Effets comparés du sacerdoce et de la liberté

Benjamin Constant a travaillé pendant quarante ans à un ouvrage sur l’histoire des religions, qui complète, sous de nombreux rapports, la doctrine libérale livrée par lui dans ses autres textes politiques. Pour permettre un premier accès à cet ouvrage monumental De la Religion, nous avons sélectionné ce deuxième extrait, tiré du cinquième volume, et qui résume en quelques paragraphes l’un des développements majeurs du livre, en comparant les effets néfastes du monopole des prêtres à l’épanouissement et au perfectionnement continuel de la religion sous un régime de liberté.


 

Effets comparés du sacerdoce et de la liberté

[Œuvres complètes de Benjamin Constant, vol. XXI (De la Religion t. V), p. 191-192.]

Livre XIV. — Chapitre V.

Que les deux révolutions du polythéisme scandinave confirment nos assertions sur la nature et les différences des deux polythéismes.

L’une des vérités que nous avons tâché d’établir, c’est que la religion est différente, suivant qu’elle est affranchie de la domination sacerdotale, ou soumise à cette domination.

Nous avons présenté cette vérité sous quatre points de vue, et dans chacun, nous en avons trouvé la preuve incontestable.

En Grèce, du temps d’Homère, point d’astrolatrie, et partant point de prêtres ; point de prêtres, et en conséquence, dans la religion publique, point de rites sanglants ou obscènes, point de théogonies, ou cosmogonies ténébreuses, point de doctrines subtiles, de dualisme, de panthéisme, aboutissant à une incrédulité recouverte d’un voile mystérieux, et affectant la solennité de la religion. Plus tard, un sacerdoce sans influence, et par conséquent, le culte populaire demeurant exempt de tout raffinement sacerdotal, se perfectionnant graduellement par le seul effet de la marche et des progrès de l’esprit humain ; mais une religion occulte, empruntée du dehors, et introduite en Grèce, presque contre les lois, par un sacerdoce qui veut se dédommager ainsi du peu de puissance qu’il possède dans l’État, et cette religion occulte, appelant, invoquant, s’incorporant tous les rites et tous les dogmes sacerdotaux.

Dans tout l’Orient, dans le Midi, dans les Gaules, des prêtres tout-puissants, et avec eux, tout ce dont nous avons remarqué l’absence en Grèce, l’état stationnaire, l’immobilité de l’intelligence et la servitude.

Chez les Romains, la lutte de l’esprit sacerdotal contre le polythéisme indépendant, la conservation de tout ce qui caractérise les religions sacerdotales, aussi longtemps que leurs vestiges se perpétuent ; mais la disparition de toutes ces choses, dès que le pouvoir des prêtres est vaincu.

Maintenant nous venons de voir en Scandinavie une marche inverse ; d’abord un polythéisme libre de la domination sacerdotale ; plus guerrier que celui des Grecs, mais reposant sur les mêmes bases, n’admettant que le même anthropomorphisme : puis une colonie de prêtres qui remporte une victoire funeste et soudaine. L’anthropomorphisme simple naturel, proportionné à l’époque, est aussitôt remplacé par tous les égarements, toutes les barbaries, toutes les subtilités inhérentes au polythéisme sacerdotal.

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