En 1842, le jeune Molinari consacre sa troisième biographie dans le biographe universel à un général, le baron de Galbois. Ce choix étonne, quand on connait le pacifisme du futur grand économiste. Pour Molinari, Galbois représente cependant une certaine forme de progrès, puisqu’il a aidé à la pacification et à l’enrichissement de la province de Constantine, au nord-est de l’Algérie. B.M.
GALBOIS (Lieutenant-général baron de).
“La colonisation qui convient à l’Algérie, c’est une colonisation prudente, qui agit avec mesure pour les intérêts des contribuables, qui agit par temporisation, par négociation avec les indigènes, qui leur montre les bienfaits de la civilisation, qui leur fait voir que la domination d’un peuple civilisé est préférable à la domination des Turcs, que votre système actuel leur ferait bientôt regretter.” M. DE LAMARTINE. Discussion sur les crédits de l’Algérie, 12 juin 1830.
Né à Rennes le 17 mai 1778, le lieutenant-général baron Galbois est issu d’une ancienne famille de Bretagne[1]. Il entra au service à l’âge de vingt ans et fut admis, le 19 fructidor an VI, comme maréchal-des-logis chef dans le régiment des chasseurs à cheval Lamoureux. Ce fut sous les auspices du général Hoche, qui avait connu sa famille en Bretagne, qu’il entra dans ce régiment destiné à faire partie de l’expédition d’Irlande. — Son activité et son zèle ne tardèrent point à le faire remarquer et lui valurent, le 15 germinal an VIII, le grade de sous-lieutenant. Il passa l’année suivante, avec ce grade, au 8e régiment de hussards. Le 15 messidor an XII, il fut nommé lieutenant. — Plusieurs généraux se l’attachèrent successivement : c’est ainsi qu’il remplit les fonctions d’aide-de-camp auprès des généraux Vaufreland, Bonnet et Lagrange. Dans l’intervalle, il sut trouver l’occasion de se distinguer, malgré l’inaction dans laquelle était tenue l’armée de l’Océan. — La déclaration suivante l’attestera.
Place de Granville.
« Je, soussigné, déclare que, dans l’expédition que j’ai commandée aux îles de Chaussey, le 8 nivôse, le sous-lieutenant, au 8e régiment de hussards, Galbois, aide-de-camp du général Vaufreland, a donné des preuves non équivoques d’intelligence et de bravoure ; que, monté avec dix hommes et un caporal du 32e régiment de ligne sur le bateau qui formait notre avant-garde, il attaqua et se rendit le maître, après une très vive fusillade, de la chaloupe ennemie où se trouvait le capitaine avec quinze hommes de son équipage, ce qui nous facilita la prise du brick anglais le Grappler, et de trente-quatre prisonniers, que nous emmenâmes dans la nuit à Granville.
Granville, 10 nivôse an XII.
Le chef-d’escadron commandant de ladite expédition.
M. D’ORFENGO.
Le général commandant Granville et les rades, certifie les faits ci-dessus mentionnés.
VAUFRELAND. »
Vers la même époque, plusieurs missions qu’il eut à remplir auprès du commandant en chef Augereau, le firent distinguer de cet officier-général et lui concilièrent son amitié. Augereau lui conserva cette amitié pendant toute sa vie. En 1808, il lui donna la recommandation affectueuse qu’on va lire, pour le prince de Neufchâtel.
« Mon cher Prince,
Vous avez reçu une demande de M. Galbois, aide-de-camp du général Lagrange, dont l’objet est d’obtenir d’être employé comme adjoint à votre état-major. Cet officier m’est connu particulièrement. Il a servi sous mes ordres, j’ai conçu dès lors pour lui de l’estime et de l’amitié ; sa conduite depuis a fortifié chez moi ces deux sentiments : il réunit tout ce qu’il faut pour faire un chemin rapide, il est brave, actif, intelligent, parle plusieurs langues, connaît et aime son métier ; enfin, mon cher prince, je crois que, sous tous les rapports, cet officier vous conviendra, et son grand désir est d’être attaché à votre personne : si mon témoignage peut contribuer à ce que votre décision lui soit favorable, je le considérerai comme un nouveau témoignage de votre amitié.
Je vous réitère, etc.
Le maréchal d’empire,
AUGEREAU.
Paris, le 13 Mai 1808. »
Peu de jours après, le lieutenant Galbois fut attaché à l’état-major du prince de Neufchâtel et il reçut l’ordre de partir immédiatement pour Burgos, afin d’y être compris dans l’état-major général.
À peine arrivé à Bayonne, il reçut une mission de l’empereur pour le grand duc de Berg à Madrid, et une autre pour le duc d’Abrantès, qui commandait l’expédition de Portugal. — Après s’être acquitté de cette dernière, il revint en Espagne en passant par Elvas.
Mais pendant le temps qu’avait duré sa mission, l’insurrection espagnole avait pris un développement considérable. Lorsqu’il arriva devant Badajoz, son escorte fut attaquée, dispersée et lui-même fait prisonnier et blessé. Il trouva dans Badajoz plusieurs autres officiers français qui étaient également tombés au pouvoir des Espagnols, entre autres MM. Desprez, Paulin et Lacuée. — Tous les jours le sort des prisonniers était mis en question, et il n’y avait guère d’hésitation chez les vainqueurs, que sur le choix du supplice à leur infliger. — Ce fut une circonstance heureuse et dans laquelle le lieutenant Galbois joua un rôle des plus honorables qui leur valut leur mise en liberté.
