Comment les prix doivent-ils être déterminés ?

Le texte suivant, dont le titre original est “How Should Prices Be Determined?”, a été publié par Henry Hazlitt dans la revue The Freeman en 1967, dont il était le rédacteur en chef. Henry Hazlitt était un fameux journaliste économique américain, d’obédience libertarienne, qui était particulièrement connu au cours du XXe siècle pour ses nombreuses publications dans les plus prestigieux journaux du pays (The Nation, New York Times, Wall Street Journal, Newsweek, etc.). Né en 1894, mort en 1993, après avoir publié pas moins de 25 ouvrages et des milliers d’articles, Hazlitt a exercé une influence considérable sur le conservatisme américain et le mouvement libertarien naissant. Son ouvrage le plus célèbre est L’économie en une leçon (Economics in One Lesson), un ouvrage libéral classique de vulgarisation économique, publié en 1946. Comme le dit Hazlitt dans le premier chapitre de cet ouvrage, « La leçon », en référence à Frédéric Bastiat, on distingue le bon économiste du mauvais économiste à ce qu’il est capable de considérer les conséquences lointaines des politiques économiques, « qui ne se voient pas » et pas seulement « celles qui se voient ».

Le papier que nous vous proposons de lire, dans une traduction française originale, est un argumentaire flamboyant en faveur de la liberté du marché, notamment en matière de libre détermination des prix des produits. Hazlitt y combat tout d’abord les politiques gouvernementales en matière de contrôle des prix, soit en soutenant les prix à la hausse, soit à la baisse, selon la conjoncture économique. Pour lui, cette politique des prix a un effet néfaste sur d’autres facteurs reliés aux prix, telles que l’offre, la demande et les coûts, et conduit à des déséquilibres économiques majeurs. Ses arguments sont nombreux et agrémentés d’exemples qui cherchent à démontrer les effets funestes de toute politique de prix sur les mécanismes consubstantiels à l’économie de marché. Son argumentation le conduit alors à considérer la question des marchés monopolistiques et oligopolistiques, et à montrer l’inanité des lois antitrust et des politiques anti-monopolistiques.


Comment les prix doivent-ils être déterminés ?

Par Henry Hazlitt*

Traduction de Marc Lassort, Institut Coppet

 

À cette question, nous pourrions faire une réponse courte et simple : les prix doivent être déterminés par le marché.

Cette réponse est assez juste, mais quelques précisions sont nécessaires pour répondre à ce problème pratique qui concerne la sagesse du gouvernement en matière de contrôle des prix.

Commençons notre propos par une affirmation élémentaire selon laquelle les prix sont déterminés par l’offre et la demande. Si la demande relative pour un produit augmente, les consommateurs seront prêts à payer davantage pour ce produit. Les offres concurrentielles vont à la fois les obliger individuellement à payer davantage pour le produit, et permettre aux producteurs d’en tirer davantage de profits. Cela va permettre aux producteurs du produit d’augmenter leurs marges de profit. Et cela va, à son tour, tendre à attirer davantage de firmes dans la fabrication de ce produit, tout en incitant les firmes déjà existantes à investir davantage de capital dans cette fabrication. La production accrue aura alors tendance à réduire encore le prix du produit, et ainsi à réduire les marges de profit. L’investissement supplémentaire dans de nouveaux équipements de fabrication peut en faire baisser le coût de production. Ou – en particulier s’il s’agit d’une industrie d’extraction telle que le pétrole, l’or, l’argent ou le cuivre – la demande et la production accrues peuvent en augmenter le coût de production. Dans tous les cas, le prix du produit aura un effet important sur la demande, la production, et le coût de production, tout comme ces facteurs vont à leur tour affecter le prix du produit. Tous les quatre – la demande, l’offre, le coût et le prix – sont interdépendants. Un changement dans l’un conduit à des changements dans les autres.

