5 juillet 1844 — Sur les enquêtes électorales
[Moniteur, 6 juillet 1844.]
M. LE PRÉSIDENT. M. Gustave de Beaumont a la parole.
M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Messieurs, je n’abuserai pas de l’attention de la chambre. Mon intention est seulement d’adresser quelques courtes observations à M. le ministre de la justice à l’occasion d’un certain nombre de nominations dans l’ordre judiciaire (Mouvement) qui ont donné lieu à des choix empruntés, pour la plupart, au collège électoral d’Embrun et de Briançon. (Parlez ! parlez !)
Messieurs, que la chambre le croie bien, c’est avec une véritable répugnance que j’aborde de semblables questions, et si je le fais, c’est parce qu’on nous reproche trop souvent, et non sans quelque raison, d’aborder très vivement une question et de l’oublier bien vite.
Ainsi, nous avons été très vivement frappés et le public aussi, de l’enquête électorale et de ses effets, et puis, il semble qu’on oublie maintenant ce dont on devrait garder le souvenir.
L’administration, qui semblait avoir été contenue par l’enquête électorale, paraît reprendre son cours, comme si de rien n’était ; revenir à ses traditions, à ses habitudes, à celles que la chambre, je le crois, avait eu l’intention d’arrêter.
Ce que je voudrais, ce serait de constater devant la chambre et le gouvernement, que, lorsqu’une pareille question est soulevée, qu’elle a été agitée, qu’on en a compris le sens, il y a dans la chambre des personnes qui la suivent, qui ne l’abandonnent pas, qui la ramèneront impitoyablement devant elle. (Approbation à gauche.)
Et qu’est-ce que la chambre a voulu lorsqu’elle a ordonné, lorsqu’elle a accompli l’enquête électorale ? Elle a voulu deux choses : d’abord réprimer la corruption électorale en matière politique ; en second lieu, la prévenir dans le futur.
Le ministère a paru un instant, il faut le reconnaître, accepter les conséquences de l’enquête. Il l’avait combattue d’abord ; n’ayant pas pu réussir à l’empêcher, il avait travaillé à obtenir son avortement ; on pouvait, par conséquent, se défier plus tard de sa conduite. Cependant, je le reconnais, le ministère semble, au premier abord, accepter les conséquences de l’enquête électorale. De grands scandales avaient été révélés ; des faits fâcheux, je me sers d’une expression très modérée, s’étaient passés à Carpentras et à Embrun ; le sous-préfet de Carpentras fut révoqué, le procureur du Roi de Briançon le fut également. Ce fut là la satisfaction donnée à la chambre et à l’opinion publique.
M. HAVIN. Et à la morale.
M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Cependant, il faut le reconnaître aussi, le ministère semble aujourd’hui revenir sur ses pas et vouloir récompenser ce que la chambre avait voulu réprouver.
Ainsi, le sous-préfet frappé de disgrâce a été récemment nommé à un emploi important dans les finances ; je n’en parle que pour ordre, je ne veux point m’étendre sur ce point ; il s’agit là de l’administration, le moment de la discuter viendra ; quant à présent, je me trouve simplement placé sur le terrain du budget de la justice, je n’en sortirai pas.
Le procureur du Roi, que la même disgrâce avait atteint, a été aussi réintégré et appelé aux fonctions de procureur du Roi à Sisteron, dans les Basses-Alpes, c’est-à-dire, notez ceci, dans l’arrondissement le plus voisin de celui qu’il occupait précédemment.