La place d’Elvas, située sur la frontière du Portugal, à quelques lieues de Badajoz, était à cette époque (septembre 1808) occupée par un faible corps de 1 400 Français, commandés par le chef de bataillon du génie Girod de Novillars. — Depuis plusieurs jours ce corps soutenait l’effort de toute une armée espagnole, commandée par le général Galluzo, lorsque celui-ci, désespérant de s’emparer d’Elvas par la force, envoya en parlementaires, dans cette place, deux officiers de son état-major, emmenant avec eux le lieutenant Galbois. — Il chargea ce dernier de vaincre l’obstination du commandant français, en le menaçant, s’il n’y réussissait, de le faire fusiller à son retour ; et en ajoutant, en même temps, que la vie de ses compagnons de captivité serait le garant de ce retour. — Girod de Novillars se refusa courageusement à toute négociation, et voulut retenir auprès de lui le jeune officier qu’on lui députait ; mais notre brave lieutenant, lié par sa parole et craignant d’exposer la vie de ses compagnons, revint sans hésiter se remettre aux mains des Espagnols. — Le feu continua contre Elvas dont le siège fut poussé avec vivacité, mais la convention de Cintra ayant été conclue sur ces entrefaites, le commandant de Novillars remit la place aux ennemis, après avoir préalablement stipulé l’échange des prisonniers. — Le lieutenant Galbois fut compris dans cet échange, et il rentra en France avec les troupes de l’expédition du Portugal[2].
Il rejoignit, à Paris, le prince de Neufchâtel, qu’il suivit bientôt à Strasbourg lorsqu’éclata la rupture entre la France et l’Autriche (1809). — Nommé capitaine le 30 mars 1809, M. Galbois eut à remplir pendant la durée de cette campagne plusieurs missions importantes. — Il reçut de l’empereur lui-même l’ordre de porter des instructions au maréchal Davoust dans Ralisbonne, alors environnée de toutes parts par des corps ennemis. — Parti de Neubourg le 18 avril, il arriva dans la matinée du lendemain à Ratisbonne ; le même jour le maréchal Davoust sortit de la place, attaqua et battit à Thann l’armée du prince Charles, forte de 40 000 hommes. — Le capitaine Galbois ne le quitta que lorsque la victoire fut décidée, et rejoignit l’empereur à Neustadt.
À l’époque du séjour de Napoléon à Schoenbrunn, le capitaine Galbois fut chargé par lui de porter à l’empereur François des communications relatives à la paix qui se négociait entre la France et l’Autriche. — Les négociations officielles avaient lieu au congrès d’Altenbourg entre MM. de Metternich et de Champagny, mais les négociations réelles se traitaient entre les deux empereurs.
— Le capitaine Galbois fit six fois le voyage de Dotis où se trouvait François II, et enfin il rapporta les conditions acceptées du traité de paix. — Napoléon le chargeait volontiers de ces sortes de missions, parce qu’il le savait bon observateur ; le jeune officier d’état-major trouvait, en effet, toujours moyen de se procurer des renseignements utiles sur les endroits qu’il traversait, et il en rendait compte ensuite à l’empereur.
Lorsque la paix fut conclue avec l’Autriche, les états-majors reçurent l’ordre d’envoyer leurs équipages de Vienne à Bayonne. — À cette époque, le capitaine Galbois reçut une nouvelle mission pour le maréchal Suchet. — Pendant la durée de cette mission, il trouva encore l’occasion de se distinguer. — Le maréchal, sur le point d’assiéger Tortose, voulait avoir des nouvelles du camp ennemi et en connaître, d’une manière précise, l’emplacement. Le capitaine Galbois prit avec lui cent hussards, et poussa une reconnaissance jusqu’à Benicarlos où il rencontra un corps de deux ou trois cents cavaliers espagnols (dragons de Numance), qu’il dispersa et poursuivit dans l’espace de deux lieues jusqu’à l’emplacement du camp qu’il s’était chargé de reconnaître. — Sa mission alors étant remplie, il se replia, emmenant avec lui vingt-cinq prisonniers avec un drapeau. Il fut cité, pour ce fait d’armes, à l’ordre du jour du quartier général de Mora (17 août 1810), ainsi que dans le bulletin de la grande armée. Plus tard, l’empereur lui témoigna personnellement sa satisfaction pour sa conduite dans cette affaire.
Le 27 juin 1811, le capitaine Galbois fut nommé chef d’escadron, et le 23 décembre de la même année, chargé de conduire en Espagne et au Portugal un convoi de fonds très considérable (deux millions). — Ce convoi parvint heureusement à sa destination.
Le 3 mars 1812, M. Galbois fut chargé encore d’une mission dont l’importance témoigne de la confiance que l’empereur avait en lui. Simple chef d’escadron, il fut investi de pouvoirs aussi étendus que ceux que l’on confère de nos jours aux inspecteurs-généraux. On l’envoya à Augsbourg auprès du duc d’Abrantès, avec ordre d’inspecter le corps d’armée de ce maréchal, d’examiner si l’organisation en était bien complète, si rien ne manquait aux soldats, etc. [3] — Il s’acquitta de cette mission de manière à mériter l’approbation de l’empereur.
M. Galbois fit la campagne de Russie, toujours attaché à l’état-major du prince de Neufchâtel ; dès le début de la campagne, il fut blessé d’un coup de feu à l’affaire d’Ostrowno, près Witepsk. — Cette blessure, toutefois, ne l’empêcha pas de suivre l’armée et d’entrer avec elle à Moscou. — Pendant la retraite, il reçut à Molodechlno un coup de lance au pied gauche.
Pendant le passage de la Beresina, l’empereur lui donna l’ordre de repasser les ponts, afin de porter des instructions aux corps qui étaient demeurés sur la rive. M. Galbois parvint, non sans peine, à traverser ce flot d’hommes qui se précipitaient tumultueusement sur ces étroits passages. — Il remit aux corps restés en arrière les instructions dont il était chargé, en leur indiquant en même temps la route qui conduisait aux ponts. — Tous suivirent exactement ses indications, à l’exception de la division Partouneaux qui prit une fausse direction.
Nommé colonel le 25 février 1813, M. Galbois se rendit à Berlin, où il prit le commandement du 6e régiment de chevau-légers. — Il reçut en même temps du général comte Bourcier, le commandement de la 4e division de cavalerie légère du 2e corps de réserve. — Les régiments de cavalerie ayant considérablement souffert dans la campagne précédente, la plupart même se trouvant réduits à un effectif d’une centaine d’hommes, on leur donna l’ordre de rentrer en France pour s’y refaire et y rétablir leurs cadres. — En passant à Mayence, M. de Galbois rencontra l’empereur et le prince de Neufchâtel, qui l’emmenèrent avec eux à Lutzen. — Il fit encore, comme attaché à l’état-major du prince, la campagne de 1813, pendant laquelle il se distingua de nouveau plusieurs fois, notamment sous les murs de Dresde.
