Chronique (Journal des économistes, octobre 1908)

Chaque mois, entre  1881 et 1909, Gustave de Molinari a publié une chronique politique et économique dans le Journal des économistes, commentant lactualité française et internationale sous un angle résolument libéral. Au programme notamment, dans cette livraison doctobre 1908, les vœux pacifistes de Frédéric Passy, le monopole de l’État sur le téléphone, le développement de la social-démocratie allemande, et l’affaiblissement du sens moral des ouvriers conséquence des lois prétendument sociales.


Gustave de Molinari, Chronique (Journal des économistes, octobre 1908).

SOMMAIRE : Le Congrès interparlementaire. — Ouvrard économiste. — Hausse du prix des subsistances de Paris. — Un arrêt du juge de paix du Xarrondissement. — L’incendie du téléphone. — Les ouvriers contre les machines. — La fortune de la social-démocratie allemande. — L’assurance des accidents par l’État en Hollande.

Au Congrès interparlementaire qui a eu lieu à Berlin, nous sommes heureux de signaler l’hommage qu’a rendu M. de Bülow, chancelier de l’Empire, à notre illustre collègue, M. Frédéric Passy, hommage qui a été accueilli par de chaleureux applaudissements.

« Guidés par des hommes très distingués, — je ne nommerai que votre doyen, M. Frédéric Passy, que nous avons le plaisir tout particulier de voir parmi nous, M. Passy, que je me rappelle avoir vu à Paris il y a près de trente ans et que nous retrouvons ici aussi généreux, aussi ardent, aussi jeune que dans le passé, — vous avez poursuivi votre tâche qui est celle d’obtenir des garanties pour la paix et la concorde entre les peuples (Bravo !) tâche difficile s’il en fût, tâche ardue, car tant de passions et de préjugés s’y opposent, mais aussi tâche bienfaisante entre toutes. »

Au sujet de deux discours qui intéressent particulièrement l’économie politique, voici ce que nous écrit M. Frédéric Passy :

« Je ne veux pas vous envoyer de compte rendu de la Conférence interparlementaire de Berlin ; tous les journaux vous en ont parlé, plus ou moins exactement, et j’ai refusé, à son sujet, toute interwiew. Mais il y a eu deux discours, bien modestes, qui intéressent l’économie politique, et dont peut-être vous n’avez eu qu’un insuffisant aperçu. Ce sont ceux de votre compatriote le sénateur Houzeau de Le Haie, et de moi-même, au banquet de la Chambre de commerce, les deux seuls qui, ce soir-là, aient été prononcés en français.

On parle beaucoup, a dit M. Houzeau, de la nécessité de développer la marine, pour soutenir ou développer le commerce. La Suisse, bien qu’elle ait eu un amiral sur le lac Léman, n’a jamais eu de marine sur mer, et celle de la Belgique ne tient pas une très grande place dans le monde. La Suisse et la Belgique sont, cependant, eu égard au chiffre de leur population, à la tête des nations commerçantes.

M. Houzeau aurait pu rappeler, à l’appui de cette constatation, la parole de Bismark : « Ce n’est pas le commerce qui suit le drapeau, c’est le drapeau qui suit le commerce. »

