En 1753, Vincent de Gournay avait composé un mémoire pour la Chambre de commerce de Lyon, offrant une critique vaste et profonde du système des corporations de métiers et réclamant l’établissement de la liberté du travail. La Chambre de commerce avait offert ses observations critiques en réponse. Un second mémoire avait alors été composé par Gournay, dont l’original français a été perdu : il existe cependant dans une traduction suédoise de 1756, laquelle nous permet aujourd’hui de publier, traduit en français le plus fidèlement possible, ce second mémoire resté inédit. Gournay y maintient sa défense de la liberté du travail et cherche quelles mesures douces et comme de compromis pourraient être acceptées et faire avancer la liberté du travail même par petits pas.
Un mémoire inédit de Vincent de Gournay sur la liberté du travail
[Tvänne Memorialer angående Frihet i Handel och Slögde-Näringar: öfversatte ifrån fransyskan
(Deux mémoires sur la liberté du commerce et de l’industrie, traduits du français), 1756, p. 45-80.]
Traduit par Benoît Malbranque
Réponse au mémoire de la Chambre de commerce de Lyon
Si la réponse fournie par la Chambre de commerce de Lyon au mémoire relatif aux tireurs d’or avait aussi prêté attention, comme on était en droit de s’y attendre, aux objections que chacun de ces corps, pris séparément, avait été en mesure d’opposer, on aurait pu espérer qu’une comparaison entre chacun des arguments élevés de chaque côté prouverait qu’en empiétant les uns sur les autres ces corps détruisent aussi la diligence de l’industrie toute entière. C’est ce qu’on paraît avoir prouvé dans le mémoire auquel la Chambre de commerce a répondu, de même qu’on y prouvait que la liberté dans la fabrication serait bien autrement bénéfique que les restrictions et les longs apprentissages que les communautés se sont imposées, de même que les nombreuses divisions dans des occupations qui naturellement pourraient être entreprises par une seule personne.
Mais puisqu’au lieu de permettre aux communautés de répondre séparément, la Chambre de commerce a préféré produire une réponse commune, on répondra à chaque objection, afin que la question en délibération, dont la discussion est restée longtemps pendante, puisse être rapidement décidée.
Lorsqu’on a tâché d’établir comme principe fondamental, que la liberté des métiers était la manière la plus certaine d’atteindre le progrès, d’attirer un plus grand nombre de bras, de donner à notre commerce et à notre industrie plus de solidité, et par conséquent de les placer dans une position où ils puissent résister aux forces conjointes que l’Europe entière présente contre nous pour les affaiblir et nous les ravir, lorsqu’on a soutenu de tels principes, dis-je, on n’a jamais été dans l’intention de demander, comme la Chambre de commerce le soutient, que toutes les communautés de la ville soient détruites et leurs règlements supprimés, car il faut toujours faire une distinction entre le principe fondamental et les moyens qui doivent être utilisés pour en poursuivre la réalisation.
On a seulement soutenu qu’il était nécessaire que nous nous approchions du degré de liberté dans l’industrie dont nos concurrents jouissent, et qui produit chez eux des progrès qui nous sont néfastes ; et cela dans le but de supprimer les causes de la ruine notre industrie, en comparaison de l’industrie étrangère, ainsi que pour obtenir des avantages en comparaison de ces mêmes manufactures étrangères.
On a montré comment le commerce, le nôtre et celui de nos concurrents, lesquels concurrents furent longtemps, d’ailleurs, nos clients, avant de devenir nos concurrents, on a montré comment ce commerce avait fondamentalement évolué depuis l’établissement de l’industrie de Lyon, et que nous ne devions pas nous gouverner par des principes qu’on prouverait être contraires au sens commun et à nos intérêts, en donnant, en particulier, un désavantage à notre fabrique et en nous nuisant face à nos concurrents ; et que, dans de telles circonstances, il fallait admettre et suivre la révolution dans la manière de concevoir le commerce qui se produit de manière si éclatante dans de nombreux pays d’Europe. On souhaiterait toutefois faire remarquer qu’en toute occasion, lorsqu’il serait à craindre que des changements radicaux et audacieux puissent provoquer de fortes secousses ou produire du désordre, il serait toujours loisible de réformer lentement, quoique sans abandonner le but central, qui est de donner à nos fabriques et à notre commerce non seulement les mêmes privilèges dont jouissent nos concurrents, mais aussi de leur donner un avantage par rapport à eux.
Conformément à ces principes premiers, dont la Chambre de commerce ne remet pas en question la véracité, il s’agit simplement d’étudier s’il n’existe pas dans la constitution des communautés, dans leurs statuts, et dans les bases sur lesquelles ils ont fondé leurs accords, des conditions qui s’opposent au sens commun et sont préjudiciables à la fabrique de Lyon face à la concurrence étrangère, et si lesdits statuts, tels qu’ils existent aujourd’hui, permettent d’obtenir les avantages qui sont échus aux manufactures étrangères. Pour se convaincre de l’état présent des choses et de la réponse à donner à ces questions, il suffit de présenter un extrait des statuts de l’une des principales communautés.
