Peut-on résister à la tyrannie d’un gouvernement centralisateur ? L’Institut Coppet publie la traduction d’un article très technique de Thomas Woods sur la doctrine américaine de l’annulation (“nullification”). Il montre comment ce droit des états fédérés, défendu à l’origine par Jefferson, d’interdire l’exécution d’une loi du gouvernement fédéral sur leur territoire, n’a pas survécu à la montée en puissance de la centralisation bureaucratique au XXe siècle. Ce qui est arrivé aux États-Unis devrait servir de leçon à la France et l’inciter à résister, autant que possible, à la centralisation politique et administrative de plus en plus poussée dans l’Union européenne. Alors que la Slovaquie est sommée de soutenir le plan de sauvetage de la Grèce, son droit d’opposition est tout simplement dénié et rejeté par Bruxelles. Pourtant, comme le rappelle justement Thomas Woods, c’est la décentralisation du pouvoir en Europe qui a rendu possible le développement de la liberté. Puissions-nous ne jamais l’oublier.
Par Thomas E. Woods, Jr.
Traduction Stéphane Geyres, Institut Coppet
En Janvier 2011 mon livre « Nullification » (NdT « Annulation étatique », qu’on abrégera par la suite par « Annulation ») devint célèbre quand il fut associé à un projet de loi qui décrétait inconstitutionnelle la loi sur les soins de santé de Barack Obama et donc nulle et sans effet dans l’état d’Idaho. (D’autres états ont présenté des projets de loi similaires, mais l’Idaho a attiré l’attention des médias.) Des législateurs l’avaient lu, les médias en parlèrent et, si le gouverneur Butch Otter déclina l’offre d’un sénateur de l’état de lui en offrir un exemplaire, ce n’était que parce qu’il en avait déjà un. Et de plus, il l’avait lu.
Bien sûr, la machine à ragots s’est mise à surchauffer. Mais enfin, voilà le discours dément d’un tas de « néo-confédérés » qui haïssent l’Amérique ! Quiconque observe la vie politique américaine depuis les 20 dernières années aurait pu prédire ces réponses hystériques à la moindre syllabe près.
« L’annulation » remonte à 1798, lorsque James Madison et Thomas Jefferson rédigèrent les projets de résolutions de la Virginie et du Kentucky, respectivement. On peut y lire que les états, qui ont créé le gouvernement fédéral à l’origine, par la logique même de ce qu’ils avaient fait, devaient disposer d’un mécanisme de défense quelconque en cas de nécessité. Jefferson lui-même introduisit le terme « annulation » dans le lexique politique américain, terme par lequel il entendait « le pouvoir indispensable pour un état de refuser qu’une loi fédérale inconstitutionnelle soit exécutée à l’intérieur de ses frontières.»
Aujourd’hui, la décentralisation politique a le vent en poupe dans tous les coins du pays, pour toutes sortes de raisons. Je ne vois pas l’utilité de l’expression « néo-confédérés » – quoi que ce néologisme orwellien puisse être censé vouloir dire – pour décrire un mouvement qui englobe la proposition de la Californie de décriminaliser la marijuana, deux douzaines d’états refusant de respecter le Real ID Act (NdT une loi fédérale votée en 2005 établissant des exigences plus fortes en matière de pièces attestant l’identité des citoyens) et une liste à la Prévert qui s’allonge de mouvements de résistance à l’intrusion du gouvernement fédéral. Alors que des états, du Nord au Sud, d’Est en Ouest, bleus ou rouges (NdT à majorité républicaine ou démocrate), petits ou grands, discutent des perspectives de la décentralisation politique, les Gardiens de l’Opinion Approuvée sont passés vivement à l’action. Pas pour expliquer en quoi nous aurions tort, bien sûr – nous autres déviants n’avons droit au mieux qu’à quelques arguments jetables qui ne satisferaient pas un élève de CE1 – mais pour salir et dénoncer quiconque s’écarterait de l’Opinion Admissible, laquelle erre le long de ce glorieux continuum entre Joe Biden et Mitt Romney.
Toute personne qui lit vraiment le livre pourra découvrir, entre bien d’autres choses, que les Principes de ‘98’ comme ces idées décentralisatrice sont venues à être connues – ont en fait été exploitées plus souvent par les états du Nord que par ceux du Sud et, à partir de 1798 jusqu’à la seconde la moitié du XIX ème siècle, ont été utilisés comme argument pour la liberté d’expression et de libre-échange, contre les lois sur les esclaves fugitifs, les recherches et saisies inconstitutionnelles et le projet de conscription militaire, entre autres exemples. Et l’annulation a été utilisée non pas en soutien de l’esclavage, mais contre lui.
