LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
JOURNAL QUOTIDIEN
Liberté. — Égalité. — Fraternité. — Justice. — Économie. — Ordre.
NUMÉRO 2. Dimanche 27 Février 1848.
SOMMAIRE : Le désarmement européen, seul moyen de consolider en France la république nouvelle — L’état actuel de Paris prouve la facilité qu’ont les citoyens à se gouverner eux-mêmes — Le Gouvernement de Juillet a surtout manqué d’honnêteté — Nécessité de la remise en liberté de la Duchesse d’Orléans et de ses fils — La situation de Paris autorise le Gouvernement provisoire à poursuivre son œuvre libérale et pacifique — Appel de M. Cormentin à l’ambassade de Rome — Maintien des symboles de la France par le Gouvernement provisoire — La foule au musée du Louvre — Condamnations envers des pilleurs — Incendie du château de Neuilly — Comment nous entendons le soutien qu’il faut apporter au Gouvernement provisoire — Dernières publications du Gouvernement provisoire — Actes du Gouvernement provisoire de la République française — Faits divers.
Nous publierons très incessamment l’histoire des Trois Journées de Février, par notre romancier populaire H. Paul Féval.
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Paris, 26 Février 1848.
Nul ne peut dire quel sera en Europe le contrecoup de la Révolution. Plaise au Ciel que tous les peuples sachent se soustraire à la triste nécessité de se précipiter les uns sur les autres au signal des aristocraties et des rois !
Mais supposons que les puissances absolues conservent encore pendant quelque temps leurs moyens d’action au dehors.
Nous posons ici deux faits qui nous paraissent incontestables et dont on va voir les conséquences.
1° La France ne peut pas prendre l’initiative du désarmement ;
2° Sans le désarmement, la Révolution ne peut remplir que très imparfaitement les espérances du peuple.
Ces deux faits, disons-nous, sont incontestables.
Quant au désarmement, le plus grand ennemi de la France ne pourrait le lui conseiller, tant que les puissances absolues sont armées. Il est inutile d’insister là-dessus.
Le second fait est aussi évident. Se tenir armés de manière à garantir l’indépendance nationale, c’est avoir trois ou quatre cent mille hommes sous les drapeaux ; c’est être dans l’impossibilité de faire sur les dépenses publiques aucun retranchement assez sérieux pour remanier immédiatement notre système d’impôts. Accordons que par une taxe somptuaire on puisse réformer ’impôt du sel, et quelques autres contributions exorbitantes. Est-ce là une chose dont puisse se contenter le peuple français ?
On réduira, dira-t-on, la bureaucratie : soit. Mais, nous l’avons dit hier, la diminution probable des recettes compensera et au-delà ces réformes partielles, et, ne l’oublions pas, le dernier budget a été réglé en déficit.
Or, si la Révolution est mise dans l’impossibilité de remanier un système d’impôts iniques, mal répartis, qui frappent le Peuple et paralysent le travail, elle est compromise.
Mais la Révolution ne veut pas périr.
Voici, relativement aux étrangers, les conséquences nécessaires de cette situation.
Certes, ce n’est pas nous qui conseillerons jamais des guerres d’agression.
Mais la dernière chose qu’on puisse demander à un peuple, c’est de se suicider.
Si donc, même sans nous attaquer directement, l’étranger, par son attitude armée, nous forçait à tenir trois ou quatre cent mille hommes sur pied, c’est comme s’il nous demandait de nous suicider.
Pour nous, il est de la dernière évidence que si la France est placée dans la situation que nous venons de décrire, qu’elle le veuille ou non, elle jettera sur l’Europe la lave révolutionnaire.
Car ce sera le seul moyen de créer aux rois des embarras chez eux qui nous permettent de respirer chez nous.
Que les étrangers le comprennent. Ils ne peuvent échapper au danger qu’en prenant avec loyauté l’initiative du désarmement. Le conseil leur paraîtra bien téméraire. Ils se hâteront de dire : ce serait une imprudence. Et nous, nous disons : ce serait de la prudence la plus consommée.
C’est ce que nous nous chargerons de démontrer.
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Lorsqu’on parcourt les rues de Paris, à peine assez spacieuses pour contenir les flots de la population, et qu’on vient à se rappeler qu’il n’y a dans cette immense métropole en ce moment ni roi, ni cour, ni gardes municipaux, ni troupes, autre que celle que les citoyens exercent eux-mêmes ; quand on songe que quelques hommes, sortis hier de nos rangs, s’occupent seuls des affaires publiques, à l’aspect de la joie, de la sécurité, de la confiance qui respire dans toutes les physionomies, le premier sentiment est celui de l’admiration et de la fierté.