M. HAVIN. Pour l’exemple.
M. GUSTAVE DE BEAUMONT. La chambre n’a pas oublié les faits graves, je dirai déplorables, qui avaient été imputés à ce magistrat. Ces faits étaient doubles : le premier se rapportait à cette création si coupable de faux électeurs dans le collège électoral d’Embrun. La chambre se souvient que dans ce collège sept faux électeurs avaient été introduits, et ici je ne parle pas en donnant ma simple opinion ; un arrêt souverain de la cour royale de Grenoble a déclaré que ces sept électeurs, renvoyés par elle, n’avaient été admis qu’en vertu d’actes simulés, et sur de fausses énonciations. Voilà ce que la cour royale de Grenoble a jugé. Et lorsque la commission d’enquête fut appelée à apprécier ces faits, et qu’elle déclara que c’étaient là des manœuvres coupables qu’elle ne pouvait blâmer trop sévèrement, savez-vous, Messieurs, quelle protestation lui fut adressée ? Une protestation des électeurs partisans du candidat opposé à notre honorable collègue M. Allier, protestation qui se termine par ces mots :
« Si en dernière analyse et en désespoir de cause, l’opposition, poussée par l’esprit de chicane, osait argumenter contre le parti conservateur de l’arrêt rendu récemment par la cour royale de Grenoble, nous répondrions que leur inscription n’a été requise et sollicitée que par le besoin de combattre à armes égales une opposition qui nous a appris la première comment il fallait s’y prendre pour éluder les prescriptions de la loi, et modifier, dans l’intérêt d’un parti, les listes électorales. »
Et quel était l’auteur de cette protestation ? Qui l’avait écrite et signée de sa main ? Le magistrat que vous aviez révoqué, et que vous venez de réintégrer, c’est-à-dire celui qui se vantait en quelque sorte de l’habileté avec laquelle il savait éluder les prescriptions de la loi.
Je vous le demande, quelle sera l’influence de ce magistrat sur ceux auxquels il est obligé d’enseigner tous les jours l’obéissance à la justice et à la loi ? (Très bien !)
L’autre fait imputé à ce magistrat est celui-ci : Vous le savez, dans ce collège pauvre des montagnards des Hautes-Alpes, la corruption la plus inconnue chez nous heureusement, la corruption à prix d’argent, s’était montrée audacieuse, cynique. Un banquier était venu installer son ignoble officine ; et là, avec des sacs d’écus qu’on voyait transporter dans les rues, on cherchait à acheter les électeurs avec effronterie. Voilà ce qui s’est passé. Et tout l’argent ne se donnait pas, la plus grande partie se prêtait, c’est-à-dire que c’était le moyen employé vis-à-vis des personnes délicates. (On rit.)
Devant la commission d’enquête, je me le rappelle, car j’en faisais partie, le candidat opposé à M. Allier raconta avec une admirable naïveté tout ce qu’il avait fait, ne comprenant même pas que ce fût un mal. Il disait : « Tel jour, la veille des élections, j’ai prêté telle somme à un tel ; le jour de l’élection telle somme à un autre ; une minute avant l’élection, telle somme à un troisième. »
Je lis les interrogations :
« À la date du 15 juillet, j’ai obligé un homme dont j’ai parlé, pour une somme de 500 fr.
« M. le président. Est-ce que c’était le procureur du Roi de Briançon ?
« R. Oui, monsieur le président. (Mouvement.) » Voilà les faits, que je ne révèle pas, que je rappelle ; ils ont été constatés par une commission d’enquête ; ils ont été révélés à cette tribune, ils ont été l’objet d’un débat ; la presse les a recueillis, ils ont été connus et appréciés par la chambre. On a cru un instant que vous faisiez justice : Que s’est-il passé ?
Ne sommes-nous pas autorisés à croire qu’après avoir laissé passer cette émotion qui s’était produite, vous avez pensé qu’on ne reviendrait pas sur ce sujet, qu’il suffirait d’avoir attendu six mois ou un an, pour ensuite impunément inscrire dans le Moniteur l’acte dont je parle en ce moment.
Je l’avoue, je n’y vois pour mon compte qu’un retour vers les maximes que vous pratiquez, vers les traditions qui vous sont familières ; qu’un retour vers la politique que la chambre a combattue, qu’elle croyait avoir vaincue. (Très bien ! très bien !)