Lorsque « Nullification » fut publié, voici ce que j’ai prédit qu’il se passerait : « Si jamais les arguments du livre devaient être pris en compte, ils ne le seraient strictement qu’en second plan. (Les officiels de gauche et de droite s’accordent davantage qu’ils ne daignent l’admettre, un engagement sans faille pour le nationalisme étant l’un de ces domaines.) Le reste de la soi-disant réponse serait en substance ainsi : l’annulation est un complot secret pour rétablir la Confédération du Sud, Woods lui-même est une personne sinistre aux intentions malsaines, face auxquelles ses arguments constitutionnels à la morale fantaisiste ne sont qu’un écran de fumée diabolique.» (Je poursuivais, travaillant à ma vidéo « Entrevue avec un Zombie » pour suggérer comment une interview typique des médias sur le sujet pouvait se dérouler et fis ma première vidéo sur mon blog en réponse à l’hystérie au sujet de l’Idaho.)
Du fait que c’est effectivement ce qui s’est passé, je fais le suivi pointilleux de chaque aspect de la réponse aux arguments standards qui je savais seraient débités contre l’idée. (Mes réponses sont examinées plus en détails dans le livre.)
- « L’annulation viole l’article sur la Suprématie de la Constitution ».
De tous, voilà peut-être l’argument le plus idiot, le moins bien informé contre l’annulation. C’est la réponse qu’on entend souvent venant de diplômés en droit et professeurs, qui n’ont appris que la version nationaliste de l’histoire américaine et du constitutionnalisme. Voilà une raison de plus, comme dit un de mes collègues, de ne jamais confondre formation juridique et éducation.
Ainsi peut-on lire dans un récent billet de Associated Press, « Les efforts sont totalement inconstitutionnels selon la plupart des juristes, car la Constitution des États-Unis considère les lois fédérales comme ‘la loi suprême du pays.’» (Noter au passage l’utilisation inutile du terme « totalement » par le journaliste, qui trahit son parti pris.)
La clause de la suprématie stipule en fait : « La présente Constitution et les Lois des États-Unis qui seront faites en vertu de celle-ci … constituent la loi suprême du pays.»
En d’autres termes, la réponse standard des écoles de droit supprime les mots les plus importants de toute la clause. Thomas Jefferson n’ignorait pas, ni ne niait, la clause de suprématie. Son argument était que seule la Constitution et les lois qui seraient faites en vertu de celle-ci constituent la loi suprême du pays. Citer la clause de suprématie ne fait que poser la question. Un état qui « annule » soutient qu’une loi donnée n’est pas « faite en vertu de celle-ci » et donc que la clause de suprématie ne s’applique tout simplement pas.
De tels critiques s’attendent à ce qu’on croit que les états auraient ratifié une constitution avec une clause de suprématie qui serait, en fait : « La Constitution et les lois des États-Unis qui seront faites en vertu de celle-ci, ainsi que toutes lois anciennes qu’on pourra choisir de promulguer, constitutionnelles ou pas, constitue la loi suprême du pays.»
Pour plus d’éléments de preuve, voir Brion McClanahan.
- « L’annulation est inconstitutionnelle ; elle n’apparaît nulle part dans la Constitution ».
Voilà un reproche étrange, puisqu’il vient souvent de ceux qui dans toute autre circonstance ne semblent pas spécialement attachés à avoir la sanction constitutionnelle expresse lors de normes gouvernementales alambiquées.
Le simple fait qu’un état se réserve le droit de faire obstruction à l’application d’une loi inconstitutionnelle ne soit pas expressément énoncé dans la Constitution ne signifie pas que ce droit n’existe pas. La Constitution est censée établir un gouvernement fédéral aux pouvoirs énumérés, les pouvoirs restant étant réservés aux états ou au peuple. En substance, rien de ce que les états font n’est autorisé par la Constitution fédérale, étant donné que l’énumération des pouvoirs des états n’est pas l’objet et est étranger à la structure de ce document.