Lorsque la Chambre de commerce invoque les temps heureux dont les fabricants ont joui depuis l’année 1667, à une époque où leurs vieux statuts étaient examinés et améliorés, on doit remarquer premièrement que la fabrique de Lyon avait moins de concurrents qu’elle n’en a aujourd’hui, et deuxièmement que les statuts de 1667 n’étaient pas moins néfastes au progrès de notre industrie et à l’augmentation du nombre de métiers, que les statuts ultérieurs et particulièrement ceux de 1744. En 1667, un apprenti né à Lyon pouvait passer maître en payant 50 sous, tandis que les personnes venant du reste de la France et de l’étranger devaient payer 21 livres pour acquérir la maîtrise. En 1744, les frais d’accès à la maîtrise passèrent à 120 livres, outre 48 livres demandés pour recevoir un apprenti ou un compagnon, dans le cas d’un homme né à Lyon, et de 200 livres pour un étranger.
Les statuts de 1667 n’interdisaient pas au maître de posséder et de mettre en activité autant de métiers qu’il le souhaitait. Une telle restriction ne fut pas introduite avant 1702, moment de contestations croissantes, et elle fut la cause d’un fort ressentiment de la part des fabricants de Lyon.
Nous perdions d’autant plus de vue notre intérêt lorsque nous avons fixé le nombre de métiers que chaque fabricant pourrait opérer séparément, que les Anglais et les Hollandais avaient déjà commencé à entrer en concurrence avec notre fabrique, et que les Anglais depuis 1697 avaient interdit l’importation et l’usage de nos soies dans leur pays.
Plutôt que de comprimer l’industrie, en restreignant le nombre de métiers à quatre pour chaque maître, il fallait les encourager par toute sorte de moyens à les augmenter, et ne pas laisser les Anglais prendre l’avantage, en restreignant les moyens que nous avons de travailler les matières de soie qu’ils travaillent désormais avec de plus en plus de profit.
La Chambre de commerce ne voit rien, dans la longueur des apprentissages, qui ne soit nécessaire et en accord avec les lois, qui portent que personne ne peut s’engager par un contrat avant l’âge de 25 ans ; mais les mêmes lois qui protègent la propriété des mineurs en empêchant qu’ils entrent dans des contracts avant l’âge légal, ne leur ferme pas pour autant l’accès des emplois pendant cette période. Et si la Chambre de commerce elle-même reconnaît que cette loi est transgressée sur les affaires de commerce, pourquoi les communautés de Lyon résisteraient-elles à l’adoption d’un même usage dans le domaine des fabriques ?
Et pourquoi la condition d’un fabricant resterait-elle inférieure à celle d’un commerçant, qui avant l’âge de 25 ans peut accroître son fonds par ses activités et fonder des établissements ? N’est-ce pas attaquer le talent et l’émulation, que de traiter indifféremment un individu ambitieux et entreprenant, et un autre qui ne le serait pas ? Le premier apprendra en deux ans ce que le second n’apprendra pas en dix ans : est-ce justice que de les regarder comme égaux ?
On n’a pas voulu dire que les apprentissages devraient entièrement être abolis : car si les statuts ne fixent pas une certaine durée à l’acquisition des principes des métiers, il suivrait naturellement que durant une certaine période le travailleur accomplirait une tâche qu’il est incapable d’accomplir ; on a seulement voulu montrer que les communautés, lorsqu’elles ont élevé la durée des apprentissages et des compagnonnages, ont rompu avec les usages anciens de la fabrique : on peut citer quarante communautés, dont celle des tissutiers-rubaniers, qui en 1667 fixaient encore par leurs statuts un apprentissage de quatre années, auquel s’ajoutait un temps plus long encore de compagnonnage, qui atteignit huit années, comme ce fut le cas pour les teinturiers dans leurs statuts de 1708, et jusqu’à dix pour les tireurs d’or en 1683. Cela signifie que les apprentissages et les compagnonnages sont plus longs, et que la maîtrise est plus coûteuse, en comparaison des nations avec lesquelles nous sommes en concurrence. Cela ne doit-il pas porter préjudice à notre fabrique face à la fabrique étrangère, et ce préjudice ne doit-il pas ralentir notre progrès et accélérer celui de nos concurrents ?
Afin de ne pas perdre de vue la comparaison de nos usages avec ceux de l’étranger, qui est d’une importance majeure tant par rapport au présent que par rapport au futur, on nous permettra de revenir sur ce que la Chambre de commerce a écrit à ce sujet.
La Chambre de commerce explique que les communautés existent dans plusieurs villes d’Angleterre, et notamment dans la ville de Londres, dont on fait grand cas. Cependant, on reconnaît que cela ne concerne que les arts et métiers qui opèrent dans le centre de la ville, lequel ne représente qu’un tiers de la ville de Londres, et que les manufactures de soie des faubourgs sont libres. Ce ne sont pas les manufactures de soie du centre de la ville, d’elles-mêmes de peu de valeur, dont nous devons craindre la concurrence et les progrès. Ce sont les manufactures de soie de Spitalfieds, un faubourg de Londres, que nous avons des raisons d’envier, elles qui travaillent librement, sans restrictions ni règlements. De plus, les apprentissages les plus longs d’Angleterre sont de sept années, ce qu’au reste la Chambre de commerce reconnaît ; mais il n’existe pas de compagnonnage ; à Lyon le compagnonnage peut atteindre dix ans. Un Anglais peut travailler comme maître à Spitalfields sans payer de frais de maîtrise, et un étranger peut y travailler dès qu’il y est devenu citoyen ; tandis qu’un Français ne peut travailler à Lyon sauf à avoir payé des frais de maîtrise d’au moins 168 livres. Ainsi, la condition du fabricant est moins favorable à Lyon qu’à Spitalfields, tant du point de vue de l’apprentissage que pour l’acquisition de la maîtrise.
