Cours public et gratuit de législation usuelle, industrielle, commerciale et d’économie politique

Ernest Martineau, Cours public et gratuit de législation usuelle industrielle, commerciale et d’économie politique (Niort, 1876).


Cours public et gratuit de législation usuelle industrielle, commerciale et d’économie politique

 

MESSIEURS,

Je me propose, dans la série des conférences que nous inaugurons aujourd’hui, de vous exposer les principes et les règles de notre législation usuelle et commerciale, en les complétant par l’étude de l’économie politique. L’utilité d’un pareil enseignement n’a pas besoin d’être démontrée, elle s’impose à tous les esprits non prévenus comme répondant à un besoin sérieux et vivement senti ; je crois même devoir ajouter qu’elle est devenue, dans notre société moderne, une véritable nécessité. Nous vivons en effet dans un temps et dans un pays où règne une maxime célèbre : « Nul n’est censé ignorer la loi », maxime, hélas ! bien trompeuse ; que de gens ignorent cette loi qu’ils sont pourtant censés connaître ; il faut donc faire cesser un tel état de choses, mettre d’accord cette maxime avec la réalité, et pour cela vulgariser, mettre à la portée de tout le monde la connaissance des éléments de notre législation. C’est cette pensée qui a dominé la résolution du conseil municipal de notre ville, lorsqu’à l’unanimité il a décidé la création de ce cours public. 

Voilà bien longtemps déjà, il y a plus de deux siècles, que des esprits généreux et éclairés réclamaient cette vulgarisation de la science du droit. Fénelon l’avait demandée de son temps, même comme complément de l’instruction des jeunes filles, et voici comment un avocat au Parlement de Paris, Fleury, répondait aux objections que l’on pourrait faire contre une telle idée, de la part de certains esprits toujours portés par instinct à repousser les innovations et à les dénoncer comme dangereuses ou tout au moins inutiles. « Mais, dira quelqu’un, n’y a-t-il pas déjà trop de chicaneurs en France, sans vouloir que tout le monde le devienne ? Voilà le langage ordinaire des ignorants, de nommer chicaneurs tous ceux qui entendent les affaires ; une des plus grandes sources de la chicane, au contraire, c’est l’ignorance du droit. Que si quelque connaissance des affaires produit la chicane, c’est la connaissance confuse d’un petit détail de pratique sans ordre, sans connaissance des règles, et on ne peut avoir que ces notions obscures et imparfaites quand on ne s’instruit que par l’usage. Il vaut donc bien mieux ne pas s’attendre tout à fait à l’expérience et s’y préparer par quelques connaissances générales, par l’étude des principes élémentaires de la science du droit. » On ne saurait mieux dire, Messieurs, et je n’ai pas besoin d’insister davantage pour justifier cette innovation : il ne peut y avoir désormais aucun doute sur les avantages précieux que l’on peut retirer d’un tel enseignement : initiation aux droits et aux devoirs de l’homme privé, du citoyen et du contribuable, voilà, en résumé, quels en seront les principaux résultats. 

Et quelle importance toute spéciale est attachée à la vulgarisation du droit commercial et industriel, quel profit en pourront retirer les commerçants, les patrons et les ouvriers. S’il est utile à tout citoyen de connaître la législation de son pays, cette utilité paraît plus indispensable encore pour le commerçant et l’industriel qui, chaque jour, peuvent se trouver placés en face de difficultés pour la solution desquelles est nécessaire la connaissance des lois. Que de procès seraient évités, que de déceptions écartées, si chacun connaissait les règles et formalités qu’il lui faut observer dans les affaires où il peut se trouver engagé. Telle est la grande utilité pratique de cette étude du droit industriel et commercial. Quelles sont les conditions constitutives de la qualité de commerçant, quelles obligations en résultent notamment pour la tenue des livres, quels sont les principaux contrats du commerce, règles des sociétés, effets de commerce, lettres de change, billets à ordre, chèques, etc., rapports avec les compagnies de chemins de fer, matière si féconde en difficultés et en procès, compétence des tribunaux de commerce, voilà les principales matières à étudier dans le droit commercial. 

À côté de cette législation viennent se placer les règles spéciales à l’industrie manufacturière , c’est l’objet du droit industriel ; le principe général qui le domine c’est la liberté, sauf en ce qui concerne la fabrication de certains produits ; on y étudie les lois qui protègent la propriété industrielle, marques et dessins de fabrique, brevets d’invention, les rapports des patrons et des ouvriers, lois sur l’apprentissage, sur le travail des enfants dans les manufactures, juridiction des conseils de prud’hommes, lois sur les coalitions, règlements relatifs aux machines à vapeur. 

