À Messieurs les électeurs de l’arrondissement de Mamers (Sarthe)

Gustave de Beaumont, À Messieurs les électeurs de l’arrondissement de Mamers (Sarthe). 1842

 

À MESSIEURS LES ÉLECTEURS DE L’ARRONDISSEMENT DE MAMERS (SARTHE)

Messieurs,

L’ordonnance qui dissout la chambre élective ramène naturellement devant vous celui que vous avez honoré de votre confiance. J’ai à cœur de m’y présenter. La reconnaissance m’en fait une loi bien douce. J’obéis d’ailleurs à un devoir rigoureux ; car, à l’instant où il expire, je vous dois compte de mon mandat.

J’ai apporté à la Chambre un désir sincère, ardent, continu de bien faire, sans autre préoccupation que celle des intérêts de mon pays. Mais je ne puis vous répondre que de mes intentions ; à vous seuls appartient de juger mes actes.

Pour vous mettre à même de porter ce jugement, je crois ne pouvoir mieux faire que de vous rappeler mes votes législatifs dans les circonstances les plus solennelles.

J’ai voté contre la loi de dotation, comme je voterais contre toute loi d’apanage qui serait proposée. Assez de charges pèsent déjà sur le pays, sans qu’il faille lui en imposer de superflues.

J’ai voté contre la loi des fortifications de Paris. Dans cette question qui a divisé les meilleurs citoyens, j’ai été déterminé par deux raisons principales. Premièrement, il m’a paru que dans l’état de nos finances et au milieu de toutes les choses grandes et fécondes qui seraient à faire en France, il n’était pas sage de consacrer 200 on 300 millions à une entreprise dont, au point de vue de la défense nationale, l’utilité me semblait douteuse.

En second lieu, j’avais la conviction, comme je l’ai encore, que cette entreprise a été conçue dans un sentiment hostile à la liberté. Aujourd’hui que l’œuvre est résolue et qu’elle s’accomplit, nous n’avons plus qu’un devoir à remplir, c’est de travailler de toutes nos forces à ce qu’elle tourne au profit seul de l’indépendance nationale.

J’ai voté pour toutes les mesures qui, en matière de recensement, tendaient à assurer le concours de l’autorité municipale.

J’ai voté contre la ratification du traité sur le droit de visite. Sous le masque d’un intérêt d’humanité assurément bien respectable, le ministère n’a fait en réalité qu’une concession aux exigences de l’Angleterre.

Deux questions de réforme intérieure ont été agitées dans la dernière législature, la réforme électorale et la réforme parlementaire. J’ai voté pour l’adjonction de la seconde liste du jury. J’ai voté aussi pour la diminution du nombre des fonctionnaires dans la Chambre. À mes yeux l’admission dans le parlement d’un trop grand nombre de fonctionnaires vicie radicalement la représentation nationale en chargeant de contrôler le ministère les favoris mêmes des ministres ; elle trouble l’administration en détournant ses principaux agents de leurs fonctions ; elle déconsidère la Chambre par le soupçon lorsque ce n’est pas par la réalité de la corruption, et met ainsi en péril l’existence même du gouvernement représentatif. 

Messieurs, la première condition de toute représentation c’est d’être sincère ; il faut que les mandataires que choisit le pays expriment réellement les sentiments et les vœux du pays. La France veut certainement un gouvernement digne au dehors et libéral au dedans. D’où vient donc que ses mandataires laissent subsister un ministère qui n’est ni l’un ni l’autre ? Parce qu’après leur élection les députés subissent une mauvaise influence qui travaille sans relâche et quelquefois avec succès à dénaturer leur caractère. Le député arrive à la Chambre indépendant ; il y devient fonctionnaire. S’il y arrive avec un emploi, il monte en grade. C’est ainsi que, envoyé pour faire les affaires du pays, il fait seulement les siennes ; et que, nommé par ses concitoyens pour représenter le pays, il ne représente en réalité que le ministère dont il dépend. Messieurs, en demandant des réformes modérées et progressives, je crois être plus conservateur que ceux qui les repoussent. Je veux ces réformes, précisément parce que je ne veux point de révolution. Les hommes qui s’obstinent à combattre toute espèce de progrès sont à mes yeux les pires des révolutionnaires, car ils amènent des révolutions sans les vouloir. Je crois qu’un grand mal serait fait si parmi nous s’établissait cette fatale idée que dans notre pays, tant de fois agité, il n’y a de réforme possible qu’au milieu de commotions nouvelles. Le meilleur moyen de combattre cette dangereuse erreur, c’est de continuer à vouloir fermement les améliorations que nous poursuivons, et de prouver en les obtenant que tous les progrès désirables sont possibles par la voie parlementaire et constitutionnelle.

