypothèse nous admettons que quiconque prend le contrôle du pouvoir dévolu au gouvernement est l’auteur de droits. Cela simplement parce qu’il a le pouvoir de faire respecter sa volonté. Ainsi, l’axiome de base du socialisme, sous toutes ses formes, est que la force fait le droit.
Et cela signifie que le pouvoir est tout ce qui sous-tend la morale. Si je suis plus grand et plus fort que vous et que vous n’avez aucun moyen de vous défendre, alors cela est juste si je vous frappe ; le fait que je ne vous frappe est la preuve que j’avais le droit de le faire. D’autre part, si vous pouvez m’intimider avec un fusil, alors le droit retourne de votre côté. Tout cela revient à une pure absurdité. Et un ordre social fondé sur l’axiome socialiste, qui fait du gouvernement le juge ultime de toute moralité, est une société absurde. Il s’agit d’une société dans laquelle la valeur la plus haute est l’acquisition du pouvoir, comme incarné par un Hitler ou un Staline – et le sort de ceux qui ne peuvent l’acquérir, c’est l’asservissement en tant que condition d’existence.
Le non-sens de l’axiome socialiste est illustré par le fait qu’il n’y aurait pas de société, et donc pas de gouvernement, s’il n’y avait pas d’individus. L’être humain est l’unité de toutes les institutions sociales, sans un homme il ne peut y avoir une foule. C’est pourquoi nous sommes conduits à observer l’individu pour trouver un axiome sur lequel bâtir un code moral non-socialisant. Que nous dit-il de lui-même ?
En premier lieu, il nous dit qu’au-dessus de toutes choses, il veut vivre. Il nous dit cela même lorsqu’il vient tout juste au monde et pousse un cri. Du fait de ce désir primordial, soutient-il, il a le droit de vivre. Certes, personne à part lui ne peut valablement réclamer droit sur sa vie, et pour cette raison, il appuie son propre titre sur une autorité qui transcende tous les hommes, sur Dieu. Ce droit se tient.
Lorsque l’individu dit qu’il a un droit valide à la vie, il veut dire que tout ce qu’il est, est sien : son corps, son esprit, ses facultés. Peut-être la vie suppose-t-elle autre chose, telle une âme, mais sans entrer dans ce domaine, il est prêt à s’accorder sur ce qu’il sait de lui-même, sa conscience. Tout ce qui est « moi » est « mien ». Cela implique, bien sûr, que tout ce qui est « toi » est « tien » – puisque chaque « toi » est un « moi ». Les droits fonctionnent dans les deux sens. Mais, alors que le fait de vouloir vivre accorde à l’individu un droit sur sa vie, ce titre demeure vide, à moins qu’il puisse acquérir les choses qui rendent la vie vivable, à commencer par la nourriture, le vêtement et l’abri. Ces choses ne viennent pas à soi parce qu’on les souhaite, elles nous viennent par suite d’un travail combiné aux matières premières. Il faut donner quelque chose de soi – ses muscles ou son cerveau – pour rendre disponibles les choses nécessaires. Même les baies sauvages doivent être cueillies avant de pouvoir être mangées. Mais l’énergie mise à faire les choses nécessaires fait partie de vous ; c’est vous. Par conséquent, lorsque vous êtes à l’origine de l’existence de ces choses, le lien à vous-même, votre travail, est étendu à ces choses. Vous disposez d’un droit sur elles simplement parce que vous disposez d’un droit à la vie.
Telle est la base morale du droit de propriété. « Je le possède parce que je l’ai fait » est un titre qui se prouve soi-même. La reconnaissance de ce titre est implicite dans l’affirmation que « je me fais tant par semaine » (en monnaie).C’est littéralement vrai.
Mais que veut-on dire quand on dit qu’on possède la chose qu’on a produite ? Disons qu’il s’agit d’un boisseau de blé. Vous l’avez produit pour satisfaire votre désir de pain. Vous pouvez moudre le blé en farine, faites cuire la miche de pain, la manger, ou la partager avec votre famille ou un ami. Ou vous pouvez donner une partie du blé au meunier en paiement de son travail, cette part que vous lui donnez, sous forme de salaire, est la sienne parce qu’il vous a fourni son travail en échange. Ou vous vendez la moitié du boisseau de blé pour de l’argent, que vous échangez pour le beurre qui ira avec le pain. Ou vous mettez l’argent en banque de sorte que vous pourrez avoir autre chose plus tard, quand vous le voudrez.
En d’autres termes, votre propriété vous autorise à utiliser votre jugement quant à ce que vous allez faire du produit de votre travail – le consommer, le céder, le vendre, l’économiser. La liberté d’usage est la substance même du droit de propriété.
