Boisguilbert et la rente du sol, par J. Horn (1867)

Dans ce chapitre de son livre sur Boisguilbert (L’économie politique avant les Physiocrates), J. Horn se penche sur la rente du sol. Cette question économique, qui a fait couler beaucoup d’encre du temps de David Ricardo et de Jean-Baptiste Say, n’est pas absente des écrits de Boisguilbert, qui la traite avec une certaine profondeur, quoique les outils théoriques lui manquent pour l’appréhender parfaitement. B.M.


CHAPITRE VII.

LA RENTE DU SOL.

Nous l’avons dit déjà : si, en route, Boisguillebert s’écarte du droit chemin, il arrive juste, malgré tout. Il aboutit à demander que l’on se fie à la « nature ». Assurez la liberté des transactions, faites y régner la justice, et tout s’arrangera en matière de circulation aussi ; l’argent ne manquera pas aux besoins légitimes qui le solliciteront : voilà la conclusion de son écrit sur la richesse et la monnaie, comme y aboutissent ses études sur le commerce des grains et sur l’impôt.

Boisguillebert peut donc à juste titre être regardé comme l’un des premiers apôtres de la liberté commerciale qui, cent soixante ans plus tard, aura encore tant de peine à prévaloir chez nous et ne passera définitivement dans la pratique que par un coup d’autorité (janvier 1860). Boisguillebert assurément n’a pas été le premier ni le seul écrivain de son époque à apercevoir les erreurs du système protectionniste ou prohibitionniste et à les combattre. Pas plus qu’à l’endroit de la question monétaire, nous ne saurions soutenir qu’il ait, au sujet de la liberté commerciale, établi dans toute sa netteté la bonne et vraie doctrine et en ait tiré, pour la pratique des affaires, toutes les applications qu’elle comporte. Blanqui, dans son Histoire de l’économie politique, l’avait déjà fait voir, et les historiens plus récents de notre science l’ont démontré péremptoirement : le système de la « balance du commerce » n’avait à aucune époque manqué de contradicteurs ; au temps même de sa plus haute splendeur officielle, il se rencontrait des penseurs originaux et courageux qui reconnaissaient et dévoilaient l’inanité forcée de ses promesses, tout aussi bien que les inévitables effets fâcheux qu’il devait exercer sur l’économie des nations[1]. On verra, d’autre part, que si Boisguillebert a la conception très nette de ces vérités et les soutient avec une vigueur et une verve vraiment remarquables, il y met des réserves et des restrictions qui à ces vérités font de singulières entorses. En cette matière encore, la doctrine a bien de la peine à se dégager, et même les esprits d’élite ne parviennent pas à s’affranchir tout à fait des erreurs et préjugés de leur temps. N’entendrons-nous pas, longtemps après, Adam Smith lui-même formuler des réserves et légitimer des infractions que nous avons bien de la peine à concilier avec la doctrine de la liberté commerciale dont il entend être le champion ? Il va jusqu’à dire : « S’attendre que la liberté du commerce puisse jamais être entièrement rendue à la Grande-Bretagne, ce serait une aussi grande folie que de s’attendre à y voir jamais réaliser la république d’Utopie ou celle de l’Océanie ![2] » D’autant moins, des timidités dans la conception et des écarts dans l’application peuvent-ils nous étonner en France, deux ou trois générations avant Smith, c’est-à-dire à une époque où la France, en toutes choses, semble avoir perdu jusqu’à la notion même de la liberté.

Mais, si Boisguillebert n’est pas seul de son opinion et s’il n’est pas absolu dans cette opinion, les idées de liberté économique sont soutenues par lui avec une fermeté de convictions, une abondance de raisonnements et une opiniâtreté généreuse, qu’aucun de ses devanciers en France ni de ses contemporains à l’étranger n’avait mises au service de cette cause du progrès.

La genèse de ses idées libérales en matière d’échanges explique aisément ce qu’elles ont d’incomplet et parfois d’erroné. Boisguillebert, on le sait déjà, n’est pas théoricien ; il ne vise point à faire de la doctrine ; il ne traite tel ou tel point spécial du domaine économique que sous le stimulant de faits spéciaux qui l’y poussent ; il ne l’examine qu’au point de vue de ces faits. Ses démonstrations y gagnent en netteté, en vie ; mais il n’est pas en position de voir toute la vérité, et de tirer des vérités qu’il entrevoit toutes les conséquences qu’elles comportent. Ainsi en est-il encore au sujet de la liberté commerciale, à l’étude de laquelle l’amène la question des grains. Il la traite accessoirement dans la Dissertation ; il l’aborde en passant dans le Factum, où il en parle dans d’excellents termes, mais finit par renvoyer à un petit volume « où la matière est étudiée à fond ». Suivons le renvoi : il nous conduit au Traité Des Grains.

La première partie de cet écrit « fait voir que plus les grains sont à vil prix, plus les pauvres, surtout les ouvriers, sont misérables. » C’est un assaut que Boisguillebert va livrer à des faits positifs et à la doctrine qui en ces faits s’incarne. Cette doctrine, alors dominante, veut que, dans l’intérêt des masses, le pain soit maintenu au plus bas prix. La doctrine n’est pas particulière à la France ; elle prévaut et se pratique en Angleterre, en Espagne, en Allemagne. Elle essaye d’arriver à ses fins par la défense de l’exportation des grains ; souvent elle étend son domaine sur le bétail et autres denrées de première nécessité. Du reste, tout cela s’est vu et s’est maintenu jusqu’en plein dix-neuvième siècle ; la suppression toute récente de l’échelle mobile en Angleterre et en France n’a supprimé positivement et d’une manière directe que les entraves à l’importation du blé : elles avaient un but tout contraire à celui des entraves mises à la sortie du blé ; elles visaient à protéger les producteurs contre la baisse trop forte des blés.

