Argument facile sans grande teneur ou vraie conviction, Boisguilbert a soutenu vers 1695 que la juste répartition des impôts et la liberté du commerce étaient les piliers d’une ancienne prospérité connue sous l’Ancien régime peu avant 1630, vers laquelle il suffisait de retourner. En recourant aux données officielles et aux récits des contemporains, J.-E. Horn montre dans son étude globale de Boisguilbert que celui-ci s’est illusionné sur ce prétendu âge d’or. L’arbitraire fiscal apparaît plutôt comme une constante sous l’Ancien régime. B.M.
CHAPITRE X.
L’ÂGE D’OR DE L’ANCIEN RÉGIME.
(extrait de L’économie politique avant les Physiocrates :
les idées économiques de Pierre de Boisguilbert, Paris, 1867)
C’est dire que l’homme, en première ligne, est lui-même le maître de son sort : suœ fortunœ faber. Boisguillebert y croit fermement, pour les collectivités surtout. Suivant le régime économique qu’un pays se donne, ou qu’on lui fait subir, il sera heureux ou malheureux ; il progressera ou déclinera. L’homme n’est pas le serf de la matière. Il la domine. Il peut forcer la nature et réussir malgré elle ; le prouve surabondamment l’exemple de la Hollande[1]. D’autant plus sûrement doit-il réussir là où la nature le favorise et l’aide. Un bon sol et un bon climat seront toujours les conditions les plus solides de la prospérité générale ; ils la facilitent singulièrement, ils l’amènent immanquablement, dès que les hommes aident un peu ou pour le moins s’abstiennent de contrecarrer.
La France, parmi les contrées d’Europe, est l’une des plus favorisées ; le sol, le climat, la position géographique sont excellents. Produisant toutes sortes de choses nécessaires à la vie en assez grande abondance, non seulement pour nourrir une grande quantité d’habitants qu’elle renferme, mais encore pour en faire part à ceux qui en manquent, elle se trouve en même temps environnée de voisins qui, « n’ayant pas le même avantage, épuisent leurs contrées pour trouver quelque chose de propre aux délices et au superflu, afin de changer avec elle contre le nécessaire ; et cela ne suffisant pas encore à leurs besoins, ils se voient contraints de se faire ses voituriers et de lui aller chercher, dans les contrées les plus éloignées, de ce même superflu pour en tirer le même nécessaire[2]. » La France, pourtant, étouffe dans la misère, lorsque dans l’abondance elle devrait nager[3].
Cette misère est donc une chose contre nature ; elle est de la faute des hommes ; elle est de fraîche date : voilà l’idée maîtresse du Détail et du Factum. Boisguillebert en fait le pivot de ses raisonnements. Il la répète pour ainsi dire à chaque page de ces deux écrits. Il marque même et maintient constamment la date précise où commence l’appauvrissement : c’est l’année 1660 qu’ailleurs déjà nous avons vue posée comme borne.
Jusque-là tout ou presque tout allait bien ; depuis cette époque tout s’est gâté et va de mal en pis. Assurément, on n’était plus en 1660 — surtout au point de vue des « revenus du roi » — à la situation prospère des premiers siècles de la monarchie, telle qu’elle s’était maintenue jusqu’à François Ier. Les deux régentes notamment, Catherine et Marie de Médicis, en introduisant la prodigalité et la corruption à la cour, et surtout en amenant avec elles une nuée de faiseurs et d’intrigants italiens, avaient mis le désordre et la gêne là où l’ordre naguère fit régner l’abondance[4]. Les partisans, les traitants, purent alors inaugurer le règne des « affaires extraordinaires » qui les enrichissaient en appauvrissant le Trésor ; ils usèrent et abusèrent de cette latitude.
On trouvera réservée plutôt que trop violente cette sortie de Boisguillebert contre les régences et surtout contre les régentes, quand on se rappelle, par exemple, que dès 1613, Concini faisait rétablir à son profit et sans vérification, une quarantaine des édits supprimés la veille, augmentait les droits du sceau, créait cent offices de la chambre du roi dont l’achat était imposé, faisait trafic ouvert des arrêts du Conseil, torturait la justice, et contre tout droit et toute forme débitait « toutes sortes de lettres de répis, de rappel, de bans et de galères » ; qu’une Galigai pût s’engager par contrat à faire gracier, contre une rançon de trois cent mille livres, les Élus que poursuivait la Cour des Aides pour avoir, de leur autorité privée, prélevé huit deniers au lieu de trois. Les traits violents et cyniques de cette nature surabondent entre Sully et Colbert.
Mais, quelles qu’aient été les rapines des favoris et favorites, c’est, estime Boisguillebert, le roi plutôt qu’ils volaient et non le pays ; grâce à eux, la prospérité croissante du pays ne profitait guère au prince ; ils le condamnaient à des embarras continuels quand ses revenus augmentaient par le développement des ressources nationales. Mais ils n’empêchaient pas ce développement ; aussi, le revenu du roi doublait dans les trente ans, quoique son aisance ne s’en accrût guère. Les Parlements, d’ailleurs, contenaient les exploits des faiseurs italiens, de leurs complices et hauts protecteurs indigènes. Les Sully, les Richelieu, de temps en temps, mettaient ordre aux rapines et rétablissaient la bonne situation des finances. Le mal ainsi restait partiel, et plus ou moins s’arrêtait à la surface[5]. Il n’en est plus ainsi depuis 1660. L’esprit du mal l’a définitivement emporté. Le désordre est devenu la règle. La misère a été faite générale et profonde. Le revenu du roi diminue, parce qu’on en a fait tarir les sources, parce que le revenu du pays diminue.