En Hollande, on peut devenir maître à Harlem ou à Leyden, mais à Amsterdam un étranger peut établir une fabrique de soie dès qu’il obtient le droit de cité, ce qui lui coûte 50 florins ou 100 livres, et s’il est déjà citoyen il n’a rien à payer. De plus les apprentissages sont plus courts qu’en Angleterre, même dans les villes où les communautés sont établies. Ainsi, un ouvrier de soie est moins gêné en Hollande qu’à Lyon.
Loin d’ailleurs que les Anglais soutiennent que les longs apprentissages, les communautés et les maîtrises conduisent les arts et métiers à leur plus haut degré de perfection, les personnes les plus versées dans le commerce y écrivent depuis longtemps que ces institutions réduisent l’ardeur de travailleur et sont des obstacles à l’accroissement du nombre des mains par lesquels le commerce est conduit, ce qui chez une nation commerçante équivaut à une perte dans la balance du commerce. C’est ce qu’expliquait déjà le chevalier Child en 1669 , et ce qu’a encore soutenu l’auteur du livre des Conséquences du commerce, publié à Londres en 1740. Enfin, le mois dernier, c’est sur la base des mêmes principes qu’une proposition a été faite à la Chambre des Lords pour supprimer toutes les communautés établies en Angleterre, qui sont perçues comme l’un des plus grands obstacles à l’émulation que se puisse rencontrer.
Tout cela montre bien la légèreté de la déclaration selon laquelle tous les Anglais verraient les communautés comme avantageuses au bien public, ainsi que le suggérait la Chambre de commerce. Tout au contraire, elles sont perçues comme préjudiciables pour l’accroissement du commerce, tant par les principaux auteurs qui écrivent sur les matières de commerce, que par une large partie de la population.
Quoique les règlements des communautés ne soient pas aussi sévères, et les apprentissages aussi longs, en Hollande qu’en Angleterre, ces communautés ne sont pas mieux considérées dans ce pays. Jean de Witt, l’homme qui possède tout à la fois la plus grande connaissance du commerce et la plus grande expertise dans les affaires de l’État, soutient, dans les quinzième et seizième chapitres de ses Maximes politiques, que les communautés réduisent l’émulation en général en n’accordant aux ouvriers qu’elles contiennent que le droit de s’occuper de certains arts et métiers.
Par conséquent, les hommes d’État et les personnes les plus versées dans le commerce reconnaissent, dans les deux nations les plus commerçantes de l’Europe, que les communautés sont préjudiciables pour le commerce.
Mais que peut-on répondre aux progrès obtenus par les fabriques de Lyon ? Si les communautés sont des obstacles à l’accroissement du commerce, comment est-ce possible que les 2 500 métiers, employant 20 000 ouvriers à Lyon en 1685, aient quadruplé en 70 ans pour parvenir au nombre de 10 000 métiers tels qu’ils sont aujourd’hui ? Il me semble que cette énigme peut être facilement résolue. Le progrès des fabriques de Lyon se fonde sur un accroissement dans l’usage des toiles de soie en France, et non sur leur vente à l’étranger, ce qui est pourtant le seul moyen d’augmenter la richesse d’une nation. Et si les 7 500 nouveaux métiers sont employés à fournir aux citoyens de notre État les moyens de se vêtir, de préférence à d’autres sortes de toiles dont ils faisaient usage précédemment, on doit reconnaître que le progrès des fabriques de Lyon ne peut pas être présenté comme ayant entraîné le progrès du commerce de l’État, puisque la consommation à l’intérieur de l’État n’a fait que remplacer une sorte de toile par une autre, et qu’ainsi ce que les fabriques de Lyon ont gagné a été perdu par d’autres fabriques dans l’État. Aussi est-il possible que les 2 500 métiers employés en 1685 aient davantage contribué à la richesse publique que les 10 000 métiers qui sont à l’œuvre aujourd’hui, puisque tandis que nous vendions davantage de toiles de soie aux étrangers que nous n’en consommions, désormais nous en consommons davantage que nous ne leur vendons.
On croit que ce n’est pas sans raison que l’on parle d’une telle déchéance, car en 1685, avec nos 2 500 métiers, nous n’avions pour ainsi dire aucun concurrent, à part les Italiens, avec qui partager le commerce de la soie, et nous fournissions l’Europe entière de nos étoffes d’or et d’argent, tandis qu’aujourd’hui, malgré le nombre supérieur de nos 7 500 métiers, la Chambre de commerce reconnaît que les fabriques de Lyon ont perdu les consommateurs qu’ils avaient précédemment en Hollande et en Angleterre. Et quoique la Chambre de commerce dans son mémoire se plaise à ne considérer les Anglais que comme des agents intermédiaires, facilitant la vente entre les pays nordiques et nos fabriques, on ne peut oublier qu’avant de prendre ce rôle ils comptaient parmi nos plus grands consommateurs : c’est ce que montre un état dressé en 1685 et présenté au Parlement anglais, selon lequel la valeur des étoffes de soie, d’or et d’argent qu’ils avaient tiré de France se montait à 12 millions de leur monnaie. De même, les lois qui furent faites sous Guillaume III pour interdire leur entrée et usage en Angleterre, prouvent qu’ils en consommaient de grandes quantités, et que ce roi regardait cette branche de commerce comme étant l’une des principales sources de la déperdition de métaux précieux de l’Angleterre.
Au-delà même des consommateurs de l’Angleterre, que nous avons perdu, comme le reconnaît la Chambre de commerce elle-même, on sait qu’en Espagne les fabriques de soies, qui chaque jour prennent un nouvel accroissement, réduisent la consommation qu’ils font dans ce pays de nos propres étoffes. La Prusse et l’Allemagne, qui comptent encore parmi nos plus grands consommateurs, emploient toute leur énergie pour établir leurs propres fabriques. De même, la cour de Vienne, ainsi que les Danois et les Suédois, ont passé des lois concernant l’usage de nos toiles.
