La morale à l’école : une fausse bonne idée

Par Damien Theillier*

Angoissés par la crise éducative, il est fréquent d’en appeler à l’Âge d’or des hussards noirs de la République. C’est ainsi que le 29 août dernier, Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale  et auteur de Jean Jaurès et la religion du socialisme (2000) et Une religion pour la République, la foi laïque de Ferdinand Buisson (2010), annonçait son intention d’instaurer « une morale laïque (…) du plus jeune âge au lycée ». Rappelons que la morale à l’école fut instaurée en 1882 par la IIIe République, avant d’être supprimée en 1968, puis timidement rétablie à l’école primaire dans les années 80.

Dans un entretien au Journal du dimanche, le ministre souligne que la morale laïque ne doit pas s’apparenter à l’« ordre moral » ou à l’« instruction civique » : « Le but de la morale laïque est de permettre à chaque élève de s’émanciper, car le point de départ de la laïcité c’est le respect absolu de la liberté de conscience. Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix », précise-t-il.

On voit ici que la question de la liberté est au cœur du débat. Il faudrait donc notamment arracher les enfants à l’influence de leurs parents et les convertir aux valeurs républicaines, prétendument universelles pour les rendre libres. Mais qu’en est-il du déterminisme et de l’ingérence politique ? Ne faut-il pas aussi et surtout arracher les enfants à la tutelle de l’État ? Le projet républicain d’uniformisation des consciences par l’école d’État est-il compatible avec le respect de la liberté de conscience ?

Républicains et libéraux

Depuis 200 ans, à la suite de Jules Ferry, les républicains se disent partisans de la liberté par l’enseignement, c’est-à-dire par l’émancipation à l’égard des traditions et des dogmatismes.

Descartes tient une place particulière dans les origines de l’idée républicaine (voir sur ce point Claude Nicolet, L’Idée républicaine en France, 1789-1924, Gallimard, Tel, pages 54 et 55, 1994). On en a un bon exemple sous la plume de Condorcet (Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, 1794). Pour Condorcet, tout homme est doté d’une « raison » que Descartes appelle aussi « bon sens », c’est-à-dire la capacité de comprendre suffisamment le monde pour se guider soi-même dans sa vie tant privée que publique. C’est cette faculté qui fait la dignité de l’homme. C’est elle qui permet aux disciples de Descartes de récuser le « sujet » de la monarchie ou de l’Église, dépendant et soumis, pour constituer le « citoyen » de la République, autonome et responsable. En conséquence, la politique éducative républicaine consistera à concevoir l’école, et l’enseignement de la morale, comme un service de l’État, lui-même conçu comme l’incarnation de la Raison. Cette conception repose sur une double assimilation : celle de la vie culturelle à l’État et celle de l’État à la Raison.

Au contraire, pour les libéraux, la vraie liberté, c’est liberté de l’enseignement, c’est-à-dire le libre choix par les parents de l’école qui correspond à leurs convictions profondes.

Les libéraux défendent l’État minimal lockien car pour eux la vie sociale comprend une dimension morale et culturelle qui, en tant que telle, est indépendante de l’État. Pour eux, l’école, n’a pas vocation à être au service de l’État. La science est universelle, l’État est toujours particulier. Lier l’école à l’État, c’est mettre en danger la liberté de l’esprit, en liant la science ou la morale à une idéologie particulière, celle de la république laïque par exemple, avec l’égalité réelle, le solidarisme etc.

La tutelle de l’État sur l’école sous Jules Ferry pouvait s’expliquer en raison de la polémique anti-chrétienne. Il s’agissait d’arracher l’éducation à la tutelle de l’Église. Au XIXe siècle, l’Église pouvait apparaître comme un principe d’obscurantisme et de dogmatisme. Mais aujourd’hui n’est-ce pas l’école d’État qui représente tout à la fois le dogmatisme et l’obscurantisme ? Un système éducatif monopolistique comme le nôtre, empêche les parents de choisir l’éducation de leurs enfants et interdit aux chefs d’établissement et aux professeurs de dispenser un enseignement original. Or une éducation aussi centralisée est contradictoire avec l’idée même de liberté. Si c’est l’État qui forge l’opinion des citoyens, il n’y a plus de contrôle de l’État par les citoyens et c’est le despotisme politique.

