À MESSIEURS LES ÉLECTEURS DE LA QUATRIÈME CIRCONSCRIPTION
ÉLECTORALE DU DÉPARTEMENT DE LA SARTHE
MESSIEURS ET CHERS COMPATRIOTES
Vivement touché des témoignages que je reçois d’un grand nombre d’électeurs, je déclare que j’accepte la candidature qui m’est offerte. Je ne souhaitais pas de rentrer dans la vie politique : je le dis sincèrement ; mais je déclare avec la même sincérité que la bienveillance extrême dont je suis l’objet m’inspire une grande reconnaissance, et que si mes concitoyens de la Sarthe, auxquels je suis attaché par tant de liens, de souvenirs et de communs intérêts, m’honoraient de leur mandat, je mettrais à l’accomplir tout ce qu’il peut y avoir en moi de facultés et de dévouement.
Je ne suis point pour vous un homme nouveau. Cinq fois depuis vingt ans (1) mes concitoyens de la Sarthe m’ont honoré de leur mandat ; en me remettant aujourd’hui à leur disposition, je n’ai pas besoin de leur exposer longuement mes sentiments et mes principes.
Messieurs, l’ordre est le premier besoin de toute société. Fatiguée de révolutions, la France l’a cherché dans un pouvoir fort et s’est portée de tout son poids vers ce pouvoir pour l’affermir. Mais une sage liberté est aussi une condition d’ordre, et beaucoup de bons esprits pensent que le moment est venu où le gouvernement, sans cesser d’être fort, aurait besoin d’être contrôlé et contenu. Ils estiment qu’il faut de certains freins pour de certains entraînements, et qu’un appui aveugle est quelquefois plus dangereux pour le pouvoir qu’une résistance éclairée.
On se plaint de la prodigalité des dépenses publiques, de l’accroissement progressif du budget de l’État, d’où naît la nécessité des emprunts, l’augmentation de la dette inscrite, et d’où naîtront infailliblement de nouveaux impôts. Si le pays éprouve ces craintes et voit ces périls, pourquoi ne manifeste-t-il pas son sentiment en nommant des députés qui, par leurs votes, préviennent le mal ou le combattent ? Le gouvernement ne peut pas faire une seule dépense qui ne soit soumise au contrôle du Corps législatif, c’est-à-dire aux mandataires du pays. Il ne s’agit donc pour le pays que d’élire des députés qui soient les organes de sa volonté.
On s’inquiète et on s’attriste de cette succession d’entreprises lointaines dont toutes ne paraissent pas commandées par la même nécessité, et dans lesquelles se consument, quelquefois stérilement, l’or de la France et le sang de nos soldats. Sans doute la France entière applaudit toujours avec bonheur à la gloire de nos armes : nous sommes ou nous serons maîtres de Puebla ; qui n’en est fier ? nous serons bientôt, s’il le faut, maîtres de Mexico ; qui en doute ? Mais plus la vaillance de nos soldats est admirable et leur dévouement héroïque, plus il semble qu’on doit en ménager l’emploi pour des entreprises dont l’intérêt, placé moins loin de nous, serait peut-être mieux compris. Le recrutement est nécessaire ; mais sa nécessité est dure, et beaucoup de gens sensés se demandent ce que nous sommes allés faire au Mexique.
Si tel est le sentiment du pays, qui l’empêche de le manifester ? Et comment reprocher au gouvernement de fâcheux écarts, si ceux qui devraient les prévenir ou les réprimer n’intervenaient que pour les sanctionner de leur vote ?
Messieurs, la France, industrieuse et riche, ne demande qu’à jouir, sous l’empire des lois, des bienfaits de la paix. Au nombre de ces lois est celle qui conserve au pays une juste influence sur la gestion de ses plus chers intérêts.
En est-il qui pensent que la part d’intervention que la constitution a faite au pays dans ses propres affaires est trop petite ? Messieurs, nul n’est fondé à se plaindre des droits qui lui manquent s’il n’exerce d’abord ceux qu’il possède. Votre droit est de donner librement vos suffrages. Ce droit, la France entière est en ce moment appelée à l’exercer. Tous, sans doute, rempliront leur devoir avec zèle. Les habitants de la Sarthe l’ont toujours accompli avec indépendance.
GUSTAVE DE BEAUMONT.
Beaumont-la-Chartre, 16 mai 1863.
P. S. Je me suis imposé, comme loi de convenance et de dignité, pour les électeurs autant que pour moi-même, de ne faire aucune visite avant l’élection. Mais si le mandat législatif m’était confié, ce serait pour moi un devoir dont l’accomplissement serait bien doux de me mettre immédiatement en rapport avec mes commettants.
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(1) En 1839, en 1842, en 1846, en 1848 et en 1849. (Note de Beaumont.)
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