Gustave de Molinari, le premier « progressiste »

En février 1912, à la suite de la mort de Gustave de Molinari, l’homme politique belge Paul Janson se remémore un épisode de sa jeunesse : lorsqu’il avait assisté au meeting électoral finalement sans avenir de Molinari, qui cherchait alors à entrer à la Chambre.


Gustave de Molinari, le premier « progressiste »

par Paul Janson

(La Meuse, 2 février 1912)

Paul Janson est un de nos rares contemporains dont la conversation, même quand elle est exclusivement familière, s’agrémente de récits piquants, s’orne de détails savoureux et inédits.

J’en eus la preuve, il n’y a qu’un instant encore. Invité par lui à m’asseoir à ses côtés, il me vint à l’esprit de parler de Gustave de Molinari, le célèbre économiste liégeois qui vient de mourir à La Panne.

— L’avez-vous connu ? demandai-je au grand tribun.

— Gustave de Molinari ? … Mais c’est le premier progressiste.

— Le premier progressiste ? Que signifient ces mots ?

— Voici, et personne n’a rappelé ce fait. Gustave de Molinari fut candidat aux chambres législatives. Il y a de cela un peu plus de cinquante ans. J’étais étudiant. Il y avait, à Bruxelles, une association libérale ; le futur économiste, qui disposait déjà d’une certaine réputation, décida de mener campagne pour ses idées, et, en marge de l’organisme existant, il aspira à un siège parlementaire. Son programme répondait à notre programme progressiste, avec cette différence qu’il faut tenir compte de l’époque et des questions agitées alors devant l’opinion publique. J’assistai au meeting (le mot n’existait guère) qu’il donna dans une des salles publiques de la Capitale. Le bureau était composé du candidat, assisté de Charles Potvin, le littérateur, et de Delacroix, l’éditeur fameux des « Misérables ».

De Molinari présenta son programme avec éloquence ; ses idées répondaient aux aspirations de la jeunesse qui, avide d’émancipation, de liberté et d’indépendance, les acclama. Ses deux parrains, Potvin et Delacroix, prirent à leur tour la parole. Ce fut une séance inoubliable ; nous n’avions point encore entendu pareil langage. Il sortait des banalités de la politique courante ; un souffle nouveau l’imprégnait, qui réchauffait nos cœurs de vingt ans. Lorsque, à distance, je me remémore cette réunion, je me sens plein d’admiration pour De Molinari, qui m’apparaît comme le « premier progressiste ». C’est le plus bel hommage que je puisse rendre à la mémoire de ce savant dont j’ai l’honneur d’être le compatriote, puisque, comme lui, j’appartiens au pays de Liège… »

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