Auparavant, la Hollande achetait pour huit millions de nos étoffes, dont la plus grande partie, il est vrai, était envoyé vers l’Allemagne et les pays du Nord ; mais désormais les Hollandais font commerce de leur propres étoffes, ce qui est grandement préjudiciable pour la vente des nôtres.
Désormais que la plus grande partie des pays qui en 1685 nous étaient ouverts pour la vente de nos étoffes aujourd’hui en ont restreint l’accès et tendent à les remplacer par leurs propres toiles, il suit que l’augmentation connue depuis 1685 de 7 500 métiers dans la fabrique de Lyon ne doit pas être regardée comme fort grande, lorsque l’on considère que depuis cette même année le nombre des métiers a connu un accroissement presque identique dans les pays étrangers, et que l’usage des étoffes de soie a fort augmenté en Europe, de même que leur production : dans l’Angleterre seule on a compté 12 000 métiers en 1719, dans ce pays qui n’en comptait aucun en 1685. Tout cela prouve que nous avons peu gagné au milieu de cette abondance croissante, en comparaison de ce que nous aurions pu gagner si nous avions fait valoir tous nos avantages : et c’est ce que les statuts des communautés de Lyon ont empêché.
Par conséquent, loin d’attribuer les progrès de nos fabriques aux statuts des communautés de Lyon, comme le fait la Chambre de commerce, on soutient que ce sont ces statuts qui empêchent de plus grands progrès, et qu’ils ont plus contribué à l’accroissement des fabriques établies dans les pays étrangers.
En vérité, si, au lieu de gêner l’industrie et le travail, comme cela a toujours été la pratique à Lyon, et surtout depuis 1702, si on avait plutôt laissé une concurrence plus grande entre les fabricants, et si on avait moins gêné leurs progrès, nous aurions inondé l’Europe de nos étoffes de soie, au moment où les étrangers étaient sur le point d’établir des fabriques dans leurs propres pays, et nous aurions pu leur en vendre en de telles quantités, et dans une telle variété et à de tels prix, que leurs nouveaux établissements n’y auraient pas résisté et qu’ils auraient été forcés d’admettre l’inutilité de concurrencer une nation pleine de ressources et d’industrie, puisque leurs efforts dans cette branche de commerce auraient été infructueux. En même temps, ils auraient du reconnaître l’inefficacité des lourdes charges et même des interdictions pour empêcher nos étoffes d’entrer dans leur pays. Car le bas prix des étoffes a un tel pouvoir d’attraction, que les forts droits qui les frappent en tant que produits étrangers ne fonctionnent que comme un encouragement à la fraude, comme nous avons pu en faire la malheureuse expérience, avec l’exemple des toiles peintes, qui se répandent en grandes quantités dans notre pays malgré les interdictions qui frappent leur utilisation. Et on remarque aussi que les interdictions et les droits élevés qui frappent nos eaux-de-vie, nos thés, nos sels et nos toiles de batistes, n’arrêtent pas la fraude qui se commet dans leur pays, malgré la taille volumineuse de ces articles et l’attention des agents qui sont employés à cette surveillance.
De plus, on n’a pas prétendu que la fabrique de Lyon n’avait fait aucun progrès ; mais on dit, et on croit avoir prouvé, que malheureusement elle n’a pas fait autant de progrès qu’elle aurait pu en faire. De surcroît, si les nations qu’elle compte encore parmi ses consommateurs venaient à devenir des concurrents et subvenir de plus en plus à leur propre consommation, sa prospérité, dont on fait si grand bruit aujourd’hui, serait de courte durée.
Le plus sûr moyen de nous garantir de cette calaminé est de faire ce que nous aurions du faire depuis longtemps, à savoir d’augmenter le nombre des mains qui travaillent à nos étoffes, afin que nous puissions y attirer davantage de capital et opposer davantage de travailleurs et de capitaux au grand nombre des mains répandues à travers l’Europe et qui mettent notre fabrique en péril par leur concurrence : aussi longtemps que cela n’arrivera pas, nous perdrons nos consommateurs étrangers les uns après les autres, en étant du commerce comme de la guerre, où le parti qui possède le plus d’hommes et le plus de ressources est certain à la fin de vaincre son adversaire.
Si, par conséquent, il se trouvait une nation en Europe qui, grâce à l’abondance de ses manufactures de toutes sortes, grâce au grand nombre de ses marchands et de ses navires, et grâce à ses institutions, se plaçait dans la position de devenir maîtresse du commerce du monde, et si nous nous contentions de maintenir nos fabriques dans leurs liens, dans la gêne, comme elles sont présentement, de sorte qu’elles soient exercées par un petit nombre de mains et emploient un petit nombre de capitaux, nous perdrons bientôt ce que nous possédons encore, et jour après jour nous verrons notre commerce diminuer. Dans les affaires mises en mouvement par la concurrence, ne pas s’embarrasser de faire continuellement des progrès équivaut inévitablement à perdre et déchoir.