Henri III tirait du pays trente-deux millions de revenu annuel[6] ; vu l’accroissement territorial (un dixième) que le pays depuis a obtenu, ceci équivaut à un revenu annuel de trente-cinq millions. Or, en tenant compte de la valeur de l’argent aux deux époques, les 35 millions de l’année 1582 correspondent à 175 millions en l’an 1695 ; Louis XIV pourtant ne tire du pays que 112 à 115 millions, et les obtient avec infiniment plus de difficulté que son aïeul n’obtenait les 35=175 millions[7] ! Pourquoi ? Parce que depuis 1660 le pays lui-même a été appauvri. La diminution du revenu général, qui « est une chose aussi certaine que personne n’en doute », est de moitié pour le moins. Boisguillebert la chiffrera même : elle est de cinq cents millions par an. En énonçant ce chiffre, il croit rester au-dessous de la réalité des choses. Les « biens en fonds » avaient donné, avant la diminution, sept cents millions de revenus par an ; en supposant un chiffre seulement égal pour les « biens d’industrie », le revenu de la France a été de quatorze cents millions par an ; de sorte que, « tout étant diminué de moitié, s’il y a de l’erreur dans cette supputation (de cinq cents millions d’amoindrissement), c’est de ne pas porter le déchet assez loin[8]. »
Aussi, Boisguillebert ne manquera-t-il pas, quelques années après, de porter le déchet plus loin, et considérablement. D’après le Factum, chap. II, « la diminution depuis 1660 va à plus de 1500 millions par an » ; c’est le chiffre sur lequel il raisonne dans ce second mémoire politico-financier. Il est vrai qu’un espace de temps de dix ans sépare les deux mémoires et que la misère, dans cet intervalle, s’est appesantie de plus en plus lourdement, de plus en plus écrasante, sur la France. Il est, néanmoins, bien difficile de comprendre comment aurait pu, entre 1660-1705, diminuer de quinze cents millions ce revenu annuel, qui, pour 1660, n’est estimé (dans le Détail) qu’à quatorze cents millions ! Le calcul reste passablement embrouillé, dût-on même admettre que les quatorze cents millions avaient été une estimation fort au-dessous de la réalité : Boisguillebert n’y avait fait entrer les « biens d’industrie » que pour une somme de revenus égale à celle que fournissaient les « biens en fonds », tandis que plusieurs passages de ses écrits attribuent à l’industrie et au commerce un revenu pour le moins double, triple même, du revenu que donne l’agriculture[9].
Mainte autre parmi ses données est controversable : l’affirmation, par exemple, qu’un revenu de trente-cinq millions perçu au temps de Henri III équivaut à un revenu quintuple en 1695, soulève bien des doutes ; la valeur intrinsèque de l’argent n’avait guère, dans cet espace de cent ans, baissé dans la proportion de cinq à un. Au temps de Henri III l’on frappait près de 21 l. dans le marc effectif d’argent fin ; à la fin du dix-septième siècle on en frappait environ 36 l. [10]. La proportion est à peine de deux à un, c’est-à-dire que trente-cinq millions de livres du temps de Henri III ne donneraient pas même soixante-dix millions en 1695. Nous sommes loin, on le voit, du compte de Boisguillebert qui arrive à cent soixante-quinze millions. Nous resterons encore fort en arrière du compte de Boisguillebert, en admettant même que la valeur d’échange des espèces ait diminué plus fortement que leur valeur intrinsèque, c’est-à-dire que le métal précieux, abstraction faite du nombre plus ou moins grand de livres qu’il plaisait au gouvernement de frapper dans le marc fin, ait perdu de sa force d’acquisition, par suite notamment de la plus grande abondance de métaux précieux qu’amenait la découverte de l’Amérique ; cette dépréciation, si considérable qu’on la suppose, ne parferait pas encore la différence si grande que nous venons de signaler entre l’exhaussement effectif de la livre et celui qu’indique Boisguillebert. On peut faire observer, d’autre part, que si réellement Henri III tirait de ses peuples une somme équivalente à 175 millions du temps de Louis XIV, l’imposition n’était guère aussi légère sous ce premier monarque qu’on nous la peint.
Mais il y a autre chose, plus importante, à relever dans ces assertions. À notre sentiment, elles renferment — à part la question des chiffres, et en prenant les choses à un point de vue plus général, plus élevé — un déni de justice et une fâcheuse méconnaissance, intentionnelle ou non, de la vérité historique.
Le déni de justice est à l’endroit de Colbert. Quoique Boisguillebert s’abstienne de le nommer, la date seule qu’il assigne avec tant de persistance à la décadence matérielle du pays, en désigne suffisamment l’auteur ; la désignation devient plus claire encore, lorsque dans la suite du Détail et du Factum, Boisguillebert range les restrictions et les prohibitions douanières à l’entrée et à la sortie parmi les principales causes de l’appauvrissement général. Nous ne nous sentons pas le moindre faible pour le régime commercial que Boisguillebert flétrit avec une énergie si virile ; on ne saurait non plus le contester : le système mercantile, par la fausse direction imprimée à l’activité productive du pays, par les entraves qu’il lui imposait au dedans et par les représailles que contre elle il provoquait au dehors, a largement contribué à tarir les ressources du revenu national et à amoindrir, par l’inévitable contre-coup, les « revenus du roi ». Les plus prévenus en faveur de Colbert admettront aujourd’hui encore l’entière justesse de la remarque — la « réponse grossière », dit Voltaire — du marchand Hozan, disant à Colbert : « Vous avez trouvé la voiture renversée d’un côté, et vous l’avez renversée de l’autre. » C’était une réaction contre la considération trop exclusive accordée depuis Sully à l’agriculture ; comme toute réaction, quand elle est tentée par un esprit vigoureux, altier et armé d’un pouvoir absolu ou presque absolu, elle dépassait son but. Mais il ne nous paraît guère possible non plus, après les consciencieux travaux notamment de M. Pierre Clément et de M. Joubleau[11], de ne pas rendre hommage aux efforts sérieux que fit Colbert, et non sans succès, pour restaurer les finances de la France, mises en désarroi par suite des troubles de la Régence, par suite des prodigalités et des malversations de Fouquet ; pour diminuer les charges du peuple par l’abandon notamment des arriérés des années 1647 à 1656 ; pour faire régner plus de justice dans la perception des impôts et plus d’ordre dans leur emploi.