Je sais ce que vous dites à ce sujet : Mais ce magistrat a été frappé ; fallait-il lui infliger une disgrâce éternelle ? Ne suffisait-il pas, pour l’expiation d’une faible faute, de la disgrâce qu’il a essuyée ? Maintenant n’y a-t-il pas quelque cruauté à vouloir persévérer dans une semblable rigueur ?
Je veux bien un instant entrer dans votre pensée ; je comprends en effet combien méritent d’égards les hommes qui ont consacré de longues années à une profession, et surtout à la noble profession de la magistrature : oui, je comprends que quelque grave que soit la faute commise par un magistrat, on arrive facilement à l’indulgence, en souvenir de bons services passés, et peut-être aussi dans l’espérance de meilleurs services pour l’avenir : je l’admets, mais je demande par quel incroyable calcul, par quel incroyable oubli, avez-vous pu vouloir réintégrer le magistrat frappé de disgrâce, et le placer à côté du siège qu’il avait occupé jadis, c’est-à-dire à Sisteron, qui touche au collège électoral d’Embrun, de manière que vous avez l’air de vous attacher obstinément à établir le retour à la faveur vis-à-vis des mêmes populations qui ont été témoins de la disgrâce ; pour que ces populations sachent bien que vous n’avez puni que parce que vous y étiez contraints ; que vous n’avez fait qu’un semblant de rigueur qui n’était pas sincère, et que ce sont les services rendus, quoique rendus avec maladresse, que vous voulez récompenser. Je crains que telle n’ait été votre pensée, j’en ai d’ailleurs d’autres preuves. (Écoutez !)
Il se passe, en ce moment, dans le collège électoral d’Embrun et dans le collège de Briançon, quelque chose de vraiment étrange. Je vous racontais tout à l’heure quelle sorte de corruption on y a pratiquée.
Je ne prétends pas, sans doute, jeter sur le collège électoral tout entier cette imputation de corruption ; au contraire, partout où il y a une partie de collège électoral qui s’est vouée à la corruption, il y a une autre partie d’autant plus pure qu’elle a su y résister. (Très bien ! très bien !)
Comment se fait-il donc que ce collège électoral, ce n’est pas de la partie saine du collège d’Embrun dont je parle, c’est de la partie malsaine, comment se fait-il qu’une partie de ce collège semble être, en ce moment, devenue une pépinière de fonctionnaires, de magistrats ? Je voudrais qu’on répondît à cette question.
Je vais citer des faits. (Écoutez !)
Récemment un sieur Didier, électeur (c’est un des hommes que j’ai vus dans la commission d’enquête), a été nommé juge de paix à Corps, dans le département de l’Isère, mais dans la partie de l’Isère qui touche à l’arrondissement d’Embrun.
Un nommé Bertrand, électeur très dévoué à M. Ardouin, et très opposé à notre honorable collègue M. Allier, a été nommé juge de paix dans un arrondissement voisin, l’arrondissement d’Embrun.
Ainsi voilà deux électeurs de l’arrondissement d’Embrun qui ont été colloqués dans d’autres arrondissements auxquels ils n’appartiennent pas. Vous voyez quelle espèce de services politiques les recommandait.
Mais voici quelque chose de plus grave. Il y avait, à l’époque des élections, dans la ville d’Embrun, un maire, M. Lelong, qui s’est livré aux démarches les plus actives en faveur de M. Ardouin contre M. Allier. Je n’incrimine pas sa conduite, je ne prétends pas qu’il n’ait pas été dirigé par un sentiment consciencieux ; mais enfin, en agissant ainsi suivant sa conviction, il paraît qu’il agissait contre les convictions de ses concitoyens : car aux premières élections municipales qui ont suivi, il n’a pas été nommé ; il n’a pas même été élu membre du conseil municipal. (À gauche. Très bien !)
Mais M. le ministre de la justice l’a nommé juge à Briançon. (Rires approbatifs.) Il l’a nommé, et, si je suis bien informé, il a été nommé sans la présentation du procureur général ni du premier président.