« Messieurs, ai-je dit à mon tour, je n’ai pu, malgré l’attention que j’y ai prêtée, suivre que bien imparfaitement les discours que nous venons d’entendre. J’ai noté pourtant, dans ceux du président de la Chambre de commerce et de S. E. le ministre du commerce, à côté de qui j’ai l’honneur d’être assis, trois mots qui m’ont frappé et dont la répétition m’a paru significative : les mots de guerre, de paixet de travail. Je crois avoir compris ce qu’ils voulaient dire. Vous me rectifierez, monsieur le président, si je me suis trompé. Vous avez voulu dire que la guerre est l’ennemie du commerce, que la paix en est l’âme, et que le travail en est le pourvoyeur et le nourricier. Vérité de M. de la Palice, mais vérité trop méconnue encore, malheureusement, et dont il faut vous savoir gré de proclamer, avec votre haute autorité, l’évidence. Permettez-moi, en en prenant acte, d’ajouter que ce n’est pas assez de reconnaître cette souveraine puissance du travail et de la paix pour le développement du commerce : il faut nous débarrasser de toutes nos fausses idées de jalousie et d’opposition des intérêts ; il faut comprendre que le mal des autres n’est pas notre bien, et que rien n’est plus menteur que ce prétendu axiome, que ce que l’un gagne l’autre le perd. Si vos clients sont pauvres, ils ne vous feront pas faire de gros profits. Si les nations avec lesquelles vous prétendez faire des affaires n’ont rien à vous vendre, elles ne seront pas en état de rien vous acheter. La richesse d’un négociant c’est la richesse du marché qui l’alimente. Les bons comptes, comme dit un autre proverbe, font les bons amis. Je vous propose, messieurs, de boire À LA PROSPÉRITÉ DES AUTRES. »

Je vous livre, mon cher ami, si elles peuvent vous être utiles, ces reproductions sinon absolument textuelles, du moins très fidèles, de nos deux petites allocutions. Et je constate qu’elles ont été très chaleureusement accueillies par l’auditoire, très intelligent, auquel elles s’adressaient.

FRÉDÉRIC PASSY. »

Le Congrès interparlementaire a adopté à l’unanimité la motion suivante du Conseil interparlementaire :

« La Conférence émet le vœu que le projet de traité d’arbitrage (avec protocole annexe) de la première commission de la Conférence de La Haye de 1907, qui rencontra alors l’assentiment de la grande majorité des puissances et qui est basé sur le traité modèle adopté en 1907 par la Conférence interparlementaire de Londres, soit pris comme point de départ pour les négociations ultérieures entre les puissances afin d’arriver à une entente générale sur l’arbitrage obligatoire. »

Une motion de M. Lafontaine est également adoptée ; elle ajoute au texte précédent ces mots :

« Et invite les 33 États dont les délégués ont acquiescé au projet d’arbitrage permanent à le transformer en traité définitif dans le plus bref délai possible et prie les autres États d’adhérer ultérieurement à ce traité définitif. »

Ensuite est adoptée une motion de M. Gebet, qui tend à ce que les États signataires de conventions d’arbitrage recourent à la médiation de puissances amies avant d’entamer les hostilités, dans le cas où le différend ne tomberait pas sous l’application de l’arbitrage. »

Que ce vœu et cette motion se réalisent le plus tôt possible, il n’est pas un seul économiste qui ne le souhaite ; mais est-il bien nécessaire d’augmenter chaque jour les armements pour mieux garantir la paix ? Cela nous rappelle le propos célèbre de M. Garnier Pagès, à la veille de l’insurrection de juin : Quand tout le monde sera armé, on ne se battra plus.

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Dans son intéressante galerie des Portraits financiers, notre collaborateur M. Liesse a fait une bonne place à Ouvrard. Nous trouvons dans l’Histoire des deux Restaurations, d’Achille de Vaulabelle, cette anecdote qui atteste qu’Ouvrard n’était pas moins économiste que financier, quoiqu’il n’ait pas été ministre :

« Vivres, fourrages, voitures et chevaux de transport, mulets de bât, nos troupes devaient demander toutes ces choses à l’Espagne (guerre de 1823), sans donner cependant le moindre sujet de plaintes aux Espagnols ; M. Ouvrard avait promis d’atteindre ce résultat : sa tâche allait commencer.