Mais pour l’intelligence complète de ces règles si utiles à connaître, il importe d’étudier d’abord les principes fondamentaux d’une science malheureusement trop ignorée. Je veux parler de l’économie politique, de cette branche des connaissances humaines qui indique les règles suivant lesquelles la richesse se produit, s’échange, se distribue et se consomme au sein de la société. Grave étude, et dont nul ne saurait méconnaître l’utilité ; quelle n’est pas d’ailleurs l’importance des problèmes qu’elle agite. Économie politique, cela veut dire économie de la société ; il nous faudra donc tout d’abord examiner ce qu’est la société, si elle est un état de choses naturel ou le résultat d’une convention humaine, et à cet égard laissez-moi, dès à présent, vous dire que je combattrai cette idée funeste qui consiste à considérer la société comme l’expression et l’œuvre d’un contrat social, erreur fondamentale qui a dominé le XVIIIe siècle tout entier, et qui a été le point de départ de toutes les utopies sociales ; j’aurai à vous montrer, au contraire, que les sociétés humaines sont des corps vivants naturellement organisés. Cela fait, entrant dans le monde du travail et de l’échange, nous verrons comment la richesse se produit par la coopération de la nature et de l’homme, de la nature qui fournit les matériaux et les forces, de l’homme qui fournit son travail, c’est-à-dire qui applique ses facultés à la satisfaction de ses besoins, en faisant cette distinction fondamentale, trop méconnue, et dont les conséquences sont immenses, vous le verrez, à savoir que le concours de la nature est et demeure gratuit à travers toutes les transactions humaines, que l’action de l’homme seule a de la valeur et reçoit une rémunération.  

L’action de l’homme se manifeste dans le travail. À cet égard, nous verrons comment de la nécessité et du devoir découle pour l’homme le droit de travailler, ce qui implique la liberté de choisir son genre de travail. La liberté du travail, cette grande conquête de la civilisation moderne, substituée au régime ancien et oppressif des corporations. 

J’ai dit, Messieurs, le droit de travailler, le droit du travail, je n’ai pas dit le droit au travail, cette dangereuse et absurde chimère que nous aurons à combattre, derrière laquelle se dresse, comme un spectre hideux, la sinistre et désolante image de l’insurrection et de la guerre civile, de la guerre fratricide. La liberté du travail, c’est ce qu’on appelle aussi d’un autre nom, vous le savez, la concurrence. Nous verrons comment les réformateurs modernes, rangés sous la bannière du socialisme, l’ont poursuivie de leurs imprécations, comment ils lui ont jeté l’anathème en la qualifiant d’anarchique. Nous aurons à examiner le mérite de ces accusations, et si ces colères sont suffisamment justifiées. Si la concurrence n’est pas la liberté, l’absence d’oppression, le droit pour chacun d’agir et de choisir, d’après son propre jugement et sous sa responsabilité, si enfin elle n’est pas, malgré les douleurs passagères qu’elle enfante, la plus progressive, la plus égalitaire, de toutes les lois sociales auxquelles Dieu a confié le progrès des sociétés. 

La notion du travail élucidée, nous aurons à étudier ensuite le rôle et les fonctions de ce puissant agent de production qui est le capital. Le capital, pas plus que la concurrence, n’a échappé aux attaques des modernes réformateurs. Qui de vous, Messieurs, n’a entendu parler de la tyrannie du capital, des maux produits par l’infâme, l’infernal capital, l’ennemi et l’oppresseur du travail, l’instrument moderne de l’esclavage des classes ouvrières. Chose étrange et triste que cette levée de boucliers contre une puissance si essentiellement bienfaisante et démocratique. La doctrine que j’aurai à vous exposer est plus consolante, et j’ajoute, heureusement plus vraie. J’aurai à vous montrer comment le capital est utile non pas seulement à ceux qui le possèdent, mais, chose admirable, à ceux mêmes qui ne le possèdent pas ; de telle sorte que l’intérêt dominant de tous, mais surtout des classes ouvrières, est de le voir rapidement s’accroître et se former ; comment le capital, sous la forme de machines, inventions, procédés, vient racheter peu à peu l’humanité du poids du labeur, de la peine, en la mettant à la charge de la nature, de la nature dont je vous ai dit que la collaboration est gratuite. En ce qui concerne les machines, notamment, nous dissiperons ce préjugé funeste qui les fait considérer comme des rivales redoutables et écrasantes des ouvriers, ce qui les a conduits à briser les machines ; nous verrons au contraire comment le déplacement momentané qu’elles occasionnent se résout en augmentation de bien-être, de richesse, dont profitent surtout les classes ouvrières par l’accroissement de travail qui en résulte ; de telle sorte que loin d’être le tyran que l’on dit, le capital est, au contraire, l’ami et le bienfaiteur des classes souffrantes, du monde des déshérités de la fortune : harmonie admirable, qui, bien comprise, fera cesser cette lutte insensée et amènera la réconciliation du travail et du capital. 

