Gustave de Beaumont, Aux électeurs de la 4e circonscription électorale de la Sarthe. Instruction pour le vote des 31 mai et 1er juin (1863)
AUX ÉLECTEURS DE LA 4E CIRCONSCRIPTION ÉLECTORALE DE LA SARTHE
INSTRUCTION POUR LE VOTE DES 31 MAI ET 1ER JUIN
I.
À la veille du scrutin national, on ne saurait trop répéter aux électeurs :
QUE LE VOTE EST LIBRE;
Qu’il est ESSENTIELLEMENT SECRET.
CEUX-LÀ MENTENT qui s’en vont disant aux gens des campagnes « que puisque le gouvernement a un candidat, l’on est bien obligé de voter pour lui. »
Le candidat du gouvernement est tout simplement un homme qui a la confiance de M. le ministre de l’Intérieur, ce n’est pas une raison pour qu’il ait toujours la confiance des populations. Les députés sont envoyés à la Chambre pour surveiller les actes du gouvernement, comme les conseillers municipaux surveillent les actes des maires. Que dirait-on d’un maire qui voudrait nommer lui-même tout son conseil municipal ?
« Le suffrage est libre », écrivait aux préfets, le 8 mai dernier, M. le ministre de l’Intérieur.
Si donc des agents subalternes cherchent à peser sur la liberté des votes, sachez que l’administration supérieure les DÉSAVOUE.
Et la loi fait mieux : ELLE LES CHÂTIE.
Art. 39 de la loi du 2 février 1852 :
« Ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un électeur, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou D’EXPOSER À UN DOMMAGE SA PERSONNE, SA FAMILLE OU SA FORTUNE, l’auront déterminé à s’abstenir de voter ou auront influencé son vote, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 100 à 1 000 fr. ; LA PEINE SERA DU DOUBLE SI LE COUPABLE EST FONCTIONNAIRE PUBLIC ».
Électeurs que l’on chercherait à prendre par l’intérêt ou par la peur, — cultivateurs que les procès-verbaux intimident, — aubergistes et cabaretiers qui redoutez la fermeture, — fonctionnaires menacés de destitution, voyez à quoi s’exposeraient ceux qui voudraient vous effrayer. Un an de prison, mille francs d’amende si c’est un simple citoyen ; DEUX ANS DE PRISON, DEUX MILLE FRANCS D’AMENDE, si c’était un sous-préfet, un maire, un percepteur, un commissaire de police, un gendarme, un garde champêtre.
Mais c’est surtout le secret du vote qui garantit votre liberté.
Que peut craindre celui dont le vote reste enfermé dans le secret de sa conscience ?
Or, il est un moyen bien simple de ne faire connaître son vote à âme qui vive, c’est d’arriver au scrutin, comme la loi l’ordonne, avec son bulletin préparé d’avance, et plié soigneusement.
LA LOI DÉFEND AUX MAIRES :
D’interpeller les électeurs sur la teneur de leur vote.
De mettre dans les mains des électeurs les bulletins du candidat officiel.
D’ouvrir les bulletins qu’on leur remet fermés.
De recevoir les votes à bulletins ouverts.
II.
La loi ne protège pas seulement l’indépendance de l’électeur et la liberté du vote ; elle assure, par des règles précises et rigoureuses, la régularité des opérations électorales et la sincérité du résultat.
Voici les principales de ces règles, celles qu’il n’est permis à personne d’ignorer. Elles se rapportent à la durée des opérations électorales, — à la formation du bureau, — aux dispositions intérieures de la salle, — à la boîte où les votes sont reçus, — au dépouillement.
Durée du scrutin.
Le scrutin sera ouvert pendant deux jours : le dimanche 31 mai, depuis huit heures du matin jusqu’à six heures du soir ; le lundi 1er juin, depuis huit heures du matin jusqu’à quatre heures du soir.
Le vote serait nul, s’il était changé quelque chose à ces heures par une autorité quelconque.
Bureau.
C’est le bureau qui reçoit les votes, — qui veille à la loyauté du scrutin et à l’exécution de la loi, — qui statue provisoirement sur toutes les difficultés qui se rencontrent, — qui prend note des réclamations des électeurs, — qui, enfin, selon les cas, fait lui-même le dépouillement du scrutin, ou, pour le faire, désigne les scrutateurs.
