Ce texte est dérivé d’un article paru dans la News des Mines (mai 2015), le magazine électronique des anciens élèves des Ecoles des Mines.
Si audacieuses que soient les propositions qu’il contient, cet article est le fruit d’une longue expérience : j’ai été responsable d’un certain nombre de directions dans deux des plus grandes entreprises du monde : ExxonMobil et PSA Peugeot-Citroën. J’ai présidé pendant cinq ans le comité d’établissement du siège social d’ESSO France. A ma retraite, je me suis présenté à deux reprises aux élections législatives et pendant mes campagnes j’ai discuté un nombre incalculable de fois avec des patrons de petites et moyennes entreprises.
Le code du travail est un monstre de 3500 pages. Il en avait 2600 en 2005, ce qui veut dire qu’il s’est «enrichi» d’une centaine de pages par an en moyenne, ce nombre variant beaucoup d’une année sur l’autre. Il souffre de plusieurs graves défauts :
- Personne ne peut le maîtriser en entier, donc :
– au fil des additions, il finit par présenter des incohérences, ce qui entraîne des débats stériles aux prudhommes,
– si les dirigeants des grandes entreprises peuvent tabler sur un service spécialisé pour décortiquer le code et les conseiller sur les risques juridiques inhérents à leurs projets, ce n’est pas le cas des petites entreprises. Si un chef de petite entreprise viole sans le savoir un article du code, il peut le payer très cher.
- Il est entièrement conçu par des hommes politiques qui n’ont jamais mis le pied dans une entreprise, sous la pression de syndicats nationaux qui ne représentent plus que quelque 8% des travailleurs de la fonction publique et 3% de la fonction privée.
- Il ignore l’équité. Sous le prétexte de défendre les travailleurs, il est systématiquement biaisé contre les entreprises, voire en faveur des employés qui commettent des fautes contre l’entreprise.
- Il est un frein à l’embauche du fait des risques qu’il fait courir à l’entrepreneur de bonne foi. Or l’essentiel des embauches proviennent des petites entreprises en voie de développement, celles dont les chefs n’ont pas les moyens de maîtriser le code.
Il existe aujourd’hui une prise de conscience assez largement répandue sur ces problèmes, y compris chez les politiques. On parle beaucoup de simplification nécessaire. Mais parmi les futurs candidats à la présidence de la république, seul François Fillon est sorti des généralités et donne les grandes lignes d’un code qu’il voudrait réduire à quelque 150 pages. Cela dit, personne jusqu’ici n’a osé poser la question «A-t-on vraiment besoin d’un code du travail ?». Nous expliquons dans ce qui suit, en nous fondant exclusivement sur la morale, la raison et notre expérience, qu’on aurait tout à gagner en remplaçant le code par des contrats obligatoires entre employeurs et employés qui préciseraient les horaires, leur répartition annuelle, les conditions de travail, les rémunérations, les délais de séparation pour chacune des deux parties et les indemnités de licenciement. Ces contrats seraient librement négociés, entre l’employeur et l’employé, fut-ce avec les conseils des syndicats de l’entreprise. Ces contrats n’auraient guère qu’une dizaine de pages, ce qui fait qu’ils seraient aisément assimilables aussi bien par les employés que par les employeurs, ce qui n’est pas le cas du code du travail. En cas de conflit, l’État aurait la tâche éminemment utile de veiller à faire respecter les contrats. Toutes sortes de contrats pourraient ainsi voir le jour, beaucoup plus adaptés aux besoins réciproques des individus et des entreprises qu’aucune législation ne pourrait les imaginer.
Cette libération entraînerait celle du salaire minimum. L’existence d’un salaire minimum empêche en effet des centaines de milliers de gens d’accéder à l’emploi, car il faut être bien conscient qu’une personne ne sera jamais embauchée que si son coût marginal, (salaire + charges) est inférieur au revenu marginal qu’elle apporte à l’entreprise. Or le niveau actuel de l’ensemble SMIC + charges sociales interdit l’embauche de nombreuses personnes dont l’apport à l’entreprise serait inférieur à ce qu’elles coûteraient : les jeunes sans qualification, les personnes plus ou moins asthéniques ou plus ou moins handicapées, physiquement ou mentalement, etc.
A contrario, tout individu, si peu qualifié soit-il, si peu doué soit-il, pourrait toujours trouver du travail rémunéré à la mesure du service qu’il pourrait fournir à un employeur, à une famille, ou à une personne. Ce pourrait être un petit service et par conséquent une petite rémunération. Mais au moins, personne ne serait obligé de rester inactif. Et l’on arriverait ainsi au plein emploi. Or en régime de plein emploi, la négociation entre un employeur et un salarié est favorable au salarié. Une source importante de tension sociale disparaîtrait ainsi et les salaires initiaux les plus bas ne tarderaient pas à augmenter avec l’expérience.
Ces affirmations sont totalement confirmées par les faits. La «Heritage Foundation» sort tous les ans un Index of Economic Freedom, en collaboration avec le Wall Street Journal. C’est un énorme volume, qui attribue une note reflétant le degré de liberté économique qui règne dans 185 pays. L’indice est calculé à partir de données publiques. Une partie du livre explique en détail comment est fait ce calcul. Chaque pays est analysé sur deux pages, qui montrent et expliquent en particulier les progrès ou les détériorations de l’indice par rapport aux années précédentes. La France était au 16ème rang en 1995, au 30ème en 1998, au 45ème en 2002, au 62ème en 2012 et au 73ème aujourd’hui !