De la même façon que la demande, l’offre, le coût et le prix de chaque matière première sont tous interdépendants, les prix de chaque matière première dépendent les uns des autres. Ces relations sont à la fois directes et indirectes. Les mines de cuivre peuvent faire de l’argent un sous-produit. C’est la connexité de la production. Si le prix du cuivre monte trop, les consommateurs peuvent lui substituer l’aluminium pour de nombreux usages. C’est la connexité de la substitution. Le drap et le coton sont tous les deux utilisés dans la confection des chemises inlavables. C’est la connexité de la consommation.

En plus de ces connexions relativement directes entre les prix, il y a une interconnexion indéniable de l’ensemble des prix. Un facteur de production général, le travail, peut être détourné, à court terme ou à long terme, directement ou indirectement, d’un secteur à l’autre. Si le prix d’une matière première augmente, et que les consommateurs refusent ou sont incapables d’y substituer une autre matière première, ils seront contraints de consommer un peu moins d’autre chose. Tous les produits sont en compétition pour l’argent du consommateur ; et un changement dans un prix affectera un nombre incertain d’autres prix.

Pas un seul prix, en conséquence, ne peut être considéré comme un fait isolé. Chaque prix est en corrélation avec d’autres prix. C’est précisément à travers ces interrelations que la société est capable de résoudre le problème extrêmement complexe et en constante évolution de l’allocation de la production entre des milliers de produits et de services différents, afin que chaque produit et service puisse être proposé en fonction de la satisfaction urgente des besoins et des désirs des consommateurs.

De la même façon que le désir, le besoin, l’offre et le coût de chaque produit ou service changent constamment pour les individus, les prix et les relations entre les prix évoluent en permanence. Ils changent tous les ans, tous les mois, toutes les semaines, tous les jours et toutes les heures. Les gens qui pensent que les prix restent en permanence à un prix fixe, ou qu’ils peuvent être maintenus artificiellement à un certain niveau, pourraient efficacement consacrer une heure à observer le téléscripteur de la Bourse, ou à lire le rapport qui est fait quotidiennement dans les journaux à propos de l’actualité du marché des changes, c’est-à-dire du marché du café, du cacao, du sucre, du blé, du maïs, du riz et des œufs ; du coton, du cuir, de la laine et du caoutchouc ; du cuivre, de l’argent, du plomb, et du zinc. Ils s’apercevraient alors qu’aucun de ces prix ne se maintient longtemps. C’est la raison pour laquelle les tentatives constantes des gouvernements pour abaisser, augmenter ou geler un prix donné, ou pour geler l’interdépendance des salaires et des prix à une date donnée (d’où l’expression de « maintenir la position »), perturbent le marché quand elles ne sont pas purement futiles.

La politique de soutien des prix pour les produits d’exportation

Commençons ici par considérer les efforts gouvernementaux pour maintenir des prix élevés, ou pour les augmenter. Les gouvernements essaient de le faire le plus fréquemment possible pour les matières premières, qui comptent parmi les principaux produits d’exportation pour un pays. Ainsi, le Japon l’a fait une fois pour la soie, et l’Empire Britannique pour le caoutchouc naturel ; le Brésil l’a fait et le fait toujours périodiquement pour le café ; et les États-Unis l’ont fait et le font toujours pour le coton et le blé. La théorie est que l’augmentation du prix d’exportation de ces matières premières peut seulement faire du bien, et ne peut faire aucun mal au pays, parce que cela va augmenter les revenus des producteurs domestiques et le faire presque entièrement au détriment des consommateurs étrangers.

