Chaque mois, entre 1881 et 1909, Gustave de Molinari a publié une chronique politique et économique dans le Journal des économistes, commentant l’actualité française et internationale sous un angle résolument libéral. Au programme notamment, dans cette livraison de juillet 1906, la contagion du protectionnisme en Espagne et en Suisse, l’augmentation constante des dépenses publiques en France, l’impôt proportionnel et la taxation du capital, et enfin la législation sociale repoussée par les syndicats.
Gustave de Molinari, Chronique (Journal des économistes, juillet 1906).
L’augmentation des dépenses publiques, les nouveaux impôts et leurs effets. — L’impôt progressif et la recherche des économies. — Les nouvelles lois ouvrières et la loi sacrilège de l’offre et de la demande. — La loi sur les accidents du travail à la Société d’économie politique. — La contagion du protectionnisme en Suisse. — Le nouveau tarif espagnol, Jules Fleury.
Quoique la richesse des particuliers se soit considérablement accrue et n’ait pas cessé de s’accroître depuis que des progrès de toute sorte ont augmenté dans d’énormes proportions la productivité de la plupart des branches d’industrie, les dépenses de l’État ont suivi une progression encore plus rapide. Il y a 80 ans, en 1826, elles n’atteignaient pas encore un milliard, elles en dépasseront quatre, cette année ; en d’autres termes, le prix des services du gouvernement a quadruplé, sans qu’on puisse affirmer que les Français soient quatre fois mieux gouvernés. Depuis quelques années, les dépenses de l’État ont même pris une allure telle, que ses recettes ont cessé d’y suffire et qu’il est devenu indispensable de pourvoir aux déficits croissants des budgets. C’est en présence de cette nécessité pénible que s’est trouvé M. le ministre des finances. Tandis que les recettes normales prévues pour 1907 ne dépassent pas 3 627 millions, les dépenses sont évaluées au bas mot à 4 010 millions, laissant un déficit de 383 millions, sans parler de l’imprévu, hélas ! toujours à prévoir. À la vérité, ce déficit provient, pour une part, 243 965 000 fr., des dépenses extraordinaires causées par la mégalomanie coloniale dans l’affaire du Maroc, et ces dépenses pourront être légitimement couvertes par un emprunt de 255 millions (dont 244 en obligations amortissables en douze années) ; le restant sera couvert par une série d’emprunts nouveaux évalués à 123 millions, mais dont le produit ne sera que de 109,5 en 1907. Parmi ces impôts, le principal consiste en une augmentation de 30% des droits de succession au-dessus de 10 000 francs, en un relèvement, de 0 fr. 20 à 0 fr. 25 du droit de transmission des valeurs mobilières au porteur, en un autre relèvement de 5 fr. 10 par 100 fr. sur les droits de timbre des effets négociables, en une augmentation des droits sur les apéritifs, les vins de liqueur et les absinthes, en un droit de 5 centimes par bouteille sur les eaux minérales et de 20% sur les collections artistiques. Il semble, quoique ce ne soit pas bien sûr, que M. le ministre des finances veuille ajourner l’impôt sur le revenu.
« Remanier profondément notre régime fiscal, dit-il, pour atteindre sûrement et plus complètement les facultés des contribuables ? Mais la transformation de nos impôts, et, particulièrement, celle de nos impôts directs, ne saurait être effectuée qu’à la suite d’études complexes, poursuivies non pas avec la hâte qu’exige le vote à date fixe d’un budget, mais avec toute la prudence d’expériences nombreuses et sévèrement contrôlées ; le gouvernement, qui s’est engagé à réaliser de telles réformes, est tenu par le souci de nos finances de n’en demander le vote qu’en la forme de projets spéciaux, dont la discussion puisse avoir toute la durée et toute l’ampleur nécessaires. Il ne paraît pas, d’ailleurs, probable qu’un remaniement, quel qu’il soit, de nos impôts directs et l’organisation d’un impôt sur le revenu, destiné à les remplacer progressivement, puissent produire, dans les premières années surtout, un supplément de ressources appréciables. L’affranchissement d’un minimum d’existence, la déduction des charges de famille, les dégrèvements accordés aux petits contribuables absorberont, en effet, une grande partie du produit de l’impôt sur le revenu. »
M. Poincaré se montre un peu plus résolument hostile à la création de nouveaux monopoles, tels que ceux du raffinage du pétrole et du sucre, que préconisent les socialistes :
« Demander la création de nouveaux monopoles apportant à l’État des ressources nouvelles sous la forme de rémunération de services rendus, plutôt que d’impôts proprement dits ? Mais ici encore la préparation de semblables projets exige de longs délais et les résultats sont bien problématiques. Or, ce qu’il nous a paru indispensable d’obtenir sans de nouveaux retards, c’est le vote de taxes d’une application facile, susceptibles d’être recouvrées sans organismes nouveaux et qui s’accommodent des règles préétablies en matière d’assiette, de perception et de contentieux. »
On ne peut qu’approuver cette réserve prudente. Ce qui ne veut pas dire que les nouveaux impôts auxquels M. le ministre des finances a donné la préférence soient, de tous points, préférables. Comme le fait remarquer un de nos confrères, au lieu d’augmenter les droits sur certaines boissons alcooliques, on aurait pu obtenir un résultat fiscal, autrement avantageux, en supprimant le privilège des bouilleurs de cru. Quant à l’élévation des droits sur les successions, elle constitue, dit avec raison M. Yves Guyot, un précédent dangereux.
