La question de la noblesse a beaucoup divisé les économistes du XVIIIe siècle, et il est significatif de s’apercevoir que Vauban aussi s’interrogea longuement sur ce point.
Si notre auteur ne semble pas d’avis, comme l’abbé Coyer plus tard, d’ouvrir les métiers du commerce aux nobles (La noblesse commerçante, Paris, 1756), il a tout de même soin de la réformer, sentant les abus qui se sont introduits depuis quelques décennies.
Idée d’une excellente noblesse
et des moyens de la distinguer par les générations
Supposant que les générations se renouvellent de trente en trente ans on pourrait compter à peu près les anciennetés comme s’ensuit :
De 80 à 100 ans |
l. Anobli
2. Fils d’anobli 3. Noble |
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De 180 à 200 ans | 4. Gentilhomme
5. Noblesse établie 6. Noblesse à chevalerie |
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De 270 à 300 ans | 7. Noblesse achevée
8. Noblesse à haute chevalerie 9. Noblesse à toute preuve |
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De 360 à 380 ans | 10. Noblesse parfaite
11. Noblesse qui ne prouve plus 12. Bonne noblesse |
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De 450 ans … | 13. Très bonne noblesse
14. Noblesse de souche 15. Vieille noblesse |
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De 450 ans … | 16. Noblesse ancienne
17. Noblesse très ancienne 18. Noblesse qui se compte par les aïeux |
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De 500 à 550 ans | 19. Noblesse de tradition
20. Noblesse historique |
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De … | 30. Noblesse perpétuée, dont les commencements sont inconnus |
Nota. 1° Que la haute noblesse se doit entendre des souverains, princes et princesses du sang et de tous autres issus des maisons souveraines ou qui ont eu des alliances très prochaines avec les maisons royales. C’est ce qu’on appelle encore maison illustre.
2° La Noblesse militaire est toute celle de l’article précédent ; et de plus les maisons qui ont eu pour prédécesseurs des connétables de France, grands maîtres de la maison du Roi, ducs et pairs, maréchaux de France, grands maîtres de l’artillerie, amiraux et autres grands officiers de la couronne ; idem, celle qui, sans avoir eu des officiers de la couronne pour prédécesseurs, ont eu des gouverneurs de provinces, généraux d’armée, lieutenants-généraux, gouverneurs de places et tous autres dont la noblesse a été acquise par les armes.
3° La Noblesse civile est celle qui est issue des chanceliers de France, premiers présidents des compagnies souveraines, conseillers d’État, présidents à mortier, ambassadeurs, gens de lettres, etc. ; et dans ce genre est aussi comprise celle qui provient de certaines charges qui anoblissent comme les maires de Poitiers, de Bordeaux, de Tours, etc., prévôts des marchands de Paris, de Lyon, secrétaires du Roi, etc. Il est à remarquer que les filles de ceux-ci n’ont point d’entrée dans les chapitres de Mons, Maubeuge et Nivelles, ni même dans ceux de Lorraine, qui tous sont de fondation royale ou souveraine très ancienne.
4° La Noblesse titrée sont les chevaliers, barons, vicomtes, comtes, marquis, ducs, etc. ; simples gentilshommes, ceux qui, sans avoir ces titres, ont d’ailleurs toutes les qualités de la noblesse. Il y en a beaucoup de ceux-ci dont les familles sont aussi anciennes que celles des plus qualifiées ; aussi n’en sont-ils distingués que par l’état de leur fortune.
Voilà les différences plus remarquables de la noblesse. Pour la contenir et l’empêcher de se mésallier et faire qu’elle soit toujours utile à l’État et jamais inutile, il serait à désirer, en premier lieu, qu’elle fût exempte de l’arrière-ban, supposant les revenus du Roi établis comme nous le pourrons un jour dire ailleurs ; en deuxième lieu, augmenter ses justices, et faire qu’elle pût juger en dernier ressort, savoir : les simples justices jusqu’à 6 livres, les châtellenies jusqu’à 10 livres, les baronnies à 15 livres, les comtés à 20 livres, les marquisats à 25 livres et les duchés et pairies à 50 livres ; en troisième lieu, qu’elle fût privilégiée pour l’exemption de ses maisons et jardins jusqu’à la quantité de quatre arpents de terre aux environs du principal manoir ; en quatrième lieu, par la distinction des habits, en sorte qu’à eux fût seulement permis de porter le rouge, comme les gens de guerre, la dorure sur les habits limitée par de certaines règles, les carrosses, livrées et des plumes ; en cinquième lieu, que les filles d’ancienne noblesse pussent la communiquer aux anoblis qui les épouseraient, de la manière qui suit : par exemple, supposant qu’un anobli épousât fille noble de la neuvième génération, joignant le degré du mari au neuvième de la femme, la moitié de la somme, 5, serait les degrés de noblesse attribués aux enfants provenant de ce mariage, qui par ce moyen gagneraient quatre degrés tout d’un coup, et si un noble de la troisième génération épousait une fille de la quinzième, la moitié du total des degrés ferait ceux de la noblesse des enfants qui en proviendraient.