Tous ces programmes suivent une même direction. Ils découvriront bientôt que le prix d’une matière première ne peut être augmenté à moins que l’offre soit d’abord réduite. Cela peut conduire les gouvernements à commencer par imposer une restriction de la superficie. Mais la hausse des prix incite les producteurs à accroître leur production moyenne par acre en plantant le produit soutenu par le gouvernement seulement dans les acres les plus productifs, et en employant davantage de fertilisants, d’irrigation, et de main d’œuvre. Quand les gouvernements découvrent que c’est ce qu’il se passe, ils changent de position en imposant des contrôles quantitatifs absolus sur chaque producteur. Cette politique se fonde habituellement sur la production précédente de chaque producteur à travers une série d’années. Le résultat de ce système de quotas est d’écarter toute nouvelle concurrence ; de bloquer tous les producteurs existants dans leur position relative précédente, et par conséquent de maintenir des coûts de production élevés en supprimant les principaux mécanismes et les incitations à réduire de tels coûts. Les réajustements nécessaires ne peuvent donc pas se faire.

Pendant ce temps-là, toutefois, les forces de marché continuent de fonctionner dans les pays étrangers. Les étrangers refusent de payer un prix plus élevé. Ils réduisent leurs achats de la matière première valorisée dans le pays en question, et cherchent alors d’autres sources d’approvisionnement. La hausse artificielle du prix incite les autres pays à produire la matière première valorisée plutôt que de l’acheter. Ainsi, le programme gouvernemental britannique de soutien des prix du caoutchouc a conduit les producteurs danois à augmenter leur production de caoutchouc dans les colonies danoises. Cela a non seulement entraîné la baisse des prix du caoutchouc mais a également conduit les Britanniques à perdre définitivement leur ancienne position de monopole de la production de caoutchouc. En outre, le programme britannique de soutien des prix a suscité du ressentiment aux États-Unis, le principal consommateur de caoutchouc, et a stimulé le développement du caoutchouc synthétique. Dans le même temps, sans entrer dans le détail, les programmes brésiliens de soutien des prix du café et les programmes américains de soutien des prix du coton ont conduit à une incitation à la fois politique et en matière de prix à l’égard des autres pays en suscitant ou en augmentant la production de café et de coton, et le Brésil et les États-Unis ont perdu tous les deux, en même temps, leurs positions monopolistiques.

Pendant le même temps, aux États-Unis, tous ces programmes de soutien des prix exigeaient la mise en place d’un système élaboré de contrôles ainsi qu’une bureaucratie élaborée pour les formuler et les appliquer. Car le système de contrôles et la bureaucratie doivent être élaborés de telle manière à ce que chaque producteur particulier soit contrôlé. Une illustration de ceci peut être trouvée au Département de l’Agriculture des États-Unis. En 1929, avant que la plupart des programmes de contrôle ne soient mis en place, on comptait 24 000 employés au Département de l’Agriculture. Aujourd’hui, ils sont 109 000. Ces énormes bureaucraties ont bien entendu un intérêt manifeste à trouver des raisons pour que les contrôles qu’elles s’emploient à renforcer soient continués voire étendus. Et bien sûr, ces contrôles restreignent la liberté individuelle et font jurisprudence dans le but de renforcer les restrictions existantes.

Aucune des conséquences évoquées ne semble décourager les efforts gouvernementaux pour stimuler la hausse des prix de certains produits au-delà de ce que seraient autrement les niveaux de prix d’un marché compétitif. Nous avons toujours des accords internationaux sur le café et sur le blé. Une première ironie est que les États-Unis faisaient partie des sponsors de l’organisation des accords internationaux sur le café, alors que son peuple compte parmi les principaux consommateurs de café et donc parmi les plus grandes victimes directes de l’accord. L’autre ironie est que les États-Unis imposent des quotas d’importation sur le sucre, qui entraînent nécessairement une discrimination en faveur des nations exportatrices de sucre, et donc au détriment des autres nations. Ces quotas contraignent les consommateurs américains à payer le sucre plus cher pour qu’une petite minorité de producteurs américains de sucre de canne puissent bénéficier de prix plus élevés.