Au point de vue des principes et comme mesure d’équité, la libre importation entraîne bien la liberté d’exporter ; il n’en est pas moins vrai que celle-ci est loin, aujourd’hui encore et même dans les contrées les plus avancées, d’être admise comme un fait absolu et inflexible : tantôt formellement, tantôt mentalement, les législatures modernes les moins restrictives en cette matière se réservent la faculté de retenir le blé de gré ou de force, lorsqu’on jugerait que les quantités disponibles dans le pays ne pourraient être amoindries sans préjudice pour l’alimentation publique. Ajoutons que cette réserve, le cas échéant, ne reste pas à l’état de pure théorie : de nombreux faits, appartenant à la chronique du jour, l’attestent. Nous étonnerons-nous que le gouvernement de Louis XIV, qui à peine laissait aux masses de quoi apaiser leur faim[3] (et encore !) ait voulu rendre et tenir le pain accessible à leurs ressources si terriblement réduites ? On avait, d’ailleurs, dans la paix de Ruel, pris l’engagement formel d’amener et de maintenir le bas prix du blé[4] ; le gouvernement à cette époque estimait volontiers que rien n’est plus facile. Ne s’agissait-il pas uniquement de faire violence à une classe de producteurs et aux lois économiques ?

Les tendances « mercantiles » de l’époque pouvaient, de leur part, ne pas être étrangères à une politique qui entendait obliger l’agriculture à nourrir les classes travailleuses au plus bas prix possible. « On a fait baisser le prix de nos blés, dira bientôt Quesnay, afin que la fabrication et la main-d’œuvre fussent moins chères que chez l’étranger[5]. » Les idées de Sully, proclamant labourage et pâturage les deux mamelles de l’État, avaient perdu de leur empire, depuis Colbert notamment ; c’est plutôt dans le développement de l’industrie que désormais l’on cherche la fortune et la force de l’État : soit parce que l’industrie seule, dont les produits sont susceptibles de trouver des débouchés larges et continus au dehors, pouvait faire arriver dans le pays les « retours » métalliques si ardemment convoités ; soit parce que la royauté, dans l’intérêt de la lutte sourde par laquelle elle continuait de miner le pouvoir rival de la noblesse, aimait mieux seconder l’industrie et le commerce qui enrichissent les villes, que l’agriculture qui fournit des moyens de conservation et de lutte à l’aristocratie terrienne. Par la même raison, c’est-à-dire pour assurer aux travailleurs industriels le pain à bon marché, et par là à la manufacture le travailleur à bon marché, nous avons vu de nos jours les hommes de Manchester entreprendre une féconde et glorieuse campagne contre les hauts prix du blé. Seulement, l’anti-corn-law-league demandait pour tout remède la liberté et le droit commun, c’est-à-dire la suppression des mesures qui renchérissaient artificiellement le blé ; à la fin du dix-septième siècle, l’administration demandait le bon marché du pain à l’avilissement artificiel des prix du blé, c’est-à-dire à la réglementation, à l’arbitraire. L’on tombe toujours du côté où l’on penche.

Boisguillebert fait remonter cette pratique à 1660 : c’est l’année qui, pour lui, marque d’une façon générale le passage de la prospérité croissante de la monarchie à sa décadence continue ; jusque-là la liberté aurait été « entière, hors les temps tout à fait extraordinaires. » L’assertion nous paraît fort sujette à caution, à moins que l’on ne veuille prendre le mot « extraordinaire » dans une acception bien large.

Au fond, le commerce des grains n’a jamais été « entièrement libre » sous l’Ancien régime ; il avait, au moment où écrivait Boisguillebert, cessé depuis un siècle et demi notamment d’être tant soit peu libre. En effet, quoique les édits et règlements sur le commerce des blés n’aient pour ainsi dire manqué à aucune époque, on peut en dater la législation proprement dite du grand Règlement pour la police générale du royaume, édicté le 4 février 1367, par Charles IX, sous l’inspiration du chancelier de l’Hospital. Le commerce des grains y est l’objet, entre autres, de ces trois dispositions principales : — 1° il ne pourra être fait, sans permission spéciale accordée par lettres-patentes, aucune exportation au dehors, à peine de punition corporelle, de confiscation des grains, et de 500 l. parisis d’amende ; — 2° les gouverneurs des provinces, les baillis et sénéchaux, et les officiers des hôtels de ville avertiront le roi, tous les ans, de l’abondance ou de la stérilité de leurs gouvernements ou juridictions ; — 3° le commerce et le transport seront entièrement libres à l’intérieur, de province en province. Ce règlement est développé et renforcé par l’édit du mois de juin 1571, dont la stipulation la plus remarquable est contenue dans ce point premier : « Nous avons déclaré et déclarons par ces présentes que voulons estre publiées partout où il appartiendra, que la faculté, puissance et authorité d’octroyer permissions et congez de traittes et transports quelconques, hors nostre royaume, est droit Royal et Domanial de nostre Couronne, lequel nous n’entendons communiquer avec personne, et qu’autre que nous puisse consentir et accorder telles choses directement ou indirectement, sous peine aux contrevenans d’estre envers nous declarez criminels de lèze Majesté[6]. »