Nota. Qu’il faudrait donner à ces degrés entés toute la force de la noblesse directe de cet âge, afin que celle-ci fût reçue sans difficulté dans tous les collèges et preuves de noblesse ; sixièmement, qu’il fût permis aux pauvres gentilshommes ruinés de laisser dormir leur noblesse pendant un certain temps pour commercer jusqu’à ce qu’ils eussent acquis du bien pour la pouvoir soutenir, et après de la reprendre, faisant déclaration de l’un et de l’autre dans les justices supérieures de son pays, comme on fait en quelque province de ce royaume ; septièmement, que tous domestiques du Roi, de quelque qualité que ce pût être, fussent tous nobles ou gentilshommes bien prouvés ; huitièmement, que tous les grands domestiques des enfants de France, à commencer depuis les valets de chambre en haut, le fussent aussi ; neuvièmement, que ceux des princes du sang, à commencer depuis les maîtres d’hôtel en haut, le fussent de même ; dixièmement, que tous les chevaliers du royaume avec leurs revenus leur fussent affectés par préférence en faisant les preuves ordinaires ; onzièmement, tous les bénéfices au-dessus de 10.000 livres de rente ; douzièmement, que tous les officiers des gardes du Roi, gendarmes et chevau-légers fussent de très bonne noblesse et bien prouvée, et tous les cavaliers des gardes du corps, gendarmes et chevau-légers, des anoblis ou fils d’anoblis, nobles et simples gentilshommes, de la première, deuxième, troisième et quatrième génération, etc. ; treizièmement, tous les officiers des troupes par préférence aux roturiers, soit de terre ou de mer, pourvu qu’ils eussent les qualités requises ; quatorzièmement, tous les gens du Roi des parlements ; quinzièmement, tous les officiers de la couronne généralement quelconques.
De plus fonder en France trois ou quatre maisons de chanoinesses pour les pauvres filles de qualité, distinguées, à l’imitation de celles de Mons, Maubeuge et Nivelles, de 50 ou 60 filles chacune, à raison de 1 000 à 1 200 livres de rente chacune, par prébende, dont une douzaine seulement pourraient faire des vœux, et les autres se marier quand elles en trouveraient l’occasion. Faire un revenu considérable pour les abbesses et prieures, et leur donner le titre de comtesse avec un rang honorable, et à toutes les chanoinesses titre de dame, et affecter de leur faire épouser des seigneurs et gens de qualité très accommodés.
Et, pour conclusion, ne jamais donner la noblesse ni aucun moyen d’anoblissement que pour des services considérables rendus à l’État, tels à peu près que les suivants :
1° Pour un avis véritable donné au Roi touchant quelque entreprise importante sur sa personne ou sur l’État par ses ennemis, ou pour avoir découvert une conspiration ou quelque entreprise considérable sur une place ;
2° Pour de longs services militaires bien marqués, sans fraude et sans tache ;
3° Pour des ambassades ou des négociations importantes bien conduites qui auraient heureusement réussi ;
4° Pour avoir exercé de grandes magistratures un long temps avec habileté et une conduite irréprochable ;
5° Un don fait à l’Etat comme de 100 ou 200 000 écus dans un pressant besoin ;
6° Une adoption de l’État pour héritier, auquel on laisserait de grands biens ;
7° Pour avoir trouvé quelque excellente mine d’or ou d’argent dans le royaume, auparavant inconnue, ou quelque chose équivalent ;
8° Inventé quelque art ou manufacture très utile à l’État, entrepris et achevé quelque ouvrage de grande utilité et réputation, ou découvert quelque terre auparavant inconnue dont la possession peut être utile à l’État ;
9° Pour avoir surpris une place ennemie ou battu un gros corps d’iceux avec un nombre fort inférieur, défendu extraordinairement une place, forcé un poste ou quelque détroit bien gardé, enfin pour quelque action de valeur extraordinaire plusieurs fois réitérée qui fît honneur à la nation ;
10° Un marchand qui, en commerce légitime, aurait gagné 200 000 écus, bien prouvé, à condition de continuer le même commerce sa vie durant ;
11° Une action de générosité extraordinaire et bien prouvée qui peut être de quelque utilité à l’État et glorieuse a la nation ;
12° Un homme qui aurait la hardiesse d’enlever un traître à l’État au milieu des ennemis ;
13° Un homme qui excellerait dans les belles-lettres et qui se serait rendu fameux par quelques excellents ouvrages.