Mais bientôt on fait un retour sur le passé et l’on se dit : « Il n’est donc pas si difficile à un peuple de se gouverner qu’on voulait nous le persuader, et le gouvernement à bon marché n’est pas une utopie. »
Il ne faut pas se le dissimuler : en France, on nous a habitués à être gouvernés outre mesure, à merci et à miséricorde. Nous avions fini par croire que nous nous déchirerions tous les uns les autres, si nous jouissions de la moindre liberté, et si l’État ne réglait tous nos mouvements.
Voici une grande expérience qui démontre qu’il y a dans le cœur des hommes d’indestructibles principes d’ordre. L’ordre est un besoin et le premier des besoins, sinon pour tous, du moins pour l’immense majorité. Ayons donc confiance et tirons de là cette leçon, que le grand et dispendieux appareil gouvernemental que les intéressés nous représentaient comme indispensable, peut et doit être grandement simplifié.
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Qu’a-t-il manqué au Gouvernement déchu ?
Ce ne sont pas les sympathies nationales nées si unanimes et si vivaces des barricades de Juillet ;
Ce n’est pas la force : il a eu toujours trois cent mille hommes à ses ordres ;
Ce n’est pas l’argent : il a dévoré vingt-sept milliards en dix-huit ans ;
Ce n’est pas l’habileté : personne ne la conteste ni à Louis-Philippe ni à Guizot.
Qu’a-t-il donc manqué au Gouvernement de Juillet ?
Rien qu’une chose : L’HONNÊTETÉ.
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L’Impartial de Rouen nous annonce que la duchesse d’Orléans et ses deux fils sont arrêtés. Nous espérons que le Gouvernement provisoire les fera mettre immédiatement en liberté. L’exil suffit. Continuer la détention de la duchesse et de ses deux fils, ce serait donner un objet à des espérances ensevelies dans le passé, ce serait se créer des embarras qu’il est bon d’éviter : la clémence d’ailleurs sied bien après la victoire.
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Depuis hier, la physionomie de Paris a pris un aspect tout à fait rassurant. Les magasins se sont ouverts, le commerce a repris vigueur, les illuminations brillent à toutes les fenêtres, la fête se continue. Vienne maintenant le travail, et le Gouvernement provisoire, débarrassé de tout obstacle, poursuivra son œuvre libérale et pacifique.
[Pièces non reprises : Appel de M. Cormentin à l’ambassade de Rome — Maintien des symboles de la France par le Gouvernement provisoire — La foule au musée du Louvre.]
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L’attitude du peuple est toujours admirable. Voici, entre mille, une nouvelle preuve de cette haute probité, de ce respect profond pour la propriété, qui ont toujours distingué le peuple parisien au milieu de ses plus ardentes colères. Hier, à Belleville, une bande de ces malfaiteurs qui, sous le nom de patriotes, déshonorent les causes les plus saintes, surpris par une patrouille d’hommes du peuple au moment où ils pillaient une propriété particulière, ont été saisis immédiatement, jugés, condamnés et exécutés sur le lieu même.
[Pièce non reprise : Incendie du château de Neuilly.]
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Dans les circonstances actuelles, tous les bons citoyens doivent prêter un franc et énergique appui au Gouvernement provisoire ; le nôtre ne lui manquera point. Nous n’entendons point cependant approuver aveuglément les actes émanés de l’Hôtel-de-Ville. Quelques-uns de ces actes sont opposés aux principes que nous défendons. Nous les enregistrons aujourd’hui ; nous nous réservons de les examiner plus tard[1].
[Pièces non reprises : Dernières publications du Gouvernement provisoire — Actes du Gouvernement provisoire de la République française — Faits divers.]
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[1] Notamment :
1) « Le Gouvernement provisoire décrète l’établissement immédiat d’ateliers nationaux. »
2) « Le gouvernement de la République française s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail ;
Il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens ;
Il reconnaît que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir du bénéfice légitime de leur travail. » (25 février 1848) (Note de l’éditeur.)
Les rédacteurs : FRÉD. BASTIAT, HIPPOLYTE CASTILLE, MOLINARI.
IMPRIMERIE DE NAPOLÉON CHAIX ET Cie, RUE BERGÈRE, 8.
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