Henri IV, après avoir en 1597, dans son grand Règlement Général, reproduit et confirmé les stipulations établies par son prédécesseur, se voit amené, par les bonnes récoltes successives qui marquent la fin du seizième siècle, à proclamer la libre sortie, et même à renoncer à tout avantage à en tirer (par l’imposition) pour le Trésor : « que le seul profit leur demeure (aux sujets), et que les États et pays voisins en soient aussi soulagés et secourus en leur nécessité. » Pendant plus d’un demi-siècle, les ordonnances de Charles IX et de Henri IV paraissent suffire. Des motifs analogues à ceux qui avaient inspiré l’édit de Henri IV du 16 février 1601, déterminent Louis XIV à permettre, pour un temps déterminé, la sortie du blé sans aucun droit, soit au pays tout entier (20 mai 1669), soit à quelques provinces déterminées (27 sept. 1669 et 31 déc. 1671) ; tantôt à réduire les droits de sortie de moitié, de trois quarts, soit d’une façon générale, soit pour certains bureaux de sortie (2 avril, 31 mai, 3 juin, 26 oct., 16 nov. 1672 ; 25 avril et 13 mai 1673). Cette libéralité — on s’y attend bien — n’est pas de longue durée : en avril 1674, les blés sortants par les provinces des cinq grosses fermes sont de nouveau assujettis à la totalité des droits de sortie ; les édits qui permettent et qui interdisent la sortie, qui la déchargent et la rechargent, se croisent alors jusqu’à la fin du règne[7].

Toutefois, ces entorses au libre commerce des grains étaient toujours restées des accidents, l’effet des nécessités, des caprices ou des inspirations du moment plutôt que les manifestations d’un corps de doctrines. Ce que déplore et attaque Boisguillebert, c’est le système voulu et préconçu de tourmenter le blé jusqu’à ce que les producteurs aient été amenés là où on les voulait avoir. Pour ce système, la date qu’assigne Boisguillebert pourrait bien concorder avec la réalité des faits ; c’est, en effet, à l’occasion de la famine de 1661, que le Parlement de Paris rendit un arrêt interdisant en quelque sorte le commerce de grains : l’arrêt du 19 août 1661 défend aux marchands de contracter aucune société pour ce commerce et de faire aucun amas de grains. Chaque intendant dans sa province s’appliquait à imiter cette rigueur si peu sensée et même à renchérir sur elle. Les défenses de sortie, les entraves à la circulation, se propagent de proche en proche : l’inintelligence est si contagieuse, surtout dans les régions administratives !

C’est surtout dans les dernières années du dix-septième siècle et aux débuts du dix-huitième que cette nouvelle politique, affirme Boisguillebert, est mise à exécution « avec la dernière rigueur, et même de très grands frais, par cette cruelle et fausse idée que les grains sont de la nature des truffes et des champignons,…. que le blé est un présent gratuit de la nature, et qu’ainsi l’intérêt de l’État, surtout des pauvres, est de forcer les propriétaires de le donner à meilleur marché qu’il serait possible[8]. »

Pour ne point accuser cette peinture ni d’exagération, ni d’injustice, il suffit de connaître tant soit peu les mesures violentes dont le blé est l’objet, dans toute la France, à la suite des mauvaises récoltes qui marquent la fin du dix-septième siècle. Ainsi, en 1679 encore, quand l’arrêt du 16 mai avait interdit d’une façon absolue d’exporter « aucuns blés, froments, méteils, avoines et autres grains », l’on n’y avait mis comme sanction pénale que la confiscation des corps de délit (blé, charrettes, etc.) et une amende de trois mille francs. Comme c’est bénin en comparaison de ce qui se décrétera quinze à vingt ans après ! Le décret du 9 septembre 1693 inflige la peine des galères à ceux qui auront fait des chargements de blés pour exporter ; quinze jours après (24 sept.), l’on substitue aux galères la peine de mort, étendue à ceux qui feront le transport de ces blés destinés au dehors. Simultanément, on prend une foule d’arrêts[9] et de mesures pour assurer l’approvisionnement des marchés (de Paris surtout, qui donne de vives inquiétudes) par les violences exercées sur les cultivateurs et sur les marchands. Toutes ces mesures se répètent à l’occasion des chertés des années 1698 et 1699, et l’on comprend que l’effet en survit forcément aux causes spéciales qui les ont fait naître : la pression sur la culture et le commerce du blé, ou leur oppression pour maintenir le bas prix des grains, devient la règle, pour ainsi dire une loi de l’État.