Passons. Cette réhabilitation de Colbert, qui ne saurait trouver place ici, est faite. Mais ce n’est pas seulement au ministre de Louis XIV, au rival et adversaire de Louvois, que Boisguillebert fait tort en posant l’année 1660 comme le point de départ des iniquités qu’il flagelle et des ruines qu’il déplore. Il méconnaît ou dénature le ressort intime des choses ; il fausse la philosophie de l’histoire.
Boisguillebert, par son précis chronologique, est conduit et nous conduirait à voir dans ces criantes iniquités et dans ces désordres ruineux une sorte d’accident malheureux ; cet accident, survenu à tel moment par suite de telle cause, l’on peut tout aussi aisément et aussi promptement le faire disparaître par la simple suppression de sa cause génératrice. Et effectivement, afin de guérir la France de tous ses maux, Boisguillebert ne demande que deux heures pour écrire des ordonnances et vingt-quatre heures pour les faire exécuter. Ce qu’un édit a gâté, un autre le réparera ; ce qu’un ministre a ruiné, un autre ministre le restaurera. L’accident sera supprimé et, sans que pour le reste on change quoi que ce soit, tout ira mieux, comme avant 1660.
L’appréciation est manifestement fausse. Pour plus d’une raison, il convient de la rectifier, ne fût-ce qu’en passant. Est-il donc vrai qu’avant 1660, à l’avènement de Louis XIV et durant les premières années de son règne, ou plutôt durant le règne de Mazarin, la situation du pays ait été si prospère, son régime financier si enviable ? Nous sommes pourtant à l’issue de la Fronde dont M. Feillet vient de décrire la « misère » dans un tableau si vrai et si saisissant[12] ! Nous sommes à l’époque dont la désolation est révélée avec un laconisme terrifiant dans ces quelques mots de Guy Patin : Les pauvres gens meurent par toute la France de misère, d’oppression, de pauvreté et de désespoir. Et le président de Lamoignon : « Les peuples gémissaient dans toutes les provinces sous la main de l’exacteur, et il semblait que toute leur substance et leur propre sang même ne pouvaient suffire à la soif ardente des partisans. La misère de ces pauvres gens est presque dans la dernière extrémité, tant par la continuation des maux qu’ils ont soufferts depuis si longtemps que par la cherté et la disette presque énormes des deux dernières années. »
Et ces désolantes peintures ne sont guère démenties par les relations officielles ; bien au contraire. Écoutons, par exemple, les doléances que, vers la fin de l’année 1643, les États de Normandie portent aux pieds du trône : « Que Votre Majesté se fasse rendre compte de ce qui s’est levé sur nous, de la façon dont nous avons été traités, de l’immensité des sommes qu’on a prises… La ville capitale de cette province a été foudroyée d’une quantité si prodigieuse d’impôts et de subsides, qu’il ne lui reste plus rien des marques, des témoignages dont nos rois avaient ci-devant honoré le sentiment de ses services. Ses octrois sont tournés en nécessités rigoureuses de levées unies à vos fermes, ses privilèges violés, ses bourgeois opprimés de logements de gens de guerre… La persécution des traitants a fait impression jusqu’à la liberté des personnes, exposées à la honte des emprisonnements ; et le seul énoncé des sommes tirées d’elles par toutes sortes de rigueurs donne étonnement à tous ceux qui l’entendent… On a taxé, poursuivi, rançonné comme aisés, de chétifs paysans qui ne subsistent que par leur travail, et sont redevables de plusieurs années de leurs fermages… Vos prisons regorgent en tous lieux de gens que la misère, et non aucun défaut de bonne volonté, a empêchés de vous payer, non point leurs tailles, mais celles de leurs voisins insolvables, et il en est mort plus de cinquante dans la seule prison de Pont-Audemer… »
Il faut ajouter que cette sévérité excessive contre des débiteurs réels ou supposés n’empêche pas le souverain d’être, de son côté, le plus mauvais débiteur que l’on puisse imaginer ! La même remontrance supplie le roi : « Que les gémissements d’une infinité d’orphelins, de veuves et de misérables, qui depuis longtemps crient après le payement des rentes assignées sur vos recettes, touchent enfin votre cœur ! Ils meurent de faim après leur bien ! Sire, ces rentes sont vos dettes les plus légitimes ; elles ont été créées pour le service de votre État, sous l’assurance de la foi publique, à laquelle ces particuliers ont fixé leur fortune ; … elles sont le pain de la veuve et de l’orphelin, qui crient à la faim après tous les fauteurs de ces retranchements ; et tel dont tout le bien consistait en rentes de cette nature, d’une condition assez bonne, maintenant est réduit à la mendicité. » Qu’importe ? C’est le temps où le chancelier, aux propriétaires parisiens qui se plaignent d’une nouvelle et injuste imposition, fait cette réponse que, « dans la nécessité de l’État… si la justice n’était pas exacte, le besoin de l’État suppléait à ce qu’il y avait à redire dans les formes. » Les faits s’adaptent à cette cynique doctrine.
