La Fayette, inlassable champion de la liberté. Héros aux États-Unis, méjugé en France.
Par Jacques de Guenin*
Pendant la plus grande partie du vingtième siècle, une culture d’inspiration jacobine ou marxiste a imprégné le pouvoir, l’administration, l’université et même l’enseignement primaire et secondaire de notre pays. Un certain nombre de grands penseurs libéraux français comme Etienne de La Boetie, Destutt de Tracy, Jean-Baptiste Say, Frédéric Bastiat, Alexis de Tocqueville sont ainsi tombés peu à peu dans l’oubli. Ils y seraient encore si les Etats-Unis n’en avaient pas cultivé la mémoire, ce qui nous a permis de les redécouvrir et de les rééditer.
D’autres grands libéraux ont gardé un certain lustre dans l’Histoire de France, mais pas parce qu’ils étaient libéraux : Turgot comme ministre des finances, Condorcet comme mathématicien, Benjamin Constant comme romancier, Guizot comme premier ministre. Mais là encore, c’est aux universitaires américains que l’on doit de se rappeler qu’ils ont été aussi de grands économistes, philosophes ou humanistes libéraux.
Dans ce Panthéon, La Fayette occupe une place à part, car il n’est jamais tombé dans l’oubli en France, à cause de ses performances militaires en Amérique et de son rôle politique en France pendant la révolution. Mais l’analogie avec ceux que je viens de mentionner est que seuls les historiens américains ont vu ce qu’il était réellement : un paladin inlassable des libertés individuelles, combat qu’il a poursuivi jusqu’à son dernier souffle, pour lequel il a exposé sa vie et sacrifié sa fortune. Il lui aurait peut-être aussi sacrifié sa famille s’il n’avait eu une femme admirable qui l’a constamment soutenu avec un dévouement total.
Les historiens français, eux, ont plutôt vu en lui un idéaliste un peu velléitaire et vaniteux qui a laissé passer à plusieurs reprises l’occasion de prendre le pouvoir et d’instaurer la république.
L’objet de cet exposé est de montrer que ce sont les américains qui ont le mieux compris le personnage et de montrer qu’il est digne de figurer dans notre Panthéon des grands acteurs libéraux. Je dis acteur, et non auteur, car il a certes beaucoup écrit, mais essentiellement des lettres et ses mémoires. C’est par l’action et non par l’écriture qu’il s’est efforcé de promouvoir une société plus libre.
Dans les années 1770, il se passe en Amérique des évènements extraordinaires. Au début de la décennie, les 13 colonies américaines de la couronne britannique sont en conflit larvé avec la métropole. Elles refusent de payer certaines taxes qu’elles n’ont pas votées. Londres réplique par la répression.
- En 1774, un congrès réunit les représentants des 13 colonies pour supplier le roi de comprendre la situation. Au lieu de çà, il accentue la répression.
- En 1775 commence la guerre d’indépendance. Le 15 juillet George Washington est nommé chef d’État major de “l’armée continentale”, formée d’un millier de volontaires plus ou moins hétéroclites.
- En 1776, chacune des colonies se constitue en État, et se dote d’une constitution. En juin, la Virginie adopte une déclaration des droits, inspirée par la pensée de Locke, un des plus grands philosophes libéraux anglais. Le congrès suit cet exemple et charge 5 personnes dont Thomas Jefferson et Benjamin Franklin, de rédiger un projet de déclaration d’indépendance.
- Le 4 juillet 1776 le congrès proclame l’indépendance des Etats-Unis.
Deux des premiers § de la déclaration d’indépendance sont devenus un classique de la philosophie libérale :
“Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux; ils sont dotés par le Créateur de certains droits inaliénables; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté, et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis par les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés.
Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructrice de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur.”
Un jeune aristocrate français de 18 ans, officier en garnison à Metz, entend parler de ces évènements à un dîner en l’honneur du duc de Gloucester, frère du Roi d’Angleterre, lequel n’approuvait pas l’attitude rigide de son frère vis-à-vis des “insurgés”. Notre jeune aristocrate va chercher à en savoir davantage et plus il en apprend, plus il se passionne pour la philosophie de liberté qui sous-tend ce mouvement. Il s’appelle Gilbert Motier, marquis de La Fayette. Il a hérité de ce titre à l’age de deux ans, à la mort de son père, officier tué au combat pendant la guerre de sept ans. Il avait été élevé par sa mère et ses tantes au Château de Chavaniac, en Auvergne, dans une atmosphère de grande liberté. Il parcourait la campagne en compagnie des petits paysans du voisinage, il fortifiait son corps et il se forgeait à la fois un grand sens de la liberté, une grande connaissance de la nature… et une absence totale de préjugés de classe.
Il perd sa mère à 13 ans (1770), son grand père quelques mois plus tard. Ce dernier lui laisse une immense fortune. Il étudie quelques années dans un collège parisien et fréquente brièvement la Cour. A 15 ans, il choisi le métier des armes et la formation des camps militaires de la Maison du Roi. Il devient mousquetaire noir.