L’indispensable concurrence scolaire

La liberté de choisir ses programmes d’enseignement n’est donc pas seulement une exigence tenant aux droits individuels mais c’est une condition sine qua non du fonctionnement de la démocratie elle-même. L’école se doit d’être un contre-pouvoir face aux idéologies politiques du moment et à l’ingérence étatique. Par ailleurs, l’enfant n’est pas une création de l’État. Ses parents ont la responsabilité de le guider dans la vie et ils ont donc le droit de choisir une école qui corresponde à leurs idées éducatives, à leurs espoirs pour le caractère et l’avenir de leurs enfants.

Ce qu’il faudrait aujourd’hui, c’est une situation qui rende impossible la soumission de l’école à une tutelle unique, quelle qu’elle soit, c’est-à-dire une situation de concurrence. Il faudrait rendre aux parents la liberté d’accomplir leur mission essentielle. A eux de choisir l’éducation qui convient pour leurs enfants.

Ce sont en effet les libres associations d’individus et la pluralité des offres pédagogiques, qui permettent l’adaptation des écoles à ce qui est vraiment souhaité par les individus. La concurrence fait émerger des solutions privées de bien meilleure qualité que les services publics. Car la concurrence favorise la correction continue des erreurs et des abus de toutes sortes en faisant jouer la compétition entre plusieurs centres de décision, notamment au niveau local.

Bien sûr, certains ne manqueront pas de s’inquiéter : si l’État autorise la création d’écoles libres fondées sur des convictions religieuses ou philosophiques, comment éviter le déferlement d’écoles sectaires ou fanatiques ? À cela nous répondrons qu’une école libre n’est pas une enclave bénéficiant d’un droit d’extra-territorialité : le droit commun s’y applique.

D’autres feront le procès de l’économisme et dénonceront l’asservissement des écoles libres au capitalisme, la constitution d’une école pour les riches etc. Pourtant, une étude de l’IFRAP, issue des données statistiques du ministère de l’Éducation nationale, fait apparaître que l’enseignement public serait entre 30 et 40 % plus cher que le système dit « privé », même en intégrant les dépenses des familles, pour des résultats sensiblement similaires – voire meilleurs – dans le « privé ». En effet, un élève du premier degré dans le privé coûte au total entre 3 900 et 4.200 euros par an, dont 400 à 700 euros apportés par les parents, contre un coût total de 5 470 € pour les écoles publiques.

Enfin, un système de concurrence scolaire n’a rien d’utopique. Il existe partiellement au niveau de l’enseignement supérieur, avec les grandes écoles, les universités libres, les écoles privées soutenues par les entreprises ou les chambres de commerce. Ces écoles choisissent leurs programmes et délivrent leurs propres diplômes. Or ce système marche. Ne serait-il pas temps de s’en inspirer au niveau des enseignements primaire, secondaire et technique ?

A lire également :

– Frédéric Bastiat, Baccalauréat et socialisme

– Les articles INSTRUCTION et LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT, du Dictionnaire d’Économie Politique, par M. Ch. Coquelin ; t. I, p. 934 à 952.

* Publié sur 24hGold

Une réponse

  1. A. Melain

    Vous proposez de multiplier les tutelles, alors que Jules Ferry proposait d’y échapper totalement. Vous devriez lire les instructions des inspecteurs primaires de cette époque (publiées par un universitaire de Paris I dans “Conférences pédagogiques. L’école de la troisième république et la nôtre”) pour comprendre qu’il ne s’agit pas “d’offres pédagogiques” mais de construire une véritable école. Ce qui n’empêche pas de varier les pédagogies.
    A. Melain, Instituteur retraité et fils d’instituteur.

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