Dans un mémoire proposé à l’Académie des sciences morales et politiques, Horace Say expose la situation et les motivations des émigrants européens quittent le contient par centaine de milliers chaque année, à la recherche d’un avenir meilleur. Pour la plupart, c’est aux États-Unis qu’ils affluent, séduits qu’ils sont par l’environnement particulièrement propice qui s’offrent à eux : là-bas, ils peuvent travailler librement, s’enrichir, devenir propriétaire, et vivre en paix, loin des impôts confiscatoires, des règlements infinis, des persécutions religieuses et des guerres incessantes qui désolent l’Europe.
Horace Say, « De l’émigration européenne au dix-neuvième siècle », Journal des économistes, janvier 1855, p.9-40
DE L’ÉMIGRATION EUROPÉENNE
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.
I. — LES ÉMIGRANTS[1].
Il est difficile de se défendre d’une pénible émotion, d’un véritable serrement de cœur, toutes les fois que l’on rencontre sur nos routes, aux gares de nos chemins de fer, dans les rues de nos villes, sur les quais de nos ports de mer, ces longues files d’émigrants des deux sexes et de tout âge, exilés volontaires qui s’acheminent vers de lointains climats. Une caravane succède à une autre caravane, et sur toutes ces figures halées se lisent les mêmes impressions. Les jeunes gens sont en général en tête des colonnes, avançant d’un pas résolu. Insouciants du présent, ils regrettent peu ce qu’ils quittent et sont tout à l’avenir ; ils sentent qu’ils sont appelés à jouer un rôle important dans une grande entreprise. Le père de famille vient ensuite, plus méditatif et plus sérieux, encore obsédé par les idées contradictoires qui l’ont agité avant la décision qu’il a prise. Peut-être pense-t-il qu’il pourrait encore retourner en arrière ; mais son parti est pris, la responsabilité qui pèse sur lui ne l’effraye pas, les anciennes habitudes sont rompues, et il a dit adieu pour toujours à son pays natal. La femme, attardée par les soins que réclament les enfants, est plus fatiguée, elle a le regard triste, mais résigné. Tous avancent cependant, se dirigeant lentement vers leur destination. Ils ont l’air indifférents aux lieux qu’ils traversent ; c’est à peine s’ils tournent la tête pour regarder d’un œil distrait les merveilles d’une grande ville ; leur pensée franchit l’espace et se porte, avec un mélange de crainte et d’espérance, vers les pays inconnus où ils vont chercher un meilleur sort.
On se demande, en les voyant passer, de quels lieux ils viennent et quelles raisons puissantes ont pu les amener à abandonner leur pays et à renoncer à la terre natale ? Si quelques-uns semblent à plaindre, tous cependant sont bien vêtus, ils sont pourvus d’un certain bagage et emportent quelques outils ; avant l’ouverture des chemins de fer ils voyageaient avec des chariots ; on sait d’ailleurs qu’ils n’ont dû se mettre en route qu’en emportant la somme nécessaire au paiement d’un passage sur mer, et que beaucoup d’entre eux ont même un petit capital qui doit aider à leur établissement aux lieux d’arrivée.
Les frais de l’émigration peuvent être couverts de trois manières : ou par les ressources propres des familles, ou par des sacrifices faits par le pays dont on émigre, ou enfin par des fonds envoyés des centres d’émigration par des compatriotes partis antérieurement, qui engagent leurs parents ou amis à venir les rejoindre pour se fortifier de leur coopération et partager avec eux les avantages dont ils jouissent,
Il se peut, avons-nous dit aussi, que des communes ou des gouvernements se soient décidés à faire des sacrifices pour se débarrasser d’un excédant gênant de population et s’exonérer par là d’autres dépenses devenues accablantes.
De bons travailleurs, habiles dans quelqu’une des branches de l’industrie humaine, particulièrement dans l’industrie agricole, sont, après un sol fertile, la première richesse d’un pays. Le départ de ces travailleurs, leur renonciation à leur nationalité sont donc pour leur pays une perte très sérieuse, et la perte s’augmente encore de tout ce que l’émigrant emporte, de son équipement, de ses divers objets mobiliers, de ses outils, du capital, enfin, qui doit l’aider à tirer parti de son travail à son arrivée : c’est donc une chose très sérieuse par ses conséquences pour un pays, que ce départ d’une partie de sa population.
Depuis quarante ans l’Europe s’est ainsi appauvrie annuellement par le départ régulier d’un certain nombre de ses habitants, et le chiffre de cette émigration, loin de diminuer, a été en augmentant dans ces dernières années de manière à atteindre et même à dépasser six cent mille âmes par année ; ce fait appelle une sérieuse attention.
La plupart de ces émigrants se rendent dans l’Amérique du Nord et continuent ainsi le grand mouvement d’expansion de la race humaine de l’Orient en Occident. De grandes différences distinguent cependant le mouvement de l’émigration européenne de ce qu’ont été jadis les grandes migrations dont l’histoire nous retrace les vicissitudes. Il s’agit bien toujours de populations qui s’éloignent des lieux où elles ne se trouvent pas suffisamment pourvues, suffisamment libres et heureuses, pour aller chercher ailleurs des conditions meilleures d’existence ; mais la première différence sensible, c’est qu’aujourd’hui ce sont seulement des départs individuels, par familles ou par groupes, déterminés par un esprit d’association pacifique ; tandis que dans les temps antérieurs, nous voyons toujours des tribus ou des nations entières, sous la conduite de leurs chefs, s’élancer des confins de l’Asie et des steppes du Nord pour se ruer, les armes à la main, sur les peuples plus riches de l’Occident européen.
Les temps sont aujourd’hui bien changés ; avec les progrès de la civilisation, le droit de propriété s’est partout établi ; il n’est plus de pays où l’on puisse aller se fixer en prenant la place de ceux qui possèdent, et en les spoliant du fruit de leurs travaux antérieurs. On ne peut se faire admettre qu’en venant offrir son travail ou son capital. Les émigrants européens savent en partant que leur sort dans l’Amérique du Nord ou en Australie dépendra uniquement de l’emploi utile qu’ils trouveront à faire de leurs forces ; ils se présentent désormais en amis et non en conquérants.
Lorsque les frais de l’émigration sont supportés par les émigrants eux-mêmes ou par leur gouvernement, il y a dans ce premier fait une cause de perte pour le pays qui les voit partir ; mais la perte va plus loin encore que les frais de voyage et même que le capital emporté ; le pays perd encore, en général, des hommes valides qui ne sont arrivés au développement de leurs forces et de leur intelligence que par des dépenses successives ; or, ces dépenses ont incorporé en eux un véritable capital qui sera perdu par leur pays en même temps que les autres valeurs par eux emportées sous diverses formes.
On ne voit même à cette perte aucune compensation, car les émigrants qui partent actuellement d’Europe ne vont pas fonder ou achever de peupler des colonies nationales ; ils ne partent pas avec l’espoir de retour ; ils ne songent nullement à entretenir des relations avec les pays qu’ils abandonnent. Ils renoncent purement et simplement à une patrie pour en adopter une autre. Les causes qui les portent à prendre une aussi grave détermination, sont de nature à donner lieu à des considérations importantes en morale et en politique.
Pour ce qui concerne le continent européen, c’est surtout des contrées allemandes baignées par le Rhin qu’est parti ce flot d’émigration qui a toujours été se grossissant depuis plus de trente ans, et il y a ce premier point à signaler que ces pays sont précisément ceux qui ne possédaient point antérieurement, et qui n’ont pas formé depuis de colonies au-delà des mers. Les causes diverses qui déterminent les émigrants dans le choix de la destination qu’ils adoptent ont donc un certain degré d’intérêt.
Les données statistiques manquent, à quelques égards, pour établir le chiffre annuel exact de l’émigration : cependant, d’après le rapport de la Commission anglaise officielle de l’émigration, d’après les données fournies par les ports principaux d’embarquement du continent, le Havre, Anvers, Brème et Hambourg, et en restant dans des limites très modérées, on peut dire que 600 000 émigrants ont quitté l’Europe en 1853 pour des destinations diverses.
C’est surtout depuis 1848 que l’émigration a pris ce développement ; trois grandes causes y ont simultanément contribué : les événements politiques de l’Europe, la découverte des gisements d’or en Californie et en Australie, enfin la grande réforme politique et économique entreprise par l’Angleterre, en ce qui regarde l’Irlande.
Pour embrasser dans toute son étendue ce vaste sujet de l’émigration européenne actuelle, il faut examiner séparément ce qui concerne les départs du continent européen et ceux des îles britanniques. L’émigration continentale se partage encore en deux parties : celle qui s’épanche de la grande vallée du Rhin et l’émigration moins nombreuse, qui part des autres contrées, telle que l’émigration de la presqu’île Scandinave pour le Canada, et les émigrations françaises, italiennes, ou espagnoles pour les deux Amériques. En ce qui concerne l’Algérie, il n’y a pas, à proprement parler, d’émigration, c’est-à-dire de changement de patrie ; il s’agit là d’une grande œuvre de colonisation, pour laquelle la France fait appel aux autres peuples ses voisins, à laquelle chacun concourt et où chacun se porte en conservant sa nationalité et l’espoir du retour.