Ne craignons pas, comme le fait la Chambre de commerce de Lyon, que les étrangers viennent au milieu de nous pour s’emparer de notre goût et de notre soin au travail. Nous avons des moyens sûrs de nous conserver l’un et l’autre, si seulement nous permettons à nos fabriques de s’accroître et de prospérer. Lorsque les Français trouverons à s’occuper dans leur propre pays, ils n’apprendront pas à voyager à l’étranger et à apporter nos dons naturels à nos concurrents, aux progrès desquels nous nous opposons bien plus sûrement, comme on a pu s’en rendre compte, par l’abondance de nos étoffes, leur bas prix et leur diversité, que par leur perfection absolue, qui est le prétexte que font valoir les communautés de Lyon pour défendre la nécessité de leur établissement. Au surplus, la perfection s’obtient plutôt par les peines et l’ardeur de la concurrence, que par de longs apprentissages et autres mesures vexatoires, dont leurs statuts sont remplis.
Mais devrions-nous, si nous voulions entrer dans les motifs des appréhensions de la Chambre de commerce, craindre que la production puisse être trop grande, et que le monde puisse être trop petit pour notre commerce, tandis que nous ne commerçons guère qu’avec la moitié du monde connu, et que parmi les nations avec lesquelles notre commerce est le plus étendu, on n’en compte pas une sur six qui nous achète des étoffes. Aussi notre activité dispose-t-elle d’un champ plus étendu que celui sur lequel nous avons du compter jusqu’à aujourd’hui, et avons-nous plus à craindre du trop petit nombre de mains pour conduire notre commerce, que de la petitesse de notre commerce pour employer notre population.
La Chambre de commerce paraît envisager l’abondance des travailleurs comme un motif de craintes, en de certains moments : ainsi l’interdiction portée par l’Espagne en 1750 de nous porter des soies a certainement causé une stagnation dans nos fabriques ; mais cela n’a pas duré, et malgré toutes les lois d’interdiction la soie espagnole a bientôt afflué de nouveau dans notre pays ; et plus nous faciliterons l’achat et la consommation de ces soies dans notre pays, plus elles viendront avec abondance, ce qui nous permettra de soutenir l’activité de nos fabriques contre celles de nos concurrents. Nous possédons déjà l’avantage contre eux d’un prix de la main-d’œuvre plus bas, comme la Chambre de commerce de Lyon le reconnaît : avantage que la plus grande abondance de mains accroîtrait encore en notre faveur, dans la mesure où nous sommes capables de payer davantage que nos concurrents pour les matières que nous faisons valoir, sans pour autant augmenter le prix de nos étoffes, et que par conséquent nous disposons d’un moyen d’attirer constamment à nous de plus grandes quantités de soies de toutes les parties du monde, que nos concurrents ne pourraient obtenir : c’est un principe vrai en toutes circonstances, que celui qui peut acheter cher et vendre au meilleur prix est le maître du commerce. Si, par conséquent, nos fabriques pouvaient se maintenir, et si l’on ne gênait pas la concurrence et l’activité des fabricants, il n’y aurait pas de travailleurs sans emploi. Ils ouvriraient pour leur commerce la consommation de clients nouveaux et inattendus, qu’aujourd’hui nous ne pouvons pas même imaginer, tant parmi les nations qui nous achètent déjà des étoffes, que parmi celles qui ne les connaissent pas encore.
Mais, au contraire, nos ventes resteront toujours trop faibles, tant que nos fabriques le seront également, parce que, lorsque nous ne produisons pas autant que nous le pourrions, nous encourageons l’activité de nos concurrents, et par cela nous nous plaçons dans la position de manquer le prochain consommateur : ce qui est également la raison pour laquelle je vois moins de danger dans une production excessive de dix milles pièces, que dans une production insuffisante d’une pièce.
Cette abondance de production et de produits repousse l’étranger, tandis qu’une seule pièce que nous lui permettons de manufacturer, nous-mêmes étant dans l’impossibilité de répondre à la première demande, encourage son activité et le place comme notre concurrent. Ainsi ce n’est pas une pratique critiquable, que de satisfaire la demande de pays étrangers avec nos étoffes. Cette abondance, comme le remarque Jean de Witt, fournit la preuve de notre force et de notre supériorité dans le commerce, et elle est préjudiciable à nos concurrents. Et si ces quantités de produits devaient jamais causer un ralentissement dans notre commerce, celui-ci ne serait jamais que temporaire ; la demande s’en rétablirait bientôt ; et en face d’une seule personne qui pourrait quitter son commerce, il y en a vingt qui, à la première opportunité de profit, y entrent.
Quant à la stagnation des fabriques, sur laquelle la Chambre de commerce veut attirer notre attention, on répond que rien ne peut arriver à la fabrique de Lyon en dehors des règles des choses de ce monde, dans lequel il n’existe jamais aucune fixité. La sorte de souffrance que la fabrique de Lyon pourra éprouver, est celle qui accable de même par intervalles les manufactures de laine et de lin de Gênes, d’Angleterre et de Hollande. Aussi n’y a-t-il aucune raison de placer la fabrique de Lyon dans de soi-disant liens, au titre qu’elle se pourrait trouver par moments dans une activité inférieure à la normale, de même qu’on ne considère pas que la survenance occasionnelle de mauvaises récoles soit un argument suffisant contre l’accroissement de la population dans un pays.
