Entretien avec G.Vuillemey, traducteur de Pour une vraie concurrence des monnaies de Hayek

9782130607281FSGuillaume Vuillemey bonjour. Tout d’abord, pourquoi avoir eu cette idée de traduire ce livre de Hayek ?

G. V : Denationalization of money était l’un des derniers ouvrages importants de Friedrich A. Hayek à ne pas avoir été traduit en français. Ce livre me semble être capital à deux points de vue au moins. D’abord par sa nouveauté théorique. Hayek propose l’émission concurrentielle de monnaies distinctes. A l’inverse, la quasi-totalité de la théorie économique antérieure reposait sur l’idée, implicite ou explicite, selon laquelle il ne peut y avoir, sur un territoire donné, qu’une seule forme de monnaie, de facto en situation de monopole. La remise en cause de ce postulat soulève des questions théoriques et pratiques très stimulantes, indépendamment du fait que l’on soit pour ou contre. Deuxièmement, Hayek fait paraître cet ouvrage peu de temps après la suspension de la convertibilité-or du dollar américain, en 1971, qui laisse place au système monétaire contemporain. Il comprend que la prévalence de monnaies-papier inconvertibles menace gravement la stabilité monétaire. L’enjeu du livre n’est donc pas uniquement d’ordre économique, mais touche aussi, comme le dit Hayek, au « futur de la civilisation ». L’existence de la société libre, pour Hayek, suppose un ordre monétaire stable. A l’inverse, l’instabilité monétaire et l’inflation récurrente perturbent le bon fonctionnement du marché, stimulent des bulles et des crises, et conduisent en périodes de troubles économiques à la croissance de l’Etat et au rejet du marché dans l’opinion publique. Cet ouvrage économique a donc une portée politique, totalement cohérente avec ses travaux sur les fondements de la société libre, notamment Droit, législation et liberté, dont Hayek a brièvement interrompu la rédaction au milieu des années 1970 pour écrire Pour une vraie concurrence des monnaies. D’un point de vue plus personnel, enfin, traduire cet ouvrage est aussi une reconnaissance de la dette intellectuelle considérable que j’ai envers Hayek.


Quel est l’intérêt de ce livre, par rapport à toutes les publications sur la monnaie et les banques issues de la pensée libérale ? Quelle est sa particularité ?

G. V : Hayek fait une proposition tout à fait singulière. Il suggère d’abandonner tout monopole d’émission monétaire et de permettre l’émission concurrentielle de monnaies. Il faut être clair à ce sujet: des émetteurs en concurrence n’émettraient pas tous la même monnaie, mais des monnaies distinctes, ayant des noms et des propriétés potentiellement différentes. Chaque émetteur de monnaie serait donc incité à gérer sa monnaie, notamment la quantité de sa monnaie en circulation, de manière à satisfaire au mieux les besoins du public. Un émetteur qui imprimerait de trop grandes quantités de ses propres billets verrait l’acceptabilité de sa monnaie diminuer, car celle-ci perdrait de la valeur, de sorte que les épargnants seraient incités à s’en débarrasser. Sans corriger le tir, une telle monnaie disparaîtrait purement et simplement. Le but recherché par Hayek est avant tout la stabilité monétaire, qui doit permettre le bon fonctionnement du système des prix et une bonne allocation des ressources dans une économie de marché.

Si la proposition de Hayek est tout à fait nouvelle, elle a néanmoins pour fondement une très grande part de l’édifice théorique de l’école autrichienne, notamment toute la théorie autrichienne des cycles économiques. Si Hayek considère le pouvoir quasi-illimité de création monétaire des banques centrales comme un danger majeur, c’est parce qu’il a en tête leur rôle destructeur : l’inflation perturbe le système des prix et fait gonfler des bulles qui éclatent tôt ou tard, alimentant ainsi l’idée fausse selon laquelle le marché libre est sujet à des crises récurrentes.


Peut-on classer ce texte dans le courant autrichien ? Plusieurs décennies plus tard, les idées d’Hayek ont-elles été acceptées par les libéraux ?

Hayek est très certainement un auteur appartenant à l’école de pensée autrichienne en économie. Cet ouvrage, néanmoins, a donné lieu à d’importants débats parmi les économistes autrichiens. Nombre d’entre eux ont critiqué la proposition hayékienne et sont restés sur la défense traditionnelle de l’étalon-or, telle que l’avait formulée Ludwig von Mises. Un autre point de débat important chez les autrichiens concerne la légitimité du système bancaire à réserve fractionnaire, quand d’autres économistes comme Murray Rothbard ont toujours défendu un système bancaire à 100% de réserves. La postérité de la proposition de Hayek chez des économistes se réclamant de l’école autrichienne a néanmoins été très importante, et a suscité des travaux majeurs sur la concurrence des monnaies et la banque libre, par des auteurs tels que Lawrence White ou George Selgin.


Les économistes français comme Coquelin ou Courcelle-Seneuil avaient déjà touché à ces idées. Hayek les mentionne-t-il ? Fait-il un usage précis de leur héritage ?

G. V : Hayek ne mentionne pas ces économistes. Le seul français d’importance qu’il mentionne est Henri Cernuschi, dont il emprunte une citation à Ludwig von Mises (et qu’il n’a donc peut-être pas lu directement). Cernuschi a pris part, dans les années 1860, à un débat important opposant les partisans de la banque libre à 100% de réserves, dont il était, aux partisans de la banque libre à réserves fractionnaires, dont était Courcelle-Seneuil. Hayek ne mentionne pas explicitement ce débat, même si son ouvrage témoigne par ailleurs d’une connaissance pointue de l’histoire de la pensée monétaire.


Peut-on deviner ce qu’Hayek aurait pensé du bitcoin et des monnaies alternatives de ce genre ?

G. V : Il est bien évidemment difficile d’extrapoler, mais on peut penser (ce que souligne Pascal Salin dans sa préface à l’ouvrage), que Hayek aurait été heureux de voir émerger des monnaies alternatives, dont l’existence est indépendante de celle d’un monopole étatique. Ces monnaies, dont le développement est encore limité, ont une forme très différente de ce que Hayek avait en tête, et de nombreux obstacles leur sont opposés par les gouvernements. Mais l’on peut penser que les progrès technologiques permettront à l’avenir l’émergence de monnaies alternatives dont le pouvoir d’achat sera globalement stable (ce que n’est pas le bitcoin aujourd’hui, dont la masse monétaire n’est pas gérée de manière à stabiliser sa valeur réelle – ce que Hayek avait en tête). Quoi qu’il en soit, la pensée théorique de Hayek est indispensable pour penser les enjeux que de telles monnaies font naître.

A propos de l'auteur

L’Institut Coppet est une association loi 1901, présidée par Mathieu Laine, dont la mission est de participer, par un travail pédagogique, éducatif, culturel et intellectuel, à la renaissance et à la réhabilitation de la tradition libérale française, et à la promotion des valeurs de liberté, de propriété, de responsabilité et de libre marché.

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