Ernest Martineau, « Tarifs de renchérissement » (Le Courrier de La Rochelle, 13 avril 1905).
TARIFS DE RENCHÉRISSEMENT
Monsieur le directeur,
On se préoccupe, en ce moment et à juste titre, dans les sphères gouvernementales de l’influence que peuvent exercer sur notre commerce extérieur les traités de commerce que l’Allemagne vient de signer avec plusieurs puissances étrangères.
Qu’il me soit permis de signaler l’influence désastreuse qu’exercent indubitablement, sur ce même commerce, les tarifs de renchérissement du protectionnisme que nous nous sommes volontairement infligés.
Du chef de ces tarifs, nos agriculteurs subissent sur le marché de l’Angleterre pour la vente des œufs, du beurre, des chevaux et autres produits, la concurrence écrasante du Danemark.
De l’aveu de M. Méline, cette concurrence est écrasante, parce que les agriculteurs danois travaillent dans une zone franche, ce qui assure leur supériorité sur nos producteurs, qui travaillent dans une zone protégée.
Par exemple, la taxe de trois francs sur les maïs, qui grève la production de nos agriculteurs, les empêche de nourrir leurs bestiaux, leurs volailles, leurs porcs à aussi bas prix que leurs concurrents danois qui ont eu la sagesse de repousser les tarifs protecteurs (?) pour l’agriculture.
De là une diminution notable de notre commerce extérieur : ajoutez que les marchés de l’Amérique du Sud, pour les beurres de conserve, nous sont à peu près fermés, à cause de cette concurrence écrasante des agriculteurs danois, toujours par la même cause, par les taxes de renchérissement du protectionnisme.
Autre exemple, autre fait : à cette heure, nos tisseurs de coton du Nord et de l’Est sont en pleine crise ; ils ont des stocks invendus en quantité. M. Méline leur conseille, comme remède, l’exportation : il leur reproche, à eux comme à beaucoup d’autres de nos producteurs, d’être en retard sur l’étranger, pour la conquête des marchés d’exportation.
M. Méline a la mémoire courte : s’il se rappelait l’objection qu’il fait à l’établissement des ports francs, il comprendrait que c’est sa faute, que c’est la faute des tarifs du protectionnisme si nos cotonniers et autres producteurs ne peuvent pas exporter.
Il est vraiment étrange que cet homme d’État, qui est loin d’être un imbécile, ne comprenne pas qu’une barrière a deux côtés, et que si la barrière des tarifs barre l’entrée des produits d’importation, elle barre aussi la sortie de nos produits à l’exportation.
Un adolescent de quinze ans, d’intelligence moyenne, comprendra à coup sûr que, pour fabriquer des tissus de coton, il faut du fil ; il comprendra également qu’il faut en outre des machines, un outillage ; il comprendra enfin que si des taxes de renchérissement augmentent en France, pays protégé, le prix du fil, le prix des machines et de l’outillage, nos tisseurs de coton ne pourront pas lutter sur les marchés à l’exportation avec les tisseurs d’Angleterre qui, travaillant en zone franche, ne payant pas de taxes de protection peuvent vendre et vendent à des prix inabordables à leurs concurrents français.
M. Méline le comprend bien aussi, puisqu’il a basé sur cette différence de frais de production son opposition à la création de zones franches. Pourquoi donc ce leader du protectionnisme ne veut-il pas ouvrir les yeux à la lumière ?
Puisqu’il y a confusion des marchés, puisque nos producteurs ont à lutter désormais avec leurs rivaux du monde entier sur le marché universel, pourquoi s’obstine-t-il à maintenir des barrières de tarifs non seulement inutiles, mais essentiellement nuisibles ?
Que nos producteurs ouvrent les yeux, que nos journaux publient et vulgarisent cette vérité, ces faits qui crèvent les yeux, et ils informeront le gouvernement que s’il y a lieu d’étudier la question de l’influence que peuvent exercer, sur notre commerce extérieur, les traités de commerce passés par l’Allemagne avec d’autres nations, il est dès à présent certain, de l’aveu même de M. Méline, que les tarifs de renchérissement du protectionnisme exercent une influence désastreuse sur ce même commerce extérieur.
Telle est, à n’en pas douter, la cause principale de la décadence de notre commerce d’exportation, et il est urgent pour nos producteurs d’y porter remède.
E. MARTINEAU.
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