En défense de l’islam

En défense de l’islam

 

Parmi ceux qui, en France, condamnent l’islam et les musulmans, il y a les croyants et les non-croyants.

Or les croyants, d’abord, doivent se souvenir que la religion a besoin de concurrence. À peine la démonstration en a-t-elle besoin d’être faite. Dès 1684, Basnage de Beauval explique que quand une religion n’a point de concurrents à craindre, elle s’affaiblit, se corrompt. En Angleterre, Voltaire fait cette remarque que la concurrence des religions y est extrêmement favorable à la liberté. « S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, dit-il, le despotisme serait à craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses ». (Lettres sur les Anglais, 1734, 6e lettre.) Tocqueville consigne presque exactement les mêmes mots dans ses Carnets américains. (Œuvres complètes, t. V, vol. I, p. 70) Enfin dans ses Principes de politique de 1806, Benjamin Constant a un chapitre pour prouver les avantages de la concurrence des religions, en particulier sur la pureté de la morale. (Œuvres complètes, t. V, p. 278)

Ceux qui ne croient pas, n’ont pas seulement, comme les autres, à dompter et à vaincre les fanatiques, qui menacent de brûler les hérétiques. Ils doivent encore éclairer les superstitieux. C’est que pour eux toute religion pose problème, étant fondée sur le principe d’autorité. Les commandements de la Bible sont tyranniques au premier degré. « Suivez mes lois, gardez mes commandements, mettez-les en pratique », c’est ce que le Lévitique donne à lire. En bon français, cela signifie : que ces commandements vous paraissent bons ou mauvais, utiles ou futiles, vous les respecterez, car j’en suis l’auteur, moi, votre maître. Car le vrai vocabulaire des religions est celui des régimes d’esclavage, de servage, ou du moins de tutelle. On a pu débattre, chez les libéraux français, pour savoir si le catholicisme était compatible avec la liberté. Tocqueville la croyait surtout compatible avec un régime monarchique (Lettre à Ernest de Chabrol, 26 octobre 1831 ; O. C., t. XVII, vol. I) ; elle aussi serait donc anti-républicaine ? 

On dira que l’islam est une religion moyenâgeuse. C’est une façon de parler : car ce sont les Arabes qui, au Moyen-âge, nous ont révélé le monde gréco-latin. Mais peut-être l’islam serait-il incompatible avec le progrès, la civilisation ? Tocqueville, qui a séjourné en Algérie, qui a lu le Coran crayon en main, ne le croyait pas. « La propriété individuelle, l’industrie, l’habitation sédentaire n’ont rien de contraire à la religion de Mahomet, jugeait-il… L’islamisme n’est pas absolument impénétrable à la lumière ; il a souvent admis dans son sein certaines sciences ou certains arts. » (O. C., t. III, vol. I, p. 325)

On dira que les musulmans sont dangereux. C’est un propos malséant, pour nous qui ne devons voir que les individus. Au surplus, Benjamin Constant (qui a passé 30 ans à étudier les religions), enseigne que « l’autorité ne doit jamais proscrire une religion, même quand elle la croit dangereuse. Qu’elle punisse les actions coupables qu’une religion fait commettre, non comme actions religieuses, mais comme actions coupables : elle parviendra facilement à les réprimer. Si elle les attaquait comme religieuses, elle en ferait un devoir, et si elle voulait remonter jusqu’à l’opinion qui en est la source, elle s’engagerait dans un labyrinthe de vexations et d’iniquités, qui n’aurait plus de terme. » (O. C., t. IX, p. 832) C’est l’idée que défendait déjà Turgot un demi-siècle plus tôt, au milieu de grandes controverses religieuses du temps. « Une religion qui aurait établi un grand nombre de dogmes faux et contraires aux principes de l’autorité politique, écrivait-il, et qui en même temps se serait fermé la voie pour revenir de ses erreurs qu’elle aurait consacrées, ou qu’elle se serait incorporées, ne serait pas faite pour être la religion publique d’un État : elle n’aurait droit qu’à la tolérance. » (Œuvres de Turgot et documents le concernant, t. I, p. 347)

Mais l’islam est éminemment politique, et les musulmans, sans doute, veulent remplacer nos lois par les leurs. D’abord, aucune religion ne s’est jamais accommodée des lois qu’elle trouvait établies. Dieu dit à Moïse : « Vous n’agirez ni selon les coutumes du pays d’Égypte où vous avez demeuré, ni selon les mœurs du pays de Chanaan dans lequel je vous ferai entrer. Vous ne suivrez ni leurs lois ni leurs règles. (Lévitique, XVIII, 3) Naturellement, il ne faut pas le permettre. En son temps, rappelle Édouard Laboulaye, l’Église catholique, « qui était la religion, a voulu être la science, elle est arrivée un jour à être le gouvernement ; on s’est aperçu enfin qu’elle voulait tout envahir. On a secoué le joug, et elle est rentrée dans le temple. » (Histoire politique des États-Unis, 1867, t. III, p. 432) 

Pour dompter et vaincre les fanatiques, qui portent atteinte aux personnes ou aux propriétés, il faut la rigueur des lois. Pour éclairer les superstitieux, il faut autre chose : des lumières, du temps et de la bienveillance. C’est-à-dire qu’il faut de la liberté : car d’un côté un « État gendarme » vaut mieux qu’un État qui se mêle de tout et ne remplit pas ses missions ; de l’autre, la diffusion des idées ne peut se faire qu’en milieu libre. 

La liberté de circulation des personnes, la tolérance religieuse, sont des principes majeurs du libéralisme. L’immigration a ses inconvénients, si elle a ses avantages. Mais renier nos principes et nos valeurs historiques ne peut se faire qu’au prix d’un affaiblissement. 

Benoît Malbranque
Institut Coppet

A propos de l'auteur

Benoît Malbranque est le directeur des éditions de l'Institut Coppet. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont le dernier est intitulé : Les origines chinoises du libéralisme (2021).

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