Je n’ai pas besoin de souligner que ces tentatives pour « stabiliser » ou pour augmenter les prix des produits basiques de l’agriculture politisent tous les prix et toutes les décisions de production tout en créant le conflit entre les nations.

Maintenir la baisse des prix

Maintenant, tournons-nous vers les efforts gouvernementaux pour réduire les prix ou tout au moins pour les empêcher de monter. Ces efforts se produisent de manière répétée dans la plupart des nations, non seulement en temps de guerre, mais également en temps d’inflation. Le processus typique est quelque chose comme cela. Le gouvernement, pour n’importe quelle raison, promeut des politiques publiques qui renforcent la quantité de monnaie et de crédit. Cela commence inévitablement par une hausse des prix. Mais ce n’est pas très populaire auprès des consommateurs. Par conséquent, le gouvernement assure le peuple que cela va « maintenir la position » contre de nouvelles hausses des prix.

Cela commence avec le pain, le lait, ainsi que d’autres produits de première nécessité. La première chose qui se passe, en admettant que le gouvernement puisse appliquer ses décrets, est que la marge de profit dans la production des produits de première nécessité s’effondre, ou est éliminée, pour les producteurs marginaux, tandis que la marge de profit pour la production de produits de luxe reste inchangée, ou augmente. Cela réduit et décourage la production des produits de première nécessité contrôlés par le gouvernement, et encourage relativement l’augmentation de la production des produits de luxe. Mais c’est exactement le résultat opposé de ce que les contrôleurs des prix avaient en tête. Si le gouvernement essaie ensuite de prévenir ce découragement de la production des produits de première nécessité (qu’il contrôle) en allégeant le coût des matières premières, de la main d’œuvre, et des autres facteurs de production, il doit commencer à contrôler les prix et les salaires dans des cercles de plus en plus larges jusqu’à ce qu’il finisse par essayer de contrôler le prix de tout.

Mais s’il tente de contrôler l’ensemble des prix, avec régularité et constance, le gouvernement va se trouver dans une situation où il devra essayer de contrôler des millions de prix et des milliards de prix interdépendants à la fois. Il va alors fixer des allocations rigides et des quotas pour chaque producteur et pour chaque consommateur. Bien sûr, ces contrôles vont s’étendre dans les moindres détails à la fois aux importateurs et aux exportateurs.

Si un gouvernement continue de créer plus de monnaie d’un côté tout en soutenant solidement la baisse des prix de l’autre côté, cela causera un mal immense à l’économie. Et notons également que, même si le gouvernement n’augmente pas la quantité de monnaie, mais essaie de maintenir à leur niveau des prix absolus ou relatifs, ou met en place une « politique des revenus » ou une « politique des salaires » en les planifiant de manière mécanique, il va causer un mal terrible. Pour un marché libre, même quand le soi-disant « niveau » du prix ne change pas, tous les prix évoluent constamment l’un par rapport à l’autre. Ils répondent à l’évolution des coûts de production, de l’offre, et de la demande pour chaque produit ou service.

Et ces changements de prix, à la fois absolus et relatifs, sont généralement à la fois nécessaires et désirables. Parce qu’ils attirent du capital, de la main d’œuvre, et d’autres ressources, en dehors de la production de biens et de services moins désirés par les consommateurs mais en comprenant la production de biens et de services davantage désirés. Ils ajustent la balance de la production aux variations incessantes de la demande. Ils produisent des milliers de biens et de services dans les quantités relatives que désire la société. Ces montants relatifs changent tous les jours. Par conséquent, les ajustements du marché et les incitations en matière de prix et de salaires qui mènent à de tels ajustements doivent changer tous les jours.

Le contrôle des prix fausse la production

Le contrôle des prix réduit toujours, déséquilibre, fausse, et désorganise la production. Le contrôle des prix devient progressivement nuisible avec le temps. Même un prix fixe, ou une relation de prix, qui peut être « juste » ou « raisonnable » le jour où il est défini, peut devenir progressivement déraisonnable voire impraticable.

