« Coercivistes » et Volontaristes. Par Donald J. Boudreaux*
Traduit par Jacques Peter, Institut Coppet
Définir une position politique selon une simple échelle de valeurs gauche-droite laisse à désirer. Les opinions politiques couvrent une telle variété de problèmes qu’il est impossible de décrire convenablement une personne donnée en précisant simplement où elle se situe sur une unique ligne horizontale.
L’usage de la simple échelle gauche-droite rend impossible une description satisfaisante des positions libertariennes (et libérales classiques) à l’égard du gouvernement. Les libertariens ne s’opposent pas seulement à ce que le gouvernement dirige les affaires économiques, mais aussi à ce qu’il se mêle de la vie personnelle de gens paisibles. Est-ce que cette opposition place les libertariens « à droite » (parce qu’ils favorisent la libre entreprise) ou « à gauche » (parce qu’ils rejettent l’implication du gouvernement dans les affaires privées des gens) ? En tant qu’instrument de communication, la distinction gauche-droite souffre d’une singulière carence.
Néanmoins, malgré l’insatisfaction générale avec le jargon familier gauche-droite – « progressiste-conservateur » – son usage persiste. Une raison de sa persistance tient à la commodité. Peu importe que des nuances très importantes soient ignorées lorsqu’on décrit quelqu’un comme étant, disons, « à la droite de Richard Nixon » ou « à la gauche de Lyndon Johnson ». La description ne prend que quelques secondes et ne mobilise pas l’attention des auditeurs des nouvelles du soir.
Ainsi, rien ne sert de se lamenter sur l’obstination des médias de masse à utiliser un outil unidimensionnel pour décrire des opinions politiques.
Pour améliorer les discussions politiques, une meilleure stratégie consiste à rechercher des critères plus descriptifs.
Une suggestion qui a du mérite a été proposée par le Professeur Richard Gamble, qui enseigne l’histoire à l’Université de Palm Beach Atlantic. Gamble propose qu’au lieu de décrire quelqu’un comme étant « de gauche » ou « de droite », ou « progressiste » ou « conservateur », nous le décrivions comme « centraliste » ou « décentraliste ». Le langage « centraliste-décentraliste » serait une grande amélioration par rapport au langage confus « gauche-droite ».
Malheureusement, le critère « centraliste-décentraliste » contient son propre risque de confusion, à savoir que « décentraliste » pourrait vouloir désigner quelqu’un qui est indifférent à ce que Clint Bolick appelle la « tyrannie de la base ». Y a-t-il une paire de qualificatifs encore meilleure pour décrire un spectre politique en une dimension ? Je pense que oui : « coerciviste-volontariste ».
À une extrémité de ce spectre sont les coercivistes. Ils pensent que tout ordre social doit être consciemment conçu et mis en œuvre par une puissance étatique souveraine. Les coercivistes ne peuvent concevoir comment des individus dépourvus de mandats pourraient jamais organiser leurs actions d’une manière non seulement ordonnée, mais aussi pacifique et productive. Pour le coerciviste, la direction par un gouvernement souverain est aussi nécessaire pour la création d’un ordre social que l’art méticuleux de l’horloger l’est pour fabriquer une montre.
À l’autre extrémité du spectre se trouvent les volontaristes. Ils comprennent deux faits importants sur la société qui échappent aux coercivistes. Premièrement les volontaristes comprennent que l’ordre social s’établit immanquablement sans direction coercitive de l’État, dès lors que les règles de base de la propriété privée et de la liberté contractuelle sont respectées. Le caractère inévitable de l’ordre social, lorsque ces règles sont appliquées, est la grande leçon enseignée par Adam Smith, Ludwig von Mises, F. A. Hayek, et par tous les économistes véritablement grands à travers les siècles.