Il se marie à 16 ans avec Adrienne de Noailles, elle-même issue d’une grande famille fortunée. C’est un mariage arrangé par le père d’Adrienne, mais il donnera lieu à un grand amour. Pour elle, ce fut un coup de foudre, suivi d’une passion qui durera toute la vie. Pour lui, ce fut au départ une affection qui n’empêcha pas de longues séparations et même quelques infidélités, mais qui se transforma au cours des ans en un amour de plus en plus fort, y compris au-delà de la mort d’Adrienne.
Pendant ses permissions, il fera partager à sa jeune épouse son enthousiasme pour la liberté des peuples telle qu’elle est en train de se réaliser en Amérique.
A peu près à la même époque, il est initié dans une loge maçonnique fréquentée par des nobles libéraux. Il y apprend à mettre en question les privilèges et les inégalités juridiques.
En 1776, il se met en congé illimité de son régiment. Il rallie à la cause américaine une petite troupe de gentilshommes. En mars 1777 il achète un bâtiment, La Victoire, pour se rendre en Amérique avec sa troupe.
Tout cela ne passe pas inaperçu du pouvoir. Or si Louis XVI voit d’un assez bon œil la révolte américaine, il ne tient pas à rompre le traité de paix avec l’Angleterre, signé quelques années plus tôt à l’issue de la guerre de 7 ans. Il mène une politique prudente vis-à-vis des insurgés américains et il se méfie de l’agitation incontrôlée de ce jeune noble. Il s’oppose donc à son départ.
Pour donner le change, La Fayette va passer quelques jours à Londres chez l’ambassadeur de France, le marquis de Noailles, qui n’est autre que l’oncle de sa jeune épouse. Puis il fait appareiller son bateau pour le petit port espagnol de Pasajes, de l’autre côté de la frontière, où il se rend déguisé en courrier, poursuivi par les émissaires du roi.
Il lève l’ancre le 20 avril 1777. Il profite de la traversée pour se perfectionner en anglais. Il arrive avec sa petite troupe non loin de Charleston, près de deux mois plus tard, le 15 juin 1777. De là ils se rendent à dos de cheval à Philadelphie, le siège du congrès, qu’ils atteindront au bout d’un mois. Sur la route, il se familiarise avec les américains. Il en apprécie tout de suite les comportements chaleureux et dépourvus d’esprit de caste, mais il est profondément choqué par la découverte de l’esclavage, sentiment qui ne devait plus le quitter. Il combattra l’esclavage toute sa vie, notamment aux côtés de Condorcet et de l’abbé Grégoire dans la Société des amis des noirs, mais aussi dans d’autres circonstances que nous verrons tout à l’heure.
Il arrive à Philadelphie le 27 juillet 1777, et rencontre un représentant du Congrès, qui reçoit assez mal la petite troupe, car le comportement d’autres volontaires français arrivés précédemment avait fini par agacer. Mais le Congrès avait été favorablement informé sur La Fayette par une lettre de Benjamin Franklin, qui était alors son représentant officiel en France, et il appréciait que la Fayette veuille assumer lui-même ses frais et ne demande pas de solde. Aussi nomme-t-il La Fayette major général, avec l’idée qu’il resterait à l’État-major de Washington comme aide de camp, mais n’aurait pas de commandement effectif. Il faut bien se souvenir qu’il avait alors seulement 20 ans. Il avait certes une formation militaire non négligeable, mais il n’avait pas d’expérience des combats.
Le 1er août, La Fayette rencontre Washington. La sympathie entre ce jeune homme de 20 ans et cet homme expérimenté de 45 ans est instantanée. Elle ne fera que se développer au cours du temps. Washington n’avait pas de fils et La Fayette n’avait pas de père. La Fayette devint, moralement sinon juridiquement, le fils adoptif de Washington, comme en témoigne leur correspondance et l’Histoire. Aux Etats-Unis, où il parait presque tous les ans un livre sur La Fayette, un des derniers s’appelle Adopted Son, avec pour sous-titre Washington, La Fayette, and the Friendship that saved the revolution.
Début septembre, Philadelphie, siège du Congrès et de l’État-Major de l’armée révolutionnaire est menacée. Une armée anglaise descend du Canada, et la flotte britannique dépose des troupes dans la baie de Chesapeake. La décision est prise d’attaquer sans plus attendre les forces du général Cornwalis, qui se trouvent sur la ligne constituée par la rivière Brandywine, au Sud de Philadelphie. La Fayette demande à accompagner le général Sullivan, dont la division est la plus exposée, et se trouve bientôt menacée d’encerclement. Bien qu’il ne soit pas supposé participer aux combats, il rassemble avec une énergie hors du commun les hommes qui s’enfuient tous azimuts. Il s’expose avec une rare audace, mais une balle lui traverse la jambe. Il tombe de cheval, se fait remettre en selle, et continue à regrouper les soldats, jusqu’au moment où l’hémorragie devenant inquiétante, il doit être évacué. Il devra être hospitalisé plusieurs semaines.