Ce que les gouvernements ne réalisent jamais est que, pour autant qu’un produit particulier soit concerné, le remède pour des prix élevés consiste en des prix élevés. Les prix élevés conduisent à une économie de la consommation et stimule et accroît la production. Ces deux résultats accroissent l’offre et tendent à faire baisser les prix à nouveau.

Très bien, quelqu’un pourrait dire : donc le contrôle des prix gouvernemental est néfaste dans la plupart des cas. Mais jusqu’à présent, vous avez parlé comme si le marché était régi par une concurrence parfaite. Mais que penser des marchés monopolistiques ? Que penser des marchés dont les prix sont contrôlés ou fixés par des grandes sociétés ? Est-ce que le gouvernement ne doit pas intervenir ici, si ce n’est pour faire respecter la concurrence, au moins pour que le prix corresponde au prix en situation de concurrence réelle ?

Les craintes de la plupart des économistes à propos des maux du « monopole » ont été injustifiées et certainement excessives. En premier lieu, il est très difficile d’élaborer une définition satisfaisante du monopole économique. S’il y a seulement une seule pharmacie, un seul salon de coiffure, ou une seule épicerie dans une petite ville isolée (et c’est une situation typique), ces magasins peuvent être considérés comme bénéficiant d’un monopole dans la ville. Mais encore une fois, tout le monde peut bénéficier d’un monopole de ses propres qualités et de ses talents. Yehudi Menuhin a le monopole du jeu de violon de Yehudi Menuhin ; Picasso a le monopole de la réalisation des peintures de Picasso ; Elizabeth Taylor a le monopole de sa beauté particulière et de son sex-appeal ; il en va de même pour les moindres qualités et les moindres talents des individus et des entreprises dans d’autres secteurs.

D’un autre côté, à peu près tous les monopoles économiques sont limités par la possibilité de la substitution. Si la tuyauterie en cuivre est vendue trop chère, les consommateurs peuvent lui substituer l’acier ou le plastique ; si le prix du bœuf est trop élevé, les consommateurs peuvent lui substituer de l’agneau ; si la fille originelle de tes rêves te rejette, tu peux toujours marier quelqu’un d’autre. Ainsi, à peu près n’importe qui, un producteur, ou un vendeur peut jouir d’un quasi-monopole à l’intérieur de certaines limites internes, mais très peu de vendeurs sont en mesure d’exploiter le monopole qui va au-delà de certaines limites externes. Il y a eu une formidable littérature dans les dernières années pour déplorer l’absence de concurrence parfaite ; il aurait pu en être de même pour l’absence de monopole parfait. Dans la vie réelle, la concurrence n’est jamais parfaite, mais le monopole non plus.

Incapables de trouver de nombreux exemples de monopole parfait, certains économistes ont eu peur pour eux-mêmes dans les dernières années et ont alors évoqué le spectre de « l’oligopole », la concurrence de quelques-uns. Mais ils en sont venus à des conclusions alarmantes en insérant dans leurs propres hypothèses toutes sortes d’accords secrets imaginaires ou toutes sortes d’ententes tacites entre de larges unités de production, déduisant par là ce que les résultats pourraient être.

Maintenant, le nombre de concurrents dans une industrie particulière a peu à voir avec l’existence d’une concurrence effective. Si General Electric et Westinghouse se font effectivement concurrence, si General Motors et Ford et Chrysler se font concurrence, si Chase Manhattan et la First National City Bank se font concurrence, et ainsi de suite (et quiconque ayant eu une expérience directe avec ces grandes entreprises ne peut douter qu’elles agissent de manière dominante), alors les résultats pour les consommateurs, non seulement dans le prix, mais dans la qualité du produit ou du service, sont non seulement aussi bons pour celui qui serait concerné par la concurrence atomistique, mais bien meilleurs, parce que les consommateurs ont l’avantage de larges économies d’échelle, et de larges échelles en matière de recherche et de développement que les petites entreprises ne peuvent pas se permettre.