Deuxièmement, les volontaristes comprennent que l’organisation coercitive de la société par le gouvernement – loin de promouvoir l’harmonie sociale – conduit fatalement à la ruine de l’ordre social existant. Les volontaristes saisissent la vérité qu’un ordre social authentique et productif n’est possible que lorsque chaque personne est libre de poursuivre ses propres fins, à sa manière, sans contrainte d’une puissance politique. La puissance politique coercitive est l’ennemi de l’ordre social, car elle est inévitablement arbitraire – distribuant des faveurs pour des raisons sans rapport avec les services que les bénéficiaires rendent à leurs concitoyens. Et même si par quelque miracle l’exercice de la puissance politique pouvait être dépouillé de l’arbitraire, ce serait toujours un exercice conduit dans une totale ignorance. Il faut la fantaisie d’un nigaud pour imaginer que la connaissance immense et détaillée nécessaire à la direction centrale des affaires humaines puisse jamais être maîtrisée par un gouvernement.
La société est le résultat de la coopération de centaines de millions de gens, chacun agissant sur la base de sa propre connaissance unique de ses besoins individuels, talents, occupations et circonstances. Aucun bureaucrate ne peut avoir une maîtrise suffisante de la conception des logiciels pour dépasser Bill Gates, ou de la distribution pour avoir les intuitions des gens de Walmart, ou de n’importe laquelle des millions d’industries spécialisées dans des activités variées pour faire mieux que les personnes hautement qualifiées qui les peuplent.
Le vocabulaire coerciviste-volontariste est supérieur au vocabulaire gauche-droite ou libéral-conservateur pour distinguer les amis de la liberté de ses adversaires. Soutenir des impôts élevés et des réglementations commerciales intrusives de la part du gouvernement est une position « progressiste ». Néanmoins, un partisan d’une fiscalité élevée et de réglementations est aussi désigné comme coerciviste. Mais notez : tout aussi coerciviste est le conservateur qui applaudit aux réglementations gouvernementales sur ce que des adultes peuvent lire, visionner ou ingérer. Les deux parties pensent que l’ordre social va s’abîmer dans le chaos à moins que la coercition du gouvernement ne supplante la myriade de choix privés faits par les individus.
On accuse typiquement les volontaristes d’adhérer à la liberté sans retenue pour tout individu. Cette accusation n’a pas de sens. Alors qu’ils s’opposent à une forte dépendance de contraintes imposées par la coercition, les volontaristes raisonnables ne s’opposent pas à la contrainte en soi. À l’opposé des coercivistes, ils estiment que des règles supérieures de comportement des individus émergent de manière décentralisée et pacifique. Les parents contraignent leurs enfants. Les voisins utilisent des moyens aussi bien formels qu’informels pour empêcher chacun d’avoir des comportements de mauvais voisinage. La capacité des acheteurs de choisir où dépenser leur argent empêche les commerçants d’abuser les clients.
Une société libre est remplie à ras bord de ce genre de contraintes imposées de manière décentralisée et non coercitive. En effet, c’est l’origine volontaire de telles contraintes qui les rend plus dignes de confiance que celles imposées par la coercition. Une contrainte volontaire émerge de manière décentralisée des échanges de la vie quotidienne, et réagit à tous les coûts et bénéfices qu’elle suscite, ainsi qu’au comportement de celui qui s’y soumet. Mais une contrainte imposée est trop souvent le produit, non du donnant-donnant de toutes les parties concernées, mais plutôt de compromis politiques. Et les arrangements politiques sont, comme on le sait, biaisés en faveur des souhaits de ceux qui sont politiquement bien organisés, alors qu’ils ignorent les souhaits de ceux qui sont incapables de constituer une coalition politique efficace. Et pire, les membres de la classe politique s’exonèrent des contraintes même qu’ils imposent aux autres. Les contraintes imposées ne sont pas du tout de nature sociale ; ce sont des ordres donnés par ceux qui sont politiquement privilégiés.
Le véritable volontariste ne craint rien autant que le pouvoir coercitif – qu’il soit exercé par des gens de « gauche » ou de « droite ».
* Source : Donald J. Boudreaux, « Coercivists and Voluntarists », Chapter 2 in Everything Voluntary – From Politics to Parenting, edited by Skyler J. Collins
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