Chaque soldat en franchissant la frontière avait emporté des vivres pour cinq jours. Ces provisions, fournies par les magasins de l’État, se trouvaient gaspillées dès la seconde journée. Le quatrième jour de marche, le plus grand nombre des hommes arrivèrent à Tolosa, sans avoir rien mangé depuis le matin ; tous s’attendaient à trouver dans cette capitale du Guipiscoa au moins une distribution de pain et de vin ; la ville ne renfermait pas le moindre approvisionnement ; des murmures, des plaintes éclataient dans l’armée ; M. Ouvrard, dont le service ne devait commencer que le lendemain, et qui ne s’était encore pourvu que des moyens de transport, est mandé au quartier général ; il trouve le Conseil assemblé ; on l’interroge. « Où sont vos magasins ? Quelles sont vos ressources ? lui dit-on. » — Demain, l’armée recevra ses distributions ordinaires, répond le fournisseur. — Il faut dix jours de vivres pour le deuxième corps. — Demain le deuxième corps aura ses dix jours de vivres. — Il nous faut plus que des promesses et de vaines assurances ; encore une fois où sont vos dépôts, vos magasins, où sont-ils ? » Le munitionnaire refuse de s’expliquer et se retire.

Le matin de cette journée, M. Ouvrard avait réuni les autorités de la ville, des ecclésiastiques, des notables, des marchands, et leur avait dit : « L’armée ne veut pas vivre à vos dépens ; mais il faut qu’elle soit nourrie ; aidez-moi à lui fournir toutes les provisions dont elle a besoin, si vous ne voulez pas que demain elle vous arrache celles que vous possédez. Il lui faut du pain, des légumes, de la viande, de l’avoine, des fourrages. Vous connaissez votre pays et ses ressources ; partez sur-le-champ, répandez-vous dans les environs ; prévenez vos parents, vos amis ; annoncez à tout le monde que je paierai toutes ces choses comptant. Je ferai plus : tout ce qui sera livré avant huit heures du matin sera payé dix foissa valeur ; avant neuf heures neuf fois; avant dix heures huit foiset ainsi de suite, en diminuant d’un dixième par heure. » Des piles de pièces d’or couvraient une table placée au centre de la salle où se tenait la réunion ; le munitionnaire les distribue à titre d’avances, à ses auditeurs qui se mirent immédiatement en chemin. Ces avances et les magnifiques promesses dont elles étaient le gage, annoncées à grand bruit par ces agents improvisés, hommes connus, considérés, éveillèrent toutes les cupidités. La population dans un rayon de 8 à 10 lieues autour de Tolosa se mit tout entière en mouvement ; et le lendemain, au lever du soleil, on put voir descendre de toutes les hauteurs environnant la ville, de nombreuses et longues files d’individus de tout âge et de tout sexe, qui pliaient sous le poids des provisions, luttant de vitesse afin d’arriver assez à temps pour obtenir les primes énormes assurées aux plus empresses. Bientôt, sur tous les points, les denrées arrivèrent en abondance ; la concurrence fit diminuer les prix, et grâce à ses premiers sacrifices, le munitionnaire obtint ce double résultat de ne payer chaque chose que sa juste valeur et de pouvoir satisfaire à tous les besoins de l’armée jusqu’au dernier jour de la campagne, sans dépôts ni magasins préparés et sans réquisition. »

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D’après un tableau comparatif, pour les années 1905 à 1908, du prix de l’ensemble des fournitures nécessaires à l’assistance publique, la hausse de ce prix aurait causé une aggravation de charge de 2 millions et demi et se serait élevée en moyenne à 18% en quatre ans seulement. Voici le détail de quelques chiffres :

« Viande de cheval : 11% ; viande : 27% ; lait : 13% ; vin rouge : 15% ; combustibles divers : 12% ; charcuterie : 38% ; lard : 27%, beurre : 5% ; pommes de terre : 10% ; riz : 100% ; huile blanche : 25% ; huile à brûler : 33% ; savon blanc : 50% ; linge, habillement : 40% ; blanchissage : 25% ; pharmacie : 10%, etc. »

Cet accroissement continu du prix des nécessités de la vie atteint rudement les budgets les plus nombreux et les moins riches. Les causes en sont diverses, mais au moins, une bonne part en revient à l’augmentation des dépenses nationales et municipales, sous un régime de plus en plus démocratique et socialiste.