Les promoteurs et exécuteurs de cette législation évidemment « ont cru que cette manne (le blé) coûtait aussi peu à percevoir et à faire venir que celle que Dieu envoya dans le désert aux Israélites, ou tout au plus…. qu’elle croissait en tout son contenu à pur profit au laboureur et qu’à quelque bas prix qu’elle pût être, il gagnait moins, mais ne pouvait jamais perdre ; et qu’ainsi il fallait qu’une autorité supérieure empêchât que les pauvres ne fussent la victime de son avidité[10]. » Passe encore, si c’était en Égypte, « où l’on prétend que c’est le Nil qui prend pour son compte et les frais des quatre labours qui sont nécessaires presque partout ailleurs pour préparer les terres, et ceux des engrais et améliorations que l’on est obligé d’y apporter » ; passe encore, si c’était en Moscovie, « où la neige, restée sur la terre huit à neuf mois de temps, laisse dans le sol, après être tout à fait fondue, un sel qui, à l’aide d’un simple labour, très facile, remplace toutes sortes d’engrais, et donne, après deux mois seulement de résidence des grains dans le champ, une récolte très abondante[11]. » Mais tel n’est guère le cas en France. Le blé, en France, est un produit qui coûte du travail et de l’argent ; ils doivent être remboursés au cultivateur. Autrement dit : pour que l’on cultive du blé, il faut que le prix auquel il est vendu rémunère les efforts et les frais qu’y consacrent les cultivateurs.

N’est guère rémunérateur, selon Boisguillebert, le prix auquel le blé se paye en ce temps : neuf à dix livres le setier à Paris, ce qui fait le petit blé à cinq ou six livres le setier (= 1,56 hectolitre) dans les provinces ; la moyenne générale dès lors s’établit bien au-dessous du prix maximum fixé par la paix de Ruel. Cet « avilissement » que déplore Boisguillebert ressort, en effet, de tous les témoignages contemporains ; ainsi, au marché alors si important de Rosoy, en Brie, le setier de Paris qui, en 1699 encore, s’était vendu à 27 livres environ, tombe, en 1701, à 15 l. 16 s. ; en 1703, à 11 l. 15 s. ; en 1706, à 8 livres, pour descendre, en 1707, au-dessous même de 7 livres ! La moyenne de neuf à dix livres adoptée par Boisguillebert n’est donc pas trop basse pour le moment où il écrit (vers 1705).

Le passage où Boisguillebert démontre l’insuffisance de ce prix mérite d’être cité. Ce passage intéresse comme renseignement historique sur les façons et les frais de l’industrie agricole au début du dix-huitième siècle et comme preuve des connaissances spéciales de Boisguillebert sur la matière. Écoutons-le :

« Un arpent de terre de moindre degré de perfection, affermé trois livres, comme il s’en rencontre plusieurs, et même au-dessous, ce qui fait six livres, attendu l’année du repos, ne peut être exploité sans une forte semence, c’est-à-dire un setier de la valeur d’environ huit livres : il faut quatre labours au moins, et assez souvent cinq, qu’on ne paye jamais moins que 3 l. 10 s. chacun, et même plus pour les mauvaises terres, qui sont ordinairement pierreuses, et qui obligent par conséquent, par le dépérissement qu’ils causent au soc, de le porter souvent à la forge pour le recharger ; ainsi voilà encore quatorze francs de frais au moins ; il faut le fumier, qui ne peut être au-dessous de douze chariottées, ou d’autres mesures à proportion, ce qui fait encore douze francs ; il y a les frais de la récolte pour l’approfiter sur le champ, qui allant à trois livres, voilà plus de trente-huit francs semés en terre, et quand le rapport est de quatre setiers, ce qui n’arrive presque jamais dans de pareil terroir, on se tient bien heureux ; et si le blé qu’on a semé a coûté huit francs le setier, comme les mauvaises terres le détériorent toujours et lui font perdre sa perfection, … le grain de ce mauvais terroir n’est vendu au plus que six francs. Ainsi, voilà le laboureur et le maître dans une perte considérable qui les oblige de laisser la terre en friche, comme il arrive tous les jours si le blé avait valu onze à douze livres le setier, comme il le peut aisément, le maître et le laboureur, les valets et les ouvriers y auraient également trouvé leur compte…[12] »

Ces données sur les frais de production, sur le rendement et sur les prix de vente sont-elles toutes d’une scrupuleuse exactitude? On vient de voir que, pour les prix de vente tout au moins, Boisguillebert ne s’écarte guère de la réalité des faits ; nous n’oserions point affirmer qu’il en est de même de tous les autres éléments de son argumentation. Le lecteur sait déjà que, dans l’ardeur de la démonstration, il arrive parfois à Boisguillebert de faire quelque peu violence aux faits, et même à la logique des choses, en faveur de sa thèse du moment.

C’est évidemment une violence de cette nature lorsque Boisguillebert, pour mieux démontrer par les contraires, que l’avilissement du blé est la cause unique de la misère générale, invoque, dans Le Traité Des Grains, « l’opulence générale » qui aurait régné en France dans les années de 1694 à 1700, grâce au prix élevé du blé, qui se vendait 18 francs le setier[13] ! Le vrai dans cette affirmation est seulement que le blé, durant la dernière décennale du dix-septième siècle — nous savons déjà qu’elle se trouvait affligée d’une succession de mauvaises récoltes — s’était tenu à un prix élevé. Si nous tirons les moyennes annuelles des prix par trimestre que donne Dupré de Saint-Maur[14] pour le setier de Paris, tel qu’il se vendait à Rosoy en Brie, nous trouvons que le blé, après être resté durant un quart de siècle (1667-91) aux environs de neuf à dix livres le setier, monte en 1693 au triple (30 l. 10 s.), pour arriver au quadruple (39 l. 3 s.) l’année après. Il est vrai que le blé retombe, dès l’année 1695, à 14 l. 6 s. ; il ne se maintient guère dans ces prix relativement modestes : nous le retrouvons à 21 l. 12 s. en 1698, et à 26 l. 17 s. en 1699. Quoi qu’il en soit, ces prix de la dernière décennale du dix-septième siècle étaient des prix de disette, et nous avons vu les violences par lesquelles l’autorité avait cherché à les combattre. Ils enrichissaient peut-être quelques cultivateurs ; pouvaient-ils réellement enrichir le pays et produire l’aisance générale, sans parler de l’opulence générale dont Boisguillebert leur fait honneur ? A priori nous en douterions ! Si la vente du blé à un prix rémunérateur, en donnant le bien-être à l’agriculture, aide assurément à propager et à maintenir l’aisance générale, c’est à condition que ce prix ne soit pas excessif et ne fasse pas de ces violents soubresauts qui fatalement ruinent les consommateurs.