A la tête d’une armée hétéroclite de 11 000 hommes, mal équipée, Washington ne peut empêcher l’évacuation de Philadelphie devant une armée anglaise professionnelle, plus nombreuse et mieux entraînée. Il rassemble ses troupes à Valley Forge, au Nord-Ouest de Philadelphie. L’hiver est rigoureux. On y manque à peu près de tout. Il faut se débrouiller pour survivre. Le major général La Fayette, dont les équipées de sa jeunesse en Auvergne avaient aguerri le caractère, va partager les dures épreuves de ses subordonnés. Il s’impose par sa sobriété, son mépris du confort, sa générosité, son enthousiasme pour la cause.
A la fin de l’hiver, cédant à une cabale de quelques généraux, le Congrès perd temporairement confiance en Washington et donne directement l’ordre à La Fayette de se rendre au Canada à la tête d’une troupe de 2 500 hommes et de reprendre le Canada. La Fayette informe George Washington et n’accepte sa mission qu’à condition de rester nominalement sous ses ordres. Cet acte de loyauté renforce encore la confiance entre les deux hommes. Mais arrivé à Albany, au Nord de New York, il ne trouve guère qu’une troupe de 1200 hommes mal équipés, mal armés, et il informe le Congrès qu’il lui est tout à fait impossible d’accomplir sa mission dans ces conditions. Washington le soutien. Le Congrès annule l’expédition. Ceci mérite d’être noté, car plusieurs fois dans sa vie La Fayette a essayé de persuader le gouvernement de Louis XVI de récupérer le Canada. Les historiens français on tourné en dérision cette “obsession irréaliste”. Notons au moins que lui-même avait su trouver la mission irréaliste lorsqu’elle l’était vraiment.
Par un acte de bravoure inimaginable, La Fayette profitera néanmoins d’un rassemblement de tribus indiennes près de la frontière canadienne, où il se rendra avec seulement un trappeur et quelques officiers, afin de rallier ces tribus à la cause des insurgés.
Le 18 mai 1778, Washington envoie la Fayette désorganiser les lignes ennemies qui se trouvent entre la rivière Delaware, au Nord de Philadelphie, et la rivière Schuylkill, qui traverse la ville. Il mène une guerre de harcèlement qui conduisit finalement les anglais à se retirer de Philadelphie.
Ses multiples actions d’éclat lui valent les félicitations du congrès.
Le 11 janvier 1779, il est envoyé en France avec une lettre de Washington à Benjamin Franklin, alors ambassadeur des Etats-Unis en France, pour contribuer à convaincre le Roi d’envoyer des navires et des hommes à ses nouveaux alliés. Il débarque à Brest le 6 février, jour anniversaire du traité que la France vient de signer avec les Etats-Unis. Le Roi lui donne une punition symbolique pour avoir désobéi à ses ordres, puis une affectation honorable dans l’armée. Mais La Fayette va surtout passer son temps à harceler les ministres pour les convaincre d’envoyer des ressources en Amérique afin de soutenir la révolution. Le Roi décide finalement d’envoyer 6000 hommes sous les ordres du général de Rochambeau et une flotte de guerre d’une trentaine de navires sous les ordres de l’Amiral de Grasse.
La Fayette repart pour l’Amérique le 9 mars 1780 à bord de la Frégate l’Hermione. Il se retrouve sous les ordres de Washington comme général américain. Washington le charge de préparer l’accueil des forces françaises.
Pendant que Rochambeau combat les anglais dans la région de New York, Washington envoie La Fayette défendre la Virginie, où Cornwallis avait renforcé ses positions. Il va de nouveau infliger des pertes aux Anglais avec des effectifs quatre fois plus faibles et plus volatils : car au printemps, beaucoup de volontaires devaient regagner leurs fermes pour effectuer les plantations. Il sacrifie encore une partie de sa fortune pour aider les soldats sous ses ordres, et, joignant la prudence au courage, il fatigue Cornwallis en harcelant ses troupes par des marches forcées et des retours subits.
Pendant ce temps, le comte de Grasse, qui avait jeté l’ancre dans la baie de Chesapeake, avec de puissants renforts, coupait la retraite à lord Cornwallis du côté de la mer. Après avoir tenu en échec pendant plusieurs semaines toutes les forces britanniques, La Fayette opéra, le 13 septembre 1781, sa jonction avec Washington, qui amenait avec lui le corps d’armée de Rochambeau et une division américaine.
Il prit une part glorieuse à la bataille décisive de Yorktown, qui conduisit à la capitulation de Cornwallis.
Il est temps pour lui de retrouver sa famille. Officier américain, il demande au congrès l’autorisation de rentrer en France pour servir son roi. Il reçoit la médaille de Cincinnati et il est fait citoyen d’honneur des Etats-Unis[1]. Une frégate, l’Alliance, est mise à sa disposition. Après des adieux émouvants à Washington, il quitte Boston, sous les vivats, le 23 décembre 1781.