Ne voit-on pas le nombre des fermiers généraux porté de quarante à soixante, leurs pouvoirs s’étendre avec l’augmentation des pots-de-vin qu’ils donnent, les impôts se multiplier et l’exaspération du peuple parisien le pousser à la révolte[13] ? Ne voit-on pas, quelques années après, à la veille de la paix de Munster, ce « paysan siennois, dont l’âme était plus basse que la naissance et dont le faste et les débauches indignaient la nation » (Voltaire), le compatriote et favori du cardinal tout-puissant, Patricelli Emeri, anticiper sur Pontchartrain dans la création de charges aussi onéreuses que ridicules, et vendre, en même temps que des titres de noblesse, des offices royaux de contrôleur de fagots, de vendeurs de foin, de conseillers du roi crieurs de vin, et autres charges et dignités non moins étranges ? Ce qui n’empêche pas la cour d’être plongée dans cette détresse extrême qui oblige le jeune roi à renvoyer ses pages de chambre, et condamne sa royale cousine d’Angleterre, sa future belle-sœur, à passer les journées au lit, faute de bois pour se chauffer !
Où d’ailleurs Mazarin, dont le règne incontesté remplit précisément ces dernières années d’avant 1660, eût-il pris les cent millions (d’autres disent deux cents) qu’il laisse après lui, s’il n’eût pillé le peuple et volé le roi, mis au sac et le pays et le Trésor ? Ajoutez ce qu’un larcin aussi majestueux suppose de complices, qu’il faut laisser faire pour qu’ils se payent eux-mêmes ! Il suffira de rappeler les dix-huit millions que Fouquet dépense pour son palais de Vaux, dont les jardins seuls, plantés par Le Nôtre, absorbent trois hameaux que l’altier surintendant des finances (quò non ascendam ?) achète et fait raser pour arrondir sa résidence. On sait si les autres prodigalités de Fouquet, prodigalités fastueuses, galantes et intéressées, étaient à la hauteur de ces folles dépenses architecturales ! Jacques Bonhomme payait tout cela, jusqu’aux cinq cent mille livres de la pension annuelle moyennant laquelle Fouquet, pendant quelque temps, avait eu la reine-mère à sa solde. Le pays pouvait-il ne pas être exténué ?
Mais ne nous attardons pas en route ! Remontons directement à ce bienheureux règne de Henri III, à cette époque bénie de 1582, que Boisguillebert nous fait entrevoir comme une sorte d’âge d’or ! Par une heureuse coïncidence, deux ouvrages spéciaux, précurseurs du Détail et de la Dîme Royale, écrits presque dans l’année même dont nous venons de copier le millésime, nous permettent de contrôler assez exactement, sans recourir à d’autres témoignages, moins spéciaux et moins précis, les affirmations rétrospectives du magistrat rouennais, ami et contemporain de Vauban.
Ces deux écrits sont : De l’Estat et succez des affaires de France, par Bernard De Girard, seigneur du Haillan ; et : Le Secret des finances de France, par N. Froumenteau[14]. Les éditions qui, de 1670 à 1680, se succèdent année par année attestent la valeur sérieuse que le public attribue au livre du seigneur du Haillan et le crédit qu’on lui accorde ; d’autre part, l’entière liberté avec laquelle se tirent et se débitent ces éditions multipliées, le caractère général, nullement « oppositionnel », de l’œuvre et de l’écrivain, enfin la faculté qu’il a de dédier les éditions successives de son Estat à trois souverains de France, tout cela dit assez qu’il n’y a chez lui et que personne ne lui suppose un parti pris de dénigrement, de peindre en gris. Quant au pseudonyme Froumenteau, il est presque aussi vantard (et ce n’est pas peu dire) que de Girard ; malgré cela et nonobstant les doutes légitimes que l’on peut concevoir sur l’origine première qu’il attribue à son Secret (le livre aurait été fait sur la demande d’une assemblée générale des trois États), les renseignements minutieux qu’il fournit sur toutes les parties du royaume ne permettent pas d’en douter : il a dû puiser à des sources authentiques et abondantes.
Écoutons de Girard sur la simplicité prétendue des impositions en son temps, sur l’équité et la modération qui présideraient à la perception : « Or, depuis le Domaine qui bastoit à suffisance à la dépense des Rois, ils ont institué les autres subsides, entre lesquels furent les Tailles. On ne sçauroit en quel temps elles commencerent en France, bien trouve-on que le Roy Sainct Loys fut le premier qui leva la taille, mais ce fut par forme de subside extraordinaire La coustume est venue que ce qui estoit accordé par grâce est depuis venu patrimonial et héréditaire aux Rois, et ordinaire, sans autre distinction de guerre ny de paix. Ils ne se sont contentez desdites Tailles, mais peu à peu ont mis sur le doz du pauvre peuple les impositions suzdictes, desquelles ayant esté abusé par les ministres des Rois, plusieurs grosses séditions s’en sont esmeûes, et depuis on a mis taille sur taille, et imposition sur imposition, dont la France s’est esmeûe contre les Rois et ils en ont cuidé perdre la France[15]. »
« L’émotion » se comprend d’autant plus aisément, que ces « tailles sur tailles et impositions sur impositions » retombent toujours sur les mêmes classes de contribuables, sur celles qui sont le moins en état de les payer, et que plus les impôts augmentent intensivement, plus se rétrécit le cercle de ceux qui y contribuent : les exemptions se multiplient en raison directe des charges.
