Dictionnaire de la tradition libérale française, par Benoît Malbranque
ABOLITION, ABOLITIONNISTES. Sur le mouvement d’abolition de l’esclavage, et la participation préalable des libéraux aux sociétés des amis des Noirs, voir Esclaves-Esclavage. On trouve encore des considérations se rapportant à l’abolition de l’esclavage dans la partie consacré à ceux qu’on appelle « Noirs », dans Races-Racisme. Quant au sens restreint de l’abolition de la police des mœurs, il en est question à l’article général sur la Prostitution.
Je me contenterai ici d’un propos général.
Le libéralisme s’étant en très large partie construit en opposition aux tendances larges de l’interventionnisme et du socialisme d’État, dont les meilleurs spécialistes consentent à en observer les premières grandes manifestations dès les premières « races » de la monarchie française, il était naturel que son programme soit plus négatif que positif, et que ses grands représentants aient davantage ambitionné d’abolir que d’édifier. D’après les premiers maîtres du libéralisme, il faut laisser faire la nature et cesser d’intervenir pour en conduire le cours. En un sens, donc, tout le libéralisme est proprement abolitionniste. Au ministère, Turgot se signale par des édits de suppression, comme celui qui rase de dessus la terre les corps de métiers ou Corporations. De même, l’essentiel de l’œuvre libérale de la Révolution française, sous la Constituante notamment, est à ranger dans cette catégorie des abolitions, et répond à cette ambition. Au XIXe siècle, en restreignant les bornes légitimes du pouvoir, Benjamin Constant donne à la politique un caractère essentiellement négatif. « Je ne propose que des choses négatives », dit-il dans une note manuscrite (Œuvres complètes, t. V, p. 830.) Quelques décennies plus tard, le grand combat de Frédéric Bastiat est d’abolir les protections douanières, et quand il publie ses célèbres Sophismes économiques (1845), il les range sous la devise suivante de Bentham : « en économie politique il y a beaucoup à apprendre et peu à faire ». Enfin, les représentants de la dernière génération de la tradition libérale française devront lutter contre la tendance contraire, et la politique du « Il faut faire quelque chose », défendue par les interventionnistes de tout bord. « Je crois que les grandes réformes ont surtout consisté à détruire quelque chose de vieux », soutiendra Yves Guyot dans la question des accidents du travail, dont il sera question plus loin. « Je n’approuve pas du tout une politique édificatrice tendant toujours à créer de nouvelles organisations, qui aboutissent forcément à augmenter les attributions de l’État. » (Congrès international des accidents du travail, etc., 1895, p. 169.)
L’abolition des restrictions, règlements et institutions qui représentent à proprement parler des Abus (voir ce mot), peut toutefois être menée de diverses manières, et porter plus ou moins loin. Dans ce cadre s’inscrit la discussion sur les Concessions, les accommodements, et le pragmatisme, rassemblés dans un article, sous le premier de ces mots. La grande discussion sur les Attributions de l’État voit aussi s’affronter différentes franges du libéralisme, plus ou moins sévèrement abolitionnistes ou interventionnistes ; il en va de même de l’Anarchisme, qui qualifie l’abolition pure et simple de l’État, mais dont on cherche en vain les véritables promoteurs au sein du libéralisme français.
Fermement abolitionnistes, dans le sens rattaché à l’affranchissement des esclaves, les libéraux ont aussi défendu sur cette question des positions variées. Gustave de Molinari, par exemple, a consacré de nombreux textes à la critique des méthodes par lesquelles l’émancipation des Noirs avait été obtenue dans les îles à esclaves, aux États-Unis ou plus tard au Brésil. (Voir Esclaves-Esclavage.)
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