Une fois en France, il va garder un contact étroit avec les Etats-Unis : par la correspondance, en recevant chez lui des américains séjournant à Paris, par exemple Benjamin Franklin, et même en accomplissant diverses missions pour les deux gouvernements.
Avec sa femme, il achète deux plantations à Cayenne pour y faire travailler des esclaves noirs afin de les émanciper. Il tente d’intéresser Washington à la question de l’émancipation des noirs, et il l’invite à venir en France. Mais c’est ce dernier qui va le persuader de venir. Arrivé le 4 août 1784 à New York, il sera à Mount Vernon quinze jours plus tard et il y passera 11 jours. Il ira ensuite voir quelques amis. Sur le trajet, ce ne sont que foules enthousiastes, banquets et fêtes. Il ne repartira en France qu’en décembre, après avoir revu Washington pour la dernière fois.
Nous en arrivons maintenant à ce qui fait la différence entre cet exposé et ce que l’on peut lire par ailleurs sur La Fayette sous la plume des historiens français. Comme il est normal, ils décrivent de manière chronologique la succession d’évènements variés qui ont jalonné sa vie, dans leur contexte spécifique. J’insiste au contraire sur le fil directeur qui reliait tous ces actes et sur leur motivation profonde.
Après 1981, La Fayette a continué à suivre avec un intérêt passionné l’évolution des institutions américaines et il a eu tout le loisir de se forger des idées sur ce que devraient être les institutions françaises. Il approfondissait ces sujets en les discutant avec quelques uns des esprits les plus brillants de son temps : Destutt de Tracy, Condorcet, La Rochefoucauld, Benjamin Constant, Germaine de Staël, Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, Thomas Paine. Et tous ces gens là le prenaient très au sérieux. On ne sait pas assez par exemple que Paine a dédié à La Fayette la seconde partie de son livre “Les droits de l’Homme” et Condorcet son essai sur l’influence de la Révolution Américaine sur l’Europe.
Voici un résumé des convictions de La Fayette :
- Les Principes
- L’égalité devant la loi.
- La suppression de l’esclavage.
- La suppression de la peine de mort
- Le droit de propriété
- La liberté d’expression, politique et religieuse.
- Le libre échange
- L’économie des deniers publics
- Les institutions.
- La nécessité d’une constitution
- Le suffrage universel
- La séparation des pouvoirs
- Le bicaméralisme
- La décentralisation
- La simplification des lois (déjà!)
Nous avons là un parfait programme libéral, dont La Fayette va inlassablement promouvoir les éléments par ses écrits, ses discours et ses actes dans chacune des nombreuses fonctions qu’il occupera.
Dans le même esprit, il prendra parti pour les Irlandais contre les Anglais, les Polonais contre les Russes, les Grecs contre les Turcs, les Belges contre l’Autriche. Il encouragera les libéraux italiens, les constitutionnalistes espagnols, le corse Paoli, ainsi que Simon Bolivar, le libérateur de plusieurs Etats d’Amérique du Sud.
On se souvient que la situation financière du royaume était catastrophique dans les années qui ont précédé la révolution. Calonne proposa au roi un plan de redressement remarquable qui mettait fin à nombre de privilèges exorbitants, et le persuada de créer une Assemblée de Notables dans l’espoir de faire entériner le plan. Cette Assemblée fut créée en 1787. La Fayette obtint d’en faire partie. Il y travailla beaucoup et attaqua sévèrement les injustices fiscales et la prévarication. Il se fit aussi l’apôtre d’une amélioration des droits de la défense en matière criminelle et de la suppression des inégalités qui frappaient les protestants et les juifs Mais les privilégiés, trop nombreux dans l’Assemblée, mirent Calonne en minorité et Louis XVI dut se défaire de lui.
Lorsque l’Assemblée fut dissoute, La Fayette réclama avec insistance la convocation des Etats Généraux, qui finiront par être créés au début de 1789, puis par devenir une Assemblée Constituante, le 27 juin 1789. Il en sera nommé vice président le 13 juillet. Il va jouer un rôle essentiel dans l’élaboration de la Déclaration des droits de l’homme[2]. La Fayette va fournir la première ébauche de celle de 1789. Je m’arrête un instant sur ce point, car peu d’historiens s’étendent sur cet apport. Or il est intéressant à plus d’un titre. Lorsqu’on compare la version finale élaborée en commission, avec le texte initial, on constate trois choses :
- 1. Les idées de La Fayette ont presque toutes été reprises dans la version finale, quelquefois dans les mêmes termes.
- 2. Dans quelques cas, la rédaction a été rendue plus précise, donc améliorée.
- 3. Quelques articles, hélas, ont été altérés par des additions qui redonnent à l’État un pouvoir que la déclaration initiale cherchait précisément à éviter.