Voilà la marche pourtant que suit le blé dans les dernières années du dix-septième siècle. Cela suffirait, à lui seul, pour produire la misère. Et n’existait-elle pas, générale, profonde, au dire même de notre auteur ? Il s’agit des années où Boisguillebert avait conçu, écrit et publié son Détail, livre où il prouve « clair comme le jour » que le pays entier est réduit à la misère la plus affreuse ! Les dépositions des intendants citées au début de ce volume, bien d’autres témoignages dont nous les avons étayées, prouvent surabondamment que ce premier écrit de Boisguillebert avait dit vrai. Que la misère et le dénuement soient devenus, dans les cinq premières années du dix-huitième siècle, plus terribles encore qu’ils ne l’avaient été dans les cinq dernières années du siècle précédent, personne ne le contestera ; rien ne s’explique plus facilement : le régime de violences, de spoliations et de malversations qui engendrait la ruine, les guerres devenues appauvrissantes et les dilapidations non moins coûteuses à Versailles, à Marly, avaient sévi cinq ans de plus ! Peut-être même l’avilissement du blé, dû en première ligne à l’abondance relative des récoltes qui succédaient aux années de disette de la fin du dix-septième siècle, était-il en partie l’effet de cette misère que Boisguillebert lui reproche d’avoir produite : même aux prix les plus bas, le blé manquait d’acheteurs, parce que les populations manquaient d’argent. Mais est-ce une raison pour contester après coup, contre l’évidence, la misère des années 1693-1699 et surtout pour soutenir, au mépris du bon sens, que les prix de famine aient alors été la cause d’une prétendue opulence générale ? Cela ne supporte pas la discussion !

Heureusement, l’essentiel ici n’est point que les faits invoqués par Boisguillebert soient d’une exactitude rigoureuse ou seulement approximative. La thèse qu’il soutient et démontre est vraie et importante : pour le blé tout aussi bien que pour toute autre marchandise, le prix de vente doit couvrir pour le moins les frais de production ; le blé, par conséquent, a, lui aussi, son régulateur intime du prix et ne saurait supporter aucune réglementation extérieure, arbitraire. La thèse paraît banale à force d’être évidente ; pourtant, dans la seconde moitié encore du dix-neuvième siècle, il s’en faut qu’elle soit universellement admise et pratiquée. Ce n’est que depuis une couple d’années que chez nous elle a été consacrée officiellement par l’abolition de l’échelle mobile et la suspension de la taxe du pain.

La reconnaissance si tardive d’une vérité aussi élémentaire, pour le moins sera unanime, incontestée ? De toutes parts, au contraire, on l’assaille ! Les agriculteurs, en masses serrées, réclament la surélévation artificielle du prix du blé par le rétablissement d’un droit « protecteur » à l’entrée ; des maires et des préfets, de leur côté, essayent d’abaisser artificiellement le prix du pain par la restauration de la taxe. Tant l’opinion a de la peine, aujourd’hui encore, à admettre le régime du droit commun pour le froment et la farine ! Ce n’est donc pas un mince mérite que d’avoir, au seuil du dix-huitième siècle, démontré aussi clairement et soutenu avec cette vigueur le fait que le prix de vente du blé a son régulateur suprême dans son prix de revient moyen ou général, et ne comporte pas d’autre régulateur.

Bien autrement curieux et intéressant est-il toutefois de voir comment Boisguillebert entend et établit ce prix de revient. On l’aura déjà remarqué dans le passage que nous venons de citer : ce prix de revient que doit solder, pour le moins, le prix de la vente, c’est le coût de la production effectuée dans les conditions les moins favorables. Si, avec une dépense de quarante francs par arpent, la terre excellente donne huit setiers, la bonne terre six setiers et la médiocre quatre setiers, il faut — toujours supposé, naturellement, que les besoins de la consommation exigent l’exploitation de toutes les trois espèces de terre — il faut que le prix de vente soit rémunérateur même pour la terre médiocre ou de troisième ordre : il faut que tout le blé se vende au prix moyen de dix francs le setier, quoique la terre excellente pourrait le fournir à cinq francs et la bonne terre au-dessous de sept francs.

