Faits nouveaux

Ernest Martineau, « Faits nouveaux » (Le Courrier de La Rochelle, 20 avril 1905).


FAITS NOUVEAUX

Monsieur le directeur,

La pétition que vous avez publiée, dans votre dernier numéro, si nos concitoyens savent en faire valoir l’importance, doit avoir une influence décisive.

Le fait nouveau qu’elle signale est évident, puisque l’orientation économique, grâce à la confusion des marchés, est changée du tout au tout.

Sur le marché universel, comme dit le roi d’Italie, les producteurs agricoles et industriels de chaque nation se trouvent en concurrence avec leurs rivaux des autres nations ; dès lors, la barrière des tarifs de renchérissement du protectionnisme, loin d’être utile, est un instrument certain d’écrasement et de ruine

La création de l’Institut agricole international est la démonstration sans réplique de cette nouvelle orientation économique ; le fait que le gouvernement français, avec l’assentiment du pays, vient, après le président Loubet, d’y donner son adhésion en désignant la délégation chargée de représenter les agriculteurs français à Rome, est un événement considérable dont les défenseurs des ports de commerce doivent prendre acte.

Ce qui fait la puissance de ce fait nouveau, c’est qu’il est avoué par M. Méline, par M. de Vogüé, par les dirigeants du protectionnisme, qu’ainsi nous sommes dispensés d’en fournir la preuve.

Que cette pétition soit couverte de signatures, et le Parlement ne pourra, sous peine de déserter les intérêts de nos producteurs, refuser d’y faire droit.

D’ailleurs, si par impossible ce fait nouveau ne suffisait pas, nous en avons d’autres que nous saurons faire valoir.

Nous avons tout un ensemble de faits nouveaux, dont chacun est aussi décisif que le premier ; ces faits nouveaux ne sont pas avoués, il est vrai, mais il nous sera facile d’en faire la démonstration.

Nous pourrons prouver que ce régime porte un nom usurpé, que c’est par surprise, en trompant le pays et ses représentants, que les dirigeants du protectionnisme ont obtenu le vote des tarifs du protectionnisme.

Et d’abord une manœuvre a été employée, pour faire croire à l’existence d’un pouvoir imaginaire de nos protecteurs qui a trompé nos agriculteurs et nos industriels ; pour continuer à tromper l’opinion publique sur ce point, le leader du protectionnisme a fabriqué récemment une fausse arithmétique.

Je m’explique.

Le leader protectionniste a dit au Parlement et au pays :

Nous entendons, grâce à nos tarifs, développer la production et la richesse du pays, et ainsi augmenter la somme du travail national.

Voilà l’argument qui a entraîné le vote de la majorité ; les représentants du pays ont accepté, comme parole d’Évangile, cette affirmation du protecteur ; la vérité est qu’ils ont été abusés.

La preuve en est fournie par le protecteur lui-même, car, comme dit La Fontaine :

« Toujours par quelque endroit renards se laissent prendre. »

Dans un de ses discours, le renard des Vosges a déclaré :

« Si vous protégez Pierre vous atteignez forcément Paul, par exemple la taxe de  trois francs sur l’avoine est payée par Paul le cultivateur, qui achète de l’avoine. »

Mais alors, comment un système de tarifs qui découvrent Saint-Paul pour couvrir Saint-Pierre peut-il augmenter la richesse nationale et la somme du travail national ?

Pierre s’enrichit de trois francs, Paul s’appauvrit de ces mêmes trois francs extorqués de sa bourse, M. Méline le reconnaît, et il a le front de nous dire que ce providentiel régime augmente la production et la richesse du pays !!

C’est ce qu’on peut appeler une spéculation sur sottise humaine.

Souvenons-nous que la protection n’enrichit les uns qu’aux dépens des autres, et la fourberie sera démasquée.

Définissons les termes, suivant le conseil de Voltaire.

Qu’est-ce que la protection de M. Méline ? À l’aide de la déclaration de M. Méline lui-même, nous donnerons cette définition : « La protection, c’est l’argent des autres. » 

Ainsi la manœuvre est percée à jour.

C’est en trompant le pays, en persuadant aux représentants du pays que la protection avait un pouvoir imaginaire d’enchérissement et de développement, de production, que les leaders du protectionnisme ont obtenu le vote des tarifs.

Ajoutons que, pour continuer à tromper le pays, le leader protectionniste, en affirmant dans un article de la République Française du 9 décembre 1903, que son système a enrichi le pays de 730 millions en dix ans, a fabriqué une fausse arithmétique. En effet, en additionnant des zéros, il nous donne comme total : 730 millions.

Les lecteurs du Courrier trouveront de plus amples explications à ce sujet dans le numéro du journal qui contient un article intitulé : L’arithmétique de M. Méline.

Voilà un fait nouveau, puisque c’est la révélation d’une manœuvre par laquelle M. Méline a fait croire à l’existence d’un pouvoir imaginaire et ainsi entraîné le vote de ces taxes de renchérissement qu’il a qualifiées protection.

Si notre pétition ne suffit pas, nous en enverrons une seconde où, nous réclamant toujours de l’autorité de M. Méline, nous ferons remarquer aux représentants du pays que la protection étant, de l’aveu de M. Méline, l’argent des autres, cet étrange système de soi-disant protection ne peut augmenter la production, pas plus que la richesse nationale.

Agréez, Monsieur le Directeur, l’assurance de ma considération la plus distinguée.

E. MARTINEAU.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publié.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.