Voici un exemple des deux premiers points :
- La Fayette : La nature a fait les hommes libres et égaux. Les distinctions nécessaires à l’ordre social ne sont fondées que sur l’utilité générale.
- Déclaration finale : Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
On voit que certains termes sont les mêmes, mais la déclaration finale est plus précise : l’égalité dont on parle est l’égalité en droits.
Voici un exemple du troisième point :
- La Fayette : L’exercice des droits naturels n’a de bornes que celles qui en assurent la jouissance aux autres membres de la société.
- Déclaration finale : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.
Cette dernière phrase d’apparence innocente introduit le ver dans le fruit. Elle redonne à l’État le pouvoir exorbitant de définir les bornes de la liberté. Ceci n’a pas échappé à La Fayette, mais il n’y avait pas que des libéraux dans la commission établie par la Constituante pour préparer la Déclaration des droits.
La Fayette jouera aussi un rôle moteur dans l’abolition des privilèges, qui fut votée pendant la nuit du 4 août. Cependant, il n’assista pas aux débats, trop occupé qu’il était par le maintien d’un ordre fragile entre une populace déchaînée et le roi, auquel la constitution en préparation accordait le pouvoir exécutif. Autrement dit, dans cette phase de la révolution, une large majorité de l’Assemblée voulait faire de la France une monarchie constitutionnelle, ce qui correspondait tout à fait aux vues de La Fayette, mais la faction minoritaire qui allait plus tard s’imposer par la terreur excitait la foule contre la monarchie.
La Fayette avait été nommé Commandant de la garde nationale le lendemain de la prise de la Bastille. Sa popularité était alors très grande dans tous les milieux. Elle lui permit de gérer avec habileté un certain nombre de situations impossibles, dont la plus connue fut la fuite de la famille royale, rattrapée à Varennes en juin 1791. Le 5 juillet il fait voter le maintien de la royauté. Des émeutes suivront les jours suivants. La Fayette échappera à une tentative de meurtre.
Le 14 septembre, le roi prête serment de respecter la Constitution. La Fayette a obtenu la satisfaction de son troisième grand objectif après la Déclaration des droits de l’homme et l’abolition des privilèges: la séparation des pouvoirs.
L’Assemblée Constituante tient sa dernière séance le 30 septembre. La nouvelle assemblée, la Législative, se réunit le 1er Octobre. La majorité est en faveur d’une monarchie constitutionnelle. Mais elle va être constamment débordée par les Jacobins.
Pendant ce temps, une concentration d’immigrés dans les évêchés rhénans fait craindre une attaque de la Prusse et de l’Autriche et alimente un courant belliciste à l’Assemblée. Le 14 décembre, le Roi est contraint de préparer le pays à la guerre et il décide de la formation de 3 armées. Celle de l’Est est affectée à La Fayette.
- Le 25 décembre. La Fayette rejoint son poste à Metz et ne perd aucun temps pour mettre son armée en bon ordre de marche.
- Le 20 avril 1792, la guerre est déclarée à l’Autriche et la Prusse.
- Le 27 mai, l’Assemblée décrète la déportation des prêtres réfractaires. Louis XVI opposera son veto le 11 juin. Le 20 la foule envahit les Tuileries pour le contraindre à retirer son veto.
- Le 28 juin, La Fayette fait un saut à Paris pour essayer de calmer le jeu. Il parle à l’Assemblée et au roi puis revient rejoindre son armée à Metz. Les jacobins lui reprochent d’avoir déserté.
- Mais le 10 août la foule envahit les Tuileries. Le roi se réfugie à l’Assemblée. Il est suspendu de ses fonctions.
- Le 14 août. Danton demande l’arrestation de La Fayette.
Le 17 août 1792 est créé le tribunal révolutionnaire de sinistre mémoire. La Fayette est relevé de ses fonctions et remplacé par Dumouriez. Il reçoit l’ordre de regagner Paris. Il ne lui reste plus qu’à choisir entre la guillotine et l’exil. Après avoir pris toutes les dispositions nécessaires pour que son armée ne souffrit pas de son départ, il décide de rejoindre les Etats-Unis, avec l’idée d’y faire venir sa famille et il franchit innocemment la frontière Belge, alors sous domination autrichienne, avec quelques fidèles. Mais contrairement à leur attente, ils furent traités comme prisonniers de guerre. Séparé des autres, La Fayette fut ballotté entre différentes prisons prussiennes et Autrichiennes, pour finalement être incarcéré à Olmütz, en Autriche en mai 1794, dans des conditions particulièrement ignobles. Car pour l’empereur d’Autriche, qui ne faisait pas le détail, La Fayette avait été l’un des acteurs de la révolution. Il était donc indirectement responsable du régicide intervenu entre temps (21 janvier 1793).
Le tribunal révolutionnaire le dépouilla de tous ses biens, emprisonna et condamna à mort sa femme Adrienne, ainsi que la mère et la sœur de cette dernière, qui furent effectivement guillotinées. Si Adrienne survécut, c’est que des pressions américaines firent retarder son exécution et qu’elle fut sauvée par la chute de Robespierre.