La richesse ainsi produite par la coopération de la nature et du travail, nous verrons comment elle entre dans la circulation par la voie de l’échange. L’échange, c’est la manifestation dans le monde du travail, de la sociabilité humaine. Seuls, entre tous les êtres animés, les hommes échangent entre eux le produit de leurs travaux, marque distinctive de la supériorité et de la prééminence de la race humaine sur le reste de la création. Et, pour faciliter cet échange de services, nous verrons quel merveilleux appareil fonctionne, les voies de communication, notamment les chemins de fer, et, d’autre part, la monnaie, les papiers de crédit, billets de banque, lettres de change, billets à ordre, chèques, etc. Dans cet ordre d’idées se placera l’explication de la nature et du rôle de l’argent dans l’échange, rôle trop longtemps méconnu et dont l’ignorance a entraîné tant de désastreuses conséquences : assignats, papier-monnaie, haines et jalousies nationales, guerres de débouchés, etc. ; de même nous verrons quelle est l’utilité des banques et des divers papiers de crédit. 

Avec l’échange et la séparation des occupations, apparaît l’idée de valeur, notion fondamentale qu’il nous faudra élucider avec soin. La science s’est longtemps fourvoyée sur ce point, en confondant la valeur avec l’utilité, en ne distinguant pas ces deux notions l’une de l’autre, distinction qui, au premier abord, doit vous paraître subtile, mais qui est vraie, je vous le prouverai, et qui est féconde en conséquences admirables dont vous ne pouvez soupçonner la portée. C’est ainsi, pour ne vous indiquer que cette idée, qu’elle permet d’établir sur des bases indestructibles la légitimité du droit de propriété, notamment du droit de propriété foncière, doctrine qui réduit à néant la formule fameuse de Proudhon : La propriété, c’est le vol, ce paradoxe terrible jeté à la face de la société, et qui n’est heureusement qu’un paradoxe dont nous démontrerons l’impuissance et l’insanité. 

Enfin, comme conséquence et corollaire nécessaire du principe de l’échange et de la liberté des transactions, nous déduirons le principe de la liberté commerciale ; nous verrons quelles causes multiples, quelles erreurs et aussi quelles coalitions d’intérêts ont retardé si longtemps l’application dans nos lois de ce système si fécond et si profitable, pour y faire régner le système prohibitif et le système protecteur, systèmes nés de cette déplorable erreur économique : Ce qu’un peuple gagne, l’autre le perd ; le profit des uns est le dommage des autres, erreur résultant d’une fausse notion sur la nature de la richesse, erreur qui a ensanglanté le monde et faussé si longtemps la politique des nations, politique de rivalités et de haines jalouses.  À la place de cet antagonisme désolant, la science propose et démontre de la manière la plus évidente l’harmonie des intérêts de tous ; elle montre, dans la diversité des races, des climats, des sols et des aptitudes nationales, l’effet et le fruit d’une organisation providentielle, invitant ainsi les peuples à l’échange de leurs produits, à l’abaissement des barrières, des entraves artificielles élevées par la force et l’arbitraire de gouvernements dirigés par de funestes erreurs. 

Et quant à la manière dont la richesse se distribue, se répartit entre les divers membres de la société, quelle n’est pas l’utilité des enseignements de la science économique : répartition entre le capitaliste et le travailleur ; la part du capitaliste, qui est le profit ; la part du travailleur, le salaire. Sous le régime de la liberté, cette répartition s’opère, non pas, comme certains l’ont cru, d’après les caprices du hasard, mais suivant les règles d’une bonne et exacte justice distributive. C’est-à-dire que, supérieure à tous les systèmes de contrainte et de despotisme, la liberté sait faire aux intérêts une justice que l’arbitraire de l’État ne saurait leur faire. La part du capitaliste, profit ou intérêt, c’est la juste rémunération de l’épargne, des avances, c’est la conséquence de la productivité du capital, principe qu’il nous faudra démontrer lorsque nous combattrons l’absurde théorie, chimère, du crédit gratuit, cette théorie sans laquelle, a dit Proudhon lui-même, le socialisme est un vrai rêve. 