Pendant la campagne de 1814, il prit part à tous les combats que livra le corps d’armée placé sous le commandement direct de Napoléon : à Arcis-sur-Aube, il enleva, sous les yeux de l’empereur, avec un bataillon de vieille-garde, le village de Torcy, que les troupes russes venaient d’occuper.
À l’époque du congrès de Châtillon, le colonel Galbois fut chargé de porter à l’empereur François II une communication de l’empereur Napoléon, et lorsque l’abdication fut décidée, ce fut lui qui en porta la nouvelle à Marie-Louise. Voici de quelle manière Pons (de l’Hérault) rend compte de ces deux circonstances, dans son livre sur le congrès de Châtillon :
« Dans la nuit du 25 au 26 mars, l’empereur Napoléon fit partir le colonel Galbois pour Châtillon, et il chargea cet officier d’une dépêche adressée à l’empereur d’Autriche. Le colonel Galbois devait particulièrement éviter les Russes et les Prussiens : il lui était prescrit de ne parlementer qu’avec les Autrichiens. L’empereur Napoléon lui avait dit : Vous portez la paix ; le duc de Vicence lui avait répété les mêmes paroles. Le colonel Galbois était un homme sûr : la confiance de l’empereur était bien placée. Cet officier eut des obstacles à vaincre : il les vainquit : il arriva à Châtillon. Les Autrichiens l’accueillirent et le traitèrent avec beaucoup d’égards : il remit sa dépêche… Le 28 mars, à la pointe du jour, un adjudant de l’empereur d’Autriche vint lui annoncer, de la part de son souverain, que la paix était faite, et qu’il était nécessaire que lui, colonel Galbois, se mît sur-le-champ en route pour aller porter cette bonne nouvelle à l’empereur Napoléon. Tous les généraux autrichiens félicitèrent le colonel français : on s’embrassa avec joie et cordialité. L’adjudant de l’empereur d’Autriche, que nous croyons être un des princes de Lichtenstein, répéta, à plusieurs reprises, que chacun des trois grands souverains avait la faculté de traiter et de signer au nom de tous les souverains coalisés… Toutefois le colonel Galbois insistait pour avoir une réponse écrite ; mais le général autrichien, envoyé par l’empereur François, l’assura que cette réponse serait remise immédiatement après sa rédaction, et il l’engagea à laisser un officier aux avant-postes français, afin qu’il reçût et qu’il accompagnât le général autrichien qui devait en être le porteur. Le colonel Galbois laissa le chef de bataillon Guinet… Le colonel Galbois rejoignit l’empereur Napoléon le 29 au matin…
Le public nous saura gré de lui communiquer aussi les détails d’une autre mission également importante, que l’empereur Napoléon confia encore à la fidélité et à l’intelligence de ce brave officier, dont nous allons répéter la narration :
Le 6 avril 1814, l’empereur Napoléon me fit appeler auprès de lui. Sa Majesté me chargea d’aller porter une lettre à Marie-Louise : elle me donna des instructions verbales.
Le lendemain, j’arrivai de bonne heure à Blois : l’impératrice me reçut immédiatement. L’abdication de l’empereur la surprit beaucoup. Elle ne pouvait pas croire que les souverains alliés eussent l’intention de détrôner l’empereur Napoléon. Mon père, disait-elle, ne le souffrirait pas ; il m’a répété vingt fois, quand il m’a mise sur le trône de France, qu’il m’y soutiendrait toujours, et mon père est un honnête homme.
L’impératrice voulut rester seule pour méditer sur la lettre de l’empereur.
Alors je vis le roi d’Espagne et le roi de Westphalie. Joseph était profondément affligé : Jérôme s’emporta contre Napoléon.
Marie-Louise me fit appeler. S. M. était très animée. Elle m’annonça qu’elle voulait aller rejoindre l’empereur. Je lui fis observer que la chose n’était pas possible. Alors elle me dit avec vivacité : Pourquoi donc, M. le colonel ? vous y allez bien, vous ! Ma place est auprès de l’empereur, dans un moment où il doit être si malheureux ; je veux le rejoindre, et je me trouverai bien partout, pourvu que je sois avec lui. Je représentai à l’impératrice que j’avais eu beaucoup d’embarras pour arriver jusqu’à elle ; que j’en aurais bien plus pour rejoindre l’empereur. En effet, tout était dangereux dans cette course.
L’on eut de la peine à dissuader l’impératrice. Enfin elle se décida à écrire.
Je retournai heureusement auprès de l’empereur. Napoléon lut la lettre de Marie-Louise avec un empressement extrême : il me parut très touché du tendre intérêt que cette princesse lui témoignait. L’impératrice parlait de la possibilité de réunir cent cinquante mille hommes ; l’empereur lut ce passage à haute voix, et il m’adressa ces paroles remarquables : Oui, sans doute, je pourrais tenir la campagne, et peut-être avec succès ; mais je mettrais la guerre civile en France, et je ne veux pas… D’ailleurs, j’ai signé mon abdication, je ne reviendrai pas sur ce que j’ai fait.
L’empereur eut la bonté de me remercier de mes services passés, et particulièrement de celui que je venais de lui rendre. »
Au retour des Bourbons, diverses modifications furent, comme on sait, introduites dans l’armée : Louis XVIII créa une maison militaire du roi, à laquelle furent attachées plusieurs compagnies de gardes-du-corps. L’organisation de l’une d’elles fut confiée au prince de Neufchâtel, qui s’empressa d’appeler auprès de lui le colonel Galbois, en le prévenant qu’il l’avait nommé sous-lieutenant dans la compagnie de Wagram ; mais M. de Galbois n’accepta point l’offre du prince. Il préféra conserver le commandement de son régiment (6e de lanciers).
