La liberté se visite.
Le Musée Denis Diderot à Langres
Olivier Caumont (dir.), La Maison des Lumières Denis Diderot. Présentation des collections permanentes, Silvana Editoriale, 2021, 104 pages.
Les penseurs et défenseurs de la liberté en France ne jouissent pas d’une renommée telle qu’on doive voir avec indifférence le succès des initiatives qui tâchent de les faire mieux connaître et mieux valoir. Il en est ici des musées comme du reste. À peine notre pays compte-t-il un Musée Voltaire, un Musée Pierre Bayle, et un Musée Diderot : et en attendant de pouvoir présenter un jour les richesses d’un Musée Turgot, Frédéric Bastiat ou Jean-Baptiste Say (les lieux ne manqueraient pas, s’il ne manquaient pas plutôt et d’abord d’argent), c’est à ces figures libérales plus larges, plus composites, qu’il faut recourir, si l’on veut, en libéral, reprendre goût avec le tourisme culturel.
Ni cette revue, ni même encore la chaîne YouTube que l’Institut Coppet anime autour de voyages sur les traces des penseurs libéraux français, n’ont vocation à être un guide de voyage ; l’ambition serait sans doute admirable, mais ce n’est pas la nôtre en l’état. Ce n’est que par occasion, ici ou ailleurs, que la promotion des hauts lieux du libéralisme français sera faite.
L’occasion, ici, se présente d’elle-même. La ville de Langres et les équipes du Musée des Lumières Denis Diderot ont publié au tout début de cette année un bel ouvrage très bien illustré, présentant en une centaine de pages les différentes salles et collections de cet établissement.
Nombre de ces possessions sont attendues, et n’étonnent guère : ainsi en va-t-il des tableaux, des bustes ou des ouvrages de Diderot, qu’on peut toutefois admirer ici de près, ce qui n’est que rarement possible. Ils peuvent être l’occasion, d’ailleurs, de revenir sur leur portée libérale parfois oubliée. La grande Encyclopédie, par exemple, accueillit les plus célèbres publications de François Quesnay et de Turgot, et fut l’occasion d’une attaque frontale contre la société d’Ancien régime, ses travers et ses tyrannies, qui devaient succomber un demi-siècle plus tard, dans le grand feu révolutionnaire. Diderot fut, d’ailleurs, un éditeur étonnamment libéral : il commissionnait et relisait les articles des autres, mais ne les corrigeait que très rarement, donnant pour toute raison que « chacun a une manière de penser et de dire qui lui est propre, et dont on ne peut exiger le sacrifice dans une association où l’on n’est entré que sur la convention tacite qu’on y conserverait toute sa liberté. » (Encyclopédie, article « Éditeur ».)
D’autres objets, conservés dans le Musée, nous introduisent dans des aspects moins connus, mais parfois très dignes de réflexions, de son œuvre. Un curieux couteau à deux lames opposées, signé du nom de Didier Diderot, nous rappelle que le père du philosophe était habile coutelier, et que c’est en connaissance de cause que son fils prit position, aux côtés de Turgot, contre les corporations et pour la liberté du travail.
Même parmi les bustes et statues de Diderot, certaines doivent attirer particulièrement l’attention. Voyez par exemple la belle statue du centenaire, conçue par celui qui donna aussi au monde la Statue de la Liberté (Bartholdi), statue qui trône aujourd’hui à Langres, et dont le musée possède la miniature en plâtre, préparée par l’auteur pour l’aider dans son travail final. Il existe encore des projets de monuments jamais érigés, et pour cause : Diderot, philosophe athéiste, resta éminemment controversé jusqu’à la fin du XIXesiècle. Et pourtant il était resté moderne ; tristement moderne, disait Yves Guyot. L’est-il moins aujourd’hui ?
Benoît Malbranque
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