II. — ÉMIGRATION GERMANIQUE.
La paix de 1815, en rétablissant la liberté des mers, si longtemps entravée, ouvrit des pays nouveaux au commerce européen ; d’un autre côté, bien des existences avaient été troublées par les événements politiques ; des armées nombreuses venaient d’être licenciées, beaucoup d’hommes se trouvaient ainsi forcés d’aller chercher ailleurs que chez eux une utile application de leurs talents et de leurs forces. Ils se dirigèrent en grand nombre vers l’Amérique. Ceux qui ne savaient guère que le métier des armes offrirent leur épée aux colonies espagnoles, qui combattaient pour s’affranchir du joug de la métropole. Beaucoup de ceux qui avaient ainsi traversé les mers moururent assez promptement de fatigues, d’excès ou de misère. Quelques-uns cependant finirent par se livrer à l’agriculture ; les plus sensés d’entre eux passèrent aux États-Unis, où le travail était demandé et où de vastes territoires ouvraient un champ fécond à l’activité de l’homme. D’abord il ne s’agissait guère que d’individus isolés ; mais bientôt des familles allemandes tout entières prirent cette voie, puis, le succès ayant couronné leurs efforts, elles appelèrent d’autres familles restées sur le sol allemand, et bientôt un courant régulier d’émigration s’établit des bords du Rhin vers l’Amérique, en passant par le Havre.
Il s’est produit alors un fait commercial important : le passage des émigrants est devenu un moyen de retour pour les navires américains qui, apportant du coton au Havre, manquaient d’éléments de cargaison à leur sortie ; cet élément trouvé, le taux du fret sur le coton qui, autrefois, devait couvrir la dépense des deux voyages, a baissé, et la construction des navires mêmes en a été modifiée. Les Américains, renonçant aux formes effilées et élégantes de leurs coques, qui avaient eu tant de succès pendant la guerre, ont trouvé moyen de construire des navires qui ont porté plus de balles de coton et ont présenté ensuite de plus vastes aménagements aux familles des émigrants. Les flancs élargis se sont élevés beaucoup plus au-dessus de la ligne de flottaison, sans pour cela gêner la marche du navire.
Ce nouvel article d’encombrement a afflué de plus en plus sur les quais du Havre, de 1818 à 1836, et le nombre des émigrants qui traversaient la France atteignait déjà, à cette dernière date, quinze à vingt mille par année.
Beaucoup de ces voyageurs étaient chassés de leur pays par la misère ; aucun moyen de parer à leurs frais de route n’avait encore été organisé ; beaucoup mendiaient chemin faisant ; d’autres venaient frapper à la porte de nos hôpitaux. Le gouvernement français s’en effraya, et songea à prohiber à l’entrée le paupérisme étranger ; prohibition plus excusable, sans doute, que toutes les autres. Mais les moyens employés dépassèrent le but et eurent pour effet de détourner une partie du courant, et de faire ainsi tort au port du Havre, au profit d’Anvers, de Rotterdam, de Brème et de Hambourg.
Il fut décidé qu’aucun émigrant ne serait admis à traverser la France sans avoir, au préalable, payé à l’agent d’un capitaine ou armateur le prix du passage pour New York ou pour la Nouvelle-Orléans ; sans avoir justifié de la possession d’une somme de 400 florins ou 800 fr. pour tout individu au-dessus de dix-huit ans, et de moitié de cette valeur pour tout individu au-dessous de cet âge ; enfin, sans être porteur d’un passe-port visé par l’ambassadeur français, à Francfort.
La somme demandée ainsi était quatre fois trop élevée[2], et cette signature d’ambassadeur était, en grande partie, superflue. Le véritable pionnier porte son passe-port écrit sur sa figure hâlée et dans ses mains calleuses. Faute de pouvoir satisfaire aux exigences du gouvernement français, les émigrants s’abandonnèrent au cours du Rhin, et découvrirent ainsi d’autres routes. De même, les longues processions de fourmis de nos jardins et de nos bois, quand on veut entraver la marche première qu’elles ont choisie, font un long détour, mais n’en finissent pas moins par arriver à leur but.
Les maisons qui s’occupaient, au Havre, de ce commerce de marchandise humaine ont fait de grands efforts pour parer à cet inconvénient. Elles ont envoyé des agents chargés de faciliter aux émigrants leurs rapports avec les autorités locales ; de remettre en outre dans les mains de ces voyageurs la somme exigée, qui, après avoir été exhibée au passage de la frontière, était rendue aussitôt l’arrivée sur le territoire français.
Depuis lors, le courant de l’émigration s’est partagé et une grande rivalité s’est établie entre le Havre et les ports de la mer du Nord. Le Havre n’a guère combattu la concurrence que par les avantages naturels que présente sa position et par le grand nombre de navires américains qu’y attire son marché au coton, le plus important de l’Europe après celui de Liverpool. Il a cependant obtenu qu’on atténuât les entraves mises à la traversée du territoire, et, plus tard, même que l’on y renonçât entièrement. L’usage d’exiger de l’émigrant qu’il justifiât de ses moyens de payer le passage est tombé en désuétude.
La ville de Brème, au contraire, a fait les plus constants et les plus louables efforts pour attirer chez elle l’affluence des émigrants. Des Sociétés philanthropiques de patronage se sont formées ; elles ont successivement régularisé leurs moyens d’action, et se sont mises en correspondance avec des Sociétés allemandes fondées à New York, à Philadelphie, à la Nouvelle-Orléans, et même à Saint-Louis, sur le Mississipi.
La Chambre de commerce et le Sénat de la ville leur ont donné le concours de leur autorité. Un Comité de renseignements a été institué pour éclairer gratuitement les émigrants sur leurs véritables intérêts ; des instructions ont été publiées, et affichées dans tous les lieux apparents. On chercha surtout à mettre les malheureux en garde le plus possible contre les intrigants de toute sorte, qui tâchent, soit dans leur propre pays, soit sur la route, soit au port d’embarquement ou à leur arrivée en Amérique, de capter leur confiance et de soutirer leur argent. Le fait est que l’audace, à cet égard, a été poussée au-delà de toute idée, des agents américains, par exemple, ont été jusqu’en Allemagne pour vendre des billets des chemins de fer des États-Unis.
On trouve également, en Angleterre, les mêmes recommandations répétées pour mettre en garde les émigrants, toujours simples de leur nature, contre des intermédiaires dangereux.
L’autorité publique à Brême est intervenue de plus en plus dans la protection donnée à l’émigration, et en cela encore elle a suivi surtout l’exemple de l’Angleterre. Il a été interdit à toute personne, sous peine d’amende, de se porter à la rencontre des émigrants pour leur donner des avis d’aucun genre ; il n’y a eu d’exception que pour les agents du bureau de renseignements qui doivent, sous des peines sévères aussi, s’abstenir de recevoir aucune rétribution.
Une loi calquée sur le bill anglais de 1849, amendé en 1852, contient les prescriptions les plus minutieuses sur les visites auxquelles sont soumis les navires destinés aux émigrants. On stipule la hauteur des entreponts, l’épaisseur à donner aux bois dont sont faits les ponts, l’espace superficiel et le cubage d’air qui doivent être attribués à chaque passager, la quantité et la qualité des nombreux articles de consommation qui doivent être embarqués.
Des ponts mobiles ont été préparés pour rendre l’embarquement facile et sûr. De nombreuses obligations sont, en outre, imposées aux armateurs, qui doivent être Brêmois, et aux capitaines, entre autres celle de faire assurer une somme suffisante pour garantir, en cas de naufrage, les moyens de transport de l’émigrant du lieu du sinistre au lieu de la destination.
Les émigrants ne doivent être admis à bord que lorsque tout est parfaitement prêt et que le navire est sur son départ. Pour faciliter, du reste, leur séjour à terre, il a été construit, de 1849 à 1850, à Bemerhaven (port de Brême), un vaste hôtel spécial pouvant offrir le logement à la fois à deux mille passagers. L’édifice présente une façade de 60 mètres ; on y trouve des galeries longues de 30 mètres, des salles communes, des dortoirs, des chambres séparées pour ceux qui peuvent les payer ; les soubassements sont occupés par des cuisines, des offices, des magasins pour les bagages, des appareils pour le chauffage à la vapeur de tout l’établissement. Il y a des chapelles spéciales pour le culte catholique et pour les cultes protestants. Une infirmerie de 35 lits est ouverte aux malades. Le prix de séjour est très modique ; moyennant 0,75 centimes par jour, on peut y être logé et nourri. Moyennant 1 fr. 90 c, pour ceux qui ont le moyen de les payer, on a un bon lit, autant du moins qu’il est possible d’en trouver en Allemagne ; du café avec lait, sucre et pain blanc le matin ; au milieu du jour, un repas consistant en potage, viande et légumes ; le soir, du thé ou du café, qui peuvent être remplacés par un repas chaud plus solide.
Enfin, toutes les précautions semblent avoir été prises pour que l’émigrant n’ait qu’à se louer d’avoir donné la préférence au port de Brême. Le Sénat, la Chambre de commerce, le bureau de renseignements rivalisent de zèle à cet égard ; pour le cas où un passager aurait une contestation quelconque avec des agents de transports, des hôteliers, des armateurs ou des capitaines, on lui offre un conseil judiciaire et un défenseur gratuits.
Brême est ainsi arrivé à avoir, en 1852, un passage de 58 551 émigrants. Au Havre, dans la même année, le passage a été de 72 325[3]. Les nombres, pour le Havre surtout, se rapportent uniquement aux navires appropriés au transport des émigrants et ne comprennent pas les passagers partis par d’autres navires, ni ceux qui se sont rendus en Angleterre, pour de là passer dans les contrées lointaines. L’émigration la plus forte est celle de 1852 ; elle a été un peu moindre en 1853. Hambourg n’a pas fait les mêmes efforts, et c’est seulement dans ces dernières années qu’on a songé à y fonder des Sociétés protectrices des émigrants ; il en est parti de cette ville, en 1852, 21 916.