Un jeu étrange de numéros

Les théoriciens des oligopoles ont eu une influence funeste sur la division américaine antitrust et sur les décisions de justice. Les procureurs et les tribunaux ont joué récemment à un étrange jeu de numéros. En 1965, par exemple, un tribunal de district fédéral a soutenu qu’une fusion qui avait eu lieu quatre ans auparavant entre deux banques de New York était illégale, et qu’elle devait maintenant être dissoute. La banque fusionnée n’était pas la plus grande de la ville, mais seulement la troisième plus grande banque ; la fusion avait en effet permis à la banque de rivaliser plus efficacement avec ses deux principaux compétiteurs ; ses actifs fusionnés constituaient encore seulement un huitième de ceux de toutes les banques de la ville ; et la fusion elle-même avait réduit le nombre de banques séparées à New York de 71 à 70. (Je devrais ajouter que quatre ans après la fusion, le nombre de bureaux de succursales bancaires à New York avait augmenté de 645 à 698.) Le tribunal a convenu avec les avocats de la banque que « le grand public et les petites entreprises ont bénéficié » des fusions de la banque dans la ville. Néanmoins, la cour a continué en disant que « les pratiques inoffensives en elles-mêmes, ou même celles qui confèrent des avantages à la communauté, ne peuvent être tolérées quand elles ont tendance à créer un monopole ; ceux qui restreignent la concurrence contreviennent à la loi, en dépit de l’éventuelle bienfaisance qu’ils peuvent procurer. »

C’est une chose étrange, d’ailleurs, que bien que les politiciens et les tribunaux pensent qu’il est nécessaire d’interdire une fusion existante afin d’augmenter le nombre de banques dans la ville de 70 à 71, ils n’aient pas une telle insistance quand cela concerne le grand nombre de partis politiques en concurrence. La théorie américaine dominante est que deux partis politiques seulement sont suffisants pour donner à l’électeur américain un véritable choix ; et que quand il y a plus que cela, cela provoque simplement la confusion, et les gens n’en bénéficient pas vraiment. Il y a beaucoup de vérité dans cette théorie politique quand elle est appliquée dans le domaine économique. Si elles sont vraiment en concurrence, seules deux entreprises d’un secteur sont suffisantes pour créer une concurrence effective.

L’établissement monopolistique des prix

Le vrai problème n’est pas de savoir s’il y a ou non un « monopole » dans un marché, mais plutôt de savoir s’il y a un établissement monopolistique des prix. Un prix de monopole peut surgir quand la réactivité de la demande est telle que le monopoliste peut obtenir un revenu net plus élevé en vendant une petite quantité de son produit à un prix plus élevé plutôt qu’en vendant une plus large quantité à un prix inférieur. On suppose que de cette manière le monopoliste peut réaliser un prix supérieur à celui qui aurait prévalu en situation de « concurrence parfaite ».

La théorie selon laquelle il peut y avoir un prix de monopole supérieur à ce qu’aurait été un prix compétitif est certainement valable. La vraie question est : quelle est l’utilité de cette théorie soit pour le supposé monopoliste dans l’établissement de sa politique de prix, soit pour le législateur, le procureur, ou le tribunal qui élabore des politiques anti-monopoles ? Le monopoliste, pour être en mesure d’exploiter sa position, doit savoir ce que la « courbe de la demande » signifie pour son produit. Il ne sait pas ; il peut seulement deviner ; il doit donc essayer de trouver en essayant et en se trompant. Et ce n’est pas seulement la réponse impassible du prix des consommateurs que le monopoliste garde à l’esprit ; c’est aussi que l’effet des politiques de tarification sera probablement en capacité de gagner la bonne volonté ou bien de susciter le ressentiment du consommateur. Plus important encore, le monopoliste doit considérer l’effet de ses politiques de tarification soit en encourageant soit en décourageant l’entrée des concurrents dans le domaine concerné. Il peut en fait décider qu’une politique sage sur le long terme serait de ne pas fixer un prix supérieur à ce qu’il pense que la concurrence pure et parfaite fixerait en temps normal, et peut-être même de fixer un prix légèrement inférieur.