James Madison insistait sur le fait que le vrai sens de la Constitution devait être trouvé dans les conventions de ratification par les états, car c’est alors que le peuple, réuni en convention, était instruit de ce que le nouveau document signifiait. Jefferson s’exprima de même : si vous souhaitez connaître la signification de la Constitution, consultez l’avis de vos amis.
Les fédéralistes favorables à la Constitution lors de la convention de ratification de Virginie en 1788 ont assuré les Virginiens qu’ils seraient « exonérés » si le gouvernement fédéral devait tenter de leur imposer « toute condition supplémentaire » – en d’autres termes, si il cherchait à exercer un pouvoir au-delà de ceux que les états lui avaient délégués. Les membres de la commission de cinq hommes, qui était en charge de rédiger l’instrument de ratification de la Virginie, donnèrent aux Virginiens cette interprétation de la Constitution. Patrick Henry, John Taylor, et plus tard Jefferson lui-même argumentèrent sur la base de ces garanties dont la Virginie avait été assurée lors de leur convention de ratification.
L’annulation découle de la « théorie du pacte » de l’Union (théorie sans nul doute correcte) à laquelle aucune alternative substantielle ne semble avoir été offerte en remontant jusqu’à la fin des années 1830. Cette théorie du pacte, à son tour, découle de et implique ce qui suit :
1) Les états ont précédé l’Union. La Déclaration d’Indépendance parle « d’états libres et indépendants » qui « ont plein pouvoir de financer la guerre, conclure la paix, de contracter des alliances, établir le commerce et de faire tout autre acte et chose que des états indépendants puisse légitimement faire.» Les Britanniques reconnurent l’indépendance non pas d’un seul groupuscule, mais d’un groupe d’états, dont ils établirent la liste un à un. L’article II des statuts de la Confédération déclare que les états « conservent leur souveraineté, liberté et indépendance » ; ils devaient avoir connu cette souveraineté dans le passé afin qu’ils puissent la « conserver » en 1781 lorsque les statuts furent officiellement adoptés. La ratification de la Constitution fut accomplie non pas par un seul vote national, mais par les ratifications individuelles des différents états, chacun assemblé en convention.
2) Dans le système américain, aucun gouvernement n’est souverain, ni le gouvernement fédéral et ni non plus les états. Ce sont les peuples des états qui sont souverains. Ce sont eux qui répartissent les pouvoirs entre eux, leurs gouvernements d’états et le gouvernement fédéral. Ce faisant, ils ne portent en rien atteinte à leur souveraineté. Au contraire, ils l’exercent.
3) Puisque les peuples des états sont les souverains, alors lorsque le gouvernement fédéral exerce un pouvoir de constitutionnalité douteux sur une question de grande importance, ce sont eux-mêmes les véritables parties demandant compte, vérifiant si leur agent était prédestiné à détenir un tel pouvoir. Aucun autre raisonnement ne tient. Personne ne demande à son agent s’il a ou devrait avoir tel ou tel pouvoir. En d’autres termes, la nature même de la souveraineté et du système américain lui-même, établit que les souverains doivent conserver le pouvoir de restreindre l’agent par eux-mêmes créé. James Madison explique ceci clairement dans le célèbre « Virginia Report » de 1800 : (NdT le Virginia Report est une célèbre résolution par James Madison, « Père de la Constitution,» argumentant en faveur de la souveraineté des états de l’Union envers la Constitution des Etats-Unis : //www.constitution.org/rf/vr.htm)
La résolution [de 1798] de l’Assemblée Générale [de Virginie] a rapport avec ces cas remarquables et extraordinaires, selon lesquels toutes les formes de la Constitution peuvent s’avérer infondées envers les infractions dangereuses au droit essentiel de ses parties. La résolution suppose que les pouvoirs dangereux qui ne sont pas délégués peuvent non seulement être usurpés et exécutés par les autres ministères, mais que le ministère de la justice peut également exercer ou sanctionner des pouvoirs dangereux au-delà des termes de la Constitution. Par conséquent, le droit ultime des parties prenantes de la Constitution de juger si le pacte a été violé dangereusement doit s’étendre aux violations par une autorité déléguée, comme par une autre, par le pouvoir judiciaire comme par l’exécutif ou le législatif.
- « La Cour Suprême s’est déclarée infaillible en 1958 ».
