Gustave de Beaumont, À Messieurs les électeurs de l’arrondissement de Mamers (Sarthe) (7 décembre 1839).
À MM. LES ÉLECTEURS DE L’ARRONDISSEMENT DE MAMERS (SARTHE).
Messieurs,
Je suis informé qu’un grand nombre d’électeurs de cet arrondissement m’ont de leur propre mouvement désigné à la confiance de leurs concitoyens pour les représenter à la Chambre. Ai-je besoin de déclarer que si vous me faisiez l’honneur de me conférer ce glorieux mandat, je serais aussi fier de le recevoir que je mettrais de zèle à le remplir ?
Je sens vivement de quel prix il serait pour moi de siéger à la Chambre au nom d’un arrondissement qui, sans compter le respectable représentant qu’une mort prématurée vient de lui enlever, a eu de si dignes et même de si illustres mandataires !
Qu’il me soit permis d’abord de remercier ceux qui m’ont ainsi convié à remplir un poste auquel je n’eusse point de moi-même osé prétendre ! Je dois aussi mes premiers remerciements à ceux de mes concitoyens d’un arrondissement voisin qui, dans une circonstance encore récente, se sont efforcés de me porter à la Chambre, et qui, sans y réussir, m’ont du moins donné par de nombreux suffrages un éclatant témoignage d’estime dont aujourd’hui encore je recueille le fruit.
Messieurs, la bienveillance avec laquelle plusieurs d’entre vous ont mis en avant ma candidature me donne la confiance que mes principes politiques vous sont connus. Tels je les ai précédemment exprimés, tels ils sont encore aujourd’hui. Le premier de tous à mes yeux est de n’en pas changer. Permettez-moi cependant, Messieurs, de vous dire en quelques mots comment j’envisage la situation politique dans laquelle nous nous trouvons présentement. Je sais que les antécédents d’un homme, ses actes, l’opinion que témoignent de lui ses concitoyens, sont à vos yeux d’un plus grand poids que ses paroles. Une manifestation que les usages ont consacrée n’en est pas moins pour moi un besoin dans la circonstance qui m’amène devant vous.
Je ne sais si jamais à aucune époque la tâche des représentants du pays a été plus grave qu’elle ne promet de l’être à la prochaine session. Le temps des commotions violentes semble arrivé à son terme. Les conditions du gouvernement représentatif ne paraissent plus devoir être contestées. Si elles l’étaient, de nouvelles luttes amèneraient sans doute un nouveau triomphe pour les droits de la France et de ses représentants ; mais n’est-il pas permis d’espérer que ces périlleux débats ne seront pas une seconde fois rendus nécessaires ? Le pays, qui par ses organes constitutionnels a déclaré qu’il veut un régime parlementaire et national, a le droit de compter que sa volonté sera suivie ; et fasse le ciel (dans l’intérêt même du gouvernement) que ce vœu solennel du pays ne soit plus méconnu ! Alors pourraient commencer les discussions paisibles et les utiles travaux. Combien d’améliorations sont à faire dans nos institutions, dans nos lois, dans toutes les branches de notre organisation politique, administrative et commerciale ! Combien de réformes qui ne sauraient être plus longtemps différées sans préjudice pour la France !