Un intérêt fondamental de ce rapport est qu’il montre qu’il existe une relation indubitable entre la liberté économique et l’emploi ; en d’autres termes, que le chômage est d’autant moins élevé que la liberté économique est plus grande. Ainsi la Suisse, qui est classée parmi les toutes premières, n’a pas de Code du travail à proprement parler, mais connaît le plein emploi. En France, pendant le quinquennat Sarkozy, le code du travail s’est “enrichi” de quelques centaines de pages et le nombre de chômeurs s’est accru de 740 000. Pendant les 3 premières années de celui de Hollande, le code s’est enrichi de nouveau de quelques centaines de pages et le nombre de chômeurs s’est accru de 641 000.
[1] Le nombre de pages est celui du Code Dalloz, de très loin le plus utilisé. On objectera qu’un certain nombre de ces pages sont en fait des clarifications de jurisprudence. Mais l’abondance croissante de cette jurisprudence reflète la difficulté à interpréter les textes de loi eux-mêmes.
Le code du travail français fait sensiblement la même taille que le code du travail allemand (par code du travail allemand, je veux parler de tous les articles législatifs, règlementaires, jurisprudentiels concernant le travail car il n’existe pas de code du travail à proprement parler). Il fait également la même taille que le code du commerce, curieusement on n’entend pas les hommes politiques vouloir le réduire ! Mais, quoi qu’il en soit, à l’heure du numérique, s’intéresser aux nombres de pages est grotesque et archaïque, le consulter et trouver les articles est bien plus faciles grâce à ces nouveaux outils. Les gémissements médiatiques de certains hommes politiques sur la taille du code relève donc davantage de la propagande théâtrale que de la réalité.
Ce qui est par contre plus vrai, c’est sa complexité, quelquefois ses incohérences qui peuvent rendre difficile la vie des chef de petites ou très petites entreprises. Mais, je me suis toujours demandé pourquoi les syndicats patronaux qui utilisent constamment cet argument n’utilisaient pas les cotisations de leurs adhérents pour proposer à ces chefs d’entreprises des services gratuits de conseils juridiques ?
Mais revenons maintenant au cœur du sujet : faut-il un code du travail. Vos arguments seraient convaincants, si les deux cocontractants (employeur-employé) étaient sur un pied d’égalité dans la négociation. Or généralement, les moyens juridiques d’un employeur sont supérieurs à ceux d’un salarié. L’employeur bénéficie également d’un pouvoir financier et économique que n’a pas le salarié : un salarié qui ne trouve pas de travail ou qui perd son travail verra sa vie profondément changer (baisse du niveau de vie, voire pauvreté et tout ce que cela implique), un employeur qui ne trouve pas de salarié ou qui voir un salarié partir fera rarement faillite à cause de cela. Enfin, un dernier élément qui invalide la théorie des cocontractants libre et égaux, les ententes patronales (comme par exemple ce qui a existé pendant plusieurs années dans la Silicon Valley),qui faussent la négociation en donnant plus de pouvoir à une des parties. Vous me direz les salariés aussi peuvent s’entendre via des syndicats. Certes, mais encore faut-il que ce pouvoir syndical compense le pouvoir issu des ententes patronales. Or rien n’est moins sûr, pour une raison évidente. Vous ne nierez pas le fait qu’en général, moins les individus sont nombreux, plus il est facile de s’entendre. Or, il y a bien évidemment moins d’entreprises et donc de chefs d’entreprise que de salariés, donc…
Juste quelques remarques supplémentaires. D’abord sur les syndicats qui ne représenteraient que 7% des salariés. Si on appliquait votre raisonnement aux hommes politiques, ceux-ci représenterait encore moins de Français (je pense que 5% serait déjà inespéré). En effet, vous comptabilisez les adhérents, mais pour juger de la représentativité, ce n’est pas les adhérents qui comptent mais les électeurs. Or, la participation aux élections professionnelles est supérieure à certaines élections politiques, et cela alors que celle-ci est bien moins médiatisée et difficile à organiser. J’ajoute que le faible taux d’adhésion doit peut-être être à rechercher dans répression syndicale qui existe encore trop souvent dans de nombreuses entreprises (carrière bloquée, mise au placard, harcèlement, etc). Ensuite, sur l’indice de liberté économique, lorsqu’on regarde la méthodologie employée, on se rend compte qu’il n’a pas grand valeur scientifique et qu’il repose davantage sur des considérations idéologiques. Enfin, concernant la Suisse et le chômage, je ne sais pas si l’exemple est adéquat, étant donné que la Suisse recourt beaucoup aux frontaliers, ce qui lui permet lors d’une baisse d’activité de réduire son taux de chômage en les renvoyant dans leurs pays respectifs (qui les indemniseront….), politique déjà pratiquée dans le passé.
“Si deux travailleurs veulent unir leurs forces, pour partager le produit suivant des proportions convenues, ou échanger entre eux leurs produits, ou si l’un veut faire à l’autre un prêt ou un don, qu’est-ce qu’a à faire la loi? Rien, ce me semble, si ce n’est exiger l’exécution des conventions, empêcher ou punir le dol, la violence et la fraude”.
Frédéric Bastiat : Justice et Fraternité.
Vous dites ” s’intéresser aux nombres de pages est grotesque et archaïque”. Hélas, nul n’est sensé ignorer la loi et le nombre de pages du code ne fait rien d’autre que d’exprimer la loi.
Si vous souhaitez mieux comprendre ce qu’est réellement une entreprise, au delà de toute la propagande étatiste ou marxiste, donnez-moi votre mail et je vous enverrai une conférence pédagogique que j’ai faite en son temps sur l’entreprise
jdeguenin@gmail.com