Les digressions obscures de l’affaire Cooper contre Aaron (1958) sont parfois évoquées contre l’annulation. Ici, la Cour Suprême déclara expressément que ses décrets ont exactement le même statut que le texte de la Constitution elle-même. Mais quelles que soient les affirmations absurdes que la Cour fasse à son propre sujet, la remarque de Madison ci-dessus s’applique – la structure même du système et la nature même de l’Union fédérale exigent logiquement que les parties du pacte possèdent un pouvoir d’examiner la constitutionnalité des lois fédérales. Vu que toute l’argumentation tient à qui doit trancher de telles questions en dernier ressort, citer la Cour Suprême ne fait que renforcer la question – en effet, cela devrait nous faire nous demander si ceux qui répondent de cette manière ont simplement compris la question.
- « L’annulation fut la doctrine juridique via laquelle les états du Sud ont défendu l’esclavage ».
Cette affirmation est complètement fausse. L’annulation n’a jamais été utilisée au nom de l’esclavage. Pourquoi l’aurait-elle été ? Quelles lois anti-esclavage y avait-il que le Sud aurait dû annuler ?
Au contraire, l’annulation fut utilisée contre l’esclavage, comme lorsque les états du Nord firent tout en leur pouvoir pour entraver l’application des lois sur les esclaves fugitifs, la Cour Suprême du Wisconsin allant même jusqu’à déclarer le « Fugitive Slave Act » de 1850 inconstitutionnel et non avenu. Lors de l’affaire Ableman contre Booth (1859), la Cour Suprême américaine reprocha sa position à cet état. En d’autres termes, la jurisprudence moderne contre l’annulation trouve ses racines dans les déclarations de la Cour Suprême en faveur de la loi sur les esclaves fugitifs. Qui donc ici prend la défense de l’esclavage ?
- « Andrew Jackson a dénoncé l’annulation ».
Certes, mais Jackson n’était sans doute pas infaillible. (Si l’annulation avait vraiment traité d’esclavage, alors Jackson, lui-même propriétaire d’esclaves, aurait dû y être favorable.) Sa proclamation concernant l’annulation fut en fait écrite par son secrétaire d’état, Edward Livingston, et cette proclamation fut elle-même démontée sans pitié – sans pitié – par Littleton Waller Tazewell.
- « Vous devez être un« néo-confédérés ».
J’avoue que je n’ai jamais compris ce que ce terme digne d’un Agitprop orwellien (NdT Agitprop fait référence à « otdel agitatsii i propagandy », le Département pour l’agitation et la propagande, organe du parti communiste de l’URSS) est censé vouloir dire, mais c’est sûrement hors de propos ici. Jefferson Davis, président de la Confédération, dénonça l’annulation lors de son discours d’adieu au Sénat des États-Unis. La Caroline du Sud, dans le document proclamant sa sécession de l’Union en Décembre 1860, cita l’annulation par le Nord de la loi sur les esclaves fugitifs parmi les griefs justifiant sa décision.
N’attendez pas des critiques de l’annulation qu’ils sachent tout cela, vous ne serez ainsi pas déçus.
Un des objets de mon livre « Nullification », en fait, est de démontrer que les Principes de ‘98’ n’étaient pas quelque obscure doctrine sudiste, mais ont été adoptés à un moment ou un autre par toutes les parties du pays. En 1820, la législature de l’Ohio a même adopté une résolution proclamant que les Principes de ‘98’ avaient été acceptés par une majorité du peuple américain. Je ne crois pas qu’il y avait d’esclaves en Ohio en 1820, ni que l’Ohio ait jamais fait partie des états confédérés.
- « James Madison se prononça contre l’idée de l’annulation ».
Des adversaires plus subtils pensent qu’ils ont un atout dans les déclarations de James Madison en 1830 pour établir qu’il n’a jamais eu l’intention, dans les « Virginia Resolutions » ou à tout autre moment, de suggérer qu’un état pourrait s’opposer à l’exécution d’une loi inconstitutionnelle. Quiconque soutient qu’il a bel et bien prétendu une telle chose l’a tout simplement mal compris. Il ne faisait que dire que les états avaient le droit de se rassembler pour protester contre des lois inconstitutionnelles.