Le noble, naturellement, n’est pas taillable, ni le prêtre non plus ; mais voici quelle est, cent quarante ans avant le Détail, la liste des autres exemptés :
« Outre les officiers ordinaires et commensaux des Rois, Roynes, fils, filles, frères et sœurs des Rois, il y a plusieurs autres personnes qui jouissent de pareils privileges par ordonnances particulières. C’est à savoir les gens de guerre, et du corps de la gendarmerie, comme Capitaines, Lieutenants, Cornettes, Guydons, Mareschaux-des-logis, Gendarmes, Archers, fourriers et autres Officiers de Compagnies : Preuostz des Mareschaux, leurs Lieutenants et Archers, Payeurs des Compagnies, Commissaires et Contrerolleurs des Guerres, Contrerolleur général, et autres Officiers de l’artillerie : Monnoyeurs, Secretaires du Roy, les Mortespayes, les Recteurs des Universitez, Docteurs, Regens ès Universitez, Principaux des Colleges, Scribes, Bedeaux, Escoliers actuellement Estudiants, Médecins, Présidens et Conseillers, Procureurs, Advocats, Greffiers, Huissiers de Cours souveraines, et autres Officiers. Pareillement tous officiers de judicature, comme Lieutenans generaux et particuliers, leurs Conseillers, Greffiers, et autres du corps estaient exempts[16]… »
Involontairement on se demande : mais qui donc paye les contributions, puisque tous ceux qui ont plus ou moins les moyens de payer sont exempts ? Il n’y a qu’une seule réponse possible : payent tous ceux qui sont presque hors d’état de payer !
On remarquera que « l’adjonction des capacités, » qui a fait tant de bruit en France la veille de la révolution de 1848 et a largement contribué à amener celle-ci, était accomplie à sa façon par l’Ancien régime : de la liste que l’on vient de lire, il ressort que tout ce qui était quelque chose, savait quelque chose ou avait quelque chose, se trouvait rangé parmi les privilégiés. Peut-être cela ne contribua-t-il pas médiocrement à la durée de ce régime de violences et d’iniquités. D’où viendrait l’attaque efficace, l’ébranlement, quand tous ceux qui, plus ou moins, pourraient réclamer, élever la voix, se faire entendre, se trouvent désintéressés dans la question ? Ils pouvaient même se croire intéressés personnellement dans le maintien du régime que dans leur for intérieur ils devaient condamner !
Et le Roi n’est pas seul à rançonner ses peuples : « Plusieurs des Consuls, Officiers et Gouverneurs des villes — dit encore du Haillan — imposoient et levoient sur le peuple grandes sommes de deniers, sous les couleurs de certains prétendus affaires… et les emploient après leur appétit et volonté, recelans, butinants et retenans la plus grande partie diceux deniers. Tellement que pour suiter à l’inconvenient qui en advenoit de jour à l’autre, Leurs Majestez ont estably plusieurs Edicts et Ordonnances générales et particulières, contenant deffences de faire telles levées de deniers sans leur sçeu, permission et commandement expres, par leurs lettres patentes, sur peine de punition corporelle à l’encontre des contrevenans et refractaires… Cela estoit jadis au bon temps ; celui cy, qui est tout meschant, a permis toutes sortes de levées, qui jusques icy ont esté impunies[17]… »
C’est justement ce temps « tout meschant » — et la qualification n’est pas trop dure, d’après ce que l’on vient d’entendre — qui, un siècle après, devient sous la plume de Boisguillebert le bon vieux temps, l’âge de l’ordre, de l’équité et de la prospérité en matière de finances publiques !
Les « tailles sur tailles et impositions sur impositions » dont le seigneur du Haillan nous parle d’une manière générale, Froumenteau volontiers nous en dressera la liste. Les députés du tiers état, dans leurs plaintes, « outre les tailles ordinaires, desquelles se trouvent deja par trop greuez », mettent en avant : « Le don ou octroy, Fouages, Aydes, Douane, Equivallans, Imposition de Traite foraine, Gabelle, solde de 50 mil hommes, Taillion, Augmentation de la Gendarmerie, Imposition sur l’entrée des vins, Emprunts généraux et particuliers, Subvention ou subside de cent sols pour procez, Rachats de leurs communes, Nouvelle subvention de partie sur les villes closes ; Augmentation ou Diminution du prix des monnayes, Crues, surcharge de deux, de trois et quatre sols pour livre sur la somme universelle des tailles, Gros du vin et huitième du vin qui se vend en détail, Pied forchu et d’autres superimpositions, desquelles de jour en jour sont taillez et retaillez, de la façon que la plupart des contribuables n’en peuvent plus, sont mangez et remangez, et ordinairement les huissiers, sergens et autres exacteurs sont en leurs maisons, qui font mil et mil exactions, concussions etpilleries, tellement que la plupart des villages se rendent aujourd’hui inhabitez[18]. »
On peut, à la vérité, se racheter de certaines impositions par une rançon globale, payée en une fois ou par une sorte d’abonnement annuel. Les villes et provinces parfois le tentent, pour épargner à leurs habitants les violences et les vexations de détail ; mais le prix du rachat est excessif et l’avantage bien médiocre. Lorsque, dans l’assemblée des trois états où Froumenteau nous introduit, on fait remarquer à la Bourgogne que, ayant toujours su échapper aux impositions nouvelles par le rachat, elle ne doit guère avoir à se plaindre, la Bourgogne répond :