Ce fut avec ce régiment, renommé dans l’armée pour sa bravoure et sa belle tenue, qu’il fit la campagne de Waterloo. Le 6e de lanciers faisait partie du corps du maréchal Ney. — Le 16 juin, il se trouvait posté en face des Quatre-Bras. À deux heures, M. de Galbois reçut l’ordre d’enlever ce village ; mais l’armée anglaise ayant déployé des forces imposantes en arrière de la position, il fut contraint de se replier sur le corps principal. — Tandis qu’il effectuait ce mouvement, deux carrés écossais voulurent lui barrer le passage. — Le colonel Galbois les enfonça par une charge brillante, leur passa sur le corps et rejoignit le gros de l’armée française sans avoir éprouvé de grandes pertes. Dans cette affaire, il fut blessé d’une balle dans la poitrine, ce qui, toutefois, ne l’empêcha point d’assister le surlendemain, à la bataille de Waterloo.
Mis en disponibilité à la seconde Restauration, M. de Galbois, après avoir séjourné quelque temps aux eaux de Barèges pour se guérir de sa blessure, et rétablir sa santé que les fatigues de la guerre avaient altérée, se retira dans sa terre de Moy (département de l’Aisne). — Là, il s’occupa activement et utilement d’agriculture, il s’attacha à populariser les procédés nouveaux de l’industrie agricole, forma des élèves de chevaux, fit venir d’Angleterre des moutons de différentes races, établit des concours de charrues sur ses propriétés, enfin il fut admis dans diverses sociétés d’agriculture, notamment dans la Société royale et centrale d’agriculture de France, à Paris. — Il publia divers mémoires sur l’agriculture. — Nous en avons un sous les yeux, intitulé : Mémoire sur le commerce et la culture du lin et du chanvre dans le département de l’Aisne, remis à la Société académique de Saint-Quentin, dans la séance du 14 décembre 1828. Ce travail est plein de détails, témoignant de connaissances spéciales très étendues. Les divers procédés de culture pour le lin et le chanvre y sont indiqués et comparés.
Lorsque éclata la révolution de juillet, M. de Galbois fut remis en activité. On lui confia d’abord le commandement du département de l’Aisne et, quelques jours après, celui de la Loire-Inférieure et de la Vendée. — Mais il ne se rendit point à cette nouvelle destination, la garde-nationale de Saint-Quentin ayant demandé au ministre de la guerre que le commandement de l’Aisne lui fût laissé. — Ce commandement était alors très important, à cause du voisinage de la Belgique d’un côté, et de Paris de l’autre. Il le conserva jusqu’en 1837, époque à laquelle il fut envoyé en Afrique.
En avril 1831, le commandant de l’Aisne avait été nommé maréchal de camp. — Pendant les années 1834, 1836 et 1837, il fut appelé au camp de Compiègne pour y commander des brigades.
Vers la fin de 1837, M. le général Galbois fut envoyé en Afrique. À son arrivée à Alger, il eut le commandement de la première brigade de l’armée, et fut chargé de l’occupation de Belidah et des camps établis près de cette ville : ce fut lui qui plaça sur les montagnes de l’Atlas les deux blockhaus qui servent à garantir Belidah du côté de Beni-Salah. — Ces deux blockhaus existent encore.
Bientôt le maréchal Valée, appréciant la science militaire et la fermeté intelligente de M. le général Galbois, lui confia le commandement de la province de Constantine. — M. de Galbois conserva ce commandement pendant
trois années. — Cette période est certainement la plus importante de sa carrière, et celle qui mérité le mieux d’être signalée. — La tâche qui lui était confiée était rude ; pour la remplir, il fallait à la fois de la fermeté et de l’adresse ; il fallait surtout de la justice. M. de Galbois sut toujours s’élever à la hauteur de sa mission et, pendant ses trois années de commandement, la province de Constantine demeura constamment calme, pacifique et florissante, alors même que le reste de l’Algérie était dévasté par la guerre. Pour bien comprendre quel fut le système par lequel le général Galbois obtint de si remarquables résultats, il est nécessaire que nous jetions auparavant un coup-d’œil sur la province de Constantine.
Cette province est, comme on sait, la plus vaste, la plus riche et la plus peuplée de l’ancienne régence. Sa longueur est d’environ 130 lieues, et sa profondeur de près de 200 lieues. Elle s’étend, d’un côté, de la régence de Tunis jusqu’aux montagnes de Jurjura, et de l’autre, depuis la Méditerranée jusqu’au grand désert. — Ses principales villes sont Constantine, Bone, Bougie, Gigelly, Collo, Stora, Philippeville, Milah, Lacalle, Ghelma, Sétif, Tiffech, Byskarah, Tuggurth, etc.
Du temps des Romains, la province de Constantine devait être très peuplée, si l’on en juge par la quantité de ruines que l’on rencontre de tous côtés. Sa population actuelle peut être évaluée à environ 1 800 000 habitants, d’après les notes fournies par les chefs de tribus.
La ville de Constantine, bâtie sur un plateau très élevé, entourée de rochers et contournée, en grande partie, par une rivière profondément encaissée (l’Oued Rummel), est peuplée de Maures, d’Arabes, de Turcs et Coulouglis, de Kabayles et de juifs. — C’était, avant 1837, une ville de 25 000 âmes. — Il n’en restait pas la moitié après l’occupation des Français : beaucoup avaient péri lors du siège de la place, d’autres s’étaient éloignés du théâtre de la guerre, les Turcs avaient cherché à gagner la frontière de la régence de Tunis, et enfin Achmet Bey avait emmené avec lui tous ceux qui étaient attachés à sa maison. — Quand le général Galbois a quitté Constantine, tous les émigrés y étaient rentrés.
En 1837, le bey Achmet tenait la campagne avec une armée de 10 000 hommes, infanterie et cavalerie, pendant que le célèbre Ben Aïssa, son premier ministre, défendait la ville qui fut enlevée le 13 octobre, après une vigoureuse résistance.