Plus les attributions du bureau sont importantes, plus il est nécessaire qu’il soit formé régulièrement.
Un bureau composé d’avance serait illégalement formé ; c’est dans la salle du vote, portes ouvertes, après huit heures du matin, qu’on le constitue :
Il y a un président, quatre assesseurs, un secrétaire.
La présidence appartient de droit au maire et à ses adjoints, les assesseurs sont pris parmi les membres du conseil municipal qui savent lire et écrire, et suivant l’ordre du tableau. À défaut de conseillers municipaux, ce sont les deux plus âgés et les deux plus jeunes des électeurs présents à l’ouverture.
Le secrétaire est choisi par le président et ses assesseurs parmi les mêmes électeurs présents.
C’est aux électeurs indépendants de se trouver là à la première heure, pour courir les chances d’être du bureau comme assesseur ou comme secrétaire.
Dispositions de la salle.
Que l’accès en soit toujours ouvert aux électeurs ; — qu’autour de la table où sont reçus les votes les électeurs puissent circuler librement en surveillant tout à leur aise.
On doit trouver, sur la table du bureau, tant que dure le scrutin, 1° une copie de la liste des électeurs ; 2° un tableau contenant les noms des candidats qui ont déposé leur nom à la préfecture, les seuls pour qui l’on peut voter.
Rigoureusement, il ne devrait y avoir que ces deux pièces sur le bureau.
On a le tort d’y ajouter presque toujours des bulletins de candidature, et surtout d’y étaler les bulletins de l’administration, à l’exclusion de tous les autres. C’est un péril pour le secret du vote.
En pareil cas, exigez qu’on enlève les bulletins privilégiés, ou tout au moins qu’on place à côté d’eux les bulletins des autres candidats.
Boîte du scrutin.
La forme de la boîte importe peu. L’essentiel est qu’elle puisse être hermétiquement fermée, et qu’elle porte deux serrures, ouvrant au moyen de deux clés différentes.
En commençant les opérations, le premier jour, le président doit s’assurer, en présence des électeurs assemblés, que la boîte ne renferme aucun bulletin et qu’elle ne peut en recevoir que d’un seul côté. Il la ferme ensuite par ses deux serrures, et les deux clés restent, l’une entre les mains du président, l’autre entre les mains du scrutateur le plus âgé.
Quand on suspend le vote, à la fin du premier jour, la boîte doit être scellée ; voici comment l’on procède :
On applique sur toutes les ouvertures et même sur les simples fissures, de fortes bandes de papier, revêtues du sceau de la Mairie. Ainsi fermée, l’urne est déposée dans une salle soigneusement close : on appose aux portes et aux fenêtres le même sceau sur d’autres bandes scellées de même.
À côté des scellés de la mairie, tout électeur a, pour son propre compte, le droit d’apposer son cachet.
Avec des scellés apposés le dimanche soir, vérifiés avec soin le lundi matin, la violation nocturne du scrutin, si elle est encore possible, ne sera jamais inaperçue. Elle n’échappera pas à cette peine terrible de l’art. 47 :
« La violation du scrutin faite, soit par les membres du bureau, soit par les agents de l’autorité préposés à la garde des bulletins non encore dépouillés, sera punie DE LA RÉCLUSION. »
Dépouillement.
Le dépouillement du scrutin se fait aussitôt après sa fermeture.
Le bureau dépouille lui-même, là où il y a eu moins de 300 votants. Dans les collèges plus nombreux, il désigne des scrutateurs parmi les électeurs présents, sachant lire et écrire.
On compte d’abord les bulletins qui sont contenus dans l’urne. On vérifie si leur nombre est égal à celui des électeurs portés comme votants sur la liste par les membres du bureau. Puis les tables de scrutateurs se partagent les bulletins ; l’un d’eux lit chaque bulletin à haute voix et le passe à un autre ; les noms portés sur les bulletins sont relevés sur des listes préparées à cet effet.
