« Je vous avais prévenus », c’est ce que nous dirait Frédéric Bastiat aujourd’hui face à toutes les difficultés que nous rencontrons. Il est un domaine où la prédiction de Frédéric Bastiat en devient gênante tant elle est exacte : Comment survient, comment fonctionne et comment finira le monopole de la Sécurité Sociale ? Dans le chapitre XIV intitulé « Des Salaires », extrait de ses Harmonies Économiques, Bastiat nous décrit point par point l’enchaînement suivant : la centralisation des caisses de cotisations et de leurs fonds, la création d’une seule organisation avec un règlement uniforme, la fin de la responsabilité et, finalement, « le jour d’une explosion » (texte à la fin de l’article).
Dans les années 1930, le gouvernement français fait face à des difficultés financières considérables depuis la guerre, et la tentation est grande de s’approprier les fonds de retraites privés. Les mutualistes et les sociétés de secours mutuels dénoncent cette évolution, comme le montre ce pamphlet édité aux alentours de 1936 qui pointe le danger de la centralisation, la suppression de la liberté d’entreprise, la fin de l’innovation, la fin de la souplesse, de l’humanité, de l’efficacité et de la responsabilité.
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On en retrouve des échos dans un débat d’actualité à propos du Livret A. Ce produit financier défiscalisé, très liquide et très sûr – croit-on – attire les épargnants en cette période troublée. Et bien que les épargnants soient « libres » d’y verser leurs économies, ils sont soumis à de nombreuses incitations. Certains y voient donc une opportunité pour attirer plus l’épargne des Français sous divers prétextes. C’est même une promesse électorale du nouveau président. « Mais cela risque de se faire au détriment de l’assurance vie et des produits bancaires, » crient les assureurs et les banques, « or nous avons besoin de fonds propres ! ». D’où une bataille de chiffonniers autour du pactole, qui n’est pas sans rappeler le pamphlet des mutuelles dans les années 30.
La meilleure conclusion est le large extrait prémonitoire de Bastiat, dont vous (ré)apprécierez la finesse:
[…] J’ai vu surgir spontanément des sociétés de secours mutuel, il y a plus de vingt-cinq ans, parmi les ouvriers et les artisans les plus dénués, dans les villages les plus pauvres du département des Landes […] Dans toutes les localités où elles existent, elles ont fait un bien immense […]
Leur écueil naturel est dans le déplacement de la Responsabilité. Ce n’est jamais sans créer pour l’avenir de grands dangers et de grandes difficultés qu’on soustrait l’individu aux conséquences de ses propres actes. Le jour où tous les citoyens diraient : « Nous nous cotisons pour venir en aide à ceux qui ne peuvent travailler ou ne trouvent pas d’ouvrages », il serait à craindre […] que bientôt les laborieux ne fussent réduits à être les dupes des paresseux. Les secours mutuels impliquent donc une mutuelle surveillance, sans laquelle le fonds des secours serait bientôt épuisé. Cette surveillance réciproque […] fait la vraie moralité de l’institution. C’est cette surveillance qui rétablit la Responsabilité […]
Or, pour que cette surveillance ait lieu et porte ses fruits, il faut que les sociétés de secours soient libres, circonscrites, maîtresses de leurs statuts comme de leurs fonds. […]
Supposez que le gouvernement intervienne. Il est aisé de deviner le rôle qu’il s’attribuera. Son premier soin sera de s’emparer de toutes ces caisses sous prétexte de les centraliser ; et pour colorer cette entreprise, il promettra de les grossir avec des ressources prises sur le contribuable […] Ensuite, sous prétexte d’unité, de solidarité (que sais-je ?), il s’avisera de fondre toutes les associations en une seule soumise à un règlement uniforme.
Mais, je le demande, que sera devenue la moralité de l’institution quand sa caisse sera alimentée par l’impôt ; quand nul, si ce n’est quelque bureaucrate, n’aura intérêt à défendre le fonds commun ; quand chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les abus, se fera un plaisir de les favoriser ; quand aura cessé toute surveillance mutuelle, et que feindre une maladie ne sera autre chose que jouer un bon tour au gouvernement ?
Le gouvernement, il faut lui rendre cette justice, est enclin à se défendre ; mais, ne pouvant plus compter sur l’action privée, il faudra bien qu’il y substitue l’action officielle. Il nommera des vérificateurs, des contrôleurs, des inspecteurs. On verra des formalités sans nombre s’interposer entre le besoin et le secours […]
[…] Les ouvriers ne verront plus dans la caisse commune une propriété qu’ils administrent, qu’ils alimentent et dont les limites bornent leurs droits. Peu à peu, ils s’accoutumeront à regarder le secours en cas de maladie ou de chômage, non comme provenant d’un fond limité, préparé par leur propre prévoyance, mais comme une dette de la Société. Ils n’admettront pas pour elle l’impossibilité de payer, et ne seront jamais contents des répartitions. L’État se verra contraint de demander sans cesse des subventions au budget. Là, rencontrant l’opposition des commissions de finances, il se trouvera engagé dans des difficultés inextricables. Les abus iront toujours croissants et on en recalculera le redressement d’année en année, comme c’est l’usage jusqu’à ce que vienne le jour d’une explosion. Mais alors, on s’apercevra qu’on est réduit à compter avec une population qui ne sait plus agir par elle-même, qui attend tout d’un ministre ou d’un préfet, même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point d’avoir perdu jusqu’à la notion du Droit, de la Propriété, de la Liberté et de la Justice.
Pour aller plus loin :
–Faut-il sauver la sécurité sociale ?
–Le monopole de la Sécurité sociale face à l’histoire des premières protections sociales
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