Epouse admirable, Adrienne fit des pieds et des mains pour rejoindre son mari en captivité. Le 15 Octobre 1995, La Fayette malade, épuisé, eut la surprise de voir arriver dans son cachot sa femme et ses deux filles. Elles ne furent pas beaucoup mieux traitées par l’empereur d’Autriche et la santé d’Adrienne s’en ressentit définitivement. Ils ne seront libérés que le 19 septembre 1797, par Napoléon. C’était une des conditions imposées par le Directoire à l’armistice de Loeben, prélude au traité de Campo Formio. La captivité aura donc duré deux ans pour Adrienne et ses filles et cinq ans pour La Fayette.
Mais ni le Directoire, ni Napoléon ne tenaient à le voir revenir en France, craignant que son extraordinaire popularité n’engendre de nouveaux troubles, et les conditions de sa libération prévoyaient deux ans d’exil en Belgique. Il en reviendra avant plus ou moins clandestinement, et il s’installera dans un ancien Château ayant appartenu à sa femme, le château de La Grange, à l’est de Paris, qu’elle avait réussi à récupérer après de nombreuses démarches. Il y mena pendant plusieurs années une vie de fermier plutôt discrète, puis il retrouva quelque influence sur la scène politique, où il combattit inlassablement les atteintes à la liberté de Napoléon. Il sera l’un des artisans de son abdication en 1815.
Cette période aura été très assombrie par la mort de sa femme, en 1807.
Le règne de Louis XVIII, puis celui de Charles X, devaient se traduire par un certain retour à l’absolutisme, ce qui amena La Fayette à reprendre le combat. Écoeuré par le peu de résultat obtenu par la voie des assemblées où il sera élu, il acceptera de prendre des responsabilités dans une société secrète, les Carbonaris, dont le but était de renverser le pouvoir pour établir la république. Mais cela tourna mal. Quatre membres de l’association secrète furent pris et exécutés malgré ses efforts pour les faire évader.
Si La Fayette a joué un rôle décisif pendant la phase glorieuse de la Révolution, la phase libérale, il a connu surtout des malheurs personnels et des déceptions politiques pendant les deux phases qui ont suivi : la phase totalitaire avec les jacobins, puis la phase absolutiste avec Napoléon, Louis XVIII et Charles X. Mais il devait connaître quelques consolations en provenance des Etats-Unis.
En 1803, Jefferson, alors président des Etats-Unis, qui venait de faire acheter la Louisiane à Napoléon par le Congrès, lui proposera d’en devenir gouverneur, ce qu’il refusera, car ce n’était pas le pouvoir personnel qui l’intéressait mais le triomphe de ses idées.
Bien des années plus tard, en 1824 – alors qu’il avait 66 ans – il aura un témoignage de reconnaissance tout à fait extraordinaire dont les Français n’ont jamais vraiment pris la mesure. Il reçut une invitation du président des États-Unis, James Monroe, qui était rédigée en ces termes :
“Je vous ai écrit il y a une quinzaine de jours pour vous dire que je serais prêt à vous envoyer une Frégate dans n’importe quel port de votre choix pour vous permettre de revoir les États-Unis si vous le souhaitez. Depuis, le Congrès a émis une résolution sur le sujet exprimant l’attachement de notre nation pour vous et son désir de vous voir parmi nous une fois de plus. La période que vous choisirez pour vous rendre à cette invitation est laissée à votre discrétion et dès que vous m’en informerez, un vaisseau du gouvernement vous sera envoyé dans le port que vous déciderez et vous conduira dans le pays adoptif de votre jeunesse, qui a toujours gardé le souvenir le plus vif et le plus reconnaissant de vos importants services…”
La Fayette refusa qu’on lui envoie une frégate et se rendit à l’invitation avec un navire marchand. Il était accompagné par son fils, George Washington La Fayette et son secrétaire, grâce auquel nous connaissons les détails de son séjour.
Il débarqua le 15 août 1824 à Boston, attendu par 30 000 personnes. Il fut conduit à l’Hôtel de ville de New York dans un carrosse tiré par 4 chevaux blancs. Sur son passage, les gens lui envoyaient des fleurs et les mères lui présentaient leurs enfants pour qu’il les bénisse.
Son séjour dura 13 mois au cours desquels il se rendit dans chacun des 24 Etats de l’Union et fut invité dans 132 villes et villages dont plusieurs portaient son nom. Partout il fut accueilli par des foules immenses contenant beaucoup de femmes et d’enfants : 50 000 à Baltimore, 70 000 à Boston. Il alla à Richmond, Charleston, Columbia, New Orleans, St Louis, Cincinnati, Pittsburgh, Buffalo, pour ne nommer que les villes les plus importantes Dans les plus petits villages, il dût passer sous des arcs de triomphe fleuris sur lesquels étaient inscrits son nom et celui de Washington et quelquefois les dates des batailles de Brandywine et de Yorktown. Dans les villes, il y avait des parades de troupes, des coups de canon et de la musique militaire en son honneur. Il était reçu par les municipalités qui organisaient des dîners et des bals pour lui. Il fut reçu par John Adams à Quincy, Thomas Jefferson à Monticello et James Madison à Montpelier. Il alla s’incliner sur la tombe de Washington. Il se rendit aussi sur les lieux de ses exploits guerriers.