« On sait, dit-il, que la loi sur les successions les frappe d’une double progression, l’une en raison inverse du degré de parenté, l’autre en raison directe de l’importance de l’héritage.
Entre époux pour les parts de 2 000 à 10 000 francs, il est de 4% ; pour des parts de 10 000 à 50 000, il est de 4,50% ; entre frères et sœurs de 9 fr. et de 9 fr. 50 ; entre oncles et tantes de 10 fr. 50 et de 11 fr. ; entre parents au 5eet 6edegré de 14 fr. 50 et de 15 fr. Pour les grosses fortunes, il va jusqu’à 20 et 20,50%. On y ajoute 30%, soit près d’un tiers. C’est énorme, et le symptôme surtout est grave. »
Nous savons bien que les grosses fortunes ne sont pas en faveur auprès de la démocratie ; mais en les atteignant par des mesures voisines de la confiscation, ne risque-t-on pas d’affaiblir le ressort de l’activité privée, qui fonde le grand nombre des petites fortunes avec le nombre, relativement insignifiant, des grosses ?On peut faire une objection non moins sérieuse à l’augmentation du droit déjà excessif sur la transmission des valeurs mobilières, en ce qu’elle aura pour effet d’encourager l’exportation des capitaux. Le gouvernement paraît même avoir prévu ce danger, et on annonçait dernièrement qu’il se proposait de provoquer une entente internationale pour le prévenir. Seulement, il est douteux que les États importateurs de capitaux se montrent assez désintéressés pour refuser de recevoir ce véhicule indispensable de la production et de la richesse.
« Lorsqu’un État chasse ses nationaux par des persécutions, dit M. Emm. Vidal, les États qui les accueillent commencent par en être un peu embarrassés, mais ces alluvions d’êtres humains ne tardent pas à constituer des éléments d’une richesse et d’une puissance nouvelle au profit de la nation hospitalière. La Prusse qui reçut les réfugiés protestants français à la suite de la révocation de l’Édit de Nantes, l’Angleterre, les États-Unis en savent quelque chose, et, s’il est vrai que parfois des mesures sont prises pour arrêter des courants d’immigration trop forts, les nations ne refusent jamais l’entrée aux immigrants qui arrivent avec des capitaux.
Ce qui est vrai, quand il s’agit des hommes et des capitaux, est encore plus vrai quand il s’agit des capitaux tout seuls. Quand un État reçoit des capitaux dans ses banques, dans ses manufactures et ses entreprises diverses, et cela sans se trouver embarrassé par l’arrivée d’individus qui viennent en foule aggraver la concurrence de la main-d’œuvre, il considère qu’il a l’avantage de l’immigration sans en avoir l’inconvénient passager.