Liberté d’usage
L’entrave à la liberté d’usage est, en dernière analyse, l’entrave envers le droit à la vie. A minima, c’est votre réaction à de telles ingérences, car vous décrivez une telle ingérence d’un mot qui exprime une émotion profonde : Vous appelez cela du « vol qualifié ». De plus, si vous trouvez que ce vol persiste, si vous êtes régulièrement privé des fruits de votre travail, vous perdez de l’intérêt envers le travail. La seule raison pour laquelle vous travaillez est de satisfaire vos désirs, et si l’expérience montre que, malgré vos efforts vos désirs demeurent insatisfaits, vous devenez avare de votre travail. Vous devenez un « pauvre » producteur.
Supposons que la liberté d’usage vous soit retirée entièrement. C’est-à-dire, vous devenez un esclave, vous n’avez aucun droit de propriété. Quoi que vous produisiez est saisi par quelqu’un d’autre, et bien qu’une bonne part vous revienne, sous forme de subsistance, soins médicaux, logement, vous ne pouvez pas disposer de votre produit de par la loi ; si vous essayez, vous devenez légalement le « voleur ». Votre obsession pour la production va en diminuant et vous adoptez peu à peu une attitude envers le travail appelée une psychologie d’esclaves. Votre intérêt envers vous-même fond aussi parce que vous ressentez que, sans droit de propriété, vous n’êtes pas très différent des autres êtres vivants de la grange. Le pasteur a beau vous dire que vous êtes un homme, avec une âme, pourtant vous sentez que, sans droit de propriété, vous êtes un peu moins homme que celui qui peut disposer de votre production à sa guise. Si vous êtes un humain, comment êtes-vous humain ?
Il est idiot, dès lors, de blablater en faveur des droits de l’homme qui seraient supérieurs au droit de propriété, parce que le droit de possession se ramène au droit à la vie, qui est certainement inhérent à l’être humain. Les droits de propriété sont en fait des droits de l’homme.
Une société construite autour de la négation de ce fait est, ou doit devenir, une société d’esclaves – bien que les socialistes la décrivent différemment. Il s’agit d’une société dans laquelle certains produisent et d’autres disposent de leur production. Le travailleur n’est pas stimulé par la perspective de satisfaire ses désirs, mais par la crainte d’une punition. Lorsque sa possession n’est pas enfreinte, quand il travaille pour lui, il est incité à développer ses facultés de production parce qu’il a des désirs illimités. Il travaille pour la nourriture, certes une question de nécessité, mais lorsqu’il a une quantité suffisante de nourriture, il commence à penser à des plats fantaisies, à une nappe, de la musique avec son repas. Il n’y a pas de fin aux désirs que l’être humain peut – et œuvrera pour – assouvir, à condition qu’il se sente raisonnablement sûr que son travail ne sera pas en vain. A l’inverse, lorsque la loi le prive de l’incitation de la jouissance, il ne fonctionne que comme la nécessité l’impose. Quel intérêt y a-t-il à engager plus d’efforts ?
Par conséquent, la production générale d’une société socialiste doit décliner jusqu’au point de la simple subsistance.
Déclin de la société
Le déclin économique d’une société sans droits de propriété est suivi par la perte d’autres valeurs. Ce n’est que lorsque nous avons assez de choses nécessaires qu’on réfléchit à des choses immatérielles, à ce qu’on appelle la culture. D’autre part, nous constatons que nous pouvons vivre sans livres, ou même sans déplacer des photos, quand l’existence même est en jeu. Encore plus même, nous qui n’avons pas le droit de posséder n’avons certainement pas le droit de donner, et la charité devient un vain mot ; au sein d’un ordre socialiste, personne n’a besoin de penser à un voisin malheureux, car il est du devoir du gouvernement, le propriétaire unique, de prendre soin de lui ; il pourrait même devenir un crime que de donner un sou à un « bon à rien ». Quand le déni du droit de l’individu est nié via la négation de la propriété, le sentiment de fierté personnelle, qui distingue l’homme de la bête, doit s’altérer à force de désuétude …
Quoi d’autre que le socialisme soit, ou prétende être, son premier principe est le déni de la propriété privée. Toutes les variantes de socialisme, et elles sont nombreuses, conviennent que les droits de propriété doivent être dévolus à l’establishment politique. Aucun des systèmes identifiés selon cette idéologie, comme la nationalisation de l’industrie ou la médecine socialisée, ou l’abolition du libre choix, ou l’économie planifiée, ne peut devenir fonctionnel si la revendication des individus à la propriété est reconnue par le gouvernement.
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