Une fois Constantine en notre pouvoir, le gouvernement d’Achmet Bey fut bientôt détruit : la domination tyrannique et les cruautés de ce bey lui avaient aliéné l’affection de ses sujets. Abandonné par une grande partie de ses troupes et repoussé par les tribus, satisfaites d’être débarrassées de son gouvernement sanguinaire, Achmet se retira près des frontières de Tunis, avec le peu de partisans qui lui restaient.
Telle était la situation lorsque, le 18 juillet 1838, le général Galbois prit le commandement de la province. La conquête était achevée, mais elle était, pour ainsi dire, encore fruste, rien n’était organisé, il fallait établir, dans ce désordre, au milieu de populations inquiètes et défiantes, un gouvernement stable et régulier. — Pour arriver à ce but par des moyens pacifiques, il importait de s’attacher les populations. Or, la province de Constantine étant, en quelque sorte, un pays de grande féodalité, puisque la race arabe, après avoir asservi les autres races, leur a imposé sa suzeraineté, la meilleure politique à suivre était celle de gagner les grandes familles, les descendants des conquérants arabes, à la cause de la France. — Telle fut l’étude constante du général Galbois. — Les résultats obtenus par ce système en ont prouvé toute l’excellence. — En peu de temps la province changea de face : lorsque M. de Galbois arriva à Constantine, on ne communiquait avec cette ville que par Bone ; encore cette communication était-elle difficile et peu sûre : on ne s’y hasardait qu’en convois bien escortés, partant une fois par mois ; à l’époque du départ du général, la même route était tellement sûre, que deux cavaliers suffisaient pour y escorter les convois les plus importants ; en outre une autre communication avait été établie avec la mer, aboutissant à Stora, auprès de laquelle s’était élevée, dans l’intervalle, comme par enchantement, la jolie ville de Philippeville. — Des routes, des casernes, des hôpitaux avaient été fondés ; la province payait des contributions et fournissait même des troupes indigènes qui servaient fidèlement. — Partout l’autorité française était reconnue et respectée. Dans l’espace de ces trois années, 1838-1841, le gouverneur de Constantine avait fondé des établissements à Milah, Djimmilah et Sétif, étendu ses relations jusqu’aux Portes de Fer et jusqu’au désert, dont les chefs lui étaient dévoués ; il avait battu le frère d’Abd-el-Kader en avant de Sétif, chassé de nouveau complètement l’ancien bey Achmet, qu’il obligea de se retirer dans les montagnes de Tunis, après le brillant combat de la Meskiana, près Tybessa. Enfin, il avait favorisé, par de sages mesures et de nombreux encouragements, le commerce de la province avec la France et imprimé partout, dans les limites de son gouvernement, un vif mouvement d’activité et de prospérité.
Ce qui, avec la politique modérée et conciliante dont il usait avec les chefs de la province, contribua le plus à assurer l’influence du nouveau gouverneur, ce fut la manière équitable, quoique sévère, avec laquelle il s’attacha à distribuer la justice. — Il comprit que les procédés sanguinaires des Turcs ne devaient pas être adoptés par leurs successeurs, et il pensa qu’il ne fallait pas faire résider seulement dans le bourreau toute la force de la justice. — Comme tous les peuples dont l’intelligence est encore inculte, dont les instincts seuls sont activement développés, les peuples de cette partie de l’Afrique, accoutumés du reste aux formes d’une justice sommaire, possèdent admirablement le sentiment de ce qui est équitable ; autant l’injustice les exaspère, autant l’équité dans les jugements leur impose. — Le général Galbois, s’efforçant toujours de proportionner la peine à l’offense, sans jamais tomber dans l’excès de l’indulgence ou de la cruauté, acquit bientôt, parmi eux, cette légitime considération qui s’attache à l’homme, à la fois puissant et juste. — À diverses reprises, le gouverneur de Constantine donna des preuves du tact avec lequel il savait appliquer les châtiments. — Ainsi, en 1839, sept Arabes, convaincus d’avoir assassiné un Français, furent condamnés à mort par un tribunal arabe, composé des principaux chefs indigènes. Le général Galbois leur fit trancher la tête ; et l’effet de cette exécution, reconnue juste et bien méritée, par tout le monde, fut d’autant plus salutaire dans la province, que le jugement des coupables avait été prononcé par leurs coreligionnaires. — Quelque temps après, le gouverneur trouva, en revanche, utilement à déployer son indulgence dans une autre condamnation capitale, dont la cause était moins grave. — Quatre indigènes accusés d’entretenir des intelligences avec l’ancien bey, dont les entreprises n’étaient plus redoutables, ayant été condamnés à mort, M. de Galbois commua leur peine, et bientôt, à l’occasion de la visite du prince royal à Constantine, il les gracia tout à fait. — Depuis cette époque, ces hommes se sont montrés constamment des sujets dévoués à la France.
Le général Galbois, en même temps, témoignait un grand respect pour la religion, les mœurs et les usages des Arabes. — Quand il vit ceux-ci bien convaincus de sa sincérité à cet égard, il put sans inconvénient faire rétablir, après une interruption de quatorze siècles, la religion chrétienne à Constantine. — Les Arabes ne s’en alarmèrent point. — La cérémonie d’installation du nouveau culte (1er mai 1839), célébrée avec pompe, produisit même sur eux une impression favorable, car, peuple grave et religieux, ils respectent les hommes qui pratiquent un culte, même différent du leur, plutôt que ceux qui affectent l’indifférence ou le scepticisme. — Chez eux un homme sans religion passe pour un homme sans foi.
Nous ne raconterons, du reste, que très succinctement les évènements qui signalèrent le gouvernement de trois années de M. le général Galbois à Constantine, les détails de ces évènements étant du domaine de l’histoire plutôt que du ressort de la biographie.
À son arrivée (en 1838), le nouveau gouverneur s’empressa de visiter les points de la province que nos troupes occupaient. — Il fit établir le camp de Sidi-Tamtam, afin d’assurer la communication de Bone à Constantine, puis il battit les Haractas et les poussa jusqu’à Tiffech. — De là, il revint à Constantine pour y recevoir M. le maréchal Valée.