Et, afin que les gens de guerre roturiers, mais d’un grand mérite, puissent parvenir à tous les degrés de noblesse marqués dans ce traité, et participer par conséquent à tous les honneurs et privilèges y attribués, voici l’ordre qu’on pourrait observer en faveur de ceux qui commettent si souvent leur vie, leur honneur, voire leur salut pour le soutien de l’État, qui est tout ce que les hommes ont de cher et de plus précieux en ce monde
Tout homme de guerre, de vie irréprochable qui aurait été vingt ans ingénieur militaire, ou capitaine d’infanterie, ou de dragons ou de cavalerie, ou commissaire d’artillerie, grades que nous considérons tous comme équivalents, et qui pendant ce temps-là aurait donné plusieurs marques de valeur et fait quantité de bonnes actions bien prouvées, la qualité d’anobli ; et quand il serait parvenu à être lieutenant-colonel, celle de fils d’anobli, bien entendu qu’il ne pourrait jouir de cette qualité qu’après les vingt années de capitaine ou équivalent expirées ; colonel, celle de noble ; brigadier, celle de gentilhomme ; maréchal de camp, celle de noblesse établie ; lieutenant-général, celle de noblesse à chevalerie. Mais si ce même homme devient maréchal de France, attribuer à sa noblesse toute la dignité de la dixième génération, en considération de ce que la dignité de maréchal de France est une charge de la couronne qui le fait général d’armée, né conseiller d’État et juge de la noblesse dans les affaires d’honneur. Que si ce même homme parvenait à la dignité de connétable, il faudrait par la même raison lui donner toute la noblesse de la vingtième génération, et voilà de quelle manière les roturiers pourraient, par le mérite, égaler leur condition à celle des plus anciennes maisons ; privilège qui ne doit être attribué qu’aux gens de guerre seulement, et ce pour le prix de leur sang tant de fois exposé et si souvent répandu.
RÉFLEXION
Cette manière de faire des nobles serait bien différente de celle qui se pratique aujourd’hui. Dans les siècles un peu reculés, la noblesse était le prix d’une longue suite de services importants et la récompense de la valeur et du sang répandu pour le service de l’État, Il fallait avec cela avoir mené une vie irréprochable, être né d’honnêtes parents qui ne fussent ni de condition servile ni de profession basse et abjecte. Aujourd’hui on n’y fait pas tant de façon, et la noblesse s’acquiert bien plus facilement. Ce n’est plus ou du moins c’est fort peu cette valeur si dangereuse, et ce mérite qui coûte tant à acquérir, qui font les nobles ; ce n’est point la longueur des services rendus à l’État, ni les blessures reçues pour sa défense et encore moins la vertu, ni cette probité si recommandable, ni une vie sans reproches, qui mènent à la véritable noblesse. Il n’est plus question de tout cela. Ce qui ferait la juste récompense des grandes actions et du sang versé pendant plusieurs années de services se donne présentement pour de l’argent. Il suffit d’en avoir pour tout mérite. C’est pourquoi les secrétaires des intendants, les trésoriers, commissaires des guerres, receveurs des tailles, élus, gens d’affaires de toute espèce, commis, sous-commis de ministres et secrétaires d’État, même leurs domestiques et autres gens de pareille étoffe obtiendront plus facilement la noblesse que le plus brave et honnête homme du monde qui n’aura pas de quoi la payer ; car il ne faut que de l’argent, et ces gens-là n’en manquent pas ; les charges de secrétaires du Roi, qui sont encore d’ordinaire au plus offrant et dernier enchérisseur, sont des moyens sûrs pour y parvenir ; il n’y a qu’à en acheter une pour être noble comme le Roi, et quiconque a de l’argent en peut acheter : il ne faut que s’y présenter. J’ai vu des hommes travailler de leurs bras pour gagner leur vie qui sont parvenus à être secrétaires du Roi ; et tout homme qui par son industrie aura trouvé moyen d’amasser du bien, n’importe comment, trouvera à coup sûr celui d’anoblir ses larcins par l’achat d’une de ces charges, ou par obtenir des lettres de noblesse, de façon ou d’autre, s’il s’en veut donner la peine, en les payant. Il y a même je ne sais combien de charges de robe et de finance dans le royaume qui anoblissent ; mais, comment le dirai-je, pas une seule de guerre, pas même, je crois, celle de maréchal de France : chose étonnante, s’il en fut jamais, vu les fins pour lesquelles la noblesse a été créée, qui sont toutes militaires, et pour cause de services rendus à la guerre, qu’il faut prouver pour en obtenir les lettres !