La part du travailleur, c’est aussi la juste rémunération de ses efforts, de sa peine : elle se fixe dans le salaire. Le régime du salariat n’a pas échappé aux attaques des socialistes ; ils l’ont attaqué et condamné comme un régime d’oppression et d’esclavage pour les ouvriers. Nous verrons si ces reproches sont mérités, si ce système n’est pas un progrès considérable sur le régime primitif et aléatoire du bénéfice éventuel, auquel il est venu substituer la certitude, la fixité, avantage précieux, oublié et méconnu par nos modernes réformateurs, qui proposent comme progrès le régime de l’association. L’association, sans doute, est un moyen de progrès, mais à une condition, c’est qu’elle soit volontaire et libre, c’est qu’elle ne réclame pas l’intervention de l’État, qui est la contrainte et la force, intervention qui se trouve précisément au fond de tous les systèmes réformateurs. Dégagée de cette intervention de l’État, l’association, la science ne la repousse pas, elle y voit au contraire un principe de progrès et d’amélioration, et elle y applaudit. 

Reste enfin ce qu’on a appelé la question de la rente foncière, du revenu de la terre. Nous démontrerons comment ce revenu est légitime, de même que tous les autres, comment il n’est pas vrai que le propriétaire foncier soit un monopoleur qui a injustement accaparé le sol à son profit, et qui mérite la terrible apostrophe de Proudhon : « À qui appartient le fermage de la terre : au protecteur de la terre, sans doute ? Qui a fait la terre ? Dieu ; en ce cas, propriétaire, retire-toi », formule qui, en elle-même, n’est pas autre chose que la paraphrase de l’anathème bien connu de Rousseau : « Maudit soit le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire. » 

À cet ordre d’idées, nous rattacherons la question si importante de la population, des lois qui président à son accroissement. 

Enfin, arrivés à l’étude de la consommation, nous verrons qu’elle est le but final de tous les faits économiques, et que c’est par elle et non par le travail que se mesure le bien-être et le progrès au sein de la société ; c’est par là surtout que se révèle le lien intime qui rattache l’économie politique à la morale. C’est ainsi qu’un peuple léger et vain provoque des industries futiles ; un peuple sérieux, des industries sérieuses ; et si l’humanité parvient à marcher dans la voie du progrès, c’est par la moralisation du consommateur. « Parce qu’il représente l’humanité » ; c’est-à-dire, en résumé, que la consommation est la grande fin de la science, et que le bien et le mal, la moralité, l’immoralité viennent se résoudre dans le consommateur, lequel représente l’humanité. 

Telle est, indiquée ainsi à grands traits et d’une manière générale, la série des questions que nous aurons à étudier. Vous pouvez comprendre dès maintenant si j’avais raison de vous signaler, en commençant, l’importance et l’utilité d’une pareille étude. Je ne crains pas de le dire, la vulgarisation d’une telle science est une véritable question de salut public. Que de préjugés, que d’illusions funestes se dissipent et s’évanouissent, en effet, comme de vains fantômes, à la clarté de son flambeau. Quelle est l’origine de la plupart des guerres qui ont ensanglanté la terre et ruiné les nations ? Une erreur économique, sur la nature et le rôle de l’argent. De même c’est une erreur de cette nature qui a produit les assignats, le papier-monnaie, les systèmes restrictifs du commerce et des échanges internationaux, les lois de maximum, cette expérience funeste de la Convention ; les ateliers nationaux, cette autre expérience non moins funeste et plus récente. Ajoutez encore les préjugés contre les accapareurs, contre les intermédiaires du commerce. 