Le maréchal Valée arrivait à Constantine, afin de prendre part à l’expédition de Stora, port dont la possession était très importante pour nous ; situé à 20 lieues de Constantine, il présente à cette ville une communication avec la mer, beaucoup plus rapide que celle de Bone (Bone est distante de 45 lieues de Constantine). — L’expédition fut donc résolue, et lorsque tout fut prêt pour l’effectuer, M. de Galbois en prévint le maréchal. — L’issue de cette expédition fut des plus heureuses, et nous assura la possession de Stora. — Mais ce port, destiné à servir d’entrepôt à Constantine, n’offrait, comme ville, que de faibles ressources. — En outre, sa situation au pied d’une chaîne de montagnes escarpées, ne permettait point de lui donner un accroissement considérable. — On songea à élever tout auprès, dans la plaine, une autre ville, offrant de plus grandes facilités d’établissement. — On reconnut la plage où s’était élevée jadis la cité romaine de Russicada, et l’on y jeta les fondements de la cité nouvelle que l’on nomma Philippeville. — Le général Galbois présida lui-même aux travaux de la fondation. Philippeville, favorisée par le voisinage de Stora, ne tarda pas à s’accroître considérablement. Elle compte aujourd’hui plus de 5 000 âmes. Ces deux villes se complètent mutuellement, car, ainsi que l’a dit M. Blanqui, Stora est un port sans ville, et Philippeville une ville sans port.
Ces travaux importants occupèrent le gouverneur de Constantine pendant une grande partie de l’année 1838. — Toutefois il fit encore, dans la même année, une expédition dans les Haractas, obtint la soumission du cheick El Arab Boasis Ben Gannah, et enfin (6 décembre), il partit pour Sétif, et occupa Djimmilah après un combat assez vif. — Il prépara ainsi le passage des Bibans (Portes de Fer) qui fut effectué en octobre 1839.
Cette glorieuse promenade militaire, que rehaussa si vivement la présence du prince que la France regrette, ne rencontra aucun obstacle sérieux. — Il ne fut pas tiré un seul coup de fusil depuis Constantine jusqu’aux Bibans. — Arrivé aux Portes de Fer, le général Galbois se sépara du corps principal et rebroussa chemin vers Constantine. — Il n’avait avec lui qu’un petit nombre de soldats, le maréchal Valée ayant pris avec lui les meilleures troupes de sa division, entre autres les 17e léger et 23e de ligne actuellement à Paris. — De plus, on lui confia tous les éclopés et tous les malades de l’armée. Néanmoins son retour fut des plus heureux. Il s’empara, en passant à Sidi-Moussa, d’un dépôt de blé appartenant à Ben-Azouz, kalifat d’Abd-el-Kader ; dans la même ville, il reçut plusieurs chefs indigènes des environs qui vinrent apporter leur soumission. M. de Galbois se dirigea alors sur Sétif, en passant par Bodji-Medjana et Sidi-Embarack. La veille de son arrivée à Sétif, ses éclaireurs vinrent lui annoncer que l’on apercevait dans le lointain un assez grand nombre de cavaliers qui descendaient des montagnes derrière les colonnes. Le général Galbois se rendit immédiatement à l’arrière-garde, ordonna au convoi de continuer sa marche et cacha un escadron de chasseurs dans un pli de terrain. Dans cette position il attendit l’ennemi, qui ne tarda pas à s’approcher et à nous envoyer quelques balles. M. de Galbois simula alors un mouvement de retraite qui enhardit les cavaliers de la tribu insoumise des Righad del Raz ; ils fondirent sur le convoi, mais en ce moment même, ils furent pris en flanc par les chasseurs embusqués, commandés par le capitaine Marion, qui les poursuivirent pendant près d’une heure et en firent un grand carnage. — Ce fut le seul combat que nos troupes eurent à soutenir dans cette expédition. M. de Galbois s’arrêta quelques jours à Sétif pour organiser le service, il y laissa quelques troupes, puis il rentra paisiblement à Constantine en passant par les Abd-el-Noor.
Ce fut à son retour qu’il reçut du prince royal une lettre des plus flatteuses que nous reproduisons ici[4].
Lettre adressée à M. le général Galbois après l’expédition des Bibans.
« Je ne puis quitter l’Afrique, mon cher général, sans vous demander de conserver un souvenir du brillant voyage que j’ai fait à travers une province où vous faites tant de bien ; et où vos constants efforts sont couronnés de tant de succès. Veuillez accepter mon chiffre comme un témoignage de tout le plaisir que j’ai eu à constater par moi-même les bons résultats que votre administration a obtenus ; et recevez, mon cher général, la nouvelle assurance de tous les sentiments que vous me connaissez pour vous.
Votre affectionné,
Ferdinand-Philippe D’Orléans.
Alger, 7 novembre 1839. »
À la fin de 1839, la province de Constantine se trouvait dans un état de paix complet. Abd-el-Kader avait vainement tenté d’y nouer des intrigues. La présence du duc d’Orléans avait efficacement contribué à rallier tous les grands chefs à la cause de la France, et l’établissement de camps français à Milah, à Aïn-Khachebah, à Djiramilah et à Sétif, acheva d’assurer l’obéissance de la province.
L’an 1840 y fut marqué par diverses expéditions. En mai, le général Galbois entreprit de réduire les Haractas, peuplade jusqu’alors insoumise et dont aucun frein n’avait pu encore retenir l’humeur tracassière et indomptable. Il les battit près de Tebessa et leur fit une razzia de 30 000 têtes de bétail. Épouvantés, ils se soumirent et payèrent, sans résister, une contribution de 100 000 boudjous qui leur fut imposée. Le cheick de Tybessa et quarante-deux chefs des tribus environnantes vinrent à Constantine pour y recevoir l’investiture des mains du général.
Quelque temps après, le frère d’Abd-el-Kader faisait une tentative contre la province et essayait d’y organiser une insurrection. Non seulement il ne réussit point à atteindre son but, mais ce furent les indigènes eux-mêmes qui se chargèrent de le repousser.