Dans tous les cas, en l’absence de concurrence, personne ne sait ce que serait le prix « compétitif » s’il existait. Pour cette raison, personne ne sait exactement de combien un prix monopolistique existant serait supérieur à un prix « compétitif », et personne ne peut savoir avec certitude s’il serait même supérieur !

Pourtant, la politique antitrust, aux États-Unis, au moins, suppose que les tribunaux ne peuvent pas savoir de combien un monopole présumé ou un prix « conspirant » serait supérieur par rapport au prix compétitif qui pourrait avoir eu lieu. Car, lorsqu’il y a un complot présumé pour fixer les prix, les acheteurs sont encouragés à poursuivre pour récupérer trois fois le montant qu’ils auraient été obligés de « surpayer ».

Nos analyses nous conduisent à la conclusion que les gouvernements devraient, autant que possible, s’abstenir d’essayer de fixer des prix minimum ou maximum, pour quoi que ce soit. Là où ils ont nationalisé un service – le bureau de poste ou les chemins de fer, le téléphone ou l’électricité – ils auront bien entendu établi des politiques de prix. Et là où ils ont accordé des franchises monopolistiques – pour les métros, les chemins de fer, le téléphone ou les compagnies électriques – ils auront bien entendu à considérer quelles sont les restrictions de prix qu’ils imposent.

Quant à la politique anti-monopole, quel que soit l’état actuel des choses dans les autres pays, je peux témoigner qu’aux États-Unis, cette politique a des difficultés à montrer une quelconque trace de consistance. Elle est incertaine, discriminatoire, rétroactive, capricieuse, et traversée par des contradictions. Aucune entreprise, aujourd’hui, même une entreprise de taille moyenne, ne peut savoir ni quand elle sera considérée comme ayant violé les lois antitrust, ni pourquoi. Tout dépend du biais économique qui pourrait traverser l’esprit d’un juge ou la justesse de jugement d’un tribunal.

Il y a une immense hypocrisie à ce sujet. Les politiciens font des discours éloquents contre le « monopole ». Ensuite, ils vont imposer des tarifs et des quotas d’importation visant à protéger le monopole et à écarter la concurrence ; ils vont accorder des franchises monopolistiques aux entreprises d’autobus ou aux compagnies téléphoniques ; ils vont approuver des brevets monopolistiques et des droits d’auteur ; ils vont essayer de contrôler la production agricole afin de permettre d’établir des prix agricoles monopolistiques. Et par-dessus tout, ils vont non seulement permettre mais imposer des monopoles sur le travail pour les employeurs ; et ils vont même permettre à ces monopoles d’imposer leurs conditions par l’intimidation physique et la coercition.

Je soupçonne que la situation intellectuelle et le climat politique à cet égard n’est pas très différente dans les autres pays. Pour nous sortir du chaos juridique existant, toute la tâche revient autant aux juristes qu’aux économistes. J’ai une modeste suggestion. Nous pouvons obtenir une aide importante de la vieille common law, qui prohibe la fraude, les fausses déclarations, toute intimidation physique et toute coercition. « La fin de la loi », comme John Locke nous le rappelait au XVIIe siècle, « n’est pas d’abolir ou de restreindre, mais de préserver et d’élargir la liberté. » Et on peut donc dire aujourd’hui que dans le domaine économique, le but de la loi ne devrait pas être la restriction, mais la maximisation de la liberté des prix et le marché libre.

Source : //mises.org/daily/6031/How-Should-Prices-Be-Determined

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