Les événements de 1848 avaient jeté un certain trouble dans le mouvement d’émigration de l’Allemagne ; le courant a repris sa marche et le flot semble encore devoir grossir.
Un tiers seulement des Allemands s’embarque dans les ports appartenant à l’Allemagne. Les frais de voyage pour s’y rendre sont à peu de chose près les mêmes que pour aller au Havre ; ils trouvent dans la communauté du langage plus de facilités pour se tirer d’affaire ; mais, d’un autre côté, ils ont la perspective d’une traversée plus longue. En outre, ils s’embarquent à Brême sur des navires allemands ; au Havre, sur des navires américains, et, aussitôt à bord, ils se regardent comme ayant atteint déjà leur nouveau pays d’adoption ; le voyage au travers de la France leur est singulièrement facilité par des agents spéciaux des affréteurs du navire ; enfin, on croirait qu’ils ont hâte de rompre définitivement avec le pays qu’ils abandonnent : il faut ajouter que, malgré les précautions prises à Brême, les navires construits dans ce port doivent offrir moins d’espace aux passagers que les navires américains, ils sont d’un moindre tonnage et ne peuvent compter sur les mêmes éléments de retour.
Les chemins de fer français contribuent à rendre, par des remises sur les prix, le voyage facile ; on a reproché toutefois à notre compagnie de l’Est d’avoir accordé le monopole de la réduction de prix à un seul commerçant qui a trouvé par là le moyen de prélever un bénéfice de 15 pour 100 sur le voyage des émigrants. Le gouvernement belge accorde uniformément une remise de 30 pour 100 sur le prix des places aux émigrants, et les gouvernements allemands suivent maintenant cet exemple. L’émigrant profite de la concurrence de ceux qui se disputent sa pratique.
L’émigrant allemand se dirige essentiellement vers les États-Unis. Les relevés donnés pour le Havre comprennent uniquement les départs pour New York et pour la Nouvelle-Orléans ; ainsi le chiffre de 1852 se décompose en 51 674 émigrants partis du Havre pour la première de ces villes, et 20 651 pour la seconde.
Pour les autres ports, on comprend dans les relevés les passagers partis pour toute destination. Une circonstance empêche cependant d’établir à cet égard une statistique complète, c’est qu’il est un grand nombre de passagers, surtout de ceux partant de Rotterdam, d’Ostende ou de Hambourg, qui se rendent en Angleterre, et dont on ne connaît pas la destination ultérieure.
Dans les relevés donnés des départs du port de Brème en 1852, on trouve des émigrants pour toutes les destinations ; ainsi, en 1852, 28 636 sont partis pour New York ; 10 077 pour Baltimore ; 13 116 pour la Nouvelle-Orléans ; 1 440 pour le Canada, etc.
Dans les départs de Hambourg, 13 898 émigrants allaient aux États-Unis ; 2,051 au Canada ; 1 749 en Australie.
D’Anvers, 14 186 passagers allaient aux États-Unis ; 2 243 au Brésil.
Dans tous les cas cependant, c’est vers les États-Unis que se dirige la plus grande partie de l’émigration européenne. Un grand nombre même des émigrants qui vont au Canada passent ensuite aux États-Unis dans l’État de Wisconsin.
En débarquant à New York, les nouveaux arrivants ont encore un long parcours à faire pour se rendre aux lieux de leur destination où les appellent en général des compatriotes. Ils ont encore besoin d’aide, d’appui, et surtout de renseignements ; il s’est donc formé là aussi des Sociétés de protection, et le gouvernement local s’est occupé sérieusement de ce qui concerne pour lui l’immigration. Des règlements sévères ont été faits. Un capitaine ne serait point admis à débarquer dans le pays des aliénés, des aveugles, des impotents privés de l’appui d’une famille, sans avoir fourni, sur la valeur de son navire une caution pour couvrir la dépense que l’entretien de ces malheureux exigerait.
Il n’en reste pas moins encore à pourvoir à de nombreux besoins, pour les cas de maladies de toute nature et même de complet dénuement. L’État a fait de certains arrangements avec l’hôpital de New York, avec celui de la Marine, et a contribué à la fondation d’établissements importants, comme les hôpitaux et les asiles spéciaux, pour les émigrants, dans l’île de Ward. Ceux qui peuvent contribuer en arrivant ont une garantie d’aide et d’appui pendant cinq ans ; les autres restent à la charge de la Société protectrice et du fonds des pauvres.
Pendant l’année 1853, il n’a pas été débarqué à New York moins de 335 259 passagers dont 284 945 étaient immigrants proprement dits, et parmi lesquels on a compté 119 644 allemands ; le surplus se composait, en grande partie, d’Irlandais. Les entrées aux hôpitaux ont été de 19 511. Les nouveaux arrivants, les Allemands surtout, se destinent, en général, à l’agriculture. Ils vont se joindre et s’assimiler à la masse des défricheurs qui, depuis cinquante ans, gagne incessamment vers l’Ouest. Les pionniers forment l’avant-garde, chassant devant eux les Indiens ; les immigrants viennent ensuite, avec les autres settlers, mettre les terres en pleine valeur et payent, plus tard, sur les produits qu’ils réalisent, le prix qui revient au gouvernement fédéral pour toutes les terres précédemment inoccupées. Mais dans cette conquête successive du sol, si l’immigrant fournit son contingent, il est loin cependant de former l’armée principale, il est entraîné par ce flot de la race anglo-saxonne, depuis longtemps implantée dans l’Amérique du Nord, qui pousse devant elle les indigènes épars, incapables de tout travail suivi, et s’empare enfin d’un immense continent comme de son véritable domaine. Le travail est pour ces envahisseurs de droit divin ; ils disent à ceux qu’ils rencontrent : « Travaillez avec nous, ou disparaissez si vous ne travaillez pas, jetez-vous sur les voisins ou mourez de misère, cela ne nous touche nullement ; mais la terre doit être cultivée, et si ce n’est par vous, ce sera par nous. »
Après avoir mis en culture tous les affluents de la grande vallée du Mississipi, en cherchant les meilleurs terrains, en évitant les parties trop montagneuses et trop froides, en se dirigeant par conséquent vers le Sud-Ouest, l’armée des cultivateurs ne pouvait manquer d’atteindre un jour le Mexique, où les indolents descendants des colons espagnols ne devaient guère lui opposer plus d’obstacles que ne l’avaient fait jusque-là les Indiens.
Une circonstance imprévue est venue hâter le conflit, c’est la découverte des gisements d’or en Californie. À partir de 1848, la fièvre de l’or est venue se joindre à l’ardeur du défrichement dont les Américains étaient dévorés. Il ne s’est plus agi de gagner du terrain graduellement vers l’Ouest ; il fallait s’élancer de plein saut sur les bords de l’océan Pacifique ; déjà le Texas était annexé, il fallait obtenir à prix d’argent, si ce n’était par les armes, la Californie tout entière et le haut Mexique. L’émigration partant des anciens États de l’Union, pour se rendre sur la terre de l’or, prit des proportions énormes, et une partie des nouveaux venus d’Europe a suivi le mouvement. Ceux qui vont chercher de l’or sont en général les plus aventureux, ils vont en avant sans famille, ils veulent faire fortune et conservent l’idée du retour ; mais bientôt les agriculteurs et les commerçants les suivent pour fournir à leurs besoins de tous les jours et recevoir en échange une part du précieux métal, qui sans cela resterait sans valeur entre les mains de ceux qui l’auraient recueilli. En trois ans, la Californie est devenue un État important et sa population a dépassé trois cent mille âmes.
Le voyage, pour se rendre des anciens États en Californie, était dans l’origine long et dispendieux ; il fallait doubler le cap Horn et faire le tour entier de l’Amérique méridionale. Ensuite, la vapeur a transporté les voyageurs au fond du golfe du Mexique ; ils ont traversé par terre l’isthme de Panama et se sont embarqués sur l’océan Pacifique pour gagner San Francisco. Mais ce qui devait surtout exciter le génie américain, c’était la recherche d’un moyen de se rendre en Californie directement par terre.
Si l’on voulait prendre son point de départ des affluents du Missouri, pour construire un chemin de fer, on couperait le continent dans sa plus grande largeur : un sol de montagnes, bouleversé en certaines parties par d’anciens cataclysmes, des parties désolées, et, pendant les trois quarts de l’année, un climat glacé, des difficultés sans nombre se seraient présentées. La haute Californie est d’ailleurs sous la latitude de la Pennsylvanie et des Carolines ; le point de départ naturel était la Louisiane. C’était donc du côté du Mexique qu’il fallait chercher le passage. Lors de la dernière guerre, deux corps expéditionnaires, détachés de l’armée américaine, furent envoyés vers le nord du Mexique pour explorer le terrain. À leur retour, le général Kerney et le lieutenant-colonel Cook ont fait à ce sujet d’excellents rapports.
En même temps, d’intrépides émigrants s’élançaient par tous les défilés et trouvaient ainsi ce qu’ils ont appelé le chemin de la bourse, c’est-à-dire celui qui leur permettait d’arriver à la terre de l’or. C’est ainsi qu’on s’est aperçu que le meilleur tracé de chemin de fer remonterait du golfe du Mexique par la vallée du Rio Bravo, ou grande del morte, passerait le col de Guadalupe, pour descendre ensuite par la vallée de la Gila jusqu’à l’océan Pacifique.
