Par Richard Ebeling*
Traduit par Pierre Lonchampt, Institut Coppet
Un sophisme fondamental de notre époque est que la démocratie serait le sésame universel vers la paix, la liberté et la prospérité. Les élections récentes en Ukraine, Irak et Arabie Saoudite, ou l’élection présidentielle contestée à venir en Égypte, sont montrées du doigt comme preuve d’une aube nouvelle pour l’humanité. Et peut-être le sont-elles en effet. Mais la démocratie en elle-même ne définit ni ne garantit une société libre.
L’Histoire nous a montré de nombreux exemples de sociétés démocratiques ayant dégénéré en corruption, pillage ou tyrannie. Le mois d’avril marque les 60 ans de la mort d’Hitler dans les ruines de Berlin alors que la Seconde Guerre mondiale se terminait en Europe. Cela mérite de se remémorer le succès populaire que les deux partis nazi et communiste ont connu en Allemagne au début des années 1930 durant le crépuscule de la République de Weimar. Lors des élections nationales allemandes du 31 juillet 1932, le Parti national-socialiste d’Hitler a émergé comme le parti le plus représenté au Parlement (bien qu’en deçà de la majorité des sièges), tandis que le Parti communiste arrivait facilement troisième derrière les sociaux-démocrates. Lors des dernières élections libres, avant qu’Hitler n’arrive au pouvoir en janvier suivant, les nazis ont perdu des sièges mais étaient toujours le parti le plus représenté alors que les communistes conservaient leur troisième place en gagnant des sièges sur les sociaux-démocrates.
Ni les nazis ni les communistes n’étaient timides pour dire aux électeurs allemands ce qu’ils prévoyaient de faire s’ils arrivaient au pouvoir. En effet, l’économiste autrichien Ludwig von Mises observait en 1926 que beaucoup d’Allemands « misaient tout leur espoir sur l’arrivée de « l’homme fort » – le tyran qui pensera pour eux et prendra soin d’eux ». Les hommes ont vendu leur liberté, par le biais d’une urne, lorsqu’ils ont été séduits par les promesses d’un paternalisme politique.
Dans le monde d’aujourd’hui, et plus particulièrement en Europe occidentale et en Amérique du Nord, de telles formes de tyrannie n’attirent pas la plupart des gens. Peu sont prêts à se débarrasser par le vote de leur liberté en échange d’une utopie totalitaire. Non, aujourd’hui, les gens veulent juste utiliser l’État pour se piller mutuellement à travers l’intervention du gouvernement et la redistribution contrainte d’une assistance sociale. Ce qui se pratique dans les nations démocratiques du monde est ce que l’économiste italien Vilfredo Pareto appelait en 1896 le « socialisme bourgeois » – l’utilisation de l’État par une large gamme de groupes d’intérêt particuliers pour le protectionnisme des échanges, des aides et subventions, des manipulations monétaires et des régulations domestiques pour étouffer la compétition. De plus, Pareto a compris il y a plus d’un siècle ce que les théoriciens du choix public du vingtième siècle en viendront à appeler les « incitations asymétriques », résultant d’une concentration des bénéfices et d’une diffusion des coûts soulevés par une intervention du gouvernement dans un système démocratique :
« En un pays d’une trentaine de millions d’habitants, supposons que sous un prétexte quelconque, on propose de faire payer un franc par an à chaque citoyen et de distribuer la somme totale entre trente personnes. Chacun des spoliés payera un franc par an, chacun des spoliateurs recevra un million. L’action va être fort différente des deux côtés. Les personnes qui espèrent gagner un million par an n’auront de repos ni le jour ni la nuit. Elles serviront aux journaux des « mensualités » et chercheront à se faire partout des partisans. Une main discrète payera les traites en souffrance des législateurs besogneux, voire même des ministres. Aux États-Unis on n’emploie pas ces voies détournées, les contrats s’y traitent au grand jour. Il y a une bourse des votes, comme il y a des bourses du coton et du blé. Du côté des spoliés, l’activité est bien moindre. Pour faire une campagne électorale il faut de l’argent, or il y a des difficultés matérielles insurmontables qui s’opposent à ce qu’on aille demander quelques centimes à chaque citoyen. […] Mais l’individu qui est menacé de perdre un franc par an, même s’il se rend compte de la chose, n’ira pas pour si peu perdre l’occasion d’une partie de campagne, se brouiller avec des amis utiles ou sympathiques, se mettre à dos le préfet et le maire ! Dans ces conditions la fin n’est pas douteuse et elle sera favorable aux spoliateurs. »
Ce à quoi nous aboutissons est, en d’autres termes, un système de spoliation démocratisé, sous lequel, comme le disait Bastiat, tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde.
