Alain Laurent, Histoire de l’individualisme (1993)

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L’individualisme repose avant tout sur la conviction que l’humanité est composée non pas d’abord d’ensembles sociaux (nations, classes…) mais d’individus : d’êtres vivants indivisibles et irréductibles les uns aux autres, seuls à ressentir, agir et penser réellement.

Cette conception qui nous est aujourd’hui familière constitue l’aboutissement d’une longue évolution des idées. Quelle est son histoire ?

Des philosophes grecs au XIXème siècle en passant par les Lumières, Alain Laurent nous emmène sur les traces d’une découverte, la découverte de l’individu. Les premières traces apparaissent par exemple avec le « Connais-toi toi-même ! » de Socrate, le salut de l’âme personnelle chez les Chrétiens, au Moyen-âge la thèse nominaliste selon laquelle il n’existe en général que des êtres singuliers tandis que les ordres et les groupes par lesquels nous les désignons ne sont que des noms.

A la Renaissance, une nouvelle figure individualiste prend son essor : l’entrepreneur, le marchand, le banquier, aventurier intrépide mû par son intérêt individuel. En même temps, la Réforme individualise encore plus la religion, rendant chacun responsable des conséquences de ses actions, et en particulier de son propre salut. Les philosophes des Lumières s’emparent de l’individu pour souligner son autonomie, son aptitude à la raison, sa position comme atome constitutif de la société, et – finalement – ses droits absolus et inaliénables face aux tyrans.

Cette évolution débouche sur une multitude de variantes de l’individualisme au XIXème siècle. Pour Tocqueville, il s’agit d’« un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ». Pour Guizot, c’est une réponse à une question de philosophie politique : « La société est-elle faite pour servir l’individu ou l’individu fait pour servir la société ? » Le champ des activités soumises au libre choix de l’individu s’élargit. Ainsi en est-il de la religion pour en faire une affaire privée, du commerce qui doit laisser la place au libre-échange, ou des mœurs les plus anticonformistes.

Dans le même temps, l’émancipation de l’individu suscite autant de réactions d’hostilité. Ironiquement, ces dernières donnent naissance au terme d’ « individualisme » qui est initialement péjoratif et utilisé par ses adversaires pour dénigrer une évolution qu’ils rejettent. C’est la possibilité même de l’individu qui est niée : seule existe la collectivité, l’humanité, le « grand tout ». De nouvelles totalités transcendantes apparaissent au fil du temps avec la nation, la race, les corporations, et le paroxysme anti-individualiste sera atteint avec les socialismes et les totalitarismes du XXème siècle.

Jusqu’à ce jour, le débat continue, entre les libertariens américains, irréductibles défenseurs de l’autonomie de l’individu, et leurs adversaires partisans du sociologisme, et de toutes les théories de la prédétermination de l’individu par son milieu familial, social ou économique. Avec Raymond Aron, Alain Laurent semble nous demander : « Pourquoi le mot d’ordre de la liberté de l’individu, après des années de collectivisme rampant, ne retrouverait-il pas sa fraîcheur ? »

Lectures complémentaires :

“L’individualisme méthodologique”, séminaire d’Alain Laurent le 20 janvier 2011
Yves Guyot, La démocratie individualiste (1907)
Ecole française : les individualistes
L’auteur : Alain Laurent sur Wikibéral

TABLE DES MATIÈRES
Introduction – Le paradigme de la civilisation occidentale
Chapitre I – Une longue gestation: de Socrate à Montaigne
Chapitre II – L’irruption : la « révolution copernicienne » de l’individu (XVIIe et XVIIIe siècles)
Chapitre III – L’émancipation concrète : les individualismes (XIXe siècle)
Chapitre IV – Contestation : la double tradition anti-individualiste
Chapitre V – L’individualisme radical des libertariens américains
Chapitre VI – La consécration : retour de l’individu et individualisme démocratique (XXe siècle)
Conclusion – Une histoire toujours recommencée
Bibliographie

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9 Réponses

  1. Francisco d'Anconia

    Je comprends pourquoi ce texte n’a pas été réédité. Il mériterait une réécriture sévère au moins sur le chapitre médiéval. S.Thomas ne mérite pas l’opprobre de l’auteur, et Ockham encore moins ses éloges.

    S.Thomas d’Aquin est sans conteste le premier des deux à fonder les droits absolus de la conscience, et bien des contemporains n’en croiront pas leurs yeux en lisant : « Croire en Jésus Christ est bon par soi et nécessaire au salut; mais la volonté ne s’y porte que sur la proposition de la raison. Donc, si cette foi est présentée comme un mal par la raison, la volonté s’y portera comme vers un mal, non qu’elle soit mauvaise par soi, mais seulement par accident, d’après l’idée que la raison s’en est faite. […] Il résulte donc de tout cela que, de soi, toute volonté qui n’obéit pas à la raison, que celle-ci soit droite ou dans l’erreur, est toujours mauvaise” (Ia IIac q. 19 art. 5).
    D’autre part, il ne fait preuve d’aucune ambiguïté dans sa justification de la propriété privée, et ses arguments ont été repris mot pour mot par bien des économistes autrichiens.

    Quand à Ockham, il fonde un individualisme bien fragile. D’abord sa doctrine de la toute-puissance absolue de Dieu laisse le monde créé dans un état de pure contingence, réduisant le droit au fait. Ensuite il laisse l’homme seul fasse à l’empereur, le privant du droit d’appel à une autorité spirituelle quand ses droits sont bafoués. La fortune de sa doctrine auprès des princes son l’époque montre combien elle les arrangeait ! Ockham tombe certainement sous la critique de Hayek dans “Vrai et faux individualisme”.

    Salutations,
    F.A.

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