Par un nouveau traité, échangé le 30 juin 1854, les États-Unis ont donc obtenu du gouvernement mexicain, moyennant un prix de dix millions de dollars, que leur frontière serait reportée au sud jusqu’au 51e degré 17m de latitude, et ils ont profité de l’occasion pour se faire concéder en même temps un droit de passage et de surveillance sur l’isthme de Tehuantepec.
Déjà un assez grand nombre d’émigrants européens, de ceux qui arrivent à New York et de ceux qui vont à la Nouvelle-Orléans, se dirigent vers la Californie.
Si, après avoir considéré les émigrants en Europe, les avoir vus s’embarquer, les avoir suivis en Amérique, on veut se reporter en arrière pour les interroger sur les motifs qui les ont déterminés à quitter le sol natal, et si l’on veut rechercher quel est le résultat de leur émigration sur les pays qu’ils ont quittés, un champ plus vaste peut-être s’ouvre à l’étude. Mais ici les faits s’appuient peu sur des chiffres ; ce sont surtout des considérations morales et politiques qui se présentent, et l’on ne doit s’y abandonner qu’avec une extrême réserve.
Dans les rapports des diverses Sociétés de protection de l’émigration ; dans ceux qui viennent de Brême en particulier, on cherche à expliquer l’émigration en insistant sur les parties les plus honorables du caractère allemand. L’Allemand, dit-on, est travailleur persévérant, il veut améliorer son sort, il est toujours prêt à se rendre là où son travail doit être le mieux récompensé, certaines professions industrielles ont été de longue date exercées par lui en tous pays, il tient plus enfin à la famille qu’à son pays. On cherche encore dans ses origines historiques la justification de sa facilité à se déplacer, et on insiste sur les liens qui le rattachent à cette race anglo-saxonne, dont le travail a désormais pour domaine près de la moitié du monde. Ces faits expliqueront surtout le choix donné aux États-Unis comme but du voyage ; mais il y en a d’autres encore à cette préférence, et les principaux sont évidemment qu’ils espèrent y trouver la liberté civile, politique et religieuse, dont ils ne jouissent qu’imparfaitement chez eux. Les Allemands n’ont jamais réussi par eux-mêmes à fonder des colonies et à y établir de bons gouvernements ; mais ils sont travailleurs et persévérants et ils acceptent volontiers d’aller vivre là où d’autres savent maintenir l’ordre et la liberté. Ils veulent jouir de l’exemption du service militaire ; ils veulent contribuer, dans de justes mesures, aux dépenses publiques dont ils seront appelés à profiter, surtout eux-mêmes, au milieu de leurs égaux ; ils veulent échapper aux entraves des corporations ; ils veulent pouvoir disposer librement du fruit de leurs travaux et échapper par là à la misère.
Ce qu’ils vont chercher, c’est évidemment ce qu’ils n’ont pas, ou du moins c’est ce qu’ils n’ont que très imparfaitement.
Les émigrants appartiennent à bien des États différents ; les mêmes reproches ne s’appliquent pas tous ni chacun dans la même proportion à tous les pays. Mais le morcellement même de l’Allemagne est un mal qui nuit aux conditions dans lesquelles s’exerce le travail ; il rend la part des dépenses générales plus lourdes pour chaque travailleur ; il détruit l’esprit de nationalité. La patrie allemande que quelques esprits d’élite, que les poètes surtout, mettent sans cesse en avant, ne parait pas laisser de bien profondes empreintes dans l’esprit du plus grand nombre, puisque, chaque année, plus de 200 000 émigrants semblent l’oublier en mettant le pied sur le pont d’un navire.
L’émigration a pris de telles proportions que tous les gouvernements de l’Allemagne s’en sont plus ou moins préoccupés ; tantôt leurs mesures tendent à l’entraver, mais le plus souvent leur autorité semble s’exercer dans un but de protection pour les individus. Au nombre des tentatives faites pour arrêter l’émigration lointaine, il faut ranger les essais de fondation de colonies agricoles dans certaines parties des possessions allemandes. Ainsi, le roi de Prusse avait offert des terres dans le grand-duché de Posen ; des commissaires ont été envoyés pour recruter parmi les émigrants des bords du Rhin, mais leurs efforts n’ont eu aucun résultat. Les règlements promulgués portent la défense de sortir du pays sans une autorisation préalable, et cette autorisation ne doit jamais être accordée à ceux qui ne sont pas libérés du service militaire ; en général, les agents qui veulent traiter avec les émigrants pour les frais de leur voyage sont réglementés. Leur nombre est limité ; quelquefois on exige d’eux de verser des cautionnements ; en Bavière, deux maisons seulement sont autorisées à passer des traités avec les émigrants pour leur voyage par la France. Les traités sont envoyés au contrôle du consul au Havre, avant d’être approuvés par le gouvernement. Il en résulte une émigration clandestine très importante, et de nombreux agents se tiennent à la frontière pour la faciliter.
Les gouvernements du Wurtemberg, du duché de Bade et des deux Hesses sont moins rigoureux que celui de Bavière ; cependant partout on ne peut obtenir de passe-ports sans qu’un appel ait été fait à tous ceux auxquels des motifs d’intérêt pourraient donner droit de s’opposer au départ, et sans que l’émigrant ait fait une renonciation à tout droit de bourgeoisie et de nationalité.
Les autres mesures sont prises en vue de protéger les émigrants ; ainsi les Sociétés de protection ont-elles été fortement encouragées, et lorsque la cause du départ est la misère, les communes et les gouvernements interviennent par des subventions ; les communes ont bien soin de stipuler, dans ce cas, la renonciation du domicile et de tout droit à des secours ultérieurs.
Il est affligeant de songer combien la misère agit comme cause d’émigration dans tous les pays que traverse ou borde le Rhin, depuis le lac de Constance jusqu’aux frontières de Hollande, et pourtant on se montre fier d’appeler ce fleuve le Rhin allemand. Sur beaucoup de points, la population est généralement pauvre, et ce n’est guère sur notre continent que de ce côté, et notamment dans quelques quartiers des villes que baigne le Rhin, que l’on retrouve de ces types malheureux qui rappellent l’Irlande. L’histoire expliquerait en partie l’état des populations de cette grande et belle vallée où la féodalité a si longtemps fait sentir sa tyrannie, et qui a été le théâtre de tant de guerres.
Dans le duché de Bade, la journée d’un manouvrier est seulement de 36 krcutzer (1 fr. 40 c). Ce salaire, qui permet de vivre misérablement en temps ordinaire, devient tout à fait insuffisant en temps de crise. La mauvaise récolte de 1846, la maladie des pommes de terre et la secousse de l’insurrection badoise de 1849 ont singulièrement hâté les progrès de l’émigration. En 1852, les émigrants ont été au nombre de 14 400, sur une population de 1 556 943 âmes que donne le dernier recensement ; c’est donc d’un pour 100 sur son personnel, et de tout le capital nécessaire à cette émigration que le pays s’est appauvri.
Dans les années précédentes, le nombre avait été moins fort.
Par des relevés faits relativement à 61 000 émigrants, on a trouvé
Que 30 000 étaient voués à l’agriculture ;
17 000 étaient gens de métier ;
14 000 n’avaient pas de profession déterminée.
Lorsque les émigrants sont en état de subvenir à leurs dépenses et peuvent emporter un certain capital, les bandes se forment de familles recrutées sur divers points ; lorsqu’au contraire il y a subvention des communes ou de l’État, tous ceux qui les composent sont du même canton.
On ne croit pas que les émigrés politiques aient dépassé 5 ou 600 âmes ; mais il y avait parmi eux des gens riches, qui ont fondé en Amérique des établissements importants.
La question de la dépense qu’entraîne l’émigration est d’une haute importance, quand elle porte sur des nombres aussi considérables. Si l’on ajoute aux frais d’équipement la dépense du voyage en Europe, le passage et ce qu’il faut avoir pour se rendre du port de débarquement au point où le travail doit devenir productif ; si l’on pense en outre que beaucoup d’émigrants emportent un petit capital, c’est estimer bien bas la moyenne que de la mettre à 500 fr. par tête.
Souvent les sommes sont beaucoup plus fortes ; une gazette Brêmoise du 8 avril 1854 rapportait que l’émigration du Palatinat avait été en 1852 de 8 908 individus, emportant une fortune totale de 2 millions 24 000 florins, ce serait plus de 5 500 fr. par individu. En 1853 le nombre des émigrants a été de 9 497 dont la fortune totale aurait été moitié moindre, ce qui serait encore considérable. D’après les mêmes documents, sur ce dernier nombre d’émigrants, 4 294 auraient quitté le Palatinat sans permission du gouvernement, et parmi ceux-là 1 205 n’étaient pas libérés du service militaire.
Un journal de Vienne (Autriche) dit que les demandes d’autorisation d’émigrer sont cette année plus nombreuses que jamais.
L’émigration est tous les ans de plus de 200 000 individus emportant une valeur qui dépasse certainement 100 millions de francs. C’est en quelque sorte comme si l’Allemagne fournissait tous les ans une armée de 150 000 ou au moins de 100 000 hommes parfaitement équipée et destinée à disparaître complètement aussitôt après avoir franchi la frontière. Ces faits sont des plus graves, et les réflexions qu’ils font naître sont d’autant plus tristes qu’on n’entrevoit pas de terme au mal. Si le pays se débarrassait complètement de ses pauvres, on pourrait penser que le reste des habitants vivrait d’autant plus à l’aise après leur départ ; mais il n’en est pas ainsi, les plus malheureux restent au contraire, ils ne sauraient se tirer d’affaire ailleurs ; ceux qui partent sont les gens vaillants, capables de travailler, et ils ne quittent pas sans emporter un certain capital. Les émigrations pour causes politiques débarrassent, il est vrai, le pays de gens turbulents, qui pourraient compromettre sa tranquillité ; les gouvernements les encouragent de leur mieux, et ils ont commué en bannissement perpétuel beaucoup de condamnations, afin de vider ainsi leurs prisons ; mais ces émigrés politiques ne partent pas sans capitaux, il y en a même eu qui ont emporté des sommes considérables et qui ont formé en Amérique des établissements importants, où ils ont ensuite appelé leurs compatriotes.