Il est nécessaire de se rappeler que la démocratie, en elle-même, n’est rien d’autre qu’un mécanisme contrôlant le choix pacifique des responsables politiques. En tant que telle, elle est certainement supérieure aux révolutions et aux guerres civiles. Comme cela a souvent été dit, la démocratie remplace les balles par des urnes. Son importance inestimable pour ce rôle ne devrait jamais être sous-estimée ou oubliée.
Rien d’autre qu’un mécanisme
Mais la démocratie n’est pas la liberté. Le sens du mot liberté a été expliqué par le libéral classique français Benjamin Constant lors d’une conférence célèbre délivrée en 1819, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes.
Messieurs, demandez-vous d’abord ce qu’un anglais, un français, ou un américain entend par le mot « liberté ». Pour chacun d’eux, cela consiste en le droit de n’être sujet que par la loi, et de n’être ni arrêté, emprisonné ou tué, ou maltraité de quelque façon que ce soit par la volonté arbitraire d’un ou plusieurs individus. Chacun a le droit d’exprimer son opinion, de choisir et pratiquer une profession, d’user et même d’abuser de sa propriété ; d’aller et venir sans permission, et ce sans devoir se justifier ni de ses motifs ni de ses actes. Chacun a le droit de s’associer avec d’autres individus pour discuter de leurs intérêts, pratiquer la religion de leur choix, ou plus simplement occuper leur temps de la façon qui satisfait au mieux leurs volontés et désirs. Enfin, chacun a le droit d’exercer une certaine influence sur l’administration du gouvernement, soit par l’élection de tous ou de certains élus, ou par la représentation, les pétitions, des demandes auxquelles les autorités sont plus ou moins obligées de prêter attention.
Constant, nous le voyons, pensait que l’élément essentiel de la liberté était la capacité à participer au processus politique, avec des élus qui soient redevables aux citoyens. Mais la « démocratie » n’est pas l’ingrédient central de la liberté humaine. Cet ingrédient, c’est la liberté d’un individu de se gouverner lui-même.
Par extension, cet individu doit laisser tous les autres libres de faire de même. Sa relation avec eux doit être basée sur le consentement, sans restriction ou régulation de la part du gouvernement.
Le rôle du gouvernement est de garantir à l’individu sa liberté vis-à-vis de toute violence ou d’interférence coercitive ; de protéger sa vie, sa liberté et sa propriété contre toute agression. Lorsqu’il [le gouvernement] va plus loin, la liberté de l’individu s’en retrouve réduite, même si ce gouvernement a été choisi démocratiquement.
* Source : //www.fee.org/the_freeman/detail/beware-democracy-without-liberty/#axzz2JtbFkiT6
La démocratie est par nature un système collectiviste.
Un livre excellent sur le sujet : //beyonddemocracy.net/
La version française à venir : //depasserlademocratie.fr/
” La compétition pour l’exercice du pouvoir, c’est-à-dire la démocratie politique, paraît, à la longue, incompatible avec le libéralisme économique. La plus grande erreur des libéraux, me semble-t-il, est d’avoir cru que le libéralisme politique et le libéralisme économique allaient de pair. Je pense que le libéralisme politique, si on définit ainsi le système électoral, parlementaire, de compétition pour l’exercice du pouvoir, conduit de manière presque fatale à un système d’économie partiellement dirigée et partiellement socialiste. Personnellement, je crois que si l’on voulait, à l’époque moderne, avoir un système économique libéral tel que le souhaitent M. von Hayek ou M. Jacques Rueff, il faudrait la dictature politique”
Raymond Aron. Je rappelle que Raymond Aron préférait largement le libéralisme politique. Avoir vécu en guerre mondiale et à l’époque des véritables dictatures communistes et fascistes, ça vous vaccine contre les bêtises du genre de cet article.