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Le juge de paix du 10e arrondissement a condamné M. Pataud à payer à un musicien victime de la grève des électriciens la somme de 8 francs à titre de dommages-intérêts. Cet arrêt pourrait d’abord avoir pour conséquence d’opposer un obstacle sérieux à la guerre du capital et du travail, en rendant les auteurs des grèves et des lock-outmatériellement responsables des dommages qu’ils causent au public ; ensuite, il pourrait avoir encore une portée bien autrement étendue et grave si l’article 1382 du Code civil passait à l’état de loi internationale. Du moment où les États belliqueux seraient obligés de rembourser les frais et dommages énormes que toute guerre cause aujourd’hui aux neutres, ils s’exposeraient à la faillite et la guerre ne tarderait pas à devenir impossible.

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L’incendie du téléphone à Paris, inspire à un rapporteur du budget de 1908, M. Noulens, ces critiques subversives des monopoles gouvernementaux, qu’il est appelé à voter.

« La crise que traverse à Paris, dit-il, le service des téléphones, ne dépend pas du zèle plus ou moins grand de quelques employées. On doit en rechercher la cause originelle dans la fausse conception que l’administration a eue, dès le début, de l’importance du service et du développement dont il était susceptible.

Il semble, en effet, qu’elle ait complètement méconnu le rôle économique du téléphone et n’ait prévu, ni l’extension qu’il devrait prendre, ni la transformation qu’il a apportée aux habitudes tant industrielles et commerciales que privées.

Si l’administration s’en était rendu compte, elle aurait cherché à s’assurer des moyens d’action plus puissants non seulement par un recrutement judicieux du personnel et par l’amélioration du matériel, mais encore par l’augmentation de ses ressources, grâce à la réforme des tarifs.

Ces défauts d’organisation ne sont pas isolés ; ils proviennent d’un manque de prévoyance et d’initiative dont l’administration nous donnera d’autres preuves dans l’examen des divers facteurs qui concourent à l’exploitation du téléphone. 

Pour le matériel, les critiques ne sont pas moins vives :

Un industriel constitue une réserve au fur et à mesure que ses affaires s’étendent. S’il renouvelle son matériel ou agrandit ses locaux, il prend sur la réserve réalisée par l’accumulation de ses bénéfices antérieurs, sans se croire obligé de régler cette dépense extraordinaire sur les revenus de l’année courante.

L’administration des téléphones devrait disposer de moyens analogues pour transformer son outillage ou étendre ses réseaux. Le développement de son trafic exigerait qu’elle pût trouver, à tout moment, dans les réserves d’une caisse spéciale ou dans un système d’avance, un instrument financier assez souple pour lui permettre d’effectuer les améliorations reconnues nécessaires, en évitant des retards à la fois préjudiciables et onéreux. »

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Les ouvriers se sont mis en grève, à Haxebrouck, à cause de l’introduction des métiers automatiques ; à Fougères, des machines à couper ; à Lille, d’une linotype. Les nouvelles machines causent, sans doute, trop souvent, aux ouvriers employés aux anciennes, un dommage actuel, mais pour leur procurer ensuite un avantage bien autrement considérable. C’est un dommage contre lequel ils pourraient s’assurer par un autre progrès qu’il dépend d’eux de réaliser eux-mêmes, celui de l’épargne.

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La social-démocratie allemande est plus riche que notre socialisme et se propage davantage, quoiqu’elle ne soit pas protégée par le gouvernement. Au contraire. La protection qui ralentit l’activité des industriels et paralyse leur esprit d’entreprise aurait-elle les mêmes effets sur les socialistes ?

« Le Comité central du parti social-démocrate allemand, dit le Journal des Débats, publie son rapport annuel. On y voit que 43 députés siègent au Reichstag et que les 19 Landtags de l’Empire comptent ensemble 151 députés socialistes. La catholique Bavière tient la tête avec 21 députés, le Wurtemberg vient ensuite avec 15, et le grand-duché de Bade avec 12. La Prusse en a 7.

5 931 municipalités, 1 360 villes et 4 571 bourgs et villages sont socialistes. Hambourg, à lui seul, possède 21 conseillers municipaux membres du parti.