Il importe donc de dissiper toutes ces ténèbres et de faire la lumière sur ces graves problèmes dont la solution importe tant à la prospérité et au progrès industriel. Oui, il est nécessaire de résoudre ce problème redoutable qui existe, quoi qu’on dise, et quelques subtilités que l’on soulève à cet égard, et qui fait le tourment de notre siècle, et qui est le problème social. Deux solutions sont proposées : dans l’une, on prend pour point de départ cette prémisse fondamentale : les intérêts des hommes sont, les uns vis-à-vis des autres, en état d’hostilité et d’antagonisme. Cet antagonisme, ils le signalent partout : entre le capitaliste et l’ouvrier, entre le propriétaire et le prolétaire, entre le bourgeois et le peuple, entre les campagnes et les villes, entre le régnicole et l’étranger. De là, pour concilier tous ces intérêts opposés et anarchiques, la nécessité d’une organisation artificielle, d’un système de contrainte et de despotisme, pour plier ces intérêts contraires et les ramener à l’ordre et l’harmonie : c’est la solution socialiste ; ce ne sera pas la nôtre. Non, non, ces tristes et désolants systèmes ne donnent pas le dernier mot du problème. Reste la seconde solution, elle se formule ainsi : À la place de cet antagonisme, de ce conflit fatal des intérêts, son point de départ est que les intérêts des hommes sont harmoniques ; que, malgré certains conflits apparents, il y a dans le monde industriel accord des classes, des industries, des nations, sous la condition du règne de la liberté, du libre développement des facultés humaines dans les limites de la justice et du droit. Elle est plus consolante, et j’ajoute plus vraie, nous le prouverons. 

Propriétaires, vous dont le droit a été attaqué et ébranlé par d’audacieux sophistes, je démontrerai comment, si étendues que soient vos possessions, votre droit se bulle à recevoir des services en échange de services légitimement rendus par vous ou vos ancêtres, et ainsi votre droit sera établi sur une base indestructible. Prolétaires, membres des classes travailleuses et souffrantes, je vous prouverai comment vous obtenez les fruits du champ que vous ne possédez pas, avec moins d’efforts et de peine que si vous deviez le faire croître par votre travail dans un champ à son état primitif, antérieurement à toute culture. Capitalistes, votre droit sera légitimé si je démontre que le capital n’est pas autre chose que du travail antérieur qui a droit, apparemment, comme le travail actuel, à une rémunération. Ouvriers, vous verrez comment, à mesure que s’accumulent les capitaux, la part relative du travailleur est augmentée, c’est-à-dire qu’à l’augmentation des capitaux correspond la hausse des salaires, et ainsi sera justifiée ma doctrine. 

À cet effet, Messieurs, pour remplir cette tâche si délicate et dont je ne me dissimule pas les difficultés, j’aurai besoin de toute votre attention, de toute votre bienveillance. J’ose espérer qu’elle ne me fera pas défaut ; que vous comprenez, à cette heure, l’utilité si grande de cette étude, surtout pour vous, ouvriers, membres de ces classes travailleuses si dignes de sollicitude et d’intérêt, et qui avez tant à gagner, qui pourrez retirer des fruits si précieux d’un tel enseignement. Je regrette vivement, je l’avoue, de n’être pour vous qu’un inconnu ; je voudrais pouvoir emprunter l’autorité et le crédit d’une parole influente et écoutée de vous, pour vous engager de toutes mes forces à suivre ce cours. Surtout de la persévérance, Messieurs, au début de ces conférences. Quant au professeur, c’est avec le plus complet désintéressement qu’il aborde cet enseignement, sans prévention, sans esprit de parti, sans autre passion que celle de la justice et de la vérité, en honnête homme qui vient loyalement et franchement enseigner à d’honnêtes gens ce qu’il croit être la vérité, ce qu’il croit d’une utilité des plus précieuses à faire connaître à tous. Ce qu’il vous demande en retour, c’est de ne pas vous rebuter, au début, devant la sécheresse et l’aridité d’exposition de la science. Sachez bien, en effet, qu’en toutes choses ce sont les débuts, les commencements qui sont le plus pénibles ; et plus nous avancerons, plus l’intérêt de ces conférences ira en s’accroissant, et arrivés à la fin vous serez pénétrés d’admiration en présence de l’édifice majestueux des grandes lois sociales ; vous apercevrez alors un horizon dont vous ne pouvez soupçonner à cette heure la grandeur et l’étendue. Vous verrez comment, de même que l’univers physique, le monde social a aussi des lois qui le gouvernent, comment à la place de tous ces plans d’organisation factice du travail, inventés par l’utopie, Phalanstère, Icarie, Triade, ateliers nationaux, et tant d’autres, il importe de laisser fonctionner ce système naturel qui porte l’empreinte d’une sagesse supérieure, bien autrement admirable que les mesquines et impuissantes combinaisons des inventeurs de plans sociaux ; comment, enfin, de ce point de départ, l’harmonie des intérêts, découle la solution tant cherchée du redoutable problème que nous avons posé plus haut, du problème social, solution qui se résume dans cette simple formule : Justice, c’est-à-dire respect de la liberté et de la propriété dans la loi, — fraternité dans les mœurs.

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