En sorte que, lorsqu’un État, se proposant d’exercer la persécution, fiscale, demande aux autres États de l’aider à réprimer les effets de cette persécution, il commence par porter atteinte à l’intérêt des autres nations. Vainement il leur dira qu’au besoin il leur rendra la pareille. Ce sera une question de balance d’intérêts, et inévitablement l’intérêt des autres États à se refuser à la France sera manifeste. »
Il faut donc renoncer à l’espoir d’empêcher la fuite des capitaux. C’est en vain qu’on s’efforcera de les emprisonner pour les rançonner. Si l’État leur fait payer à un prix par trop abusif la sécurité qu’il leur garantit en mettant au besoin à leur service ses tribunaux et sa police, ils s’en iront chercher ailleurs une protection moins onéreuse, ou pis encore, ils cesseront de se multiplier. On aura beau répéter aux gens économes, ce propos engageant d’un illustre prédécesseur de M. Poincaré, « que l’impôt est le meilleur des placements », ils auront de la méfiance, et il y a grande apparence qu’ils préféreront dépenser eux-mêmes leur argent que de le faire dépenser par l’État. Au mal de la dépopulation s’ajoutera le mal, non moins grave, de la décapitalisation.Le capital deviendra plus rare et, par conséquent, plus cher ; en sorte qu’en fin de compte, c’est sur le travail que se répercuteront, par une incidence inévitable, les impôts sur le revenu et autres, dont les amis ou travailleurs se proposent de frapper le capital.
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Disons toutefois à l’éloge de M. le ministre des finances, qu’il proteste énergiquement contre l’abus de l’impôt progressif, — dont on peut regretter qu’il ait introduit l’usage dans notre machinerie fiscale. — « Je n’accepterais pas, a-t-il dit à un interviewer du Matin, des taux spoliateurs pour quelque chiffre de fortune que ce fut, car ne je consentirais à aucune mesure qui pût être interprétée comme une atteinte à la propriété individuelle. » En même temps, et on doit l’en louer encore, il a fait signer par M. le Président de de la République un décret qui l’autorise à charger les inspecteurs généraux des finances à rechercher les économies à faire dans chaque département ministériel.
On peut douter malheureusement que cette recherche soit bien fructueuse. Comme le remarque la Lanterne, la Cour des Comptes a précisément pour objet le contrôle des finances de l’État. Les inspecteurs des finances feront double emploi avec la Cour des Comptes, sans être davantage écoutés quand ils s’aviseront d’entamer le chapitre naturellement répulsif des économies.
Ce n’est pas d’ailleurs en grapillant sur les services de l’État que l’on pourra réaliser des économies quelque peu appréciables, c’est en supprimant ceux de ces services qui sont du ressort de l’industrie privée et en réduisant les autres au strict nécessaire.
« Ou bien, dit M. Jules Roche, l’État doit tout entreprendre, tout régler, tout décider, tout accomplir, et alors ce n’est pas quatre milliards qui suffiront, ni cinq, ni six, ni douze, ni… c’est tout le patrimoine accumulé par la France pendant des siècles, c’est tout le produit du travail et de l’effort des vivants qu’il faudra saisir et verser dans le gouffre, — qui bientôt, d’ailleurs, aurait tout englouti !
Ou bien, dans une démocratie affranchie, l’État doit être considéré uniquement suivant sa compétence, ses facultés, ses possibilités d’action, — les individus étant considérés d’autre part suivant les services que seuls ils peuvent rendre, les progrès qu’ils peuvent seuls réaliser dans l’avenir comme ils les ont réalisés seuls dans le passé, et alors le problème budgétaire sera résolu heureusement, parce que le problème politique l’aura été lui-même conformément à la nature des choses et aux lois invincibles de l’esprit humain. »
Seulement, il est à craindre que le problème budgétaire ne demeure insoluble aussi longtemps que ceux qui alimentent le budget en abandonneront la solution à ceux qui en vivent.
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Le Sénat vient de discuter une loi destiné à imposer et à réglementer le repos hebdomadaire ; M. Doumergue, ministre du commerce, en a déposé une autre sur le contrat de travail ; le même M. Doumergue associé à M. Millerand, en a formulé une troisième pour réglementer les grèves. Il n’est pas inutile de dire que ces lois dites ouvrières ne satisfont nullement les ouvriers. « Les lois de protection des travailleurs, dit M. Baumé, secrétaire à l’Union des syndicats, ne nous inspirent plus confiance. Je n’ai pas, ajoute-t-il, assez dans la tête la loi Millerand pour la juger analytiquement. Mais a priori, nous ne l’acceptons pas. » Il est vrai que ces lois de protection, de représentant des syndicats, les repousse seulement à cause de leur insuffisance.