Cette affirmation fait un flop. En 1830, Madison a en effet tenu un tel propos et prétendit qu’il n’avait jamais voulu dire ce que tout le monde à l’époque avait choisi d’entendre. Cette revendication de Madison fut accueillie avec scepticisme. Les gens, à juste titre, demandèrent à savoir : si c’est tout ce que vous vouliez dire, pourquoi donc au départ prendre la peine de rédiger une telle résolution, à la fois niaise et creuse ? Pourquoi se donner la peine d’adopter des résolutions solennelles alertant pour que les états aient un droit que nul ne conteste ? Et pour l’amour du ciel, alors que de nombreux états contestaient votre position, pourquoi dans le « Report of 1800 » ne vous êtes pas vous-même clarifié et même avez-vous en fait persisté sur cette même position que vous contestez désormais et que tout le monde vous attribuait à l’époque ? Kevin Gutzman, le biographe de Madison (voir « James Madison and the Making of America » chez Saint-Martin, à paraître en 2011) a démonté cette interprétation molle des « Virginia Resolutions » de Madison dans « Un héritage gênant » (« A Troublesome Legacy: James Madison and ‘The Principles of ’98,’ in « Journal of the Early Republic 15 (1995): 569-89.») Le juge Abel Upshur publia de même un bref travail selon ce point de vue dans « Un exposé des Résolutions de Virginie de 1798 » (« An Exposition of the Virginia Resolutions of 1798,») cité dans mon livre.
Madison, dans son zèle à dissocier l’annulation de l’héritage de Jefferson, dont il était l’aîné, tenta de nier que Jefferson avait inclus le mot redouté dans son projet des « Kentucky Resolutions.» Madison avait lui-même vu le projet, de sorte qu’il savait sa déclaration fausse – ou sinon il devait souffrir des effets de son âge avancé. Lorsqu’un original des « Kentucky Resolutions » de la main même de Jefferson fut produit, portant le mot « annulation,» Madison fut forcé de battre en retraite.
En résumé, donc, les autres législatures comprirent que Madison, en 1798, avait dit précisément ce que Madison essaya ensuite de nier qu’il avait dit ; (2) Madison n’a pas corrigé ce prétendu malentendu quand il en eut la chance dans le « Report of 1800 » ou à tout autre moment durant ces années et (3) le texte des « Virginia Resolutions » indique clairement que chaque état « est contraint par devoir » de maintenir ses libertés constitutionnelles au sein de son territoire « respectif » et, partant, Madison a en effet envisagé une action par un état unique (plutôt que par tous les états conjointement), en cohérence avec ce que partisans et adversaires de même ont compris qu’il voulait dire à l’époque.
- « L’annulation a une « histoire honteuse ».
C’est là ce que nous enseignent les savants qui peuplent le Parti Démocrate de l’Idaho. Était-ce « honteux » de la part de Jefferson et Madison d’avoir employé la menace de l’annulation contre la loi « Aliens and Sedition Acts of 1798 » ? Était-ce « honteux » de la part des états du Nord d’avoir utilisé les Principes de ‘98’ contre les perquisitions et les saisies inconstitutionnelles par lesquelles l’embargo fédéral de 1807-1809 fut appliqué ? Était-ce « honteux » de la part de Daniel Webster, ainsi que de la législature du Connecticut, d’avoir exhorté les états à protéger leurs citoyens envers une autorité fédérale trop débordante dans le cas où Washington tenterait la conscription militaire pendant la guerre de 1812 ? Était-ce « honteux » de la part des états du Nord de faire tout en leur pouvoir pour entraver l’application des lois sur les esclaves fugitifs (dont ils ne croyaient pas que les dispositions odieuses étaient automatiquement justifiées sur la seule base de la clause de fuite d’un esclave) ? Était-ce « honteux,» lorsque la Cour Suprême du Wisconsin déclara le « Fugitive Slave Act » de 1850 inconstitutionnel, nul et non avenu, citant au passage les « Kentucky Resolutions » de 1798 et 1799 ?
Puis-je prendre le pari fou qu’aucun Démocrate de la législative de l’Idaho ne sait rien de cette histoire ?
La remarque de « l’histoire honteuse » est certainement une référence à la résistance du Sud envers le mouvement des droits civiques, durant laquelle le thème de l’annulation fut en effet employé. Cela implique que le décentralisme Jeffersonien est à jamais discrédité parce que des états se sont comportés d’une façon que la plupart des Américains trouvent grotesque. Il s’agit d’états, après tout, nous ne devrions donc pas être choqués lorsque leur attitude nous outrage. Mais voilà bien des torchons et des serviettes. Ce résultat n’a été possible qu’à une époque où les Noirs avaient du mal à exercer un droit de vote, une situation qui n’est plus. Depuis 1963 à Birmingham, les choses ont de plus changé d’autres façons. Les tendances démographiques des trois dernières décennies établissent cela assez clairement, tels les Noirs qui se sont déplacés en grand nombre vers le Sud, la seule région du pays où une majorité de Noirs interrogés disent qu’ils sont traités équitablement. Voilà une injustice envers les gens du Sud, ainsi qu’une pratique d’hypocondrie émotionnelle, de croire que les états sont sur le point de rétablir la ségrégation si seulement ils en avaient l’opportunité. Je veux dire, franchement.