Son emploi du temps était si serré que ses accompagnateurs et lui étaient souvent obligés de voyager de nuit. De longues files d’attelages étaient escortées par des cavaliers porteurs de torches. Dans certains endroits, il y avait des feux allumés au sommet des collines autour desquels des familles se regroupaient. Il arrivait souvent que lorsqu’il s’arrêtait dans une ville une délégation de la ville voisine vienne à sa rencontre pour l’escorter.
Des discours de qualité lui furent adressés. Ils vantaient ses actions aux États-Unis, mais aussi en Europe, montrant que ses hôtes étaient conscients de tous les tourments que lui avaient valus ses combats pour la liberté. Beaucoup ne pouvaient s’empêcher de retenir leurs larmes. Lorsqu’il répondait, Il électrisait les gens par des discours où il vantait les institutions américaines. Dans les réunions publiques il souhaitait la bienvenue aux Indiens et aux noirs.
Il sera évidemment reçu par le Congrès, honneur qui n’est guère réservé qu’aux Chefs d’État. Le Congrès, connaissant la précarité financière de La Fayette causée par les péripéties de sa vie et son inaltérable générosité, lui attribua une dotation de 200 000 dollars et des terres “en considération des services rendus, des pertes éprouvées et des sacrifices consentis”.
La Fayette quitta les États-Unis le 7 septembre 1825. Depuis Washington, il descendit le Potomac sur le vapeur Mount Vernon au milieu de foules denses tassées sur les rives. Les boutiques étaient fermées. Beaucoup pleuraient dans les bras les uns des autres. Tous les officiels de la ville étaient au départ, ainsi qu’une délégation de New York. Le vapeur Constitution, rempli d’habitants de Baltimore, naviguait près du Mount Vernon.
Puis La Fayette embarqua sur la frégate Brandywine. Délicate attention, il y avait dans l’équipage 24 midships, un par Etat de l’Union. Il emportait avec lui un baril plein de terre américaine, destinée à être mélangée à la terre française sur son tombeau.
Quelques années plus tard, lors de la révolution de 1830, La Fayette sera l’un des artisans de l’abdication de Charles X. La question se posa d’un retour à la république ou d’une vraie monarchie constitutionnelle, avec Louis Philippe comme chef de l’exécutif. La Fayette avait repris le commandement de la garde nationale, son prestige auprès du peuple était toujours très grand, et il aurait suffi qu’il le veuille pour instaurer la république et en prendre la tête. Jusqu’à aujourd’hui, on lui a beaucoup reproché de ne pas l’avoir fait. Mais il pensait que la France n’était pas mûre pour la République : les Français n’avaient pas encore oublié les désordres, les famines, la terreur, associées avec la première république. Très lucidement, il pensait qu’une monarchie constitutionnelle serait mieux à même de promouvoir ses conceptions libérales de la Société. Il se borna donc à obtenir des engagements de Louis-Philippe sur les institutions. Une nouvelle constitution, plus libérale, sera adoptée le 7 août 1830. Mais le pouvoir corrompt, Louis Philippe rogna peu à peu sur les libertés promises au départ, et La Fayette se retrouva bientôt à l’Assemblée pour les défendre.
Il mourut le 20 mai 1834. Lorsque la nouvelle parvint aux Etats-Unis, Le président Jackson demanda qu’on lui rende les mêmes honneurs que le président Adams avait ordonnés pour Washington trente-cinq ans avant. Les drapeaux furent mis en berne. Vingt-quatre coups de canon furent tirés dans toutes les casernes et sur tous les bateaux militaires et les officiers portèrent un crêpe pendant 6 mois. Des rideaux noirs furent pendus dans les deux chambres du Congrès. Il fut demandé à tous les citoyens de porter des habits de deuil pendant 6 mois!
John Quincy Adams prononça une oraison funèbre devant les deux chambres du congrès en présence des hauts fonctionnaires et du corps diplomatique. En voici deux extraits :
“Présentez-le comme le premier de sa génération, et vous ne lui aurez pas encore rendu justice…”
“…Tournez vos yeux vers le passé, passez en revue les plus grands défunts de chaque période et de chaque culture depuis la création du monde à ce jour, et demandez-vous si un seul a été supérieur à La Fayette comme bienfaiteur”.
En France, il n’y eut pas de discours officiel. Louis-Philippe ordonnât des obsèques militaires plutôt que des obsèques nationales afin d’éviter les manifestations publiques.