Mais si la ville de Lyon, à l’inverse de toutes les villes du monde, craignait de voir se multiplier le nombre de ses habitants et de ses travailleurs, de peur que des souffrances ne les touchent lorsque le travail manque, elle devrait porter son accusation contre la nature même des statuts de ses communautés, lesquels contiennent des prescriptions empêchant tous ceux qui sont établis en dehors de la ville de Lyon de participer au travail de la soie, ce qui force tous ceux qui voudraient participer à cette industrie à quitter les campagnes et à se rassembler à Lyon : tandis que s’il était permis de travailler la soie dans les campagnes, particulièrement pour la première façon, et celle qui nécessite le moins d’art, les fabriques de Lyon regrouperaient moins de personnes en leur sein, et ne causeraient pas la souffrance des fabriques de soie et de l’agriculture des territoires à l’entour : les métiers cessant d’opérer en l’absence de demande, ces travailleurs, qui resteraient dans les campagnes, ne viendraient pas accroître le nombre de ceux qui inquiètent la Chambre de commerce.
La situation dans les campagnes de Gênes nous montre que la production des étoffes de soie ne doit pas être opposée aux tâches de l’agriculture. Si nous permettions l’établissement de nos fabriques de soie dans les campagnes et leur progrès dans ces lieux, nous jouirions d’un double avantage, à savoir d’un côté d’y maintenir un plus grand nombre de personnes, et d’un autre, d’y fabriquer à moindres frais que dans les villes : double avantage qui nous permettrait de lutter avec une plus grande supériorité de force contre les manufactures étrangères.
Le haut prix de la soie, dont la Chambre de commerce se plaint, est un désavantage pour les fabriques de Lyon, qu’elles ont en commun avec les fabriques d’Angleterre, de Hollande et d’Allemagne ; mais les interdictions qui frappent les soies d’Espagne, de Piémont et d’Italie ne doivent pas nous inquiéter, si nous tirons profit de l’avantage que nous possédons par le bas prix de notre main-d’œuvre, et si en facilitant et en augmentant le travail nous permettons à la soie d’obtenir une plus grande valeur chez nous que chez l’étranger, où la main-d’œuvre est plus onéreuse. De ceci il découle que les sujets de ces souverains qui frappent d’interdictions la vente à l’étranger de leur soies, auront plus davantage à nous la vendre crue que de la consommer par eux-mêmes, de sorte que toutes les interdictions deviendraient inutiles dans les pays mêmes où elles sont les plus strictes : parce que celui qui est capable de payer le plus haut prix dispose d’un tel pouvoir qu’il peut tout obtenir, quelques soient les interdictions portées.
Ce principe, de même que le précédent, qu’on a établi concernant la force de l’acheteur au meilleur prix, nous conduisent à deux vérités également indiscutables : la première, que le haut prix que nous sommes capables de donner, frappe d’interdit tant la vente que l’achat, de la part de l’étranger et de notre part, et cela malgré toutes les interdictions qui peuvent être décidées de part et d’autre : de quoi il suit qu’on ne doit pas permettre au prix des produits que nous avons à tirer de l’étranger et à conserver chez nous, c’est-à-dire des matières premières, de s’abaisser. La seconde, que les hauts prix que nous avons frappent de même d’interdit, en sens inverse, tant la vente que l’achat, pour l’étranger et pour nous : de quoi il suit qu’on doit éviter tout ce qui peut conduire à un accroissement chez nous de ce qui par son bas prix fait notre avantage, c’est-à-dire la main-d’œuvre.
Il résulte de ceci, comme il est aisé de le comprendre, que nous trouvons un avantage permanent au maintien de la matière première à un faible prix, et qu’elle nous soit ainsi vendu de l’étranger, ce qui doit arriver si nous facilitons le plus possible les moyens que nous avons de la travailler ; et d’un autre côté, que nous avons le même avantage au maintien de la main-d’œuvre à bon marché, moyen pour nous de traverser la vente de nos concurrents : ce qui doit de même arriver, si nous accroissons le nombre des travailleurs qui peuvent être employées à la fabrication et à l’apprêt de la matière première. De cette façon, nous pouvons réconcilier ce qui à première vue paraît s’opposer, à savoir l’achat à haut prix, et la vente à bon marché ; principe qu’on pourrait presque donner comme le résumé de toute la science du commerce.
Par haut prix de la matière première, on n’entend pas parler ici de la valeur qu’elle obtient après avoir été frappée par de forts droits de douane ou d’autres taxes externes, ce qui accroît le prix pour ceux qui doivent les travailler, et le réduit pour ceux qui ont à la vendre : ici on a bien évidemment en vue la valeur naturelle, qu’elle atteint chez nous par une demande plus étendue, et qui suit comme conséquence le plus grand accroissement et la plus grande facilité dans leur emploi.
Tous les statuts des communautés de Lyon qui aboutissent à limiter l’accroissement du nombre des travailleurs et à gêner le travail de la soie, forment donc des obstacles à l’obtention du prix naturel de la soie chez nous, qu’un plus grand nombre de travailleurs et une plus grande facilité dans les opérations de la fabrique permettrait d’atteindre. Par conséquent, l’effet de ces statuts est de repousser la soie étrangère, d’encourager la vente de notre propre soie, et d’arrêter l’entrée de la soie dans notre pays aussi bien que le ferait une interdiction.
Les statuts des communautés de Lyon, tels qu’ils existent aujourd’hui, sont donc extrêmement préjudiciables à notre royaume, puisqu’ils retirent à un grand nombre des sujets du roi les moyens qu’ils auraient de s’employer, et qu’ils forcent pour ainsi dire toute la nation, en ce qui concerne le progrès du commerce des étoffes de soie, de dépendre de l’activité et des talents des habitants de Lyon : car telle est la conséquence de tout ce qui porte exclusion, que nous réduisons le nombre de nos forces, face à un ennemi sans nombre qui nous attaque.