Voici comment une correspondance du Toulonnais (août 1840), appréciait, à cette époque, l’administration de M. de Galbois dans la province de Constantine :
« Pour donner une juste idée de la puissance de la domination française dans la province et de la crainte qu’inspire aux Arabes la justice sévère du lieutenant-général commandant, nous n’aurions qu’à citer mille faits qui se passent sous nos yeux. Le paiement régulier des contributions est celui qui prouve le mieux tout le parti qu’a su tirer de sa haute position le digne commandant qu’on a placé à notre tête. Il ne s’est point laissé aller, comme tant d’autres, à la faiblesse ni à l’injustice ; il a cherché à établir son pouvoir sur des bases solides, et il y a complètement réussi. Les Arabes, qui savent apprécier les hommes, l’ont trouvé ferme et impartial ; ils l’estiment et le vénèrent. Chaque jour apporte une preuve de leur complète soumission. L’influence morale qu’exerce sur les masses qui l’entourent le général Galbois est immense. Il a su attirer à nous les Arabes en leur assurant les libres relations du commerce et en les effrayant par les châtiments infligés à ceux qui se sont révoltés contre son autorité.»
Le commerce de la province se trouvait dans l’état le plus prospère. À la fin de novembre 1840, le chiffre des traites sur la France prises chez le payeur, s’élevait à 4 millions, et les contributions s’élevaient, pour le blé, à 2 677 quintaux métriques ; pour l’orge, à 7 466 ; pour la paille, à plus de 2 000 charges.
Fatigué de trois années de travaux continuels, voyant d’ailleurs la province de Constantine dans la situation la plus florissante, le général Galbois demanda son rappel au commencement de 1841. Le 2 février, il adressa aux soldats la proclamation suivante :
« SOLDATS DE LA DIVISION DE CONSTANTINE,
Au moment de me séparer de vous, j’éprouve le besoin de rendre un témoignage éclatant à votre bravoure, à votre noble modération et à votre excellente discipline : pendant les trois années que je vous ai commandés, les travaux, les fatigues, les privations de la guerre d’Afrique, rien n’a pu ébranler votre énergie : votre courage s’est signalé à Mons, aux Aractas, Sétif, Aïn Turko, Medjazergha, au col des Ouled-Braham et dans toutes les occasions où l’ennemi a osé nous attendre : jamais nos armes n’ont éprouvé d’échec. Si la province de Constantine a pu échapper à l’agitation qui a troublé l’Algérie et demeurer calme et soumise, on peut dire que c’est à vous, à vous seuls qu’elle le doit.
Chacun de vos pas dans cette province est marqué par des travaux que les Romains ne désavoueraient pas : vous avez relevé de ses ruines l’antique Russicada, et préparé de belles destinées à une colonie nouvelle : vous avez construit les camps d’El-Arouch , des Toumiettes, Smendou, Sidi Tamtam et Mahalla, créé des places importantes à Milah, Djimilah et Sétif, et parcouru en vainqueurs le pays jusqu’aux Portes de Fer et près des frontières de Tunis.
Honneur à vous, braves soldats ! Vous avez répondu à ce que le nom français exigeait de vous ! Je suis fier de vous avoir commandés ! Recevez ici les adieux d’un chef qui conservera toute sa vie un précieux souvenir du temps qu’il a passé au milieu de vous.
Constantine, 2 février 1841.
Le lieutenant-général commandant supérieur de la province de Constantine,
Baron Galbois. »
Le départ du gouverneur provoqua les regrets de tous les habitants. Les chefs du désert vinrent à Constantine pour lui faire leurs adieux et ils l’accompagnèrent même jusqu’à Philippeville, en l’assurant que la mer seule pourrait les séparer de lui. À son arrivée à Marseille, il reçut encore une lettre écrite au nom de la population arabe, par les cheicks El-Baled et El-Nader, les muphtis et les cadis de Constantine. Cette lettre est trop remarquable par la forme et trop significative par le fond pour que nous ne la reproduisions pas :
« À Sa Seigneurie, le magnifique, l’honorable, le glorieux, celui qui a pour attributs, la bonté, la sagesse, la bienveillance, le lieutenant-général baron de Galbois, à qui Dieu a accordé la prudence et la justesse dans ses vues.
Après les informations les plus empressées sur tout ce qui vous intéresse et approche votre précieuse personne ;
Nous avons appris que l’auguste, le magnanime gouvernement français avait désiré vous voir retourner en France. Nous éprouvons une bien vive peine au moment de nous séparer de vous ; car vous avez comblé de bienfaits tous les habitants de votre ville ; vous les avez toujours traités avec une bienveillance extrême, vous avez rendu, par votre bonté, le service du gouvernement français utile et doux pour tout le monde ; personne ne vous a imploré en vain, et la justice a toujours été satisfaite. Vos bienfaits vous ont attiré l’amour et la reconnaissance de tous les habitants de votre ville qui vous aiment comme vous les aimez.
Nous vous prions de présenter nos hommages respectueux à Leurs Altesses les illustres, les magnifiques, les très nobles princes le duc d’Orléans et le duc de Nemours. Nos cœurs conservent la plus vive reconnaissance pour tous les bienfaits qu’ils nous ont fait accorder.
Nous vous supplions aussi de vouloir bien nous rappeler à la bienveillance du gouvernement français, nous, les habitants de votre ville, qui ne pouvons vivre que sous votre protection, et grâce à la paix que vous faites régner dans ce pays. Nous sommes heureux de vivre sous votre obéissance ; car la paix est le plus grand bien que Dieu accorde à ses enfants : c’est la nourriture, le bonheur, la santé. Que le Tout-Puissant veille sur vous et les jours et les nuits.
Écrit par l’ordre du cheik El-Beled, les ulemas et les habitants de Constantine. Que Dieu les garde !
Le 3 zelhidji 1256 (1er février 1841.)
Sont apposés les cachets de SY-MOHAMMED-EL-FEGOUN-CHEIKH-EL-BELED, de SY-MOUSTAFA-CADI-HANIFI, de SY-EL-MEKI-CADI-MALEKI, de SY-AHMED-NADER, et les signatures de SY-MOHAMMED-BEN-EL-CHEIKH-FAT-ALLAH-MUPHTI-HANIFY, et SY-MOHAMMED-MUSPHETI-MALEKI.