M. DE COURTAIS. Ce sont les préfets qui sont chargés de cela.
M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Je pourrais citer d’autres faits administratifs, je pourrais parler du fils de l’un des faux électeurs, de l’un des électeurs radiés, à qui on a donné une bourse ; mais j’entrerai dans le domaine administratif, et je veux me maintenir sur le terrain judiciaire, puisque nous sommes au budget du ministère de la justice.
J’ai une autre raison : certes, de semblables pratiques, de semblables manœuvres sont bien graves, et à mes yeux bien condamnables, de quelque ministère qu’il s’agisse, sur quelque terrain qu’elles se commettent ; mais à mon sens elles le sont bien plus encore quand il s’agit de l’ordre judiciaire.
Je comprends, quand je vous vois nommant l’ancien sous-préfet de Carpentras receveur particulier à Castellane, j’en prends mon parti. Je pourrais regretter que cette place vacante ne fût pas donnée à quelqu’un qui l’eût mieux méritée qu’en faisant les actes qui sont constatés dans l’enquête ; mais ce sont des malheurs qui n’ont pas beaucoup de portée, l’administration des finances n’en ira pas moins son train, et avec la régularité que sait lui imprimer la direction habile de M. le ministre des finances, les choses iront toujours.
Mais la justice, la sainte justice ! Quand je pense, Messieurs, à la pureté des mains auxquelles il faut la confier, et que je considère dans quelles mains vous allez la remettre, vous qui empruntez vos candidats aux hommes flétris par une enquête parlementaire !… (Vive approbation à gauche.)
Voilà ce qui me paraît grave, voilà ce qui m’afflige, et ce que j’ai le droit de déplorer.
Je vois bien le courant qui vous entraîne, à quelle faiblesse vous êtes entraînés, précisément parce que vous avez fait violence au sentiment public. Au moment où la chambre flétrit ces actes, vous semblez vous y associer ; quand nous proposons des moyens pour réprimer et prévenir la corruption électorale, vous vous associez à nous.
Après tout, ce sont des paroles ; mais les actes reviennent toujours, vous établissez toujours vis-à-vis du pays que tous ceux qui servent votre politique, et la servent per fas et nefas, seront toujours récompensés par vous, et vous l’établissez en arrivant jusqu’à cette extrémité de ne pas craindre de placer dans la magistrature des hommes qui devraient en être à jamais éloignés.
M. BUREAUX DE PUSY. Pardon ; ils devraient être devant les tribunaux.
M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Je comprends votre conduite, mais toutes explications qui font que je la comprends ne la justifient pas.
À gauche. Très bien !
M. LE GARDE DES SCEAUX. Messieurs, ce n’est pas moi qui viendrai contester les principes qui ont été posés par l’honorable préopinant.
Je suis comme lui persuadé que les choix, pour la magistrature, doivent être faits avec un soin religieux, et qu’ils ne sauraient être entourés de trop de précautions. Quant à ceux de ces choix que j’ai été dans le cas de proposer au Roi pour l’arrondissement de Briançon, il n’en est pas un seul, j’ai hâte de le dire, que je n’avoue hautement, et que je ne puisse défendre avec loyauté. (Très bien !)
Messieurs, on vous a parlé de nomination de juges de paix, de nomination de juges, et enfin de la réintégration de l’ancien procureur du Roi de Briançon.
Vous pensez bien que je n’entrerai pas dans de grands détails sur ces nominations. (À gauche. Nous le croyons bien !) Vous pensez bien que je n’ai pas l’intention de vous faire connaître tous les motifs qui m’ont déterminé dans ces choix ; car si j’entrais dans cette voie, l’administration passerait dans la chambre. (Murmures à gauche.)
Le gouvernement doit avoir le courage de maintenir les vrais principes. (Marques d’adhésion.)
