Alors que la guerre enflamme l’Ukraine, la Russie veut augmenter ses dépenses militaires de 44% sur les trois prochaines années. Plus inquiétant, les dépenses militaires mondiales vont repartir à la hausse en 2014, pour la première fois depuis cinq ans, selon une étude publiée par le groupe d’experts londonien IHS Jane’s, mardi 4 février 2014. En 2013, la Russie, l’Asie et le Moyen-Orient ont tiré à la hausse les marchés mondiaux de défense. Au Moyen-Orient, les crises régionales ont même conduit à une course accélérée aux armements.
« Je ne puis croire que l’industrie ait besoin, pour connaître et employer ses forces, de ce terrible stimulant des grands engins de guerre à construire », écrivait Frédéric Passy au début du XXe siècle. « Il y a, Dieu merci, assez d’autres buts qui sollicitent les efforts de l’industrie ; il y a assez de choses pour lesquelles les hommes ont besoin de leurs ressources, de leur intelligence, de leurs forces ».
Frédéric Passy, né le 20 mai 1822 à Paris, est un économiste, essayiste et député français qui consacra sa vie à la liberté et à la paix, ce qui lui vaudra la réception du premier prix Nobel de la Paix en 1901.
Il est l’auteur de nombreux textes d’économie politique, une science alors en plein développement au XIXe siècle. Souhaitant « limiter le rôle de l’État à ce qu’il doit faire, afin de le bien faire », la science économique revêt pour lui une dimension essentiellement morale. En effet, le commerce et la paix sont indissociables selon lui, parce que le commerce développe l’harmonie entre les nations et qu’en retour la vie économique nécessite le respect de ce droit fondamental qu’est la sécurité. En 1868, paraîtra le recueil de ses articles publiés dans le Journal des Économistes à la suite de son maître Frédéric Bastiat, sous le titre Mélanges économiques.
C’est précisément en 1867, devant la menace d’un conflit armé avec la Prusse, que Passy décide de créer à Paris la première Ligue internationale de la Paix, à l’exemple de la Ligue de Richard Cobden qu’il admirait tant. Elle deviendra en 1870 la Société française pour l’arbitrage entre les nations, dont il sera le président. C’est l’ancêtre de la Société des Nations.
Comment les nations peuvent-elles régler leurs différends sans recourir à la force ? Telle est la question qui traverse son œuvre de militant pour la paix. En 1877, il est reçu membre de l’Académie des sciences morales et politiques pour l’ensemble de ses travaux. Et en 1901, il devient co-titulaire du premier Prix Nobel de la Paix, avec le Suisse Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge internationale et initiateur de la première convention de Genève. Il s’éteint en 1912 à l’âge de 90 ans. Il était surnommé « l’apôtre de la paix ».
Une approche économique et morale
Dans une Conférence sur la paix et la guerre, faite à l’École de médecine de Paris, le 21 mai 1867, l’auteur souligne qu’il désire aborder la question de la paix, non pas du point de vue politique mais sur la base de principes économique, éthique et philosophique. Après avoir fait un descriptif des maux de la guerre, du gaspillage terrible des ressources humaines et matérielles, l’auteur s’attache à réfuter les affirmations des admirateurs de la guerre. La guerre, disent-ils, est pour les peuples une des conditions nécessaires de la puissance. Elle renforce les nations en élargissant leur domaine commercial et territorial et en développant leur caractère moral par une infusion de vertus « viriles » et énergiques.
Au contraire, selon Passy, le raisonnement économique montre que les activités militaires détruisent un capital précieux à des fins improductives. Il rejette ainsi la prétendue relance productive de la guerre et montre que la conquête de la Pologne n’a pas vraiment bénéficié à la Russie, ni celle de l’Irlande à la Grande-Bretagne, ni celle de l’Algérie à la France. La force des armes n’est pas non plus la bonne méthode pour ouvrir de nouveaux marchés.
Le « vrai patriotisme »
Passy prend soin de préciser que la guerre à laquelle il s’oppose est la guerre agressive, la guerre de conquête et non la guerre de légitime défense. En effet, « dans certains cas, lorsqu’il s’agit de défendre ou de recouvrer l’indépendance de son pays (…) ; lorsqu’il s’agit, comme l’a fait Jeanne d’Arc, de se lever pour repousser l’envahisseur, ou, comme Léonidas aux Thermopyles, de se placer en travers de son chemin et de fermer de son corps le passage qui ouvre le sol de la patrie », alors oui, admet-il, elle est le plus grand et le plus noble emploi des facultés humaines, le premier des devoirs, celui de la défense de la vie. Autrement dit, il faut circonscrire la guerre aux seuls cas où tous les autres moyens de règlement des conflits ont été épuisés et où elle n’apparaît plus que comme « l’ultime et cruelle extrémité ».
Passy expose alors ce qu’il considère comme « le vrai patriotisme ». Il prend pour modèle le roi de Sparte Léonidas qui n’a pas hésité à défendre sa patrie contre les envahisseurs : « Que voulez-vous ? Vous voulez nos armes, nos richesses, notre territoire ; venez les prendre, nous vous attendons. Oui, Messieurs, le vrai patriotisme, c’est celui-là ; c’est le patriotisme tranquille, le patriotisme paisible, le patriotisme de la paix ; c’est le patriotisme sans haine, mais non sans amour ; c’est le patriotisme qui n’en veut à personne, mais qui ne se courbe devant personne, et qui, de même qu’il respecte sincèrement les droits des autres nations, entend faire respecter ses droits par les autre nations ».
L’auteur conclut alors sa conférence par une note d’optimisme, fondée sur la considération de l’histoire et de la loi du progrès. « L’humanité, redisons-le à ceux qui croient que rien ne peut changer, a commencé par se déchirer jusque dans les derniers de ses membres ; elle forme aujourd’hui de grandes et vastes communautés au sein desquelles l’ordre est habituel au moins ; elle finira, suivant sa destinée, par former une seule et même famille ».
A lire : La Guerre et la Paix, de Frédéric Passy. Editions Berg International, 70 pages, 7 euros, en librairie le 18 juin.