Aujourd’hui, il est enterré au cimetière de Picpus, près de sa femme, sous un drapeau français mais aussi un drapeau américain que l’ambassade des Etats-Unis vient renouveler tous les ans le 4 juillet, jour de la fête nationale de l’indépendance.
Il y a aux États-Unis une montagne, des centaines de villes, de contés, de places, d’écoles, d’églises, de rue et même un sous-marin atomique qui portent son nom sous une forme ou sous une autre. Les portraits de La Fayette et Washington sont suspendus des deux côtés de l’estrade de la chambre des représentants. La Fayette a aussi son portrait dans la “National Portrait Gallery”. Il a son buste dans la pièce ronde du capitole de Richmond, en compagnie des premiers présidents des États-Unis. Sa statue est également présente dans de nombreux endroits, notamment au “La Fayette square”, situé immédiatement derrière la Maison Blanche, à Washington. L’Association américaine des Amis de La Fayette est toujours vivante et possède plus de mille tableaux historiques qui le représentent.
Il n’y a pas d’autre exemple dans l’Histoire de la reconnaissance de toute une nation pour un étranger.
Le contraste entre la façon dont les Américains et les Français ont traité La Fayette se poursuit dans les livres d’histoire. Il existe des milliers d’écrits sur La Fayette, aussi bien en Anglais qu’en Français. Ils sont unanimement laudatifs sur la partie américaine de sa vie. En revanche les historiens français, contrairement aux historiens américains, ont une opinion relativement médiocre de La Fayette pour la partie française de son existence.
Certes tous rendent hommage à son courage, à sa générosité, à sa bienveillance, à la clarté de ses propos, à sa probité. Mais nombre d’historiens français le trouvent vaniteux, avide de gloire, sans caractère, indécis, voire un peu niais. Voici deux exemples extraits de nos encyclopédies les plus répandues.
- Son esprit manque de profondeur et son caractère de décision. Il subit les évènements plus qu’il ne les dirige (Encyclopedia Universalis).
- Son courage certain et ses principes libéraux constants ne s’accompagneront pas, chez lui, de cette claire vision des évènements qui permet d’avoir barre sur leur évolution.…
- …son indécision l’amène finalement à faciliter la montée sur le trône du duc d’Orléans. (La grande encyclopédie Larousse).
Je pense que l’on doit réfuter ces jugements.
On ne peut pas considérer comme manquant de caractère l’homme qui a redressé le moral des troupes américaines dans le dénuement pendant l’hiver de Valley Forge.
Si La Fayette a incontestablement aimé la popularité, on aurait tort de confondre cela avec de la vanité. S’il avait été vaniteux, il n’aurait pas refusé à Louis XVI le bâton de maréchal, ou le grade de généralissime, il n’aurait pas refusé à Napoléon le grand cordon de la Légion d’honneur ou le Sénat à vie.
Si à deux reprises, pendant la révolution de 1789 et pendant la révolution de Juillet, il n’a pas saisi l’occasion qui se présentait à lui de prendre le pouvoir et d’instaurer la République, ce n’est pas par indécision, c’est parce qu’il s’intéressait au triomphe de ses idées et non au pouvoir. Les historiens français ont du mal à comprendre qu’un homme qui jouissait d’une telle gloire n’était pas intéressé par le pouvoir. Et pourtant il en avait donné une autre preuve en refusant l’offre que lui avait faite Jefferson de devenir gouverneur de la Louisiane.
On ne peut pas non plus considérer comme niais, mais plutôt comme en avance sur son temps, un homme qui s’est battu pour des principes et des institutions qui sont devenues peu à peu la norme dans le monde occidental.
Nous terminerons par deux citations qui me paraissent refléter exactement ce que fut l’homme : la première est de George Washington, l’homme qui a passé le plus de temps de sa vie en compagnie de La Fayette et dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il fut à la fois un grand stratège, un politique avisé et un patriote désintéressé : “Il possède des talents militaires hors du commun, avec un jugement rapide et sûr. Il est entreprenant et persévérant, sans imprudence, avec en outre un tempérament conciliant et parfaitement sobre, toutes qualités rarement réunies dans la même personne”.
La deuxième est de La Fayette lui-même. Elle fut écrite six mois avant sa mort et résume parfaitement sa vie : “Aucun obstacle, aucun mécompte, aucun chagrin ne me détourne ou me ralentit dans le but unique de ma vie : le bien-être de tous, et la liberté partout.”
[1] C’est la raison pour laquelle on trouve en bonne place à Washington, à la National Portrait Gallery, un portrait de La Fayette dans ce musée qui ne contient que des portraits d’américains (Une autre exception étant Churchill, pour les mêmes raisons)
[2] Les droits de l’homme m’intéressent personnellement beaucoup et je leur ai consacré un chapitre dans mon livre Logique du Libéralisme. NdA.
* Jacques de Guenin est le fondateur du Cercle Frédéric Bastiat, il a dirigé la réédition des œuvres complètes de Frédéric Bastiat aux éditions Charles Coquelin