M. GUSTAVE DE BEAUMONT. C’est le droit de la chambre.
M. LE GARDE DES SCEAUX. Je ne dois pas répondre à de telles interpellations.
À gauche. C’est plus commode !
M. LE PRÉSIDENT. J’invite la chambre au silence ; on n’a pas interrompu M. Gustave de Beaumont, M. le garde des sceaux a droit de répondre.
M. LE GARDE DES SCEAUX. Maintenant les droits du gouvernement étant bien réservés, je ferai connaître à la chambre les actes, les faits qui me paraîtront de nature à lui être exposés, et je n’irai pas plus loin.
Du reste, il me serait facile de défendre ces nominations qui étaient inconnues de la chambre, et que l’honorable M. de Beaumont a sans doute apprises d’une personne intéressée.
M. ALLIER. Mais ces nominations sont dans le Moniteur.
M. LE GARDE DES SCEAUX. Oui, monsieur Allier, je vous comprends, et c’est vous qui avez dû donner ces renseignements.
Ces juges de paix, dont on a parlé, ont tous été nommés sur les présentations des magistrats, et l’on aura beau, dans l’intérêt d’un candidat qui pourrait avoir des craintes dans le cas de nouvelles élections (Murmures à gauche), on aura beau traduire devant la chambre mes choix, je les avoue, je les revendique, parce que je sais que les magistrats qui sont appelés à m’éclairer en pareil cas, méritent la confiance du gouvernement, et que mes choix ont porté sur les hommes les plus honorables. (Murmures à gauche.)
M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Et le juge de Briançon ?
M. LE GARDE DES SCEAUX. Quant à ce juge, il était maire, il était juge suppléant, et par sa position il était un candidat naturellement désigné pour une place de juge. Les magistrats ont aussi pensé que cette place devait lui être donnée. (Réclamations.)
L’honorable M. de Beaumont a parlé de la douleur qu’il éprouvait de porter de pareils faits à la tribune ; je crois cette douleur sincère ; et elle sera sans doute d’autant plus vive qu’il reconnaîtra que ses accusations contre le gouvernement, auquel il a reproché de vouloir introduire la corruption dans le sanctuaire de la justice, reposaient sur un échafaudage bien facile à détruire.
Reste la réintégration du procureur du Roi de Briançon. Je donnerai des details que je ne serais pas obligé de donner, mais que, dans les circonstances, je porterai à la connaissance de la chambre. On a dit que j’avais été contraint de proposer la révocation de M. Garnier. Je répondrai que si cette révocation ne m’avait pas réellement paru nécessaire, si je n’avais pas cru que cet exemple dût être donné, il m’était bien facile de ne pas la prononcer. Je puis dire à la chambre que j’ai pris cette mesure contre l’opinion des magistrats qui honoraient M. Garnier de leur estime, et qui pensaient que ses bons services devaient lui épargner cette disgrâce.
Eh bien, je n’ai pas partagé cette opinion ; j’ai cru que quand la protestation rédigée par le magistrat avait encourue un blâme mérité, cette faute avait appelé sur lui un acte de sévérité ; encore bien que, dans la pensée de l’auteur de cette protestation, les faits sur lesquels elle s’appuyait ne fissent que servir de représailles aux moyens employés contre le candidat conservateur et ceux qui le soutenaient. Je ne regrette donc pas la mesure que j’ai cru devoir prendre dans cette circonstance. Le magistrat doit en effet conserver toujours sa dignité et son indépendance au milieu des luttes politiques, et en frappant M. Garnier, qui n’avait pas conservé cette situation, je n’ai fait que suivre les inspirations de ma conscience.
Mais parce qu’un magistrat, entraîné dans une lutte dans laquelle il aurait dû apporter plus de réserve, a méconnu un instant les règles dont il n’aurait pas dû s’écarter, devait-il être à jamais exclu d’une carrière qu’il avait honorée par de bons services ? Je ne l’ai pas pensé. Vous ne savez pas la douleur que sa révocation lui a fait éprouver ; vous ne savez pas comme moi combien sa santé a été ébranlée.