Messieurs, vous le savez, il est contraire à mes principes de faire à aucun ministère une opposition systématique, et quand de bonnes lois me sont présentées, je les vote sans examiner de quelle main elles émanent. Mais il y a dans tout ministère une marche générale qui montre le but où il tend, et suivant laquelle on doit habituellement le soutenir ou le combattre. Or, j’avoue qu’il m’est impossible de ne pas voter contre un ministère qui, dans sa politique extérieure, ne sait que fléchir, et qui, à l’intérieur, ne montre ni moralité, ni habileté, ni prévoyance ; qui s’établit l’adversaire opiniâtre de toute amélioration voulue par le sentiment public ; qui, se défiant de l’institution du jury, travaille à la fausser ; qui, non content des lois qui pèsent sur la presse, aspire à les aggraver ; qui laisse s’accumuler dans le pays d’immenses embarras financiers ; qui un jour dénonce un milliard de déficit pour accuser ses prédécesseurs, et le lendemain engage la France dans un milliard de chemins de fer ; qui ne sait tirer aucun parti de cette belle terre d’Afrique pour laquelle on lui donne 90 000 hommes et 100 millions ; qui enfin ne gémit pas, qui se réjouit peut-être de l’impuissance politique à laquelle, par de semblables charges, la France se trouve condamnée.

Ayons foi, Messieurs, que le pays fera enfin prévaloir sa volonté, et avec elle ses vrais intérêts. La première condition du succès, c’est la persévérance ; car tout l’espoir du ministère se fonde aujourd’hui sur la lassitude de l’opinion publique. Assurément rien n’est plus naturel, dans ces temps d’intrigue et de corruption, que le découragement des bons citoyens ; mais rien aussi ne serait plus funeste. Quant à moi, Messieurs, un pareil sentiment ne m’atteindra jamais, aussi longtemps que j’aurai pour point d’appui le mandat de concitoyens animés d’un patriotisme si constant, et si fermement dévoués à la chose publique.

En défendant les intérêts généraux du pays, j’ai toujours eu présents les intérêts particuliers de l’arrondissement de Mamers, pour lequel il y a tant à faire. Le gouvernement, qui reçoit l’impôt de tous, le rend à tous par les bienfaits de son administration. Il acquitte cette dette, tantôt au moyen des édifices publics qu’il élève, des routes qu’il construit, des canaux qu’il creuse ; tantôt à l’aide de secours pour les pauvres, de subventions aux salles d’asile, d’assistance aux écoles, etc., etc. Si la faveur ministérielle est un privilège, chacun a droit à la justice du gouvernement. Cette justice, je la réclamerai toujours, comme je me suis efforcé en toute occasion de l’obtenir pour votre arrondissement. J’ai l’espoir, Messieurs, que vous reconnaissez mes intentions, et j’éprouve le besoin de vous dire que, quelque flatteur que fût pour moi, à tant de titres, un nouveau gage de votre confiance, son plus grand prix, à mes yeux, s’il m’était accordé, serait de contenir une approbation de mes efforts et de mon dévouement.

Messieurs, toujours pénétré de la plus vive gratitude pour le sentiment bienveillant auquel j’ai dû d’être adopté par vous, fier de parler à la Chambre en votre nom, ai-je besoin de vous dire que toute mon ambition est de demeurer votre représentant ? Aujourd’hui, Messieurs, il dépend de votre volonté de briser le lien qui nous unit. Si mes vœux s’accomplissent, il deviendra plus étroit que jamais.

Je suis, Messieurs, avec une respectueuse considération, votre très humble serviteur et dévoué compatriote,

GUSTAVE DE BEAUMONT

La Grange, 25 juin 1842.

A propos de l'auteur

Benoît Malbranque est le directeur des éditions de l'Institut Coppet. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont le dernier est intitulé : Les origines chinoises du libéralisme (2021).

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