Par Damien Theillier
Article originellement publié le 29 août 2011 sur 24hGold
Thomas Jefferson est né en Virginie en 1743 d’une famille riche et respectée. Sur des terres héritées de son père à Monticello, il s’établit comme planteur de tabac et construit lui-même sa propre maison. En tant que politicien, il n’était pas un grand orateur. En revanche, il avait une bonne plume. Rédacteur de la Déclaration d’indépendance, ses écrits sont encore lus et admirés aujourd’hui. Après avoir été gouverneur de Virginie, ambassadeur en France puis premier secrétaire d’État, Jefferson devient le troisième président des États-Unis en 1801 et accomplit deux mandats successifs (1801 à 1809). Il meurt en 1826. Jefferson a consacré sa vie à la défense et à la mise en œuvre des idéaux de la Déclaration d’indépendance.
L’essence de l’identité américaine
Le 4 juillet 1776, après quelques modifications de John Adams et Benjamin Franklin, la Déclaration d’indépendance est adoptée par les treize colonies en assemblée à Philadelphie.
En voici un passage célèbre :
“Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur”.
Leonard Read (créateur de l’institut de recherche Foundation for Economic Education) a écrit un jour que l’essence même de la Révolution américaine était contenue dans un morceau de phrase de la Déclaration d’indépendance. « Je ne pense pas que la révolution américaine réelle se confonde avec le conflit armé des colonies contre le roi George III. La vraie révolution américaine consiste dans un nouveau concept ou une idée qui rompt avec toute l’histoire politique du monde ». Selon Read, « cette nouvelle idée est la suivante : Tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. C’est tout. C’est l’essence même de l’identité américaine. C’est le roc sur lequel l’ensemble du ‘miracle américain’ a été fondé ».
Ce concept révolutionnaire, poursuit Leonard Read, est à la fois spirituel, politique et économique :
· Il est spirituel en ce que le rédacteur de la Déclaration reconnaît et proclame publiquement que le Créateur est la source des droits de l’homme, et donc le Créateur est souverain.
· Il est politique en ce qu’il nie implicitement que l’État soit la source des droits de l’homme, déclarant ainsi que l’État n’est pas souverain.
· Il est d’ordre économique en ce sens que si une personne a droit à la vie, il s’ensuit qu’elle a le droit de conserver sa vie, de la nourrir par les fruits de son propre travail.
Les origines philosophiques de la Déclaration d’indépendance
Thomas Jefferson a expliqué que la Déclaration d’indépendance était fondée sur des « livres élémentaires de droit public, comme ceux d’Aristote, de Cicéron, de Locke, etc. »
Pour Aristote, le droit naturel a une fonction critique vis-à-vis de la loi positive, il fonde l’autorité des lois (le droit positif) en garantissant leur justice. Pour Cicéron, il s’agit d’ « une seule loi éternelle et invariable, valide pour toutes les nations et en tout temps ». Enfin, pour Locke le droit naturel est la reconnaissance par l’ordre politique des droits personnels naturellement possédés par chacun, en particulier le droit de propriété : droit à la vie et à la liberté (propriété de soi) et droit à la possession des biens acquis par le travail (propriété des choses).
Déjà en 1721, les Cato’s Letters de John Trenchard et Thomas Gordon, dans le droit fil de John Locke, affirmaient l’existence de droits naturels de l’homme qu’aucun gouvernement ne peut violer. Pour eux, le gouvernement existe uniquement pour défendre « les personnes ou les biens des citoyens », idée que l’on retrouve dans la Déclaration d’indépendance. Ils expliquent comment le pouvoir a tendance à s’accroître naturellement au détriment des citoyens, ce qui nécessite des élections fréquentes et une surveillance étroite des élus.
