Avant-propos sur les défrichements dans les montagnes de Franche-Comté, par Dupont (de Nemours) ; Journal de l’agriculture, du commerce et des finances, septembre 1765.
Défrichements dans les montagnes de la Franche-Comté.
Nous avons promis de rendre compte des opérations par le moyen desquelles MM. de … et de …, gentilshommes de la Franche-Comté, sont parvenus à introduire les prairies artificielles dans les montagnes de cette province, bailliage de Baume-les-Dames, qui ne produisaient auparavant que des herbes inutiles.
Le sol, sur lequel ces messieurs ont fait travailler, n’était pas infertile par lui-même, et la quantité de mauvaises herbes, qui y poussent naturellement, et qui ont plus d’une fois étouffé les sains-foins, trèfles, luzernes, etc., sont au contraire une preuve que le terrain, quoique mêlé de sable, comme on le verra ci-après, contenait cependant une grande abondance de sels et de principes de végétation.
Mais il restait d’autres obstacles à vaincre, le vent de nord presque continuel dans cette partie des montagnes de Franche-Comté était le plus redoutable ; car quant à la neige qui couvre la terre plusieurs mois de l’année, elle est plus effrayante et ennuyeuse à voir que nuisible à la culture, puisqu’au contraire elle dépose sur la terre un sel nitreux très propre à en augmenter la fécondité.
Un autre obstacle, de nature à rebuter ceux qui n’auraient pas su quel est l’effet du salaire pour animer les hommes, était le peu d’industrie des paysans du canton. Ces malheureux manquant de moyens pour faire aucune amélioration, étaient et devaient être très éloignés d’en former le projet, et par conséquent de le croire possible. Il fallait semer des richesses dans le pays pour y répandre l’activité ; car telle est la loi de la nature, que la dépense doit exciter et soutenir le travail, et précéder toujours la production des richesses que le travail fait naître.
Aussi les deux gentilshommes dont nous parlons n’ont rien épargné pour se mettre à portée de faire les avances primitives du travail qu’ils entreprenaient : ces avances consistaient principalement en achats d’outils et d’instruments, et en salaires de journaliers. Ils ont pour leurs premiers essais (d’abord infructueux) employé une partie de leurs revenus ordinaires ; ensuite quand ils ont voulu faire des opérations plus étendues, ils ont eu recours aux productions naturelles du sol pour augmenter leurs fonds d’avances. Ils ont donc fait construire des fours et convertir en charbon tous leurs bois qui en étaient susceptibles : le débit de ce charbon a complété les fonds nécessaires. Avec ces fonds dépensés à propos, ils ont animé l’industrie du paysan (auparavant inactif) jusqu’à le rendre capable de fabriquer lui-même des instruments nécessaires au défrichement. Ils ont fait peler la surface des terres, et cette croute de terre que l’on a fait brûler, ainsi que les racines des plantes et les broussailles, qu’elle contenait, a formé une cendre qui, par la fécondité de ses sels, a donné au sol le premier engrais dont il avait besoin. Ensuite pour mettre les semences à l’abri du vent de nord, ils ont élevé de distance en distance des murailles de terre et de gazon, et les entrepreneurs ne craignaient point de donner à leurs journaliers l’exemple de la constance à supporter les fatigues du travail et les injures de l’air.
Tant de dépenses et de travaux, ont enfin été récompensés du plus heureux succès qui a répandu une émulation générale dans le canton, au point que des communautés voisines sont venues, pour s’instruire, prier en corps les deux gentilshommes dont il s’agit de les faire travailler gratis.
….
Nous passerons sous silence le détail encore fort long des autres travaux qui se sont faits dans les métairies voisines. Ceux-ci nous paraissent plus que suffisants pour donner une idée des opérations que les deux gentilshommes dont nous parlons, ont fait exécuter, et pour faire voir 1°. qu’avec de la dépense, de l’industrie, de la patience et un travail opiniâtre, on vient à bout de tirer des productions utiles de terres qui jusqu’alors n’en avaient point rapportées. 2°. qu’un très bon moyen de défricher les terres est d’enlever le gazon et de le brûler pour servir d’engrais.
Nous souhaitons que les succès qu’ont éprouvé les deux patriotes agriculteurs, dont nous louons le zèle et l’activité bienfaisante, engagent les autres seigneurs à imiter leur exemple, et les habitants des autres terrains incultes du royaume à se livrer aux tentatives qui ont si bien réussi dans les montagnes de la Franche-Comté ; mais pour rendre l’exhortation plus persuasive, nous invitons MM. de … et de … à nous faire part du devis de leurs dépenses et de la valeur de leurs produits. Car ce n’est que sur la comparaison des états de dépenses et de produits que l’on peut asseoir un jugement solide en agriculture, et mettre les propriétaires en état de décider s’il vaut mieux défricher les terres nouvelles que d’améliorer la culture de celle qui sont déjà mises en valeur.
Laisser un commentaire