J’ai regardé comme un devoir de proposer au Roi sa réintégration dans des fonctions analogues à celles qu’il avait perdues ; et si, en proposant sa révocation, je n’ai point cédé à la crainte qu’aurait exercée sur moi l’opinion de ceux qui surveillent avec défiance la marche du gouvernement, et sont toujours disposés à donner de mauvaises interprétations à tous ses actes, je n’ai pas non plus cherché à éviter leurs investigations au sujet de sa réintégration. J’avais assez d’expérience pour savoir parfaitement que je serais l’objet des attaques auxquelles je viens de répondre ; aussi est-ce au milieu de la session que M. Garnier a été rappelé, et je m’applaudis de l’avoir fait à cette époque, puisque j’ai pu montrer à la chambre que cet acte, si violemment incriminé, était à l’abri de tout reproche. (Très bien !)
M. PASCALIS. Je demande à la chambre la permission de lui donner une explication. Un fait présenté tout à l’heure par M. de Beaumont a paru surtout frapper la chambre. C’est celui qui est relatif aux 500 fr. prêtés par le candidat, M. Ardoin, au magistrat dont il s’agit, qui était procureur du Roi à Briançon.
Voilà ce qui m’est resté dans la mémoire, à raison de ce fait. Cet électeur était dès longtemps dévoué à la cause de M. Ardouin ; cela était notoire. Ensuite, un prêt de 500 fr., à ce qu’il paraît, eut lieu et fut fait par le candidat opposé à M. Allier à cet électeur ; mais ce fait n’avait aucun rapport à l’élection. Cela est resté dans notre souvenir, je crois même l’avoir vu expliqué dans l’enquête. Ce fait, je le répète, a été complètement indépendant des votes acquis à ce candidat.
M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Je crois que mon honorable collègue, M. Pascalis, aurait rendu un service plus utile à celui qu’il a voulu défendre.
M. PASCALIS. Je n’ai pas prétendu le défendre !
M. GUSTAVE DE BEAUMONT. Soit. À celui en faveur duquel il a voulu présenter une explication bienveillante, s’il avait imité le silence de M. le garde des sceaux qui, parlant de tout, n’a point parlé de cela ; je crois qu’en effet c’était ce qu’il y avait de mieux à faire. (On rit.)
Mais puisque des souvenirs sont invoqués, je dirai que j’en ai de tout contraires à ceux de l’honorable M. Pascalis, et au lieu de souvenirs, je me présente avec l’enquête elle-même, avec le témoignage non contredit de M. Ardouin, racontant, dans le sein de la commission, ses prêts d’argent, les énumérant les uns après les autres, arrivant enfin à celui qui concernait M. Garnier, et disant : À la date du 15 juillet (le jour où avait été rédigée la protestation, protestation rédigée et écrite de la main de M. Garnier), j’ai prêté 500 fr. à M. Garnier.
Je me borne à dire qu’il résulte de la déclaration de M. Ardouin que c’est le surlendemain de l’élection que le prêt a eu lieu, et que ce fait, malheureusement, en dit plus que tout ce qu’on pourrait dire.
M. LE PRÉSIDENT. Je vais consulter la chambre sur les divers articles jusqu’au moment où une contestation s’élèvera. (Réclamations.)
M. OGER. Je demande la parole sur le premier article.
M. LE PRÉSIDENT. Du moment que la parole est demandée sur le premier chapitre, et qu’il y a contestation, la discussion est renvoyée à lundi.
Quant à l’ordre du jour de demain, il est maintenu comme la chambre l’a réglé. J’invite Messieurs les députés à l’exactitude ; la fin de la session peut avoir la plus grande importance, car il y a beaucoup de scrutin à faire, et leur exactitude peut permettre une abréviation de la session bien précieuse dans le moment où nous sommes.
La séance est levée à six heures.
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