Les gouvernements de l’Allemagne se sont donc trouvés sous le coup de deux désirs opposés : celui de protéger leurs sujets émigrants, alors qu’il pouvait en résulter un certain soulagement pour le pays ; celui au contraire d’empêcher la sortie des travailleurs valides et des capitaux, dont le départ devenait une amère critique de leur régime économique et un affaiblissement pour leur pays. On a mis quelquefois des obstacles au départ, on a cherché en même temps à donner une autre direction au déplacement des travailleurs. Le gouvernement prussien, comme il vient d’être dit, a envoyé des commissaires sur les bords du Rhin, pour s’aboucher avec les émigrants et pour leur offrir des terres fertiles à mettre en valeur dans le grand-duché de Posen et ailleurs ; mais ces commissaires n’ont pu rien obtenir ; tous ceux qui se décidaient à quitter leur village préféraient aller en Amérique. Non seulement l’émigration a continué mais elle a graduellement augmenté ; ce n’a plus été un dérivatif destiné à soulager des pays souffrants, elle a dégénéré en maladie chronique qui les épuise. Nulle autre part les faits ne sont pareils, et l’émigration irlandaise elle-même a un tout autre caractère.
III. DE L’ÉMIGRATION DES AUTRES PAYS DU CONTINENT EUROPÉEN.
Les peuples du Nord émigrent peu, ils semblent avoir perdu le caractère nomade de leurs ancêtres. Il est vrai que jadis c’était sous la conduite de leurs chefs et entraînés par l’appât du pillage, qu’ils se précipitaient sur les parties les plus fertiles et les plus riches de l’occident, tandis qu’aujourd’hui l’émigration n’a plus lieu d’Europe que pour aller à la recherche des moyens de vivre honnêtement dans des lieux où le travail est demandé, et où le travailleur est admis avec hospitalité et protection.
Le Russe, lorsqu’il n’est pas conduit par son maître, ne peut sortir de son pays, il ne peut disposer de sa personne, il est attaché au sol ; c’est une sorte d’immeuble par destination. Quiconque pénétrerait dans l’empire russe pour y recruter des travailleurs et les transporter au dehors, serait passible de poursuites, non pour délit contre les personnes, mais pour délit contre les propriétés.
La presqu’île Scandinave est plus avancée en civilisation, les habitants de la Suède et de la Norvège sont libres de leur personne et peuvent choisir le lieu de leur séjour et le meilleur emploi de leurs forces ; mais justement parce qu’ils sont plus libres, ils sont en même temps plus attachés au sol natal. C’est à peine si l’on a parlé, dans ces dernières années, du départ de quelques émigrants pour le Canada ; comme s’ils eussent craint de se rendre dans un climat beaucoup plus chaud que celui auquel ils étaient accoutumés depuis leur enfance.
De tous les pays du centre de l’Europe, la Suisse est peut-être celui qui, après l’Allemagne, fournit le plus à l’émigration. Le peuple y est cependant généralement libre et assez heureux ; mais il est très divisé en religion comme en politique. Il manque d’unité nationale, et il semble qu’il soit composé de parties distinctes plus ou moins assimilées aux étrangers qui touchent ses frontières ; la Suisse allemande a les plus grands rapports avec le grand-duché de Bade, et un certain nombre de Suisses se trouvent compris dans le mouvement d’émigration des Allemands, ce qui confirme la remarque que le cours d’une rivière n’est pas une limite naturelle entre deux pays, les habitants d’une même vallée subissent les mêmes influences. Du côté du Tyrol, les Suisses deviennent Italiens, et les Suisses des cantons de Vaud et de Genève sont à moitié Français ; ils en ont tous les avantages, et s’ils réclament en France leur qualité d’étranger, c’est uniquement pour échapper à quelques-unes des charges qui pèsent sur les nationaux.
Comme tous les habitants des montagnes, les Suisses sont attachés au sol qui les a vus naître, mais en même temps ils sont très portés à en sortir pour aller chercher fortune ailleurs, tout en conservant l’idée du retour ; on en trouve dans tous les pays et dans toutes les conditions ; partout il y a des ouvriers ou des domestiques d’origine helvétique, et, dans toutes les villes de commerce importantes, il y a aussi des maisons suisses de premier ordre.
Les cultivateurs suisses, qui sont en ce moment en Algérie, sont des colons tout comme les Français ; ils vont avec l’idée de faire fortune, mais conservent des relations suivies avec leurs familles et n’entendent pas renoncer à leur pays ; ils n’émigrent pas comme les Allemands, qui, au moment du départ, renoncent à leurs droits civiques pour aller s’assimiler aux peuples chez lesquels ils vont s’établir définitivement.
Toutes les provinces de Hollande fournissent un certain contingent à la grande émigration qui part des bords du Rhin. Le nombre des Hollandais partis en 1852 a été de 1 184 ; en 1853, de 1 646. Des motifs de religion ont souvent déterminé le départ des familles hollandaises. C’est ainsi que des colonies de frères Moraves ont été fondées en Pennsylvanie. Dernièrement les Mormons sont venus également faire quelques recrues dans cette partie de l’Europe. Enfin, quelques émigrants partent encore pour aller se joindre aux Boers, qui forment désormais une sorte de colonie indépendante, au nord de la colonie actuellement anglaise, du cap de Bonne-Espérance.
Les Italiens et les Espagnols n’émigrent pas, dans le véritable sens du mot, ou du moins, ce n’est que dans des cas exceptionnels ; s’ils se joignent, dans une proportion relativement importante, aux Français, pour tirer parti des avantages actuellement offerts par l’Algérie, c’est en qualité de colons ; et, tant qu’ils sont dans les contrées que baignent la Méditerranée, ils ne se considèrent pas comme ayant abandonné leur pays.
Il s’est toutefois établi un petit courant d’émigration de Piémontais, de Basques espagnols et de Basques français pour les bords de la Plata, et particulièrement pour Montevideo. Les ports d’embarquement sont Gênes, le Passage et Bayonne. Le mouvement avait commencé, il y a dix-huit ans ; il portait sur environ 5 000 émigrants, en 1842, lorsque le siège de Montevideo, qui a duré huit ans, est venu l’arrêter. En 1851, les départs d’Europe ont repris. En 1852, il est arrivé à Montevideo 2 116 Européens, nombre qui se divise de la manière suivante : 674 Italiens ; 609 Français ; 576 Espagnols ; 120 Portugais ; 80 Allemands ; 44 Anglais ; 14 Suisses.
En général, il ne s’agit pas encore ici de véritables émigrants, renonçant à leur pays pour se donner une nouvelle patrie. Les Piémontais sont particulièrement jardiniers et maraîchers ; quelques-uns servent dans la navigation de cabotage. Les Basques Français et Espagnols sont en général ouvriers, et gagnent de bonnes journées, comme maçons, charpentiers, menuisiers ; d’autres prennent de l’emploi dans les établissements où l’on dépouille les bestiaux (Saladeros). Souvent ils ont avec eux leur famille, et ceux qui ont de l’ordre se font une petite fortune, avec laquelle ils retournent ensuite dans leur pays.
Le Français, par suite de son attachement au sol natal et de son amour pour l’unité nationale à laquelle tant de libertés locales ont été sacrifiées, colonise peu et n’émigre pas. Quelques habitants des cantons les moins riches des départements de l’Est se laissent entraîner par le flot d’émigration partant de la vallée du Rhin ; quelques Basques s’embarquent à Bayonne pour l’Amérique du Sud, mais le nombre n’en est pas considérable. Il n’y a plus ensuite que la colonisation excitée et protégée par le gouvernement, et tout se borne, en général, à l’Algérie.
De ce côté, la colonisation n’a encore marché que très lentement ; l’initiative individuelle n’y a eu que très peu de part, comme le dit très bien le ministre de la guerre dans son rapport de cette année, le gouvernement a été jusqu’ici le seul entrepreneur de colonisation en Algérie. Il y a eu des colonies tentées en vue de soulager les villes, et notamment la ville de Paris, des ouvriers restés sans ouvrage à la suite des troubles politiques et dont les idées étaient encore plus malades que les affaires ; les résultats en ont été des plus malheureux ; des familles qui n’étaient pas acclimatées, qui, d’ailleurs, n’étaient pas faites au travail agricole, ont été décimées par la maladie ; un petit nombre d’individus affaiblis et misérables se sont estimés heureux de regagner Paris, où ils arrivaient cependant privés de toute ressource. Lors des visites faites dans les quartiers les plus pauvres, à l’occasion de l’enquête sur l’industrie à Paris par la Chambre de commerce, on a trouvé dans un galetas sans meubles une famille composée d’un mari et d’une femme, jeunes encore, avec deux enfants ; tous affaiblis par la fièvre. « Nous sommes sans doute bien misérables et bien dénués ici, disaient ces pauvres gens, et cependant nous sommes moins malheureux que nous n’avons été en Afrique. »
Les colonies pénales sont des établissements d’un genre spécial, entretenus aux frais de l’État. Les colonies militaires sont l’objet de soins et de protections particulières.