En effet, personne n’étant disposé à payer cher le blé de la troisième provenance uniquement parce que sa production est plus coûteuse, il est manifeste qu’il ne se vendrait pas dix francs le setier si les autres s’offraient à 5-7 francs ; ne pouvant pas obtenir dix francs pour son blé, le propriétaire de la terre médiocre cesserait d’en produire ; l’offre resterait au-dessous de la demande ; les blés de la première et de la seconde provenances hausseraient : de tout cela que résultera-t-il, et forcément ? La consommation sera servie insuffisamment et chèrement ! Pour que toutes les terres dont le blé est réclamé par les besoins de la consommation en puissent produire, il faut donc que le prix moyen consenti par la consommation fasse subsister la production même qui s’opère dans les conditions les moins favorables ; pour lors, ne fit-elle que la très petite minorité, c’est elle qui doit déterminer les prix. Simplement rémunérateurs pour les terres médiocres, ces prix, pour les autres, dépasseront largement le coût de revient ; le profit, toutefois, n’est qu’apparent par rapport au laboureur : « Ce que l’on a dit du sort des mauvaises terres, d’être en perte au laboureur et au maître, le blé étant à bas prix, est commun au sou la livre à celles du premier degré d’excellence ; parce que, si les charges de la culture sont moindres, le profit est pour le maître, qui afferme son bien un prix proportionné, lequel ne pouvant être atteint par la récolte, le blé étant à bas prix, produit tous les mêmes effets que l’on vient de marquer, et envers autant de personnes[15]. » Autrement-dit : tous les laboureurs, sans distinction, sont en perte si le prix du blé n’est pas de nature à faire subsister les exploitants des terres même les plus ingrates. La différence, en effet, entre le rendement des bonnes terres et le rendement des terres mauvaises se traduit en rente : la rente va au propriétaire, et ne profite guère au laboureur.

Ou tout nous trompe, ou voilà en germe la doctrine de la rente du sol que découvriront un siècle plus tard deux maîtres de l’économie politique en Angleterre, la doctrine à laquelle Ricardo donnera son nom et qui, plus que tous ses autres travaux, contribuera à lui assurer une place d’honneur dans les annales de la science. Cette doctrine établit, pour le rappeler brièvement, que le défrichement, la mise en culture, s’étendent graduellement des bonnes terres aux médiocres, des terres médiocres aux mauvaises ; chaque pas en avant fait dans ce sens ajoute à la valeur relative des terres précédemment exploitées : la rente naît pour ces terres et respectivement s’élève. Ainsi, les terres A (première qualité) deviendront productives de rente — c’est-à-dire d’un bénéfice net, allant au propriétaire du sol comme tel — lorsque les progrès de la consommation obligent également de mettre en culture les terres B (bonnes) ; les terres B obtiendront une rente, et la rente des terres A augmentera, le jour où il faut également s’attaquer aux terres C (médiocres), et ainsi de suite[16]. Voilà, personne ne l’ignore, le fond de la doctrine de Ricardo ; c’est aussi, on l’a vu, la pensée de Boisguillebert. L’idée est vraie et persiste, malgré la critique que, s’étayant de quelques données spéciales, Carey dirigera contre la filiation des faits qui sert de point de départ à la thèse de Ricardo[17].

Il se peut que la mise en culture s’opère parfois, comme l’éminent économiste américain le démontre surtout à l’endroit des États-Unis du Nord, dans un ordre inverse à celui adopté par l’économiste anglais ; qu’elle remonte l’échelle des qualités au lieu de la descendre : la marche indiquée par Ricardo n’en est pas moins la marche la plus généralement suivie, parce qu’elle est indiquée, imposée par la nature des choses. Carey peut encore être dans le vrai lorsqu’il reproche à la doctrine de Ricardo des tendances « démagogiques », ou, pour parler plus exactement, ses involontaires conclusions démagogiques. En effet, les intentions de Ricardo sont incontestablement conservatrices ; il plaide en faveur de la propriété foncière, lorsqu’il s’applique à prouver que « ce qui fait hausser la valeur comparative des produits naturels, c’est l’excédant de travail consacré aux dernières cultures et non la rente qu’on paye au propriétaire » ; le blé « ne renchérit pas parce qu’on paye une rente, mais c’est au contraire parce que le blé est cher qu’on paye une rente » ; l’abandon de la rente par les propriétaires ne ferait point baisser le blé et « n’aurait d’autre effet que de mettre quelques fermiers dans le cas de vivre en seigneurs, mais ne diminuerait nullement la quantité de travail nécessaire pour faire venir des produits bruts sur les terrains cultivés les moins productifs[18]. » Tout cela est souverainement « conservateur ». Nonobstant, la doctrine de la rente du sol que Ricardo en tire a fourni les arguments en apparence les plus brillants pour attaquer la propriété foncière, pour la mettre quasiment hors la loi, parce qu’elle semblait placée hors du droit commun. On a contesté la rente, c’est-à-dire la légitimité de la propriété foncière, uniquement parce que cette « rente » paraissait lui constituer un privilège. Le tort de Ricardo a été de spécialiser, de ne reconnaître que sur le domaine agricole l’existence d’un phénomène ou l’action d’une loi naturelle qui se rencontrent dans toutes les branches de l’activité productive.

La doctrine de la rente, telle que Ricardo la déduit savamment et que Boisguillebert la devine et l’esquisse dans les lignes que nous venons de citer en dernier lieu, est vraie d’une manière beaucoup plus générale que ne l’admettait Ricardo : elle est tout aussi vraie pour l’industrie, pour le commerce même, que pour l’agriculture, et elle n’est exacte par rapport à celle-ci, ou plutôt par rapport à la propriété foncière, que dans la mesure et aux conditions où elle existe ailleurs.

