Paul Leroy-Beaulieu. Aux électeurs de l’arrondissement de Lodève. Élections législatives du 22 septembre 1889.
Élections Législatives du 22 septembre 1889.
Aux électeurs de l’arrondissement de Lodève
Mes chers concitoyens,
Le dimanche 22 septembre, vous êtes appelés à renouveler la Chambre des Députés.
Vous déclarerez, d’une manière décisive avec la France entière, si vous êtes contents des hommes qui vous gouvernent et des procédés de gouvernement depuis dix ans.
Voulez-vous que l’administration reste ce qu’elle est : aussi partiale, aussi vexatoire, aussi tyrannique, aussi dédaigneuse des intérêts publics, aussi dépensière, aussi ruineuse pour le pays, alors vous n’avez qu’à réélire un homme appartenant à la Chambre qui expire.
Mais si, dans le légitime souci de vos intérêts matériels et, d’autre part, dans votre dignité et votre amour-propre de citoyen, vous avez été mille fois atteints et frappés depuis dix ans, vous devez rejeter tout homme ayant appartenu à la majorité des deux dernières Chambres.
Depuis plus de dix ans, je lutte au milieu de vous, pour la défense de vos libertés, pour l’impartialité administrative, pour le bon ordre et l’économie dans les finances ; je combats le favoritisme, la tyrannie centrale et les tyrannies locales.
Rendant hommage à mes efforts, l’arrondissement de Lodève me donnait, en 1885, la majorité absolue des suffrages, et le scrutin de liste seul m’empêchait d’être votre élu.
Le scrutin d’arrondissement vous rend votre autonomie.
Électeurs,
Tous les citoyens patriotes ne doivent avoir qu’un but : fonder un gouvernement équitable et économe, qui, au lieu de s’appliquer à diviser de plus en plus la nation, s’efforce de la rassembler, d’en écarter tous les germes de discorde, d’en développer et d’en ménager toutes les ressources.
Il faut, par une large et sincère tolérance, rétablir la paix religieuse, faire cesser ces laïcisations brutales qui inquiètent les consciences et affligent toutes les âmes justes.
Il faut arriver, par une gestion prudente des finances publiques, à une diminution graduelle des impôts et à l’allègement progressif de notre énorme dette nationale.
Ayons les yeux ouverts sur l’avenir : l’industrie et l’agriculture sont écrasés de taxes.
Quelques années encore de ce gouvernement de gaspillage rendraient définitive et irrémédiable la déchéance de la France.
Mes chers concitoyens,
Je voterai la révision de la Constitution,
Je la voterai ; mais, j’entends que la Constitution nouvelle, à l’exemple de celle des États-Unis d’Amérique et de la République Suisse, garantisse d’une manière indestructible les libertés des citoyens français.
Pour que cette garantie soit effective, deux mesures sont surtout nécessaires.
C’est d’abord la création d’un grand pouvoir judiciaire, d’un jury tiré au sort dans la Cour de Cassation et dans les Cours d’Appel, pour remplacer tous les tribunaux des conflits, dans le cas de lutte entre un citoyen et l’administration, et pour prononcer, à la place du Sénat, corps politique suspect et intéressé, dans les cas de complot et d’attentat contre la sûreté de l’État.
Les tribunaux exceptionnels et politiques doivent disparaître : sinon, la liberté d’aucun citoyen n’est sérieusement garantie.
Il faut ensuite introduire en France la mesure démocratique connue sous le nom de Referendum. Elle consiste à consulter, quand une part déterminée d’électeurs le demande, tous les citoyens de la nation ou tous les citoyens d’une commune, toutes les fois qu’il s’agit d’une mesure importante et sur laquelle chacun peut aisément se prononcer.
C’est le frein, dont use la sage et prospère république Suisse, contre l’infatuation naturelle aux assemblées électives.
Mes chers compatriotes,
Les intérêts agricoles de notre région méridionale, les intérêts industriels de nos villes de Lodève et de Clermont, ont été particulièrement négligés par les législatures récentes.
Les Membres de la Chambre de 1881 ont inséré dans les traités de Commerce des clauses qui, en admettant à un droit infime les vins exotiques vinés à 13 degrés 9, ont donné une prime énorme à la viticulture étrangère et lui ont absolument sacrifié la viticulture nationale. Ils n’ont su ou voulu prendre aucune précaution efficace contre les abus de la fabrication des boissons de raisins secs.
Comme Président du Syndicat des Viticulteurs de France, j’ai sans cesse protesté contre un état de choses qui ruine nos populations méridionales. Je serai, à la Chambre, l’interprète de vos légitimes revendications.
Vos industries n’ont pas été moins atteintes que votre agriculture. Le gouvernement, qui est le principal client des villes de notre arrondissement, est resté sourd aux plaintes de nos populations ouvrières ; sans souci de l’avenir, il laisse disparaître des centres traditionnels de fabrication dont les services ont été si utiles dans la guerre de 1870-1871.
L’arrondissement de Lodève, appauvri, dépourvu de tout, abandonné, n’a tiré aucun secours des députés opportunistes que, depuis douze ans, il a envoyés à la Chambre.
Électeurs,
Consultant et les intérêts généraux de la nation, et les intérêts particuliers de l’arrondissement de Lodève, vous romprez avec ce lamentable passé.
Vous me connaissez ; je vis au milieu de vous ; je suis propriétaire parmi vous ; tous mes liens d’affection et de famille m’unissent étroitement à votre territoire.
Il y a quelques semaines, l’un de vos cantons, malgré une pression administrative inouïe, m’élisait, pour la troisième fois, à une grande majorité, Conseiller Général.
Le 22 septembre, vous protesterez contre les hommes qui considèrent la France comme une proie. Vous voudrez assurer à notre pays la Liberté, l’Impartialité et l’Économie Administrative.
J’attends avec confiance votre suffrage, sûr de vos sympathies, comme vous êtes sûrs de mon dévouement.
Paul Leroy-Beaulieu
Membre de l’Institut, — Professeur au Collège de France,
Conseiller Général de l’Hérault.
Montplaisir près Lodève, le 10 septembre 1889.
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