On ne peut donc répéter trop souvent cette même idée, dont il a déjà été question, à savoir que les statuts des communautés de Lyon étaient en un certain sens de médiocre importance quand nos fabriques n’avaient pas de concurrents. Ils ne nous ont pas nui sensiblement, tant que la concurrence des étrangers était faible ; mais, à présent que tous les peuples de l’Europe ont commencé d’établir des manufactures de soie chez eux, si nous ne prenons pas toutes les mesures pour accroître la prospérité des nôtres et renverser par là les leurs, nous serons bientôt forcés de céder le pas à la multitude de nos adversaires.
L’état présent du commerce de Lyon semble satisfaire la Chambre de commerce et être suffisant pour les communautés qui n’ont égard pour personne d’autre qu’elles-mêmes. Mais nous qui avons égard pour le royaume tout entier, pourrait-on considérer son commerce comme suffisamment étendu, tandis que des moyens demeureraient inemployés pour l’accroître encore davantage ?
On doit encore répondre à l’idée soutenue par la Chambre de commerce, que si la liberté est en effet nécessaire lors du premier établissement de la fabrique, pour attirer les hommes et les travailleurs capables, une fois qu’ils sont parvenus à une certaine stabilité il serait dangereux de conserver un libre accès à l’arène du travail.
On a jamais prétendu que les étrangers devaient être acceptés dans la fabrique de Lyon en tant qu’étrangers, mais uniquement en tant qu’ils auront été naturalisés, ce qui nous procurerait un double avantage, à savoir que nos fabriques se renforceraient, et que la population des sujets du roi s’accroîtrait.
Les faits prouvent très clairement que, tandis que les étrangers accroissent et améliorent leurs fabriques à notre détriment, en les enrichissant jour après jour par un afflux nouveau de travailleurs, nos manufactures ne peuvent manquer d’en subir les effets et de diminuer, quand nous repoussons les nouveaux associés qui pourraient la renforcer et l’accroître. L’ardente émulation, avec la nécessité de toujours travailler mieux et avec plus d’économie que le voisin, est le meilleur et le plus vigoureux maître et aiguillon, et celui qui dirige le plus sûrement vers la perfection. Tout ceci prouve que le libre accès aux fabriques est nécessaire pour leur premier établissement, et qu’il n’est pas moins nécessaire pour leur conservation et leur accroissement.
Loin de reconnaître, comme la Chambre de commerce de Lyon, que le progrès accompli par cette ville au cours des soixante-dix dernières années est tout à fait considérable, on croit avoir prouvé 1° que ce progrès fut moins grand que celui obtenu pendant ce même espace de temps par les fabriques de soies à travers toute l’Europe ; 2° que cet accroissement dans la fabrique a été davantage obtenu à notre propre préjudice qu’au préjudice de la fabrique des étrangers ; 3° que sans les statuts des communautés de Lyon, les fabriques de soie de Lyon, de même que celles du reste de la France, d’un côté auraient connu un progrès plus grand encore, et de l’autre que les fabriques de l’étranger se seraient moins accrues qu’elles ne l’ont fait ; 4° que si l’on continue d’appliquer avec la même vigueur les règlements actuels, nous obtiendrons moins de soie étrangère que nous pourrions en acquérir, et que notre propre soie, au lieu d’être travaillée par nous-mêmes, sortira pour être employée dans les fabriques de nos concurrents, et servira à soutenir et à accroître leurs progrès, tandis que nous resterons dans les limites de notre propre consommation.
Mais afin de ne pas s’écarter de l’objet premier de ce mémoire, qui n’est pas de proposer des changements qui causeraient des secousses trop fortes, la voie la plus sage serait, tout en maintenant les fondements des statuts des communautés de Lyon, d’en retirer tout ce qui s’oppose à la raison, et tout ce qui cause aux fabriques en général un mal indiscutable dans notre concurrence avec l’étranger.
Pour cette raison, on se borne en ce moment à proposer à la sagesse du Conseil : 1° De permettre à tous les sujets du roi, dans quelque province qu’ils fussent nés, d’être admis aux apprentissages dans les fabriques de Lyon dans les mêmes conditions que les natifs de la cité de Lyon. 2° De fixer l’apprentissage à cinq ans, et le compagnonnage à deux, ce qui ensemble fait sept ans, une plus longue durée causant un désavantage réel en comparaison des fabriques étrangères, y compris des fabriques anglaises où l’apprentissage est le plus long. 3° De permettre aux jeunes filles d’être admises aux apprentissages, ce qui serait du plus grand avantage pour les fabriques, ces filles étant plus sédentaires, et ce qui serait la manière la plus rapide de remplir le vide de travailleurs qu’on croit maintenant devoir être bien reconnu à Lyon, notamment dans le domaine du tissage, où la pénurie est si grande qu’il n’est pas possible de répondre cette année à la moitié de la demande qui nous est faite en taffetas à rayure, et de même en taffetas noirs de 74 et 60 fils, consommation qui se trouve fournie par les fabriques étrangères, nous-mêmes étant dans l’incapacité de les fabriquer. 4° De permettre à chaque maître d’employer autant de métiers qu’il le souhaite, comme cela était permis de 1667 à 1702, et de former autant d’apprentis qu’il le souhaite ; car autrement nos fabriques se trouveront toujours dans une position défavorable en comparaison des fabriques étrangères, où le nombre des métiers et celui des apprentis n’est limité d’aucune façon. 5° À supposer que les différentes réformes précédemment indiquées aboutissent à augmenter le nombre des travailleurs, il est également nécessaire d’accroître les opportunités qu’ils auront de recevoir un revenu, sans quoi la fabrique serait pour eux un moyen de rendre leur vie plus difficile : pour cette raison, on soutient que si tous les frais d’accès à la maîtrise pouvaient être réduits de moitié, avec ou sans une extinction des dettes des communautés, les communautés n’en souffriraient pas, l’entrée d’un grand nombre de nouveaux maîtres fournissant les mêmes ressources que celles qui seraient perçues sur un plus petit nombre de nouveaux maîtres. 6° De faciliter l’établissement dans les campagnes des ateliers de travail de la soie, ce qui multiplierait les fabriques de soie sans affaiblir les campagnes ni les travaux agricoles, mais les rapprocheraient pour le plus grand avantage du commerce, qui veut que le pauvre ait un moyen de s’employer et de gagner de quoi subsister.