Le fabricant qui a besoin d’ouvriers, le commerçant qui a des commandes à distribuer, engagera d’abord — il « cultivera » ou « exploitera » d’abord, pour employer des termes agricoles qui, du reste, ont passé déjà dans la langue de l’industrie et du commerce — les ouvriers et les patrons les plus habiles. Si ses besoins augmentent, il s’adressera également aux ouvriers et aux patrons médiocres. Lorsque les premiers et les seconds ne peuvent plus suffire à ses besoins, ou qu’ils ne sont pas disponibles, il aura recours, mais alors seulement, aux ouvriers et aux patrons franchement mauvais. D’autre part, lorsque l’industriel réduit sa fabrication, lorsque le commerçant restreint ses commandes, ils délaissent et respectivement renvoient d’abord les ouvriers et les patrons de la troisième catégorie ; on délaisse, on renvoie ceux de la seconde catégorie, lorsqu’un nouveau retranchement devient nécessaire, et ainsi de suite. Dans les mortes saisons, dans les chômages de toutes natures, l’élite seule du corps reste occupée : on ne fait travailler d’une manière générale que les ouvriers hors ligne, et les fabriques de premier ordre sont seules à recevoir encore des commandes.

Supposons maintenant l’ouvrier payé à la tâche (ce qui, de plus en plus, devient la règle), qu’arrive-t-il ? Lorsque l’abondance de travail oblige d’utiliser jusqu’aux ouvriers de la troisième catégorie, il faudra payer la tâche un prix où ceux-ci puissent trouver pour le moins le strict nécessaire : ce qui est indispensable pour vivre en travaillant. Que cet indispensable soit 1 fr. 50 c. par jour et que cet ouvrier de la troisième catégorie parvienne seulement à confectionner deux gilets par jour, il faudra payer 1 fr. 50 c. la façon de deux gilets, soit 75 c. par gilet ; alors l’ouvrier de la seconde catégorie qui peut confectionner trois gilets par jour, gagnera 50 % au-delà de son strict nécessaire ; l’ouvrier de la première catégorie qui peut confectionner quatre gilets par jour, gagnera 100 % en plus de son strict nécessaire : ce sera leur rente à eux, la rémunération de leur aptitude et de leur application supérieures. Mais que le travail diminue et permette de délaisser les ouvriers de la troisième catégorie, le patron pourra ne fournir le strict nécessaire (1 fr. 50 c.) qu’en retour de la besogne de l’ouvrier de la seconde catégorie ; il réduira à 50 c. le prix de la façon par gilet. Que la diminution du travail fasse des progrès nouveaux et permette de délaisser également les ouvriers de la deuxième catégorie, le patron pourra alors ne payer le strict nécessaire (1 fr. 50 c.) que pour la besogne quotidienne de l’ouvrier de la première catégorie : il réduira à 37 c. 1/2 le prix de la façon du gilet. La rente en ce cas disparaît : l’ouvrier B et respectivement l’ouvrier A ne retirent plus de leur champ (leur faculté travailleuse) que le produit brut pour ainsi dire ; il n’y a plus pour eux de produit net.

De même pour les patrons ou fabricants. Lorsque les commandes abondent tellement chez les commissionnaires qu’ils sont obligés de recourir même aux services des fabricants C (troisième catégorie) qui produisent dans les conditions les moins favorables, c’est-à-dire avec les frais les plus élevés ou (ce qui, au fond, est la même chose) en qualité inférieure, les prix à payer par les commissionnaires s’élèveront forcément de manière à être rémunérateurs pour les producteurs C. Or, ces prix laissent un large bénéfice accessoire aux fabricants B et un bénéfice accessoire plus large encore aux fabricants ; ce sera leur rente à eux, le profit dû aux conditions meilleures où ils se trouvent placés, à leur habileté et à leur savoir supérieurs. Que les commandes diminuent au point que les commissionnaires puissent ne mettre à contribution que les fabricants B et A, ou que les fabricants A seulement, ils pourront abaisser leur prix d’achat jusqu’aux prix de revient des fabricants B et A, ou respectivement des fabricants A : la rente disparaîtra ; il ne restera que le prix rémunérateur, le prix au-dessous duquel l’acheteur ne peut pas descendre sans amener le vendeur à cesser la production[19].

Ce que nous venons de poser hypothétiquement se passe en réalité tous les jours sous nos yeux dans le monde industriel et commercial ; plus le développement de la demande amène, suscite des concurrents et des concurrences inférieurs, que la consommation est obligée pourtant de soutenir parce que la satisfaction de ses besoins réclame ce surcroît de l’offre, et plus s’élèvera le bénéfice des producteurs anciens et mieux placés : leur « rente » augmentera. Ces influences sur le prix et la manière dont elles agissent sont, cependant, peu comprises encore. Autrement, la concurrence serait depuis longtemps mieux appréciée ; on la solliciterait au lieu de la redouter. Là est, à notre sentiment, la valeur réelle, la haute portée morale de la doctrine de la « rente ». C’est le côté précisément que Ricardo lui-même n’a pas su apprécier d’une manière suffisante, et que Boisguillebert a très bien entrevu.

La doctrine de la rente du sol se rattache par là intimement à l’ensemble des idées que professe ce dernier sur la solidarité, idées par lesquelles nous le verrons devancer si largement toute son époque et rester même longtemps en avance sur les générations qui suivront. Ce que nous venons d’en dire suffira probablement pour faire entrevoir ces attaches ; ce n’est pas le lieu de discuter à fond le problème de la rente et les graves questions d’économie politique et sociale que souvent l’on y reporte.