Selon exactement le même raisonnement, d’ailleurs, tout crime commis par un gouvernement où que ce soit, justifierait immédiatement un gouvernement mondial. Quiconque vivant sous ce gouvernement mondial qui favoriserait ensuite la décentralisation serait solennellement sermonné pour les choses terribles qui se sont passées antérieurement.
Les partisans de l’annulation ne prétendent pas que le gouvernement fédéral serait mauvais alors que les gouvernements des états seraient infaillibles. Les gouvernements des états sont pourris, aussi (ce qui fait qu’on peut tant qu’à faire les mettre à quelque bon usage en les utilisant au nom de la résistance au gouvernement fédéral). Nous demandons dans quelles conditions la liberté est la plus susceptible de se développer : avec une multiplicité de juridictions en concurrence, ou avec une juridiction géante ? Un argument fort fait valoir que c’est précisément la décentralisation du pouvoir en Europe qui y a rendu possible le développement de la liberté.
Cette objection – fichtre, une structure institutionnelle a un jour été exploitée à des fins répréhensibles, de sorte qu’on ne puisse jamais y faire à nouveau appel – ne semble jamais être dirigée contre le gouvernement central lui-même, en particulier les méga-états du XXème siècle nationaliste. Je doute plutôt que les critiques de l’annulation retourneraient cet argument contre eux-mêmes – en disant, par exemple : « Les gouvernements centralisés nous ont donné des centaines de millions de morts, grâce à la guerre totale, le génocide et des révolutions totalitaires. Aux États-Unis, nous pouvons mettre le doigt sur l’incarcération de centaines de milliers de Japonais et sur un complexe politico-militaro-industriel terriblement meurtrier, entre autres énormités. Notre gouvernement fédéral est si éloigné du peuple qu’il a réussi à accumuler des dettes (y compris des engagements non capitalisés) pour bien plus de 100 mille milliards de dollars. À la lumière de ce dossier, ce pygmée intellectuel et moral voudrait en appeler instamment au nationalisme ou à l’état centralisé moderne comme étant la solution à nos problèmes ?»
En fait, quiconque qui fait valoir que les états centralisés ont été des institutions merveilleuses et progressistes au regard des minorités au sein de leurs frontières pourrait interroger les Arméniens en Turquie, les Ukrainiens en Union soviétique, les Juifs en Allemagne, les Asiatiques en Ouganda, ou un foule d’autres peuples qui pourraient bien avoir une opinion plutôt différente.
- « L’annulation serait chaotique.»
Il est bien plus probable que les états seront trop timorés pour employer l’annulation. Mais l’aspect le plus important est celui-ci : si les différents états devaient avoir des politiques différentes, où est le problème ? C’est précisément ce à quoi les États-Unis étaient censés ressembler. Comme d’habitude, les prétendus partisans de la « diversité » sont ceux qui insistent le plus envers l’uniformité nationale. Le fait que les gens soient terrifiés à l’idée que leur pays pourrait en fait être organisé comme à l’origine on assurait aux américains qu’il le serait, nous en dit long sur ce que les gens apprennent à l’école. C’est pour l’autonomie locale que la révolution américaine fut combattue, mais on nous avance pourtant que ce principe même et les mécanismes de défense nécessaires pour le préserver, sont impensables.
La raison pour laquelle l’idée de l’annulation provoque une telle réaction viscérale de la part de l’opinion de l’establishment tient en partie à ce que la plupart des gens ont inconsciemment intégré la logique de l’état moderne, selon laquelle une autorité unique, irrésistible lançant des ordres infaillibles, est la seule façon d’organiser la société. La plupart des gens ne soumettent pas leurs hypothèses implicites à un examen minutieux, cela d’autant que plus profondément est ancrée l’hypothèse, moins les gens sont conscients qu’elle existe. Et, que les gens en soient conscients ou pas, c’est cette hypothèse moderne, remontant à Thomas Hobbes, qui est aux racines de la pensée politique de presque tous les pays. Non seulement cette hypothèse est fausse, mais (comme je l’explique dans le livre) l’état moderne auquel elle a donné lieu aura été l’institution la plus irresponsable et même fatale de l’histoire, accumulant les dettes et exécutant des atrocités que les systèmes politiques décentralisés qui les ont précédés auraient difficilement pu imaginer. Pourquoi faudrait-il lui accorder le bénéfice du doute, moral, au point que tous les sceptiques devraient être violemment dénoncés, cela n’a rien de clair.