« Ce que nous voulons, dit-il, c’est une transformation radicale de la société actuelle, l’abolition du capital, du patronat et du salariat. Tant qu’existera la loi sacrilège de l’offre et de la demande, qui préside, en réalité, aux relations des ouvriers et des patrons, le prolétariat sera victime de l’exploitation économique. Et l’entente, la conciliation, n’ont rien à voir dans la réglementation des conflits, où sont en jeu des intérêts incompatibles et des haines de classe. »
En attendant que la loi sacrilège de l’offre et de la demande soit abolie, — ce qui pourrait bien être long — nous n’acceptons pas plus que M. Baumé ces lois de protection des travailleurs, et nous les considérons, non seulement comme insuffisantes, mais encore comme propres à aggraver et envenimer les rapports des ouvriers avec les patrons. Comme l’a déclaré excellemment M. Clémenceau répondant à M. Jaurès, le rôle du gouvernement consiste à faire respecter à la fois le droit de travailler et de ne pas travailler, le droit de grève et la liberté de travail, partant à empêcher les grévistes, ainsi qu’ils en ont la déplorable habitude, de confondre le droit à la grève avec le droit à la matraque.
« C’est là une erreur sur laquelle M. Jaurès devrait bien éclairer les grévistes ; ils ne devraient pas confondre le droit à la grève avec le droit à la matraque. Chez nous, dès qu’une grève éclate, une double idée s’empare du gréviste : d’abord faire une manifestation, ensuite exercer des violences contre l’adversaire. »
Même sous la direction énergique de M. Clémenceau, l’expérience a démontré que le gouvernement ne suffit qu’imparfaitement à cette tache. Sera-t-il plus capable de la remplir lorsqu’il aura réglemente les contrats et les grèves ? En sus de la liberté, ne sera-t-il pas obligé de faire respecter ses règlements ? Et cela jusqu’à ce que le socialisme ait réussi à abolir la loi sacrilège de l’offre et de la demande !
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La dernière séance de la Société d’économie politique a été particulièrement intéressante. Les vices et les conséquences nuisibles de la loi sur les accidents du travail ont été dénoncés par des orateurs qui n’étaient cependant point hostiles à cette loi. Avons-nous besoin de dire que nous n’avons aucun goût pour ce produit informe de l’étatisme? En reportant sur le patron la charge des risques qui incombent naturellement à l’ouvrier, les législateurs étatistes, sinon socialistes, ne l’ont-ils pas considéré comme absolument dépourvu de la prévoyance nécessaire au libre gouvernement de la vie ? Ce qui n’empêche pas que le même individu qui est déclaré incapable de se gouverner économiquement lui-même, soit reconnu capable de gouverner l’État et investi de la souveraineté politique.
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Les protectionnistes attribuent volontiers au système protecteur le mérite de la création de la grande industrie et ils citent à l’appui l’exemple de l’Angleterre et de la France, où elle est née et s’est développée en plein régime prohibitif. Seulement, ils négligent de rappeler qu’à la même époque les grandes industries métallurgiques et textiles, notamment le tissage de la soie, naissaient en Suisse sous un régime de complet libre-échange (les droits de douane purement fiscaux ne dépassant pas 2 à 3%) et qu’elles fournissaient à l’exportation un contingent proportionnellement plus considérable que leurs rivales protégées. C’est ce que constatait, à son vif étonnement, M. Jules Kindt, délégué du gouvernement belge à l’Exposition de Berne, en 1857.
« La Suisse, lisons-nous dans son rapport, avec une population de deux millions et demi d’habitants, qui n’est, par conséquent, que le quatorzième de celle de la France, le dixième au plus de celle de l’Angleterre, et la moitié à peine de celle de la Belgique, la Suisse exporte en produits manufacturés pour une valeur de plus de 500 millions de francs ! En comparant ce chiffre à celui de l’Angleterre qui est en moyenne de 2 500, à celui de la France qui est de 1 400, et à celui de la Belgique qui ne dépasse pas 380, on voit que la Suisse occupe le premier rang comme nation industrielle et commerciale, et ces chiffres acquerront d’autant plus de valeur qu’on tiendra compte de la situation géographique du pays.
On a souvent mis en avant comme causes principales et décisives du développement de l’industrie suisse les nombreux cours d’eau et le bas prix de la main-d’œuvre, mais les cours d’eau, comparés aux machines à vapeur, constituent en moyenne une différence de 2% au plus dans les frais de fabrication ; et d’ailleurs, quelle influence ces cours d’eau exercent-ils sur la fabrique de l’horlogerie, le tissage des soies, le tressage des pailles, l’impression des mouchoirs, la broderie, etc., etc. ; et, quant à la main-d’œuvre, elle est aussi élevée en Suisse qu’en Belgique, et, pour certains fabricants, les salaires des ouvriers suisses sont beaucoup plus élevés que ceux de France et même d’Angleterre.