____________

[1] Voir notamment le remarquable ouvrage de M. Kautz : Geschichtliche Entwicklung der National-Oeconomik. Vienne, 1860.

[2] Richesse des nations, t. II, liv. IV, chap. II.

[3] On en a vu des preuves suffisantes dans le premier chapitre de ce volume. Dans une plainte populaire de l’époque, la France jette à Louis XIV ce cri de désespoir :

Grand roi ! pour vous être soumise,

Faut-il que nous mourions de faim ?

Et si nous allons sans chemise,

Du moins laissez-nous du pain.

Chansons Historiques, etc. (Mss.), vol. XXIX, p. 167-8.

[4] « Le prix du blé sera le plus bas qu’il se pourra, et n’excédera point 12 l.10 s. le septier, ce qui est 150 l. le muids » : telle était l’une des clauses principales de la paix arrachée par la population soulevée de Paris à la régente effrayée (1er avril 1649).

[5] Article Grains dans l’encyclopédie (ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres. Mis en ordre et publié par M. Diderot, et, quant à la partie mathématique, par M. D’alembert. Genève, 1777 à 1779 (39 vol. in-4°) ; vol. XII, p. 454.

[6] Très caractéristique est l’article 2, par lequel le roi se défend à lui-même de donner ou de vendre à qui que ce soit l’exploitation de ce « droit » !

[7] Delamare, Traité de la police, etc., vol. II, liv. V, tit. XIV, ch. VI.

[8] Factum de la France, chap. X, p. 299.

[9] Ils remplissent plus de cinquante colonnes in-folio chez Delamare, Traité de la Police, etc., vol. II, liv. V, lit. XIV, chap. XVI. — Nous ne parlons pas des édits par lesquels, en même temps, l’on affranchit le blé de tout droit d’entrée et lui accorde la libre migration d’une province à l’autre (édits des 22 sept., 17 nov., 12 et 22 déc. 1695 ; 2 janvier, 1er mars et 13 nov. 1694, etc.) ; ils n’inspirent qu’un seul regret : c’est qu’il ait fallu les disettes les plus affreuses pour provoquer ces sages mesures, et qu’elles ne survivent guère aux misères qui les imposent.

[10] Factum, etc., chap. V, p. 265.

[11] Traité des grains, part. II, chap. III, p. 545.

[12] Traité des grains, chap. III, p. 331-32.

[13] Traité des grains, chap. VI, p. 337-8.

[14] Dupré De Saint-Maur, Essai sur les monnaies, ou Réflexions sur le rapport entre l’argent et les denrées. Paris, 1746, in-4°.

[15] Traité, etc., part. I, chap. III, p. 332.

[16] Laissons parler Ricardo lui-même : « Supposons que des terrains nos 1, 2, 3, rendent, moyennant l’emploi du même capital, un produit net de 100, 90 et 80 quarters (2 h. 907) de blé. Dans un pays neuf, où il y a quantité de terrains fertiles, par rapport à la population, et où, par conséquent, il suffit de cultiver le n° 1, tout le produit net restera au cultivateur, et sera le profit du capital qu’il a avancé. Aussitôt que l’augmentation de population sera devenue telle qu’on soit obligé de cultiver le n° 2, qui ne rend que 90 quarters, les salaires des laboureurs déduits, la rente commencera pour les terres n° 1 ; car il faut, ou qu’il y ait deux taux de profits du capital agricole, ou que l’on enlève dix quarters de blé, ou leur équivalent, du produit n° 1 pour les consacrer à un autre emploi. Que ce soit le propriétaire ou une autre personne qui cultive le terrain n° 1, ces dix quarters en constitueront toujours la rente, puisque le cultivateur n° 2 obtiendrait le même résultat avec son capital, soit qu’il cultivât le n° 1, en payant dix quarters de blé de rente, soit qu’il continuât à cultiver le n° 2 sans payer de loyer. De même, il est clair que lorsqu’on aura commencé à défricher les terrains n° 3, la rente du n° 2 devra être de dix quarters de blé ou de leur valeur, tandis que la rente du n° 1 devra atteindre vingt quarters ; le cultivateur du n° 3 ayant le même profit, soit qu’il cultive le n° 1 en payant vingt quarters de rente, soit qu’il cultive le n°2 en en payant dix, soit enfin qu’il cultive le n° 3 sans payer de rente. » Voir Principes de l’économie politique et de l’impôt, chap. II (p. 42-3 de l’édition Al. Fonteyraud ; Collection des principaux économistes, vol. XIII).

[17] Voir notamment le grand ouvrage de H. C. Carey : Principes de la science sociale, chap. IV et XLIII (trad. française par MM. Saint-Germain Leduc et Aug. Planche. Paris, 1861. 3 vol. gr. in-8°) ; vol. I, p. 101 à 161, et vol. III, p. 122 à 156.

[18] Ricardo, Principes de l’Économie politique, etc., chap. II, p. 46.

[19] Voir une excellente appréciation de la doctrine dite de Ricardo, dans l’écrit que vient de publier M. Ad. Held sons le titre : Carey’s Socialwissenschaft und das Mercantilsystem. Wurzbourg, 1866,1 vol. in-8°. — Voir aussi la discussion intéressante dont la rente foncière a fait l’objet au sein de la Société d’économie politique de Paris, dans sa réunion du 5 juin 1866 (Journal des Economistes, IIIe série, 1ère année, vol. II, p. 443 à 467).

A propos de l'auteur

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