Compte rendu de Fresnais de Beaumont, Essai pour concilier les avantages de l’exportation des grains avec la subsistance facile.

En 1778, Nicolas Baudeau rend compte d’une énième brochure écrite dans le but d’organiser par des règlements contraignants le commerce des grains. Si son auteur, dit-il, avait compris le fonctionnement d’un marché libre et concurrentiel, il n’aurait pas pris cette peine. Il n’a eu en vue, à l’évidence, que les abus d’un système vicieux fait de vendeurs commissionnés et achetant avec de l’argent public : aussi s’est-il mépris, et a-t-il eu l’impolitesse de méprendre les autres par sa brochure.


Compte rendu de Fresnais de Beaumont, Essai pour concilier les avantages de l’exportation des grains avec la subsistance facile.

Par l’Abbé Baudeau

(Mercure de France, 25 novembre 1778, p. 290-293)

 

Essai pour concilier les avantages de l’exportation des grains, avec la subsistance facile et la sécurité des sujets, par M. Fresnais de Beaumont. À Paris, chez Morin, imprimeur-libraire, rue Saint-Jacques, à la Vérité. Brochure de 24 pages.

M. Fresnais de Beaumont paraît craindre, comme beaucoup d’autres honnêtes citoyens, que des négociants avides n’achètent, dans les provinces qui n’ont tout au plus que leur provision, des grains nécessaires à la subsistance des habitants, pour les emporter au-dehors.

Dans le louable dessein d’empêcher ce malheur, il a tâché, comme beaucoup d’autres, d’imaginer un règlement qui ne fût ni trop injuste, ni trop embarrassant, ni trop coûteux à exécuter, ni trop facile à violer.

S’il avait consulté la vérité des faits, il se serait peut-être épargné ces pénibles et infructueuses recherches. Il aurait vu que jamais le commerce, abandonné à lui-même en pleine concurrence et pleine liberté, n’achète ni ne peut acheter des grains que dans les pays où règne la plus excessive abondance, où les prix sont en conséquence le plus bas possible. La raison évidente, c’est qu’il y a beaucoup de frais à faire, et beaucoup de risques à courir.

On cite souvent des exemples de monopoles et d’achats faits en très grandes quantités dans des pays déjà menacés, ou même affligés de disette. Mais on n’ajoute pas, ce qui est pourtant très vrai (ce que nous sommes en état de démontrer papier sur table) que ces monopoles et ces achats n’étaient point faits pour le commerce libre en pleine concurrence, ni aux dépens de ceux qui les exécutaient, ce qui est le plus remarquable. Il l’étaient par des commissionnaires privilégiés, qui achetaient cher et vendaient à bon marché, qui perdaient beaucoup, non pas de leur propre argent, mais de l’argent qu’on leur fournissait aux dépens du public.

Pourquoi achetaient-ils cher ? Parce qu’ils avaient 4% de commission sur le prix de l’achat, et que les 4%, quand le septier est à trente francs, produisent deux fois plus que quand il est à quinze.

Pourquoi faisaient-ils beaucoup de faux frais ? Parce qu’ils gagnaient aussi sur ces dépenses du second ordre.

Pourquoi vendaient-ils ailleurs à perte ? Pour ruine les autres négociants, et se trouver seuls vendeurs, seuls acheteurs, à l’effet de multiplier par ce moyen les produits de leur commission à 4%.

Pourquoi achetaient-ils souvent dans les lieux mêmes où il n’y avait pas surabondance ? Afin d’y opérer une cherté.

Pourquoi opéraient-ils ainsi des chertés ? Pour prouver l’utilité, la nécessité même de leur commission, et pour la perpétuer, ainsi que les bénéfices qu’ils en recueillaient.

On a vu des compagnies de commissionnaires privilégiés, au moyen de ces manœuvres, commencer par des achats annuels de douze mille septiers de grains, finir par après de cinq cent mille en un an, perdre plus de douze millions de l’argent du public, mais gagner des sommes immenses pour eux et leurs associés, moyennant les 4% et le tour du bâton.

Mais s’il n’y avait ni commission, ni argent du public à perdre, jamais un négociant ni une compagnie quelconque ne feraient la spéculation d’acheter des grains que dans les pays où ils seraient constamment à très bas prix, ce qui prouve la surabondance ; pour les vendre dans ceux où ils seraient très chers, ce qui prouve la disette.

Le commerce des grains en gros est sujet à tant de risques, de frais et de faux frais dans l’achat, la conservation, le transport et la vente, qu’il est impossible à des hommes sages de se conduire autrement ; encore avec ces précautions y perdrait-on souvent, même quand il y aurait pleine liberté, pleine concurrence, sans privilège, sans prohibition, sans commission et sans manœuvre. Cas très rare, s’il a jamais existé, depuis un siècle, dans le pays que peut avoir en vue M. Fresnais de Beaumont.

S’il a voulu parer aux inconvénients du commerce, que les négociants particuliers feraient de leurs deniers pour leur compte, à leurs propres risques, périls et fortunes, en pleine liberté, pleine concurrence et pleine franchise, il pouvait s’épargner tant de sollicitudes.

S’il a voulu parer à ceux du monopole, autorisé des commissionnaires à 4%, qui ont intérêt d’acheter cher et de vendre à grosse perte avec l’argent d’autrui, il a manqué son coup, les précautions qu’il indique étant excellentes pour les éclairer et pour les favoriser dans toutes les manœuvres ; il faut louer son zèle, et le prier de s’instruire par lui-même des faits qu’il a certainement ignorés.

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