« De vray, messieurs, nous avons toujours conscrué l’auctorité des États de Bourgogne tant qu’il a esté possible, qui a fait que jusques icy la Bourgogne, graces à Dieu, a esté exempte des impositions des Aydes dont vous parlez. À mesure que le Roy a fait création de quelques nouveaux officiers, les Estats n’ont rien oublié pour les faire supprimer. Mais si vous saviez combien telles suppressions coustent au pays ! Autant et plus que s’ils n’estoyent pas supprimez ; car autant qu’on cuire les esteindre, le Roy, contre sa promesse, en crée de nouveaux, tellement que le revenu ancien des ducs de Bourgogne ne serait bastant pour payer la moitié des gages des officiers qui y sont de présent, occasion de quoy la pauvre province souffre en tant de sortes qu’il n’est pas possible de plus[19]. »
Mais pour le moins, si l’on demande beaucoup aux populations, leur laisse-t-on la faculté de gagner quelque chose ? ont-elles, pour trafiquer et commercer, les « chemins libres » que Boisguillebert nous montre si singulièrement obstrués depuis 1660 et dont il réclamera le rétablissement ? Regardez le plaisant tableau que de cette liberté de circuler Froumenteau fait tracer par un député de Lyon :
« Il n’y a marchandise, quelle qu’elle puisse estre, qu’il ne faille premièrement peager et araisonner, puis gabeller et regabeller par les gabelles, et par ceux qui sont fermiers et admodiateurs des aydes. De là, faut passer par l’alambic de la douane, où ric à ric jusque aux drilles on fait payer ce qu’il plaira à messieurs de la douane. Bref, c’est une tranchefile propre à estrangler le plus riche et meilleur marchant de France ; c’est un droit qui souloit du commencement valoir dix ou douze mil livres par an, et à présent on en baille d’admodiation quatre, cinq et six cent mil livres tournois par an, et pour le moins cent ou deux cents mil livres pour en faire le recouvrement, car il n’y a ni coin ni anglet en ce Royaume, ou il n’y ait des sentinelles ou espions posez pour sentir le marchant et marchandise qui y doit entrer, le piper ou faire acroire le plus souvent qu’il a fraudé la douane, et par ce moyen attraper les biens du marchant[20]. »
Si l’on ajoute que les populations payent infiniment plus encore que ne reçoit et ne demande le roi, qu’elles sont volées, pillées, rançonnées par cent et mille intermédiaires, on ne s’étonnera pas de la désolante description que fait Froumenteau touchant la situation de « tant d’honnestes et excellentes familles qui souloyent reluire par tous les quartiers de ce royaume, et sont à présent escartellées, leur crédit descrié, leur trafic sans trafique, et leur train péniblement traîné[21]. »
Ceci, d’ailleurs, n’est pas le sort particulier de quelques « familles ». C’est la situation générale. La décadence et la ruine sont partout : « Car les lettres en France sont comme illiterees ; les armes arment contre elles mesmes ; de son propre glaive le François tue son François ; son sang rougit et ensanglante ses rivières, sa beauté enlaidit, son excellence s’en va ridée, sa richesse appauvrit, ses citez inhabitées, ses finances définancées, et son crédit descrié[22]. » L’Estat de Froumenteau, ainsi que le dit le titre spécial du premier livre, a du reste « esté dressé expressément pour et afin qu’il plaise à sa Majesté de le voir et considérer qu’il est contable à Dieu du grand désordre, excez et confusion, tenu au maniement, et dispensateur de ses finances[23]. »
Les plaintes que résume de Girard, les doléances dont Froumenteau se fait l’organe, ne sont pas écoutées de Henri III : pas plus que Louis XIV n’écoutera les avertissements et les conseils de Vauban, de Boisguillebert. Les unes pas plus que les autres ne sont pourtant entièrement perdus. Le successeur de Henri III et le successeur de Louis XIV les ont entendus et paraissent disposés à les écouter ; Sully, d’une part, et le duc de Noailles, de l’autre, essayeront de suivre une partie des conseils que ces hommes de bien prodiguent courageusement à la royauté égarée et pervertie. Mais, de même que Colbert doit recommencer l’œuvre que Sully croyait avoir achevée ; de même que la Régence doit retenter les réformes qui avaient marqué le début du règne précédent ; de même les Physiocrates, par leur représentant le plus glorieux, reprendront ce travail de Sisyphe : ils ne l’achèveront pas plus que ne l’ont achevé leurs nombreux précurseurs ; il faut que la Révolution finalement se charge de la rude besogne. Et encore, combien d’efforts et de temps ne faut-il à cet Hercule populaire pour nettoyer l’étable d’Augias de l’ancienne monarchie ! Hier encore, sous des formes adoucies, subsistaient bon nombre des abus dont nous venons de lire l’énumération ; hier encore, bon nombre des réformes réclamées avec insistance au dix-septième siècle par tous les esprits ouverts et par tous les cœurs droits, étaient taxées de chimères par les routiniers ou les peureux du dix-neuvième siècle.