Qui est-ce qui, en présence d’un budget de onze cents millions, augmenté chaque année, ne reconnaît l’impérieuse nécessité de réduire les charges publiques et d’abord de mettre un terme absolu à leur accroissement ? Qui soutiendra qu’on ne doive apporter aucun changement dans le système de la loi électorale suivant lequel l’homme qui comme juré a le droit de vie et de mort sur son semblable n’est pas présumé capable de choisir un député ? Qui ne voit qu’en refusant obstinément de sages réformes, conseillées par la raison et réclamées par l’opinion publique, le gouvernement risque de se voir contraint plus tard à en concéder de trop grandes à la force et à l’irritation des partis ? Qui pourra sérieusement prétendre que la liberté individuelle soit garantie en France, aussi longtemps que le moindre agent de la force publique, comme le plus haut fonctionnaire, ne peuvent être traduits en justice sans l’autorisation préalable de l’administration supérieure, c’est-à-dire sans la permission de celui qui a intérêt à la refuser ? Qui contestera aujourd’hui l’urgence d’organiser définitivement l’enseignement public, et notamment l’instruction secondaire, sur le principe de liberté proclamé par la charte de 1830 ? Le moment n’est-il pas venu de changer radicalement le régime corrupteur de nos prisons, et d’introduire une réforme que le ministère promet tous les ans, et qui chaque année est réclamée en vain ? La France peut-elle tarder plus longtemps à abolir dans ses colonies le système barbare qui y est en vigueur, à la honte de l’humanité, et dont la presse nous révélait naguère les horribles pratiques ? Faut-il que le pays attende plus long temps l’établissement de ces grandes lignes de communication que le fer et la vapeur ont créées déjà dans tous les pays voisins, qui sont comme les artères du commence et de l’industrie, et que la France possèderait déjà si l’industrie privée qui les avait entreprises n’eut rencontré de déplorables entraves dans l’administration supérieure, dont elle n’aurait dû recevoir que des encouragements ? …
Ce programme, bien incomplet sans doute, des plus urgents travaux, sera-t-il celui du ministère ? Je ne sais. Il est si malaisé de dire ce qu’a été le ministère depuis qu’il existe, qu’on dirait encore plus difficilement ce qu’il sera. Pour moi, placé vis-à-vis de lui, comme vis-à-vis de tout autre appelé a lui succéder, dans un état d’indépendance absolue, j’attendrai ses actes pour les juger. Je ne serai partial ni pour ni contre lui, et tâcherai seulement d’être juste. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, jamais je ne ferai à aucun ministère une opposition systématique ; jamais aussi nulle administration, quelle qu’elle soit, n’obtiendra de moi un vote favorable qui ne soit commandé par ma conscience. Indépendant du pouvoir, je veux l’être aussi des partis, et crois me rendre ainsi plus digne de vous, Messieurs.
Si je comprends bien les devoirs de l’opposition, ils se réduisent à ce peu de mots : surveillance incessante du pouvoir et de ses agents ; contrôle scrupuleux de tous ses actes ; vigilance continue sur les libertés publiques ; recherche de tous les progrès pour les seconder, de tous les abus pour les combattre ; égal éloignement de tout mouvement trop rapide et de toute marche rétrograde ; guerre impitoyable à toutes les fraudes, à toutes les improbités, à toutes les corruptions ; amour passionné pour les droits du pays ; respect pour tous les droits.
Heureux, Messieurs, si, parlant en votre nom à la Chambre, je pouvais, organe de vos sentiments, contribuer, par ma faible voix et par mon vote, au maintien et au progrès de nos institutions, au succès des réformes que réclame le pays, et desquelles dépendent le bonheur, la gloire et la dignité de la France.
Messieurs, profondément touché de la sympathie qui a porté un grand nombre d’entre vous à m’adopter pour leur candidat, je me serais rendu immédiatement dans les divers cantons de cet arrondissement pour y exprimer les sentiments de reconnaissance qui m’animent, si je n’avais été arrêté par la crainte que vous ne vissiez dans cette démarche une brigue électorale, et une sorte d’atteinte à la liberté de vos votes dont l’indépendance est renommée.
Mais, Messieurs, je ne serais plus retenu par le même motif le jour où, grace à vos suffrages, je serais devenu votre député ; et, en même temps que j’irais vous offrir de vive voix mes remerciements, je voudrais visiter avec soin cette partie importante de mon département natal, en étudier les besoins particuliers, me mettre en rapport direct avec vous, Messieurs, et m’enquérir de tous vos intérêts que je défendrais, si vous m’en donniez le mandat, avec un zèle consciencieux, sans jamais perdre de vue les grands intérêts du pays, qui réclament avant tout notre sollicitude et nos dévouements.
Je suis, Messieurs, avec une respectueuse considération, votre très humble serviteur et dévoué compatriote.
GUSTAVE DE BEAUMONT.
Paris, 7 décembre 1839.
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