Déclaration de principes
de l’Association pour la liberté des échanges (1846)
Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, éditions Institut Coppet, volume II, p.1-4
I. PRINCIPES
10 mai 1846.
Au moment de s’unir pour la défense d’une grande cause, les soussignés sentent le besoin d’exposer leur croyance ; de proclamer le but, la limite, les moyens et l’esprit de leur association.
L’Échange est un droit naturel comme la propriété. Tout citoyen, qui a créé ou acquis un produit, doit avoir l’option ou de l’appliquer immédiatement à son usage, ou de le céder à quiconque, sur la surface du globe, consent à lui donner en échange l’objet de ses désirs. Le priver de cette faculté, quand il n’en fait aucun usage contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, et uniquement pour satisfaire la convenance d’un autre citoyen, c’est légitimer une spoliation, c’est blesser la loi de la justice.
C’est encore violer les conditions de l’ordre ; car quel ordre peut exister au sein d’une société où chaque industrie, aidée en cela par la loi et la force publique, cherche ses succès dans l’oppression de toutes les autres !
C’est méconnaître la pensée providentielle qui préside aux destinées humaines, manifestée par l’infinie variété des climats, des saisons, des forces naturelles et des aptitudes, biens que Dieu n’a si inégalement répartis entre les hommes que pour les unir, par l’échange, dans les liens d’une universelle fraternité.
C’est contrarier le développement de la prospérité publique ; puisque celui qui n’est pas libre d’échanger ne l’est pas de choisir son travail, et se voit contraint de donner une fausse direction à ses efforts, à ses facultés, à ses capitaux, et aux agents que la nature avait mis à sa disposition.
Enfin c’est compromettre la paix entre les peuples, car c’est briser les relations qui les unissent et qui rendront les guerres impossibles, à force de les rendre onéreuses.
L’Association a donc pour but la Liberté des Échanges.
Les soussignés ne contestent pas à la société le droit d’établir, sur les marchandises qui passent la frontière, des taxes destinées aux dépenses communes, pourvu qu’elles soient déterminées par la seule considération des besoins du Trésor.
Mais sitôt que la taxe, perdant son caractère fiscal, a pour but de repousser le produit étranger, au détriment du fisc lui-même, afin d’exhausser artificiellement le prix du produit national similaire et de rançonner ainsi la communauté au profit d’une classe, dès cet instant la Protection ou plutôt la Spoliation se manifeste ; et c’est là le principe que l’Association aspire à ruiner dans les esprits et à effacer complétement de nos lois, indépendamment de toute réciprocité et des systèmes qui prévalent ailleurs.
De ce que l’Association poursuit la destruction complète du régime protecteur, il ne s’ensuit pas qu’elle demande qu’une telle réforme s’accomplisse en un jour et sorte d’un seul scrutin. Même pour revenir du mal au bien et d’un état de choses artificiel à une situation naturelle, des précautions peuvent être commandées par la prudence. Ces détails d’exécution appartiennent aux pouvoirs de l’État ; la mission de l’Association est de propager, de populariser le principe.
Quant aux moyens qu’elle entend mettre en œuvre, jamais elle ne les cherchera ailleurs que dans des voies constitutionnelles et légales.
Enfin l’Association se place en dehors de tous les partis politiques. Elle ne se met au service d’aucune industrie, d’aucune classe, d’aucune portion du territoire. Elle embrasse la cause de l’éternelle justice, de la paix, de l’union, de la libre communication, de la fraternité entre tous les hommes ; la cause de l’intérêt général, qui se confond, partout et sous tous les aspects, avec celle du Public consommateur.
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