Nos premiers rois, qu’on peut dire les auteurs de la noblesse française, allemande et italienne, je dis de cette noblesse militaire si recommandable par sa valeur, qui est celle dont j’entends parler, ne l’ont établie que pour intéresser par ces marques d’honneur et de distinction ce qu’il y avait de plus braves et de plus vaillants hommes parmi leurs sujets à la conservation de leur personne et de leur État. Ce sont là les fondements de la noblesse de tout pays, d’autant plus raisonnable qu’elle a été de tout temps considérée comme l’épée et le bouclier des États.
Il est d’ailleurs très certain que les biens seuls, sans autre distinction, ne satisfont point les courages élevés qui se sentent du mérite et de grandes actions par devers eux. Il leur faut de l’élévation et quelque chose qui les distingue du commun des autres hommes ; et c’est pourquoi nos premiers rois, ayant d’une part reconnu la justice et de l’autre l’utilité qui leur en revenait, se firent un mérite de l’établir, et, après l’avoir établie, de la perpétuer et de l’approcher d’eux par préférence aux autres conditions de l’État. Ils leur firent part de leur fortune et de leur gouvernement ; ils leur commirent la garde de leur personne et la défense du royaume, et continuèrent à les honorer jusqu’à les qualifier d’amis et de cousins, prendre des alliances avec eux, et en faire leurs compagnons d’armes, les considérant comme les vrais supports de l’État ; et, en effet, c’est une chose admirable que, pendant sept à huit cents ans, le royaume, qui a tant essuyé de si longues et cruelles guerres contre ses voisins, n’ait employé que sa noblesse à sa défense, et qu’il s’en soit toujours si bien trouvé.
Depuis qu’on a commencé à se servir de troupes réglées, c’est elle qui, comme une pépinière inépuisable de vaillants hommes, en a fourni les officiers, grands et petits ; de terre et de mer. Combien de connétables, d’amiraux, de maréchaux de France et généraux d’armée, de grands maîtres, gouverneurs de provinces, lieutenants-généraux sont sortis de cet illustre corps ! Qui pourrait nombrer tout ce qu’elle a fourni d’officiers d’un caractère au-dessous de ceux-là ? Combien d’excellents hommes de toute espèce en sont sortis, et à quelles actions de valeur ne se sont-ils pas portés, et, dans ces derniers temps, avec quelle ardeur n’ont-ils pas rempli les troupes du Roi ! Qui pourrait nombrer toutes les belles actions que tant de milliers de gentilshommes ont faites ? Y a-t-il quelques lieux dans le monde où on ait fait la guerre où cette illustre noblesse ne se soit pas signalée avec une valeur toujours distinguée ? Ce nombreux corps d’officiers de terre et de mer n’a-t-il pas toujours surpassé celui des ennemis en courage, en valeur et en fidélité ? Toute la terre est remplie du bruit de leur renommée, et les ennemis mêmes en sont témoins, et savent que c’est par eux qu’ils ont tant de fois été vaincus.
C’est donc avec beaucoup de raison que les rois l’ont établie, qu’ils l’ont considérée comme leur bras droit, qu’ils en ont fait leurs amis et compagnons, et qu’ils se les sont apparentés, tant ils en ont fait de cas ! Mais il faudrait continuer à les soutenir, les mieux conserver, avoir plus de soin de leur éducation et ne point les laisser avilir comme il paraît qu’on fait depuis quelque temps, même avec dessein, et surtout ne pas introduire dans ce corps tant de gens si peu dignes d’y entrer, tant de gens qui, pour tout mérite, ont bien pillé le public et le particulier, sans avoir jamais hasardé un rhume pour le service de l’État, loin de s’être portés à aucune action de guerre, ni à rien d’important qui ait pu mettre leur vie en danger, ou les exposer à quelques périls, qui est cependant la seule voie légitime pour y parvenir.
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