C’est que les violences, les travers, les iniquités que stigmatisent les Bodin, les Froumenteau, les Boisguillebert, ne sont pas — et là est l’erreur de Boisguillebert — le résultat seulement de telle ou telle vue économique erronée, ni même du mauvais vouloir ou de l’incapacité de tel souverain, de tel ministre. Les souffrances, les misères, dont ces hommes de bien tracent et retracent le navrant tableau, ne sont guère des accidents dans la vie du peuple d’alors. C’est, au contraire, le mieux qui est l’accident : un éclair qui momentanément dissipe les ténèbres. Les fautes, les méprises et les malheurs sont de l’essence même du régime qu’ils accompagnent. Ils sont la conséquence fatale d’un système qui voit l’État dans le souverain et voit dans le souverain la personnification d’un droit supérieur à l’homme, au monde terrestre. Ils ne peuvent guère ne point naître d’un système qui pousse la méconnaissance du bon sens et des droits les plus indéniables de l’homme jusqu’à déclarer officiellement (édit de 1583) que la permission de travailler était octroyée par droit royal et domanial[24] ; d’un système où, sur une population épuisée jusqu’au sang et épuisée par ses exactions, le prince n’hésite pas à lever des impôts nouveaux, parce que son confesseur, le père Tellier, lui assure qu’il est maître souverain de tous, corps et biens[25]. Cette connexité entre la misère économique et l’ensemble du régime, Boisguillebert ne l’aperçoit pas assez clairement, ou n’en veut pas s’apercevoir. C’est doublement fâcheux. Il tend involontairement à égarer l’esprit du lecteur sur la nature intime et l’origine première des maux qu’il déplore ; de plus, il se prépare à lui-même des illusions sur le caractère et la valeur des remèdes à employer.
Il importait, avant de suivre Boisguillebert dans le diagnostic et la thérapeutique du mal, de rectifier cette erreur touchant la genèse du mal. Nous aurons, à propos des remèdes, à revenir sur ce point, où notre écrivain erre en nombreuse compagnie ; moins grossièrement, toutefois, moins carrément, que la plupart de ses coréformateurs du jour, du lendemain et même du surlendemain. Mais, quelles que soient l’origine première et la cause générale du mal, ce mal existe : l’anéantissement du commerce et de l’industrie, l’appauvrissement de toutes les classes de la société, l’extrême détresse du Trésor, sont universellement admis, ne fût-ce que parce qu’ils sont universellement sentis. Quelle en est la cause directe et immédiate ? Les impôts, répond Boisguillebert ; les impôts, mauvais par eux-mêmes, rendus plus mauvais encore par la manière dont s’en fait la répartition, devenus détestables et néfastes au dernier degré par les modes de perception.
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[1] On remarquera la prédilection, la persistance avec laquelle Boisguillebert revient sur l’exemple et l’enseignement que fournit la Hollande. On les invoque partout, il est vrai, la Hollande étant à cette époque le pays le plus avancé sur le continent, et non seulement au point de vue économique ; les rapports suivis, entretenus entre Rouen et la république batave, accroissent dans cette cité l’à-propos de l’invocation. Elle est singulièrement éloquente, jusqu’au lyrisme presque, chez le compatriote de Boisguillebert, l’auteur du premier Traité d’économie politique, et le premier peut-être qui ait employé ce terme, oublié ensuite, dirait-on, durant de longues années. Après avoir signalé le commerce, et, en général, l’activité industrieuse des habitants, comme l’un des plus sûrs moyens d’enrichir un peuple, et de lui assurer le « nerf de la guerre », Montchrétien, rappelant ce que la Hollande a obtenu par ce moyen et dans cette voie, ajoute :
« Jamais Estat n’a tant fait en si peu de temps : jamais des principes si foibles et obscurs n’ont eu de si haut, si clairs et si soudains progrès… Le Ciel ne couvre peuple si barbare, qu’il ne communique. Il n’y a coin du monde si reculé, qu’il ne reconnaisse. Lieu si secret, qu’il n’esuente. Toutes terres lui sont ouvertes par la mer. Ceste merveille accuse nostre paresse, je ne veux pas dire lascheté, la nation françoise est trop brave. Ceste richesse si grande et si prontment amassée, qu’il semble mesme à ceux qui la possèdent, qu’elle leur soit venuë en songe, nous taxe de nonchalance, j’aurois tort de dire de peu d’industrie ; car nation du monde ne nous est égale en ce point, soit par mer, soit par terre. Que concluray je donc, apres avoir recueilli mes esprits ravis d’admiration ? Qu’estant venu à la fin des siècles, il a fait profit de toute l’expérience du passé ; voulant confondre l’espérance de l’advenir en tous autres. Qu’avec le labeur françois, il a meslé la ménagerie angloise. Que n’ayant point trouvé de Rome qui peust empescher sa croissance et retarder son cours, il est demeuré Carthage.» Traicte de l’Oeconomie politique. Dédié au Roy et à la Reyne. Par Antoine De Montchrétien, sieur de Vateville (Rouen, 1615). 1 vol. petit in-4° ; — part. II, p. 16-17.
[2] Le détail de la France, part. I, chap. II.
[3] C’est par la constatation des mêmes faits et par les mêmes raisonnements que débute le Secret des finances de la France, livre curieux auquel nous aurons à revenir fréquemment dans la suite de cette étude.
[4] Un dicton populaire de l’époque, rapporté par Olivier d’Ormesson, qui, plus tard, se distinguera par la courageuse et persévérante défense de Fouquet, caractérise la situation sous Anne d’Autriche dans ces termes :
La Reyne donne tout,
Monsieur joue tout,
Monsieur le prince prend tout,
Le cardinal Mazarin fait tout,
Le chancelier scelle tout.
[5] Factum de la France, chap. VII, p. 275 à 285.