PÉNALITÉ : Art. 35. « Quiconque étant chargé dans un scrutin de recevoir, compter ou dépouiller les bulletins contenant les suffrages des citoyens, aura soustrait, ajouté ou attiré des bulletins ou lu un nom autre que celui inscrit, sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 500 fr. à 5 000 fr. »
III.
Pour assurer la régularité des opérations électorales, la liberté du vote, la loyauté du scrutin, les électeurs ont :
1° Le droit de poursuite ;
2° Le droit de protestation.
S’il se présente des irrégularités électorales qui constituent des délits : poursuivez-les, soit en dénonçant leurs auteurs au parquet, soit en les citant directement devant le Tribunal correctionnel.
Et dans ce cas, la poursuite correctionnelle, loin de faire obstacle à la protestation, la fortifie sensiblement.
Mais pour les irrégularités qui ne constituent pas des délits, et qui peuvent seulement entraîner la nullité de l’élection : contentez-vous de la protestation.
La protestation peut émaner d’un seul électeur comme de plusieurs : elle tend à faire annuler le scrutin ; elle dénonce une violation de la loi, une atteinte à la liberté électorale, à la sincérité de l’élection.
Elle est adressée AU CORPS LÉGISLATIF, QUI EN EST LE SEUL JUGE, et qui pourra, suivant les cas, faire une enquête ou prononcer la nullité de l’élection.
Prenons quelques exemples, : si l’intimidation, la corruption, les abus d’autorité ont été mis au service de certaines candidatures ; si certaines autres ont été entravées ; si on a emprisonné des distributeurs, déchiré des affiches, lacéré des bulletins : c’est le cas de PROTESTER
Si la force armée envahit les abords du scrutin, que les agents de l’autorité forment, aux portes de la salle, des groupes indiscrets ou menaçants, que le secret des votes ne soit pas respecté, qu’instituteurs, gendarmes, gardes champêtres obsèdent la liberté des électeurs : PROTESTEZ.
Si le bureau électoral a été constitué à l’avance, en dehors de l’assemblée, ou avant l’heure réglementaire : PROTESTEZ.
Si le maire interpelle les électeurs sur leur vote, ouvre les bulletins qu’on lui remet fermés, reçoit des bulletins ouverts : PROTESTEZ.
Si le maire ajoute d’office des bulletins dans l’urne, au nom des électeurs absents : PROTESTEZ.
S’il n’y a sur le bureau que des bulletins de l’administration, qu’on refuse d’y admettre sur le pied de l’égalité les bulletins des candidats indépendants, qu’on distribue dans l’intérieur de la salle les bulletins du candidat du gouvernement : PROTESTEZ, PROTESTEZ.
Mais comment proteste-t-on?
Il y a deux sortes de protestations : 1° celles qui se font en dehors de l’assemblée électorale ; 2° celles qui sont insérées au procès-verbal.
1° Celles de la première espèce se font à peu près dans la forme que voici :
Les électeurs soussignés, appartenant au …. collège du département de N…, protestent contre l’élection de M… et demandent la nullité des opérations dudit collège par les motifs suivants :
Suivra le récit des faits, aussi précis, aussi détaillé qu’il sera possible. L’important est d’indiquer des témoins et de recueillir un bon nombre de signatures, que l’on fera, si l’on peut, légaliser en due forme.
2° Mais lorsque les faits se seront passés au cours des opérations électorales ou aux abords de la salle du scrutin, faites insérer votre protestation au procès-verbal.
Le procès-verbal, tenu par le secrétaire, sous la surveillance des membres du bureau, doit contenir le récit fidèle de toutes les opérations électorales.
Vous avez donc le droit d’y faire mentionner tout fait, tout incident, qui vous paraît entacher la validité de l’élection et la sincérité du vote.
Par exemple : un membre du bureau ouvre les bulletins qu’on lui remet fermés : vous vous levez et vous dites : « Je proteste contre la violation du secret des votes, et je requiers l’insertion de ma protestation au procès-verbal. » Et ainsi de suite.
L’insertion au procès-verbal est de droit. Si pourtant on vous la refuse, réclamez avec énergie dans l’intérieur même de l’assemblée, et protestez, en dehors, par écrit, en indiquant des témoins, et en recueillant le plus grand nombre de signatures possible.
Gustave de BEAUMONT.
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