Sous le régime d’un gouvernement militaire, avec les origines si diverses de l’établissement de la propriété, en présence d’une population indigène vingt fois plus nombreuse que les Européens qui demeurent en Algérie, avec le système d’indépendance de la tribu sur le territoire qui lui est affecté, les colons libres n’ont pu marcher en sûreté que sous la protection de l’autorité militaire, et en en obtenant des concessions de terre. C’est toujours par décret qu’un centre de population est fondé sur un point ou sur un autre.
Après une occupation de vingt années, l’Algérie n’avait encore en population européenne que 125 900 âmes, dans laquelle les Français entraient pour moitié. L’augmentation annuelle a été seulement, dans ces derniers temps, de cinq à sept mille individus ; et il suffit de mettre ces nombres en regard du chiffre de 384 945 émigrants débarqués au seul port de New York pendant l’année 1852, pour montrer que l’Algérie n’a pas été un débouché important pour l’émigration.
Il résulte donc de ces considérations que, dans l’Europe continentale, il n’y a guère que l’Allemagne qui fournisse réellement à l’émigration. Vient ensuite l’émigration d’Angleterre, et surtout l’émigration d’Irlande.
IV. ÉMIGRATION BRITANNIQUE.
Pour l’émigration des ports de la Grande-Bretagne, les renseignements abondent et méritent toute confiance, par suite de l’intervention très effective du gouvernement. Les données les plus précises se trouvent en effet dans les rapports annuels de la Commission royale instituée pour la vente des terres coloniales et pour la protection de l’émigration.
Comme première donnée générale, on trouve que l’émigration qui, depuis 1850, était annuellement d’environ 81 000 individus, s’est rapidement accrue et a plus que doublé à partir de 1846. Elle a été :
en 1847 de 258 270 individus.
1848 248,089
1849 299,498
1850 280,849
1851 355,966
1852 329,337
Deux grandes causes ont concouru à cette augmentation du nombre des émigrants : la première a été les mesures prises par le gouvernement britannique pour changer les conditions économiques de l’Irlande ; la seconde a été l’entraînement occasionné par la découverte des gisements d’or en Californie d’abord, et bientôt après en Australie. Par suite de ce redoublement de fièvre de l’or (gold feever), qui a troublé tant de cervelles et a provoqué tant de départs, les bureaux, les ateliers, les comptoirs se sont dégarnis. Des hommes isolés sont partis en grand nombre pour chercher aventure, et dans toute l’Angleterre on s’est bientôt aperçu du vide laissé par le départ de tous les contre-maîtres et de tous les commis. Mais une cause bien plus importante encore des proportions prises par l’émigration a été la nécessité où est arrivée l’Angleterre de changer de fond en comble le régime économique de l’Irlande, et de racheter ainsi par de douloureux sacrifices ses torts et ses fautes passées.
La conquête de l’Irlande, commencée il y a sept siècles par la race anglo-saxonne et normande, s’achève sous nos yeux. Nous voyons aujourd’hui les descendants de la race insoumise des Celtes quittant, avec l’aide de leurs vainqueurs, les bords de la verte Erin pour aller s’établir par-delà les mers. Ils ne se sont point assimilés à la race conquérante, et, ne pouvant plus se défendre, ils lui abandonnent le pays plutôt que de se soumettre.
Pendant tout le temps qu’a duré la persécution religieuse de Henri VIII, jusqu’à Georges III, les conditions économiques de l’Irlande ont été déplorables, et la misère y a fait d’incessants progrès. Les propriétaires fonciers se sont obérés, et un morcellement déplorable s’est introduit dans la culture des terres ; les baux se sont subdivisés à l’infini et les hommes se sont multipliés dans la même proportion que les porcs avec lesquels ils vivaient en commun, et suivant la quantité de la nourriture la plus grossière qu’ils ont pu se procurer.
Il n’a fallu rien moins que le défaut des récoltes en céréales et la maladie des pommes de terre pour amener l’Angleterre à prendre des mesures radicales et décisives pour porter remède à la situation. On sentait, comme l’avait dit M. Gustave de Beaumont, que l’émigration de la population pauvre de l’Irlande serait un remède insuffisant, et cependant ce paupérisme retombait par toutes sortes de voies sur l’Angleterre ; il s’est même produit, à cette occasion, des faits assez extraordinaires, et les villes de l’est de l’Angleterre, notamment Liverpool, ont eu particulièrement à souffrir de l’invasion des pauvres Irlandais.
De 1840 à 1845, la municipalité de Liverpool payait le passage sur les bateaux à vapeur pour rapatrier les malheureux Irlandais tombés à sa charge, et les mêmes bateaux ramenaient ensuite gratuitement les mêmes passagers, pour se procurer, par cette manœuvre coupable, un aliment de chargement dont ils étaient payés au retour. Les autorités locales faisaient incessamment des sacrifices pour se débarrasser d’un surcroît de population nécessiteuse, laquelle se recrutait constamment et vivait ainsi, pour la moitié du temps, à bord des navires, aux frais de la charité publique.
La première grande mesure prise par l’Angleterre a été de rejeter l’entretien des pauvres Irlandais à la charge de leurs communes de domicile, et, comme la taxe devenait hors de toute proportion avec les revenus de la terre, on a autorisé l’expropriation forcée et la vente de toutes les terres dont les propriétaires étaient endettés. Cette double mesure a complètement réussi. Les terres se sont liquidées ; les capitaux anglais n’ont pas craint de s’engager dans la culture de l’Irlande, et l’émigration a été encouragée et protégée afin de purger le sol d’une population exubérante et malheureuse. Dans l’intervalle qui s’est écoulé entre les deux derniers recensements de la population, le nombre des habitants de l’Irlande a diminué d’un quart environ, soit de huit millions à six millions. Ce sont particulièrement les États-Unis qui ont servi de déversoir à l’excédent de la population irlandaise, et l’émigration est bientôt venue elle-même en aide à l’émigration, par l’envoi de fonds faits par ceux partis les premiers pour aider au départ de ceux restés en arrière.
Il y aura lieu de rechercher bientôt les causes qui ont particulièrement dirigé ce flot de la population vers les États-Unis. Mais le fait est acquis que l’émigration est devenue le principal remède à la misère de l’Irlande.
Dans un tableau donné à la suite du dernier rapport publié par la Commission d’émigration, et daté du 21 avril 1853, on trouve que dans les trente-huit années finissant au 31 décembre 1852, il est parti des ports du Royaume-Uni 3 465 292 émigrants ; mais que sur ce nombre 1 791 446, ou plus de la moitié, ont émigré dans les six dernières années. L’année 1852 a donné, à elle seule, le chiffre de 568 764, dont l’Irlande continue à fournir seule les neuf dixièmes environ.
Les fonds envoyés par les émigrants antérieurement partis, pour favoriser l’émigration, ont pris de larges proportions. Les remises officiellement constatées comme faites dans ce but, pendant cinq années, ont atteint :
En 1848 11 500 000 fr.
1849 13 500 000
1850 23 925 000
1851 24 750 000
1852 37 101 000
Ces sommes sont celles qui résultent des envois faits par l’intermédiaire des grandes maisons de banque et sont indépendantes des remises venues par voie particulière, pour lesquelles les renseignements manquent.
C’est ainsi que l’émigration irlandaise a pu se continuer dans de larges proportions. L’exemple du grand nombre de ceux qui partaient affaiblissait de plus en plus les causes morales qui s’opposent aux émigrations nombreuses, c’est-à-dire, l’amour du pays, la crainte du séjour à l’étranger, la crainte des voyages sur mer ; toutes causes qui, réunies, font, comme l’a dit Adam Smith, que rien n’est plus difficile à déplacer que l’homme[4]. L’exemple du grand nombre de ceux déjà partis encourageait de nouveaux départs, et, quant au défaut de moyens suffisants pour émigrer, les remises de fonds dont il vient d’être question levaient bien des difficultés. Cependant, à partir de 1852, il y a eu diminution dans le nombre des départs. Le travail irlandais est plus demandé en Angleterre, et, bien que le prix n’en ait pas monté, le nombre des gens inoccupés a beaucoup diminué, et il y a eu moins d’admissions que précédemment dans les dépôts de mendicité (Work Houses). On a ainsi quelques raisons de penser que l’émigration irlandaise, qu’on a appelée, en langage biblique, l’Exode, aura un caractère transitoire, et ne deviendra pas chronique, comme semble désormais l’être devenue l’émigration des bords du Rhin.
L’émigration britannique, pour les années 1851 et 1852, a pris, à raison de la destination des émigrants, les proportions suivantes :
Pour les États-Unis. | Colonies britanniques de l’Amérique. | Australie. | Autres pays.
|
Totaux. | |
1851 | 267 357 | 42 605 | 21 532 | 4 472 | 333 966
|
1852 | 244 261 | 32 876 | 87 881 | 3 749 | 368 764
|
C’est ainsi que l’émigration a diminué, d’une année sur l’autre, pour toutes les destinations, excepté pour l’Australie, où l’augmentation a été plus forte de 66 349 émigrants ; augmentation qui paraît être le résultat de l’action de la Commission de colonisation.