- « La théorie du pacte peut s’appliquer aux 13 premiers états, soit, mais comme tous les autres états furent créés par le gouvernement fédéral, on ne peut pas décrire ces états plus tardifs comme des briques de l’Union selon le même sens.»
Le bureau du procureur général de l’Idaho a essayé d’exploiter cet argument contre le projet de loi de l’Idaho d’annulation des textes sur la santé. Plausible de manière superficielle, l’argument se résume à une grossière incompréhension du système américain. Si le procureur général de l’Idaho avait raison, les états américains ne seraient pas du tout des états mais des provinces.
L’argument du bureau du procureur général de l’Idaho, en fait, revient précisément à la vue du Vieux Monde quant à la nature de l’état et du peuple à laquelle les américains ont cherché à échapper en fuyant l’Europe. La position américaine a toujours été qu’un état américain est créé par le peuple, pas le gouvernement fédéral. Jefferson lui-même appuya sur ce point lors de la controverse sur l’admission du Missouri. Le peuple du Missouri avait rédigé une constitution et demandaient l’admission à l’Union. S’ils devaient ne pas être admis, leur dit Jefferson, ils seraient un état indépendant. En d’autres termes, leur statut d’état découlait d’un peuple souverain et de la rédaction d’une constitution, pas de l’approbation du gouvernement fédéral.
- « La guerre de sécession a réglé cela.»
La guerre de sécession n’a pas été menée en rapport avec l’annulation et, comme je l’ai dit plus haut, au moment de la guerre, ce sont les états du nord qui ont eu beaucoup plus récemment affaire à l’annulation. La légitimité de l’annulation implique une argumentation philosophique, et les arguments philosophiques ne sont pas – du moins pour des gens raisonnables – décidés d’une manière ou l’autre par la violence. Personne ne dirait, lorsque confronté au dilemme des Indiens des Plaines, « l’armée américaine n’a-t-elle pas réglé cela ?» Si les arguments en faveur de l’annulation ont un sens, et c’est le cas, c’est là ce qui importe. La réalité est ce qu’elle est. La théorie du pacte, dont l’annulation découle, correspond à l’histoire des États-Unis. Il n’y a aucun moyen d’éluder ce fait têtu.
Mon intention première en écrivant « Nullification » était de ressusciter ces portions de l’histoire américaine qui, s’étant avérées gênantes pour le régime de Washington, avaient glissé dans le « trou de mémoire » d’Orwell (NdT il s’agit d’une référence à « 1984 » où tout ce qui est contraire à l’histoire officielle finit dans ce trou). Je voulais que les Américains se rendent compte que des personnages illustres du passé de leur pays posèrent des questions quant à la forme la plus souhaitable d’organisation politique. Je voulais montrer, en m’appuyant sur des preuves historiques écrasantes, que le système inhumain par lequel une seule ville réputée infaillible s’impose à 309 millions de personnes, n’est aucunement une situation inéluctable. Jefferson et d’autres proposèrent une alternative, celle que nous souhaiterons peut-être reconsidérer au vu du degré de dysfonctionnement évident du système actuel. Avant que ces informations puissent être utilisées rapidement, il y a une bonne dose de principes éducatifs à poser. Je voulais que le livre soit une première étape sur le chemin du retour à la raison.
Les progressistes de l’ancienne mode, « plus c’est simple mieux c’est », auraient eu de la sympathie pour ce point de vue, comme l’historien de la Nouvelle Gauche William Appleman Williams en eut. Les commissaires de l’opinion approuvée qui passent pour des « progressistes » d’aujourd’hui ne prennent même pas la peine de le comprendre.
Postface : Le problème de la position de Jefferson n’est pas qu’il était trop « extrême, » mais qu’elle était trop timorée, à tout le moins. Si vous voulez quelque chose d’encore plus contestataire, lisez Lysander Spooner.
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