Contre l’économie d’État. Par Frédéric Bastiat, Paris, juin 2014, Berg International.
Postface de Damien Theillier
L’éditeur parisien Berg International vient de rééditer une série de textes de Frédéric Bastiat sous le titre : Contre l’économie d’État. Ces textes font partie d’un recueil de petits pamphlets de Bastiat intitulé : Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, datant de 1850 [1].
Frédéric Bastiat (1801-1850) est un économiste et homme politique français, fort méconnu en France, bien que reconnu comme un auteur de première importance dans de nombreux autres pays. Il fut le contemporain d’Alexis de Tocqueville, auprès de qui il siégea à l’Assemblée nationale.
L’étymologie grecque du mot économie, qui repose sur oikos (la maison) et sur nomos (la règle) évoque la « tenue du ménage » autrement dit, l’art de régler l’activité de la famille de sorte que ses ressources suffisent à ses besoins. On peut donc définir l’économie comme la science des actions humaines, en particulier des choix que l’homme fait pour lutter contre la rareté.
Qu’est-ce qu’une économie d’État ? C’est une doctrine économique qui consiste essentiellement à justifier l’intervention de l’État dans la production et la distribution des biens.
Or la grande leçon de Frédéric Bastiat dans cette série de textes, c’est que l’intervention de l’État a des effets pervers que l’on ne voit pas. Seul le bon économiste est capable de les prévoir.
Autrement dit, toute décision politique constitue un acte économique. L’économie contemporaine exprime cette idée dans le concept de « coût d’opportunité », c’est-à-dire la valeur de ce à quoi on renonce au moment de faire un choix. La différence nette de résultat entre plusieurs opérations envisageables, mettant en œuvre les mêmes ressources données s’appelle un « coût d’opportunité ». Le coût d’un choix doit donc être comparé au coût d’un autre choix possible pour savoir s’il y a eu augmentation nette ou diminution nette de la richesse. Et c’est exactement ce qui correspond à « ce qu’on ne voit pas ». Car toute action, tout choix, comporte une partie visible et une partie invisible. La partie visible c’est le choix réalisé. La partie invisible c’est l’action à laquelle on a renoncé en faisant un choix. Tout choix implique un renoncement.
Par conséquent une « bonne » décision ou une « bonne » politique est une politique qui coûte moins à la société que ce qu’une autre allocation des ressources aurait pu lui coûter. Aussi faut-il juger l’efficacité d’une politique non seulement sur la base de ce qui arrive, mais aussi sur la base des alternatives qui auraient pu se produire.
Par exemple, dans « Droit au travail – Droit au profit », Bastiat explique : « Ce qu’on voit, c’est le travail et le profit permis par la cotisation sociale. Ce qu’on ne voit pas, ce sont les travaux auxquels donnerait lieu cette même cotisation si on la laissait aux contribuables. » Pour faire un bon calcul économique, il faudrait prendre en considération les emplois et les richesses qui auraient pu être créés si les contribuables avaient pu dépenser leur argent comme ils le souhaitaient au lieu de payer des taxes. Le calcul économique doit établir la relation entre ce qui existe et ce qui aurait pu exister si un autre choix avait été fait.
Chaque fois que nous évaluons l’impact d’un programme gouvernemental sans tenir compte de ce que les contribuables auraient fait à la place, avec l’argent qu’on leur a enlevé en impôt, on succombe à l’illusion politique. Et la plupart des illusions politiques ne survivent pas à la distinction de Bastiat entre ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas.
Ainsi, nous dit-il, c’est une illusion de croire que le gouvernement peut « créer des emplois » car pour chaque emploi public créé il détruit un emploi sur le marché. En effet, les emplois publics sont payés par les impôts. Les emplois publics ne sont pas créés, ils sont perçus. De plus, en supprimant un emploi qui répond aux besoins et aux désirs des consommateurs, on le remplace par un emploi qui sert les objectifs des seuls politiciens.
Tout euro dépensé par l’État doit nécessairement être obtenu par un euro d’impôt ou de dette. Si nous envisageons les choses sous cet angle, les soi-disant miracles des dépenses de l’État nous apparaissent sous un tout autre jour.
Cette leçon de base a inspiré le journaliste économique américain Henry Hazlitt(1894-1993), auteur d’un petit ouvrage de vulgarisation économique intitulé : Economics in One Lesson[2]
« Aucune foi au monde n’est plus tenace ni plus entière que la foi dans les dépenses de l’État », écrit Hazlitt. « De tous côtés, on les présente comme une panacée capable de guérir nos maux économiques. L’industrie privée est-elle partiellement somnolente ? On peut y remédier par les dépenses publiques. Y a-t-il du chômage ? Cela est évidemment dû à l’insuffisance du pouvoir d’achat. Et le remède est tout aussi évident : le Gouvernement n’a qu’à engager des dépenses pour suppléer ce manque à acheter. »
Hazlitt nous montre que Bastiat a réfuté l’économie d’État et en particulier l’économie keynésienne près d’un siècle avant Keynes. Ce dernier pensait que les dépenses publiques augmentaient la production en raison d’un multiplicateur : si le gouvernement construit un pont, les ouvrier du pont peuvent acheter du pain, puis les boulangers peuvent acheter des chaussures, etc.
À cela, Bastiat a répondu dans Travaux publics : « L’État ouvre un chemin, bâtit un palais, redresse une rue, perce un canal; par là, il donne du travail à certains ouvriers, c’est ce qu’on voit; mais il prive de travail certains autres, c’est ce qu’on ne voit pas. »
[1] Le licenciement, L’impôt, Théâtres, Beaux-Arts, Travaux publics, Les Machines, Crédit, Droit au Travail et Droit au Profit.
[2] Traduit par Mme Gaëtan Pirou sous le titre Économie en une leçon, disponible en version électronique sur le site d’Hervé de Quengo : //herve.dequengo.free.fr/Hazlitt/EPL/EPL_TDM.htm
A consulter également : //nicomaque.com/mes-livres/la-petite-collection-chez-berg-international