Cette plus grande liberté, qu’on désire voir laissée aux manufactures de soie, les rétabliront dans la forme que des intérêts particuliers l’ont forcé à quitter, et dans celle qui répond au véritable esprit du commerce ; elle leur donnera l’occasion de se multiplier et de s’accroître ; et toutefois le Conseil pourra avoir égard aux observations faites par la Chambre de commerce de Lyon pour le progrès de ses fabriques.
Les deux premières, qui concernent l’autorisation de travailler les toiles dans les mêmes largeurs que les fabriques étrangères, mais sans prétendre rien changer aux largeurs et portées des étoffes pour lesquelles la ville de Lyon est célèbre, et l’autorisation d’employer des soies écrues, toujours à l’imitation des étoffes étrangères, en prescrivant au fabricant de mettre à la lisière de l’étoffe une marque distinctive : ces deux prescriptions ne peuvent que contribuer fortement au progrès de nos fabriques de soie, et par conséquent, elles nous permettront de conserver davantage de matières de soie de notre crû et d’attirer une plus grande quantité de soie étrangère. Ces deux prescriptions contribueront aussi à diminuer la consommation des toiles interdites, car dans la mesure où elles seront appliquées, elles nous donneront différentes sortes et qualités de toiles, et une plus grande force dans l’achat, que nous n’en avons aujourd’hui.
La quatrième demande de la Chambre de commerce de Lyon, d’engager la Compagnie des Indes à apporter en France les soies par préférence aux étoffes, mérite d’être approuvée par le Conseil et portée à la connaissance de la Compagnie des Indes.
La sixième, qui consiste à perfectionner les moérages, mérite l’attention du Conseil, comme une mesure devant contribuer grandement à la perfection de nos manufactures.
La septième, d’augmenter les plantations de mûriers en France, est déjà examinée soigneusement par le gouvernement depuis longtemps.
La huitième, de renouveler l’arrêt du 20 février 1725, qui interdit la sortie des soies teintes, mérite d’être examinée plus attentivement. S’il était possible d’empêcher la sortie d’une matière d’un aussi faible volume que la soie, par des interdictions seules, la Chambre de commerce aurait raison de demander leur renouvellement, mais comme ces interdictions ne peuvent pas être appliquées, la solution la plus sûre est de conserver ces matières dans notre pays pour qu’elles y facilitent et y accroissent le travail, à quoi les propositions qu’on a faite contribueront grandement. Concernant la proposition faite de défendre la sortie des soies de Tripoli montées pour filer l’or et l’argent, on fait observer que non seulement cette défense ne sera pas plus facile à appliquer que celle qui frappe les soies teintes, mais qu’il serait encore à craindre que si nous imposions une interdiction sur la sortie de ces matières, les étrangers seraient placés dans la situation de travailler dans ce domaine sans notre aide, qui cependant donne un si grand avantage à nos fabriques de galons.
Ce dernier point nous amène naturellement à l’examen de la neuvième proposition de la Chambre de commerce, laquelle se fonde sur un calcul dont l’exactitude ne peut être remise en doute, que si les droits de marque et d’affinage sont maintenus au niveau qu’ils ont atteint à Lyon, les fabriques de Lyon subiront une perte de 5 pour cent face aux fabriques de Gênes et des autres pays étrangers, où elles ne paient pas de tels droits, et en particulier face aux fabriques de Vienne en Autriche, où la fabrication des galons a déjà réalisé de grands progrès.
C’est au Conseil à juger de l’application à donner à ces propositions formulées par la Chambre de commerce de Lyon et du danger auquel nous sommes confrontés, de voir nos fabriques de Lyon passer peu à peu à Genève, qui est à notre porte, par suite de la difficulté qu’elles auront de soutenir la concurrence, ces charges continuant à être perçues.
Cette idée est en complète harmonie avec l’un des plus nobles principes que les contestations entre les communautés des tireurs d’or, des guimpiers, des fabricants et des passementiers ont donné occasion de traiter, et nous conduit à revenir à l’examen de cette contestation : mais avant d’entrer tout à fait dans cette étude, il a paru nécessaire de montrer que la concurrence qui existe aujourd’hui à travers l’Europe relativement aux différentes sortes de soie, de même que relativement aux étoffes d’or et d’argent, est telle que la moindre gêne rencontrée par nos fabriques tournera à l’avantage des fabriques étrangères : de sorte que si l’on accordait aux tireurs d’or la permission qu’ils demandent, d’être seuls autorisés à travailler les étoffes d’or et d’argent, cette disposition placerait cet art dans des conditions pires que celles observées ailleurs en Europe, où tout artisan est libre de préparer lui-même tout ce qui doit entrer dans la composition de ce qu’il fabrique : et ce serait un désavantage qui s’étendrait inévitablement aux autres fabriques de Lyon.
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