C’est surtout pour ce qui concerne l’Australie que l’action intervenante de cette Commission a été active. Un acte du Parlement, du 30 juin 1852, a particulièrement étendu les pouvoirs donnés par l’acte d’institution de la Commission, du 27 novembre 1847, qui lui donnait le titre de « Commission pour la vente des terres vagues, propriétés de la Couronne dans les colonies, et pour la surveillance de l’émigration des familles pauvres pour lesdites colonies. »
L’acte entre dans des détails minutieux sur les conditions que doivent présenter les navires qui s’offrent pour le passage des émigrants, et les membres de la Commission sont institués de droit parties civiles pour poursuivre les contraventions aux restrictions posées ; dans aucune loi anglaise le droit d’intervention n’a été poussé aussi loin que dans celle-ci. Tout navire offrant de donner passage aux émigrants est soumis aux visites des agents de la Commission au départ et à l’arrivée ou en cas de relâche. Le nombre des passagers est limité d’après le jaugeage du navire, et, en cas de contravention, les armateurs sont passibles d’amendes de 2 à 5 livres sterling. Avant le départ, la liste des passagers émigrants est dressée en double expédition, dont l’une reste au port de départ et l’autre doit être produite au port d’arrivée.
Pour les voyages d’Amérique l’espace attribué à chaque passager dans l’entrepont doit être d’au moins 12 pieds superficiels, et, lorsqu’on traverse les tropiques, cet espace doit être porté à 15 pieds.
Le pont des passagers doit faire partie de la construction solide du navire ; il ne peut y avoir plus de deux lits superposés, et le plus bas doit être à 6 pouces au moins du parquet du pont.
Un quartier spécial doit être affecté aux passagers célibataires au-dessus de quatorze ans d’âge.
Quand il y a plus de cent passagers réunis, des ventilateurs doivent être organisés.
L’acte, enfin, entre dans des détails minutieux sur les quantités de vivres à embarquer et sur les distributions hebdomadaires ou journalières qui doivent en être faites à des heures déterminées.
Ainsi, par exemple, par semaine, tout passager adulte doit recevoir :
Deux livres et demie de pain ou biscuit égal au moins en qualité à celui de la marine ;
Une livre de farine ;
Cinq livres de gruau d’avoine ;
Deux livres de riz;
Une demi-livre de sucre ;
Deux onces de thé, ou une once de café brûlé, ou de cacao, à son choix ;
Deux onces de sel.
Sauf, en cas de conventions expresses par écrit, la substitution de pommes de terre, de viande de bœuf sans os, à une partie des objets indiqués, sans que la quantité de gruau d’avoine, par tête d’adulte, puisse être au-dessous de trois livres et demie, à bord d’un navire partant d’Écosse ou d’Irlande.
Les passagers qui voudraient être admis comme maîtres d’hôtel-servants doivent être au préalable agréés par les commissaires.
Le service médical est ensuite organisé. Enfin, l’acte n’a pas moins de quatre-vingt-onze articles et est suivi de onze annexes.
Il est stipulé que les frais de relâche doivent être à la charge des armateurs, et qu’en tous cas les émigrants ont le droit de se faire conduire jusqu’au lieu stipulé comme destination.
Enfin, les agents de la Commission sont seuls admis comme courtiers pour traiter du passage.
Il n’est pas jusqu’à la forme des reçus ou billets de passage qui ne soit réglée dans l’acte.
Les pouvoirs ainsi donnés à la Commission par l’acte du Parlement sont donc considérables ; mais ils le deviennent plus encore par suite des fonds dont elle dispose et des passages gratuits qu’elle peut accorder sur ces fonds prélevés sur le produit de la vente des terres coloniales. De la seule province de Victoria, elle a reçu ainsi en une année la somme de 700 000 livres sterling (17 millions 500 000 francs).
Outre cette intervention principale de la Commission d’émigration, il y a encore eu l’intervention puissante des Sociétés protectrices. Aux États-Unis ces Commissions remontent loin ; en Australie, la principale a été fondée, en 1841, par Mme Chisholm. Cette dame, frappée des inconvénients de l’isolement où se trouvaient trop souvent les femmes à leur arrivée en Australie, avait ouvert pour elles un refuge, qu’elles nommaient the home, qu’on pourrait appeler la famille, où elles étaient recueillies jusqu’au moment où une place convenable aurait été trouvée pour elles. On cite de nombreux exemples des positions et même des établissements avantageux que cette institution a procurés à beaucoup de personnes arrivées dans l’isolement et le dénuement le plus complet.
Les Commissions d’émigration portent constamment à la connaissance du public en Europe l’état du marché pour le travail en Australie. Les avis donnés par ces prix courants sont précieux à consulter. On y voit, en général, que les gens instruits et les commis feront bien de ne pas se rendre en Australie, s’ils ne sont pas décidés à se faire bergers, profession pour laquelle les hommes manquent depuis que la fièvre de l’or a frappé toutes les têtes. Depuis 1852, en effet, beaucoup de troupeaux ont été abandonnés, faute de bras pour s’occuper de la tonte, et cependant l’élève des moutons avait été jusqu’alors une source de richesse pour le pays.
L’exploitation pastorale est celle qui, jusqu’à ce moment, a même présenté le plus d’avantages en Australie, depuis la découverte. Le climat y est tempéré, et les animaux domestiques s’y élèvent facilement, ayant peu à craindre d’ennemis sauvages. On rapporte qu’un troupeau de 60 vaches sauvages a été trouvé, en 1795, comme étant le produit de 3 vaches échappées sept ans auparavant d’une exploitation agricole. Mais c’est surtout l’élève des moutons qui a fait la principale richesse du pays dans ces dernières années ; et c’est particulièrement à la surveillance et à la tonte des troupeaux que la découverte de l’or a enlevé les hommes. La Commission anglaise de l’émigration a fait de grands efforts pour remplacer les bergers ; elle a fait des appels dans les cantons agricoles de l’Angleterre, et a dirigé vers l’Australie les tisserands malheureux de l’Angleterre, qu’elle a pensé devoir rester d’une manière plus fixe dans une position qui devait désormais leur assurer de grands avantages.
Ainsi l’émigration britannique se compose, pour les neuf dixièmes, d’Irlandais, qui se rendent, en général, aux États-Unis. Les émigrants de l’Angleterre proprement dits et de l’Écosse se dirigent plutôt vers l’Australie et vers les autres possessions coloniales ; cette émigration est plus particulièrement excitée, encouragée et surveillée par une Commission gouvernementale, instituée dans le double but de favoriser la mise en valeur des terres de la Couronne dans les colonies, et de venir en aide aux portions malheureuses de la population de la métropole. Sous tous ces rapports, l’émigration anglaise a quelque chose de transitoire, et l’on ne trouve pas dans cette émigration ce caractère chronique qu’a pris l’émigration de la vallée du Rhin.
V. — DESTINATIONS CHOISIES PAR L’ÉMIGRATION.
Plus des neuf dixièmes des Européens qui partent se rendent aux États-Unis. Plusieurs causes déterminent, de leur part, le choix de cette destination, au premier rang desquelles il faut placer les émigrations antérieures, les premiers arrivés appellent les autres à venir les trouver, et souvent leur envoient les fonds suffisants pour payer le voyage ; mais, il faut bien le reconnaître, le motif principal, qui fait porter l’émigration vers l’Amérique du Nord, est la grande facilité qu’on trouve à entrer, comme citoyen, dans une société politique où il y a de grandes garanties pour la propriété, et pour la jouissance d’une très grande liberté politique et religieuse. L’immigrant, par un court séjour, acquiert tous les droits de citoyen du pays, et peut, pour un prix très modéré, devenir propriétaire du sol qu’il cultive. À de si grands encouragements, il faut joindre la température modérée du pays, qui permet à l’Européen de travailler en conservant toutes les habitudes de son pays natal.
Les mesures prises de bonne heure par le gouvernement américain ont été combinées de façon à encourager singulièrement la mise en valeur du territoire par l’arrivée de nouveaux travailleurs. Dès l’année 1780, en effet, le Congrès des États-Unis a déclaré propriétés fédérales, en s’en attribuant l’administration, toutes les terres qui n’étaient pas alors mises en valeur.
Le droit ainsi établi, les formalités pour la vente des terres fédérales ont été réglées d’une façon très simple ; l’administration, ne pouvant, en aucun cas, songer à mettre les terres en culture, ne s’est occupée que de leur mise en vente, et l’on a commencé par régulariser la propriété aux mains de ceux qui détenaient des terres et les avaient cultivées.
Pour tout ce qui n’était pas déclaré approprié, l’administration, chargée de la vente, a été organisée de manière à éviter toute formalité inutile. Elle a été centralisée à Washington, sous la surveillance du ministre des finances, entre les mains d’une direction générale des domaines. Puis, le pays a été divisé en districts, pour chacun desquels il y a eu un inspecteur général de l’arpentage, ayant sous son contrôle un nombre de subdivisions proportionné à l’étendue du district, et pour chacune desquelles il y a eu un bureau terrien, composé d’un conservateur et d’un receveur ; le premier restant chargé de la garde des plans, de l’enregistrement des actes et de l’accomplissement de toutes les formalités de la vente.
Les opérations de l’arpentage s’accomplissent dans chaque district suivant des règles uniformes.
Un plan général de chaque district est dressé en trois expéditions ; une de ces expéditions est destinée à l’inspecteur, une autre au conservateur au bureau terrien, et la troisième est envoyée au bureau central à Washington, où elle sert au contrôle des opérations du district et à la régularisation des titres définitifs, lorsqu’il y a lieu de les délivrer, et enfin, plus tard, à la répartition des impôts ; permettant aussi de suivre les transactions dont la propriété foncière, ainsi régularisée, peut devenir l’objet.