Pour traduction conforme :
L’interprète de première classe,
Urbain.
Constantine 1er février 1841. »
Un journal en reproduisant cette pièce, la faisait suivre des réflexions suivantes :
« La province de Constantine est aujourd’hui dans un état progressif de pacification et de prospérité. C’est la seule de nos possessions en Afrique, où l’ennemi ne se soit jamais présenté sans être battu et châtié, la seule où nos alliés aient toujours trouvé appui dans nos armes, la seule enfin où l’on puisse, sans danger de pillage, confier aux Arabes eux-mêmes le transport des marchandises et des groups.
M. le général Négrier, qui est appelé à remplacer le général de Galbois, a déjà donné des preuves d’une grande capacité ; nous souhaitons toutefois qu’il ne change pas le système établi par son prédécesseur dans la province de Constantine, et qu’il comprenne que s’il est glorieux de commencer l’œuvre de la colonisation sur un pays conquis, il est également glorieux de l’achever. »
De retour d’Afrique (mars 1841), le général Galbois ne tarda pas à être employé très activement. Il fut nommé d’abord inspecteur-général du premier arrondissement de gendarmerie, et bientôt après, appelé au commandement d’une division d’infanterie au camp de manœuvre qui eut lieu à Compiègne. Enfin, en 1842, il a été nommé inspecteur-général de cavalerie de l’arrondissement dont Paris fait partie.
M. le baron de Galbois a été élevé au grade de lieutenant-général en 1836, à la suite de la prise de Stora. Il a été nommé, en 1839, après le passage des Portes de Fer, grand officier de la Légion d’Honneur, en récompense de ses services à l’armée d’Afrique. — Il avait été nommé chevalier de la Légion d’Honneur à la bataille d’Ekmulh, officier du même ordre à la bataille de la Moskowa, et commandeur en 1814, après la campagne de France. Il est aussi chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis[5].
Gustave de Molinari
__________________
[1] Un frère du général Galbois servait dans l’armée royale de la Vendée ; — il y fut tué. — Un autre s’enrôla plus tard dans le 8e de hussards à l’armée du Rhin. — Un de ses oncles (Galbois de Janigand) était officier du génie militaire ; il est mort à Saint-Domingue colonel de cette arme. — Un second (Galbois du Buisson), officier de la marine royale, mourut à l’île de France par suite de ses blessures. Plusieurs autres de ses parents étaient officiers avant la révolution.
[2] Le Pilote du 28 septembre 1825, a donné, sur cet épisode de la guerre de la Péninsule, des détails intéressants que nous avons, en partie, reproduits.
[3] Nous croyons devoir citer, à titres de documents, deux pièces relatives à cette grande inspection :
« Paris, 3 mars 1812.
Monsieur le général duc d’Abrantès,
Monsieur le duc, l’empereur désire que j’envoie un de mes aides-de-camp à votre quartier-général, pour que vous fassiez connaître ce qui peut manquer à l’organisation du corps d’observation d’Italie, telle qu’elle a été prescrite : j’ai désigné M. le chef d’escadron chevalier de Galbois.
D’après les intentions de Sa Majesté, M. le chevalier de Galbois ira voir les officiers-généraux du corps d’observation d’Italie, il visitera les cantonnements, et après avoir reçu toutes vos notes, il reviendra rendre compte directement à l’empereur, tant pour ce qui a rapport à la situation de ce corps d’armée, que pour faire connaître à Sa Majesté l’esprit du pays.
Je vous prie, Monsieur le duc, d’accueillir avec bonté M. le chef d’escadron de Galbois, et de lui faciliter les moyens de pouvoir répondre aux questions que Sa Majesté pourrait avoir à lui faire à son retour.
Le prince de Wagram et de Neufchâtel, major-général,
ALEXANDRE. »
Instructions pour M. le chef d’escadron Galbois.
« Monsieur le chef d’escadron Galbois, vous partirez sur-le-champ pour vous rendre au quartier-général du duc d’Abrantès, à Augsbourg. Vous vous entretiendrez avec lui sur la situation de son corps d’armée, et vous lui demanderez les notes qu’il aura à vous remettre à l’égard de ce qui pourrait manquer à l’organisation arrêtée pour son armée, infanterie, cavalerie, artillerie, équipages du train, administration, ambulances, payeurs de l’armée ; vous verrez :
La 15e division du général Delzons, à Ratisbonne,
La 14e id. id. Broussier, à Nuremberg.
La 15e id. id. Pino, à Nordlingen.
La 3e division de cavalerie légère du général Kellermann, à Ratisbonne et Nuremberg.
La division de dragons du général Lahoussaye, à Augsbourg.
La 12e brigade de cavalerie légère du général Ferrière, à Augsbourg.
La 13e brigade de cavalerie légère du général Villatte, à Nordlingen.
La garde royale italienne à Augsbourg.
Les comandants du génie et de l’artillerie.
Vous causerez avec eux sur l’établissement de leurs troupes.
Si vous rencontrez des troupes sur votre route, vous questionnerez les chefs ; vous verrez si nos troupes tiennent une bonne discipline ; vous direz au maréchal et aux généraux, que l’empereur leur recommande instamment de se conduire dans le pays des princes de la Confédération, avec les mêmes égards qu’on aurait dans l’empire français. Vous chercherez à connaître l’esprit du pays ; enfin, vous vous mettrez à même de répondre à toutes les questions que l’empereur pourra vous faire à votre retour.
Paris, 9 mars 1812.
Le prince de Wagram et de Neufchâtel, major-général,
ALEXANDRE. »
[4] Le fac simile de cette lettre a été placé en tête de la biographie du prince royal, publiée par M. Ad. Pascal.
[5] M. le baron de Galbois a un fils, Eugène de Galbois, qui, à peine âgé de dix-huit ans, est allé le rejoindre en Afrique, et a fait avec lui la campagne des Portes de Fer. — N’étant point engagé encore, à cette époque, cette campagne ne compte pas dans ses services. Entré ensuite comme lancier au 2e régiment, il est actuellement fourrier.
Laisser un commentaire