La presse socialiste a de jolis revenus. Le Vorwaerts a encaissé, pour son compte personnel, 1 636 099 marks 55. Ses dépenses s’étant élevées à 1 505 311 marks 50, il accuse donc un bénéfice net de 130 788 marks 50, inférieur cependant de 39 894 marks 85 à celui de l’année dernière. Le nombre de ses abonnés a augmenté néanmoins de 8 075.

Le rapport financier est peu satisfaisant ; le total des encaissements est très inférieur à celui de l’année dernière. Les recettes s’élèvent à 852 976 M. 10 et les dépenses à 783 958 M. 13, se répartissant de la façon suivante : agitation et propagande, 211 762 M. ; secours, 9 500 M. ; frais judiciaires, 10 778 M. ; écoles du parti, 58 430 M ; appointements des employés, 26 070 M. ; prêts, 223 720 M. ; indemnités à la presse, 126 349 M. ; correspondance, 29 314 M. »

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Dans les industries qualifiées de dangereuses et insalubres les salaires s’élèvent en proportion du risque d’accidents ou de maladies. Ce surcroît de rétribution naturellement réglé par la concurrence s’ajoute aux frais de production de l’industrie.

Les ouvriers sont doublement intéressés à se précautionner contre les accidents ou les maladies dont ils supportent eux-mêmes les frais, et lorsqu’ils en sont victimes, à les guérir le plus promptement possible. Ils peuvent, à la vérité, s’assurer mutuellement, mais la mutualité sur laquelle retombent les frais médicaux et les secours de chômage est à son tour intéressée à en réduire le montant au strict nécessaire. Les membres de la mutualité y veillent, et ils se montrent impitoyables pour les simulateurs et les fainéants. L’État philanthrope a voulu se charger lui-même de cette assurance, en en reportant les frais, partie sur les patrons, partie sur la masse des contribuables. Mais, soit négligence, soit confiance dans les vertus ouvrières, l’État a relâché la surveillance qu’exerçaient avant lui les mutualités ; aussitôt on a vu les simulations se multiplier, les guérisons s’allonger et le budget de l’assurance grossir à vue d’œil. En Hollande, il montera cette année de 772 000 florins à 830 000, sans le coût de l’installation de la caisse. Un chirurgien de l’assurance, M. Bolten, a expliqué la raison de ces phénomènes.

« Depuis que cette loi existe, dit-il, je ne me fie absolument plus à personne. L’ouvrier se dit : J’ai mon accident ; maintenant c’est l’affaire de l’État ; pourquoi ne jouirais-je pas de ma rente, tant que je le puis ? Aussi prolonge-t-on le plus qu’on peut la durée de l’invalidité ; et si l’on a la chance d’obtenir du Conseil d’assurance une déclaration d’incapacité totale ou partielle de travail, c’en est fait : c’est un candidat à la neurasthénie. Rien que dans La Haye, ajoute le docteur Bolten, je connais trente ouvriers qui, sans la loi, seraient absolument guéris et auraient repris leur travail. Maintenant, ils restent à se plaindre, toute occupation les ennuie, leur est à charge ; ils sont mécontents de tout et de tous ; ils se considèrent comme des victimes. Cette loi qui leur paraissait dans le lointain comme une mesure de réparation n’a fait qu’aggraver leur état. Le même phénomène s’est produit en Allemagne ; là aussi, la loi sur les accidents a produit les mêmes effets ; dépression physique, dépression morale, mécomptes financiers. »

Au moins, cette loi philanthropique, qui coûte de plus en plus aux contribuables, et démoralise les ouvriers aura-t-elle pour effet certain de perpétuer le surcroît des salaires des industries dangereuses et insalubres ? Quand les frais de l’assurance auront cessé d’être payés par les ouvriers pour être supportés par l’État et les patrons, la différence des salaires ne finirait-elle pas par s’atténuer sinon par disparaître ? Et c’est à un résultat analogue qu’aboutissent toutes les lois ouvrières, socialistes et philanthropiques.

 

Paris, le 15 octobre 1908.

G. DE MOLINARI.

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