Les principes généraux adoptés pour la mise en vente des terres jusque-là non encore appropriées, sont les suivants :
1° Mise en vente aux enchères publiques ;
2° Payement comptant ;
3° Minimum de mise à prix, 1 dollar 25 c. (6 fr. 25 c.) par acre, pour une étendue d’au moins 160 acres.
Au moment où il touche le prix, le receveur dresse un récépissé en double expédition, l’une pour l’adjudicataire, l’autre pour le conservateur qui l’expédie à Washington, avec certificat de l’adjudication.
Après vérification de la régularité des pièces et des actes par la direction générale, le titre définitif, sous forme de patente, signé par le président des États-Unis, est envoyé au conservateur du bureau terrien, qui le remet à l’adjudicataire en échange du duplicata du récépissé resté en ses mains.
Ce mode facile d’opérer a dû cependant se modifier, à raison des mœurs et des besoins des défricheurs, que l’ardeur et l’amour de la liberté portaient toujours en avant et qui ne manquaient pas de se rendre de préférence sur les territoires nouveaux, avant que les agents du gouvernement central aient pu dresser les plans et déterminer les lotissements ; le droit de préemption a été admis en faveur du premier occupant au moment de la mise en vente. On décréta, en outre, que toute terre mise en vente aux enchères pendant deux semaines consécutives sans avoir été adjugée, pourrait être vendue ensuite à l’amiable, par lots de 40 acres au moins, au prix minimum de 1 dollar 25 c. Il fut alors procédé à la remise des titres, dans la forme qui a été indiquée[5].
Toutes précautions, du reste, ont été prises pour que le droit de préemption, offert comme une garantie au travail des pionniers défricheurs, ne devienne pas un moyen d’action pour des spéculateurs de mauvaise foi.
Rien enfin n’a été négligé aux États-Unis pour rendre la propriété territoriale accessible au travailleur agricole, et l’acte de 1841 a permis encore de vendre à l’amiable, avec délai de paiement de deux ans, de manière à permettre à l’acquéreur de s’acquitter du prix sur le produit même de la culture.
C’est ainsi que s’est trouvé fortement encouragée la mise en valeur du sol dans l’Amérique du Nord, et c’est ainsi que la population active des anciens États de l’Union a été poussée à diriger ses essaims de plus en plus vers l’ouest. L’immigration de nouveaux travailleurs européens est venue ensuite se joindre au mouvement déjà commencé, et son rôle est devenu graduellement plus prononcé.
Lorsque Warden écrivait, au commencement de ce siècle, sa Description des États-Unis, il parlait d’une immigration annuelle de 4 000 individus environ, et il faisait remarquer que la population générale, qui avait doublé en 21 ans, aurait, sans ce secours, doublé en 21 ans et 4 ou 5 mois. Depuis lors, les faits ont changé et le rôle de l’immigration est devenu de plus en plus important dans l’accroissement de la population générale aux États-Unis. De 1841 à 1850, elle a porté sur 1 684 832 individus, et, pour l’année 1851 seule, l’immigration a été de 315 333 individus. Sur 37 pour 100, qui a été le chiffre de l’accroissement de la population en dix ans, l’immigration est entrée pour 7 2/10es pour 100. Sur la base de 1852, l’immigration jouerait un rôle de 13 pour 100, mais il faut se hâter de reconnaître qu’il y a maintenant une tendance à quelque diminution dans la proportion de l’émigration irlandaise. On a déjà eu occasion de remarquer qu’elle tend à diminuer à mesure que le travail devient plus demandé en Irlande, par suite des réformes économiques introduites dans le pays.
Nous ferons aussi remarquer qu’il y a eu quelque exagération dans ce qui a été dit des heureux effets que produirait le simple changement de lieu sur les Irlandais qui émigrent aux États-Unis.
« À peine, a-t-on dit, ont-ils touché cette terre nouvelle, où ils ne sont plus sous l’étreinte de l’Angleterre et où rien ne vient arrêter l’activité qui leur est propre, ces hommes démoralisés, abrutis, imprévoyants, se transforment pour prendre rang parmi les citoyens les plus industrieux de l’Union. Leur fanatisme même, dont on parle tant, les abandonne : ils deviennent tolérants, etc. »
C’est se faire une grande illusion que de croire aux changements soudains dans les mœurs et les habitudes des hommes ; tous se ressentent, au contraire, longtemps des conditions dans lesquelles ils sont nés ; l’état des Irlandais transportés aux États-Unis ne le prouve que trop. Une grande partie d’entre eux reste dans les ports d’arrivée, où ils forment une basse classe assez turbulente ; souvent on a eu à signaler entre eux et les Américains des rixes sanglantes, notamment quand ils ont voulu troubler les paisibles processions des Sociétés de tempérance.
Il y a peu de mois, une émeute formidable a éclaté à Saint-Louis (Missouri), à l’occasion des élections. On a dû appeler la milice sous les armes, et organiser un corps spécial de police. La ville était divisée en deux camps, celui des Américains et celui des étrangers ; mais la haine des premiers était particulièrement dirigée contre les Irlandais. Les Américains ont même détruit 50 ou 60 maisons de bois, appartenant à ceux-ci.
Ce n’est pas à dire que l’assimilation n’ait pas lieu à la fin aux États-Unis entre les nouveaux arrivants et les habitants du pays, seulement le temps est pour cela un élément indispensable.
Les Allemands qui arrivent en Amérique ont généralement des habitudes plus laborieuses et plus tranquilles que les Irlandais, et ils vivent plus paisibles. Ils se rapprochent les uns des autres et savent jouir de la liberté politique qui leur est offerte par ce nouveau pays de leur adoption. Il y a dans ce fait seul une critique sévère des conditions morales et politiques des pays abandonnés par les émigrants. C’est un mode d’opposition paisible mais très sérieux que celui qui fait dire par la population d’un pays à son gouvernement : « Laissez-nous vivre heureux et paisibles dans notre pays, ou sinon nous vous cédons la place et nous porterons ailleurs notre existence et notre travail. »
Les efforts tentés pour attirer les émigrants européens sur d’autres points de l’Amérique que les États-Unis ont eu jusqu’à présent peu de résultats. C’est ainsi que le nombre des émigrants qui a été s’établir au Brésil a été jusqu’à présent, malgré ce qui a été fait pour les y engager, très restreint. L’établissement de la Nouvelle-Fribourg, fondé près de Rio-Janeiro en 1818, a pris peu d’extension. Malgré les plus grands encouragements donnés par le gouvernement Brésilien, les efforts tentés par quelques propriétaires de Saint-Paul, pour substituer des ouvriers libres aux esclaves pour la mise en valeur de leurs terres, n’ont pas non plus, jusqu’à présent, amené de grands résultats. Le travail libre craint le contact de l’esclavage.
Il y a dans tous les faits qui se rapportent à l’émigration de graves enseignements pour les États européens.
Le pouvoir des gouvernements ne s’étend pas jusqu’à supprimer toutes les causes qui déterminent leurs nationaux à abandonner le pays natal. Il y a des causes inhérentes à la nature du sol et à la répartition de la richesse publique, qui se dérobent à leur action. Mais, ce qui est en leur pouvoir, c’est d’user de l’autorité dont ils sont revêtus, dans le sens de la justice et de l’intérêt général, afin de permettre au travail de produire tous ses fruits, et à l’homme, de développer toutes ses facultés ; ils contribueront ainsi, pour leur part, à diminuer le spectacle de ces légions de citoyens qui s’arrachent à la terre où reposent leurs aïeux, à leurs affections et à leurs souvenirs, à tout ce qui attache l’homme enfin aux lieux qui l’ont vu naître, pour aller chercher sous un ciel inconnu ces biens suprêmes que leur refuse leur patrie.
HORACE SAY.
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[1] Depuis la lecture de ce Mémoire devant l’Académie des sciences morales et politiques, il est sorti des presses de l’imprimerie impériale un volume in-8° sur le même sujet.
Ce volume contient un projet de règlement destiné à régulariser l’intervention du gouvernement dans la surveillance des transports des émigrants à bord des navires partant des ports français. Ce règlement reproduit la plupart des dispositions du bill anglais qui, déjà, a servi de modèle aux règlements adoptés à Brême et en Belgique.
Le rapport qui sert d’exposé de motifs au projet occupe trente-cinq pages du volume, et est suivi de nombreux documents sur la législation étrangère, documents que je m’étais déjà procurés, en sorte que la publication du volume officiel ne m’a pas paru devoir modifier aucune partie de ce mémoire. H. S.
[2] On estimait, en effet, alors au Havre :
Le passage à 80 fr.
La nourriture livrée à chaque passager, à 38
Les frais de transport par terre, à 15
La dépense ou voyage de la frontière au Havre, à 33
Total par tête 173 fr.
[3] En remontant de quelques années en arrière, on trouve, pour les quatre principaux ports adoptés par les émigrants, les nombres suivants :
Le Havre. | Anvers. | Brême. | Hambourg. | |
En 1846 | 32 381 | 4 434 | 32 372 | 4 857 |
1844 | 59 474 | 14 717 | 33 682 | 7 628 |
1848 | 25 506 | 11 073 | 29 947 | 6 585 |
1849 | 33 898 | 10 260 | 28 629 | 5 620 |
1850 | 25 824 | 7 116 | 25 776 | 7 430 |
1851 | 44 234 | 9 243 | 37 493 | 12 279 |
1832 | 72 325 | 14 369 | 58 551 | 21 916 |
1833 | 68 836 | 15 262 | 18 969 |
[4] Richesse des nations, t. 1, p. 103, édition Guillaumin.
[5] Le droit de préemption a été réglé par les actes des 22 juin 1838, 4 septembre et 3 mars 1843.
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