[6] La liste détaillée « des revenants bons au Roi en 1581 » que publie Forbonnais, donne les sommes que voici : les vingt généralités réunies, 3 409 612 l. 9 s. 11 d. ; — vente de bois, 223 815 l. 12 s. 1 d. ; — du clergé, 22 979 l. 12 s. 6 d. ; — parties casuelles, 3 545 885 l. 10 s. ; — ferme des douanes, etc., ensemble les traités faits avec le Roi, 4 294 481 l. 19 s. 3 d. ; — soit en tout : 11 498 775 l. 3 s. 9 d. Ce chiffre nous laisse fort loin encore du compte d’environ trente et un millions et demi auquel les Mémoires de Sully et d’autres écrits de la même époque portent le revenu de Henri III et qu’adopte Boisguillebert. Toutefois, la liste ci-dessus, ainsi que Forbonnais lui-même en fait la remarque, n’est pas complète ; entre autres articles, elle ne comprend pas « les charges acquittées par les receveurs particuliers et le payement des gages des Cours souveraines. » (Recherches et considérations, etc., I, 154.)
[7] Détail de la France, part. I, chap. VII.
[8] Ibid., chap. IV et V, p. 166-7.
[9] Il convient, toutefois, de faire remarquer que les « biens en fonds,» dans l’idée de Boisguillebert, ne comprennent pas seulement les biens « réels, comme les terres, » mais aussi les biens « par accident, comme les charges, les greffes, les péages, les moulins » (p. 167). La classification est pour le moins bizarre.
[10] Voir Bailly, Histoire financière de la France, t. II, p. 296 ff.
[11] Pierre Clément, Histoire de l’administration de Colbert. Paris, 1846, 1 vol. in-8° ; — Félix Joubleau, Études sur Colbert ou Exposition du système d’Économie politique suivi en France de 1661 à 1683. Paris, 1856. 2 vol. in-8°.
[12] La misère sous la Fronde, etc. Paris, 1860. 1 vol. in-8°.
[13] Voir chez Forbonnais la peinture, froide comme un procès-verbal, mais d’autant plus éloquente, des dilapidations et des désordres dans l’Épargne, qui marquent les dernières années de l’administration de Mazarin (Recherches et considérations, etc., vol. I, p. 266-8), et qui justifient amplement le stigmate que lui imprime Michelet : « la plus sale maison de France. » (Louis XIV, vol. I, chap. 1.)
[14] En voici le titre an complet : Le Secret Des Finances De France, descouuert et departi en trois livres par N. Froumenteau, et maintenant publié pour ouvrir les moiens legitimes et necessaires de payer les dettes du Roy, descharger ses suiets des subsides imposez depuis trente un ans et recouvrer tous les deniers pris à Sa Majesté. 1581. 3 vol. in-8°. L’Estat dressé par Froumenteau va jusqu’au 31 décembre 1580. Quant au livre de Girard, la première édition (in-4°) remonte bien à 1570 ; cependant, la « dernière édition », revue, corrigée et mise au courant, est, d’après la date de l’Épître dédicatoire au Roi, du mois d’avril 1580. C’est sur cette dernière édition de l’auteur qu’est réimprimée l’édition (Paris, Mdcix, pet. in-8° de 340 pages doubles, le recto seul étant paginé) d’après laquelle je cite.
[15] Estat et succez des affaires de France, p. 248, a et b.
[16] Estat et succez des affaires de France, p. 249, a et b.
[17] Estat et succez, etc., p. 257, a. — Voir aussi Bailly, Histoire financière de la France, vol. I, p. 275-8.
[18] Secret des finances de la France, p. 27-8.
[19] Secret des finances de la France, p. 39, part. n. p. — Lorsqu’on 1673, les États de Bretagne obtiennent le retrait des impôts sur le papier timbré et le tabac qu’on veut imposer à la province malgré ses anciennes franchises, Mme de Sévigné écrit : « On a révoqué tous les édits qui nous étranglaient ; mais savez-vous ce que nous donnons an roi pour témoigner notre reconnaissance ? 2 000 000, et autant de don gratuit. C’est justement 5 200 000 livres. Que dites-vous de la petite somme ? Vous pouvez juger par là de la grâce qu’on nous a faite de nous ôter les édits. »
[20] Secret des finances de la France, p. 37-38, n. p.
[21] Secret des finances, p. 11-12, n. p.
[22] Ibid., p. 3, partie non paginée.
[23] Ibid., p. 1, n. p.
[24] Cet édit avait été précédé d’un autre (1581), d’après lequel tous artisans du royaume devaient se constituer en corps de métiers. Les motifs de bien public pour expliquer les deux édits ne manquaient naturellement pas. Le fond était la tendance fiscale : on se faisait payer la maîtrise par ceux qui, suivant les règlements, avaient le droit d’y aspirer ; on la vendait plus cher encore à ceux qui n’avaient point ce droit ; en retour, l’on permettait aux artisans de limiter leur nombre et d’exercer des monopoles. On sait combien le régime a duré : jusqu’en 1789, quoique depuis longtemps on eût cessé de croire à ses effets prétendus bienfaisants. « Depuis qu’on s’est permis l’examen, écrit-on une quarantaine d’années avant la Révolution, on s’est aperçu de quelques contradictions entre l’ordonnance et la raison ; mais l’abus produisait au fisc ; l’argent comptant l’a toujours emporté sur l’évidence d’un remplacement plus considérable et moins onéreux aux peuples, dès qu’il n’était pas prêt. » Forbonnais, Recherches et considérations, etc., vol. I, p. 65-6 ; voir aussi Émile Levasseur, Histoire des classes ouvrières en France, etc. (Paris, 1859 ; 2 vol. in-8°) ; vol. II, p. 119-26.
[25] Saint-Simon, Mémoires, vol. V, p. 364.
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