Une certaine conception de la nature humaine
La plupart des Père fondateurs croient, avec John Adams, que « les passions humaines sont insatiables », que « l’intérêt, l’avidité, l’ambition et l’avarice existent dans tous les états de la société et sous toutes les formes de gouvernement » et que « la raison, la justice et l’équité n’ont jamais eu assez de poids sur la surface de la terre pour gouverner les hommes. » C’est pourquoi Adams est un ferme partisan d’une république aristocratique et non démocratique.
Jefferson ne partage pas cette vision pessimiste de la nature humaine. « J’ai une telle confiance dans le bon sens des hommes », écrit-il à propos de la Révolution française, « que je n’ai pas peur de ce qui peut arriver quand la raison s’exerce librement. » Selon lui, les « personnes les plus cultivées » n’ont aucun privilège pour se prononcer sur les affaires publiques. Jefferson a notamment une grande confiance en la sagesse des petits propriétaires, agriculteurs et planteurs comme lui.
La meilleure forme de gouvernement
Selon Jefferson, le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins. À la suite de Montesquieu et de Rousseau, il estime que la liberté individuelle est mieux défendue par des petits États aux pouvoirs limités. Pour conserver le gouvernement national le plus petit possible, il recommande une interprétation stricte de la Constitution. Pour donner au citoyen les moyens de se défendre contre les abus de pouvoir, Jefferson plaide également en faveur d’une Charte des droits (Bill of rights). Celle-ci est rédigée par James Madison, un proche de Jefferson, et adoptée en 1789 par le Congrès. Le Bill of Rights est essentiellement une série d’amendements à la Constitution américaine. Il s’agit d’interdictions, protégeant le peuple contre un gouvernement illimité.
C’est aussi Jefferson lui-même qui introduit le terme « annulation » (« nullification » en anglais) dans le lexique politique américain. Par ce terme il entend :
« le pouvoir légitime pour un État de refuser l’exécution d’une loi fédérale inconstitutionnelle à l’intérieur de ses frontières ».
Autrement dit, une minorité (en l’occurrence un État fédéré) pourrait annuler des décisions de l’État fédéral si celles-ci sont contraires à sa propre législation.
Un idéal économique inspiré de Destutt de Tracy
Jefferson est un homme du Sud, méfiant envers les banquiers et les hommes d’affaires. « Ceux qui travaillent la terre », écrit-il, « sont le peuple élu de Dieu, si jamais il y a un peuple élu. » Sa doctrine économique se résume à celle des libéraux classiques du XVIIIe siècle, celle des Physiocrates et des Idéologues, qui tient tout entière dans une formule : « Laissez-faire, laissez-passer : le monde va de lui-même ».
L’esprit de ce libéralisme a imprégné Jefferson lors de son long séjour en France. La conception de son ami Antoine Destutt de Tracy dans son Traité d’économie politique était que le commerce est la source de tout bien humain, il est la force civilisatrice, rationalisatrice et pacificatrice du monde. Destutt de Tracy écrit :
« l’échange est une transaction admirable dans laquelle les deux contractants sont toujours gagnants ».
Le Traité d’économie politique, censuré par Napoléon, fut traduit et publié aux États-Unis par Thomas Jefferson avant sa publication en France. Ce qui plaisait particulièrement à Jefferson, c’était la condamnation par son ami du gaspillage des richesses de la société sous forme de dette publique, d’impôts, de monopoles bancaires et de dépenses excessives.
Comme l’a écrit l’historien Thomas Di Lorenzo, il existe un Thomas Jefferson contemporain en la personne de Ron Paul. En effet, lorsque Ron Paul propose l’abolition de la Federal Reserve (banque centrale américaine) et le retour à l’étalon-or, il rejoint la position de Jefferson dans son opposition à Alexander Hamilton sur la légitimité d’une banque nationale.
Dans un prochain article, nous traiterons de ce grand débat entre Jefferson et Hamilton.
Le mouvement des Tea Parties, dans une certaine mesure peut donc s’expliquer par un retour aux sources, dans la tradition américaine.