En disant brièvement ce que l’exposition de Berne offrait de plus remarquable, nous croyons avoir suffisamment indiqué l’origine et les causes qui, en dehors de toute protection, ont successivement développé l’industrie suisse et l’ont portée à ce haut degré de prospérité, digne sujet de méditation pour les économistes et les législateurs de tous le pays. »
La contagion du protectionnisme n’en a pas moins gagné la Suisse, et elle y a même sévi avec une fureur particulière.En 1893, elle déchaînait une guerre de tarifs qui durait deux ans et faisait tomber les exportations de la France en Suisse de 180 à 110 millions et celles de la Suisse en France de 103 à 73 millions. Sous l’influence d’un nouvel accès de cette dangereuse maladie, les protectionnistes de l’assemblée fédérale viennent d’opérer d’un seul coup 411 relèvement de droits et de portes, notamment au taux presque prohibitif de 8 fr. le tarif qui protège leurs petits vins aigrelets contre la concurrence de crus redoutables de la Gironde et de la Bourgogne. Nos protectionnistes n’ont pas manqué, de leur côté, de saisir cette bonne occasion pour provoquer un relèvement de la protection contre l’invasion des soieries, des broderies, des passementeries et des fromages de la Suisse. Le résultat sera de priver de leurs moyens d’existence quelques milliers d’ouvriers suisses qui travaillent pour le débouché français et quelques milliers d’ouvriers français qui travaillent pour le débouché suisse, ce qui n’empêchera pas les protectionnistes des deux côtés de la frontière de se féliciter hautement d’avoir protégé le travail national.
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La contagion protectionniste ne sévit pas avec moins de violence en Espagne. À un tarif relativement modéré, a succédé en 1892 un tarif fortement protecteur, mais déclaré aujourd’hui absolument insuffisant. Nous trouvons dans une correspondance de l’Indépendance belge, une esquisse des perfectionnements qui viennent d’y être apportés.
« Les produits de l’industrie étrangère payeront de 15 à 50% de leur valeur, à l’exception de ceux qui n’ont de similaires en la production nationale, et qui payeront de 10 à 35%. On considérera comme produits industriels, les produits chimiques, à l’exception de ceux considérés de rente dont la base est l’alcool et les engrais minéraux et les matières premières destinées à leur élaboration : pourront être sujets à des droits supérieurs à 50% de leur valeur les articles de rentes et les produits qui, par les difficultés de leur élaboration et la convenance notoire de les obtenir dans le pays lui-même, nécessitent une protection douanière exceptionnelle. »
« Enfin, le gouvernement est autorisé à prohiber temporairement et à imposer des droits d’exportation, aussi temporairement, aux substances alimentaires et matières premières, quand la sortie desdites, par suite de circonstances extraordinaires et transitoires, pourrait causer un préjudice irréparable aux intérêts nationaux ».
Sous le régime de tarif de 1892, les importations de la France en Espagne sont tombées de 180 à 116 millions et celles de l’Espagne en France, de 412 à 162. Ceci, à la vérité, grâce à la collaboration des protectionnistes français qui ont fait refluer en Espagne l’industrie libre-échangiste du coupage. Le tarif perfectionné de 1906 aura certainement pour effet de réduire encore d’un bon nombre de millions le commerce franco-espagnol. Sans doute, les autres nations en souffriront, comme nous, et les protectionnistes seront d’avis que cela fait compensation.
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M. Jules Fleury, secrétaire perpétuel de la Société d’économie politique, vient de succomber à la douloureuse maladie qui l’éloignait depuis quelque temps des séances de la Société, dont il animait les discussions par son vif esprit au service d’un rare bon sens. Il était, dit M. Yves Guyot, dans le Siècle, passionné pour la vérité, sous quelque forme qu’elle se présentât, quelle que fût la question en jeu. Son esprit d’investigation ne s’arrêtait pas aux apparences. Il voulait aller jusqu’au fond. Très préoccupé des problèmes politiques et sociaux qui agitent la société, il était adversaire de toutes les mesures de gouvernement par la police, paternalisme bienveillant, tracassier et tyrannique, qui doivent avoir pour résultat la dépression de la personnalité humaine, et il recherchait, au contraire, toutes celles qui pourraient la développer et l’agrandir. Il était passionnément individualiste.
Paris, 14 juillet 1906.
G. de M.
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