À MESSIEURS LES ÉLECTEURS
DE L’ARRONDISSEMENT DE SAINT-CALAIS
(SARTHE)
Messieurs et chers compatriotes,
Les arrondissements de Saint-Calais et de Mamers m’ont honoré d’un double mandat. Obligé par la loi à un choix que je voudrais n’avoir point à faire, j’ai opté pour Mamers. J’ai tort de dire que j’ai opté : j’étais lié aux électeurs de Mamers par trois élections successives ; je n’avais pas la libre disposition de moi-même. Ils ont eu la bonté de me témoigner par les plus vives instances le désir de me conserver : je suis resté à eux ; je leur appartenais.
Ai-je besoin de vous dire les regrets que j’éprouve ? Chacun de vous ne sait-il pas les liens de famille, les relations d’amitié, tous les intérêts qui m’attachent si étroitement à l’arrondissement de Saint-Calais, où je suis né, dans lequel je suis destiné à passer et à finir mes jours ? Chacun de vous n’a-t-il pas été témoin de cette élection de Saint-Calais, si spontanée, si patriotique, si pure, qui nous a donné des émotions si vives, et que rien ne peut effacer ? Si tout le monde s’en souvient, comment pourrais-je, moi, l’avoir oublié ? Non : aucun de vous ne peut douter de mes sentiments intimes : mais tous aussi vous comprenez le devoir rigoureux sous l’empire duquel j’ai agi. Ce devoir est le plus sacré de tous : c’est celui de la reconnaissance. Nul d’entre vous, j’en suis sûr, ne voudrait me voir coupable d’ingratitude envers nos honorables concitoyens de l’arrondissement voisin, qui, après m’avoir adopté, ont bien voulu me dire qu’ils attachaient du prix à me garder pour leur mandataire. Messieurs, en considérant ce qui s’est passé, on pourra me plaindre ; mais je suis sûr que personne parmi vous ne me blâmera.
Maintenant, Messieurs, est-il vrai que je ne puisse être le député de Mamers, sans cesser d’être à vous ? Je proteste, Messieurs, contre cette conséquence de mon option. Quoi qu’il arrive, j’ose le dire, je suis et je demeurerai toujours honoré de vos suffrages, jaloux de m’en montrer digne, plein de zèle pour vous prouver ma profonde reconnaissance et mon entier dévouement. Le lien qui nous unit a été scellé dans la mémorable journée du 2 août. Ce lien est désormais indissoluble : il ne dépend pas d’une formalité d’option de le faire cesser.
Un homme éminent qui depuis quinze ans, dans la guerre d’Afrique, s’est couvert de gloire, qui a déjà rendu au pays d’éclatants services, et qui est destiné peut-être à en rendre de plus grands encore dans le parlement, où il manque, M. le général Lamoricière, serait fier d’être votre représentant autant qu’il est digne de l’être. Me permettez-vous, Messieurs, de l’indiquer à vos suffrages ? Pardonnerez-vous la liberté qu’ose ainsi prendre celui que vous avez investi de votre confiance, et qui croit n’y pouvoir mieux répondre qu’en vous conviant à élire un homme dont le choix vous honorera autant que vous l’honorerez lui-même ? Permettez-moi d’ajouter, Messieurs, que si le général Lamoricière, qui est mon ami particulier, devient votre député, ce sera un lien de plus entre vous et moi ; j’ose dire qu’au lieu d’un représentant vous en aurez deux, étroitement unis ensemble, dont la seule rivalité sera celle du bien public à défendre, et de vos légitimes intérêts à servir.
Du reste, Messieurs, ce que je vous dis ici en quelques mots, j’irai très prochainement vous l’exprimer de vive voix ; bientôt je serai au milieu de vous : nous conférerons ensemble de la chose publique et des affaires du pays ; et dans le moment où l’on croit que nous nous séparons, nous ferons bien voir que nos liens sont plus étroits que jamais.
Veuillez, Messieurs et chers compatriotes, agréer de nouveau l’expression de la vive gratitude et de la haute considération de votre très humble et très obéissant serviteur,
GUSTAVE DE BEAUMONT
Paris, 3 septembre 1846.
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