Candidat à la chambre des députés de Belgique, Gustave de Molinari se prononce dans sa profession de foi de 1859 en faveur de la liberté des langues, dans ce pays où cohabitent wallons et flamands. Sans renier son appartenance à la culture française et à sa langue, il veut qu’une place égale soit laissée au flamand, comme vecteur de culture et outil d’expression d’une part de la communauté nationale.
La liberté des langues
par Gustave de Molinari
(extrait de : « Profession de foi de M. G. de Molinari, telle qu’elle devait être exposée au meeting du 2 juin », in Gustave de Molinari, Pourquoi j’ai retiré ma candidature, Bruxelles, 1859)
Parmi les questions de l’ordre moral qui sont actuellement agitées, il en est une sur laquelle j’ai à cœur de dire quelques mots. Il s’agit de la liberté des langues. En ma qualité de Wallon, des personnes qui ne me connaissent pas me considèrent comme un ennemi naturel de la langue flamande. Je tiens à les détromper. Je regarde la liberté du langage comme un corolaire de la liberté de la pensée. Chaque peuple a son génie particulier comme chaque région a sa végétation, sa physionomie et son climat qui lui sont propres, et ce génie particulier d’une nation se manifeste par une langue qui lui appartient, langue plus ou moins riche, harmonieuse, sonore, colorée. Vouloir lui en imposer une autre, c’est méconnaître l’œuvre de la Providence ; c’est mutiler, affaiblir, abâtardir la pensée nationale en déformant l’instrument qu’elle s’est créé elle-même et qu’elle a perfectionné par le lent travail des siècles. Changer la langue, c’est appauvrir l’intelligence, c’est presque dénaturer l’âme ! Au reste, ce n’est pas seulement une œuvre contre nature, c’est une œuvre impossible. Le despotisme lui-même y échoue. Voyez ce qui se passe en France. Depuis deux siècles, on s’est efforcé par l’abandon, par le mépris, par les persécutions mêmes, de déraciner la langue flamande des provinces qui nous ont été enlevées. Y a-t-on réussi ? J’avais dernièrement sous les yeux une carte figurative de deux langues, lors de la conquête et de nos jours. Eh bien, savez-vous ce que la langue française a gagné après deux siècles d’annexion, pendant lesquels tout a été mis en œuvre pour obliger les Flamands à penser en français ? Elle a gagné deux villages. Non ! il n’est pas plus au pouvoir du despotisme de détruire la langue que de détruire la pensée elle-même. Il y a là une puissance morale qui défie la force matérielle. Je pense donc que c’est une entreprise impossible et une entreprise impie que de vouloir détruire, sous un vain prétexte d’unité, la langue d’un peuple, et je fais des vœux pour que cette vieille et glorieuse langue flamande, qui a été en Europe la première langue d’un peuple libre, cesse d’être subalternisée ; je fais des vœux pour que cette langue maternelle, cette langue nationale de plus de deux millions de mes compatriotes, devienne, en tous points, l’associée et l’égale de la langue française.
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