Post-scriptum
ou résumé des principes de l’exclusion, exposés par M. Girard dans le dernier Journal.
Pendant que l’on imprime cette Lettre, je reçois le Journal de Juin, et j’y trouve la réponse de M. Girard m’a faite. Il est difficile de prévoir jusqu’où il ira s’il continue d’écrire ; mais j’espère que négligeant un adversaire qui a promis publiquement de ne plus lui répondre, il va tourner ses arguments contre M. Rouxelin, et venger le commerce[1] des coups de ce redoutable antagoniste : car, selon M. Girard, l’idée de commerce renferme tellement celle d’exclusion, qu’attaquer l’exclusion, c’est attaquer le commerce ; que prêcher la liberté, c’est le détruire.
Au reste, les partisans de la liberté ne peuvent trop se louer de sa manière de procéder ; elle les dispense du soin de la réfutation, et termine la dispute par l’impossibilité de la soutenir.
Les autres défenseurs de l’exclusion se sont donné la torture pour déguiser et modifier leurs principes, pour les concilier s’il était possible en partie avec les nôtres ; ils ont conclu en faveur de l’exclusion sans vouloir heurter de front tous les moyens qui militent en faveur de la concurrence ; ils se sont sauvés par des distinctions, et ont fait leurs efforts pour faire disparaître les conséquences de leurs principes dont l’erreur aurait été trop frappante : ils auraient de la peine par exemple à avouer cette conséquence, quoiqu’elle dérive de leurs principes, qu’il est de l’intérêt de la Nation de se passer absolument des Étrangers ; et au moyen de ces précautions et de ces ménagements, ils rendent le point de la question plus difficile à démêler.
Pour M. Girard, il a dédaigné cette manière de disputer, qui en contestant une partie, et en accordant une autre, n’est propre qu’à éterniser les discussions. Il a pensé que dès qu’il avait embrassé un parti contraire au nôtre sur la question dont il s’agit, il devait nier tous les principes dont nous nous servons pour établir notre sentiment, et toutes les conséquences qui en dérivent ; qu’il devait prendre sur tous les points le contrepied de notre doctrine, embrasser constamment les contradictoires, et toujours aller à gauche, quand il voit ses adversaires aller à droite ; c’est le vrai moyen de ne jamais se rencontrer, et de mettre les gens au pied du mur par les négations les plus imprévues[2].
N’avons-nous pas tout lieu d’être contents de voir un des défenseurs les plus distingués de l’exclusion, nous exposer les principes de sa cause avec tant d’étendue et de franchise ; de le voir soutenir que les travaux de l’industrie produisent trois fois plus de revenu au Roi et à ses sujets que ceux de l’agriculture ; qu’il est de l’intérêt d’une Nation de voir ses productions au meilleur marché possible, que l’augmentation de la valeur serait contraire au rétablissement de la culture ; qu’elle porterait les cultivateurs à abandonner une partie de leurs terres, à falsifier les denrées, à exercer le monopole ; que la concurrence ferait monter nos grains à un prix si fort au-dessus du prix commun de l’Europe, qu’elle nous mettrait dans le cas de recourir au blé étranger ; que bien loin d’admettre les Nations voisines au transport de nos grains, il serait de notre intérêt de nous passer absolument d’elles dans toutes les branches de commerce : ce qui est avouer bien formellement cette conclusion que nous avons tirée avec tant d’avantage d’un principe avancé avec beaucoup plus de ménagement par un autre défenseur de l’exclusion. Que ce qui est utile à une Nation, étant utile à une autre, il s’ensuit que l’intérêt de toutes les Nations est que tous les vaisseaux partent à charge et reviennent à vide, et que les frais du commerce se trouvent ainsi doublés de toute part.
Quand M. Girard avoue que son sentiment suppose tous ces principes et en dérive, nous reste-t-il autre chose à faire qu’à prendre acte de cet aveu, et à mettre le public à portée de juger la question par la comparaison des principes ?
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[1] M. Girard nous annonce, pag. 190 qu’il a fait un ouvrage intitulé, le Commerce vengé.
[2] Toujours ferme sur la négative, M. Girard est très résolu de ne revenir sur aucun point. Il persiste, par exemple, à citer M. Thomas, quoique je lui aye fait voir (Jour. de Nov.) que cette citation n’était pas relative à la question. En vain l’assurerais-je que M. Thomas pense entièrement comme moi sur la question de la concurrence et sur le sens qu’il faut donner à son passage, il ne m’en croirait pas ; il n’en croirait pas M. Thomas lui-même. Il nous cite aujourd’hui les intérêts de l’Angleterre mal entendus dans la guerre présente, comme le fruit des méditations profondes d’un Anglais, comme une traduction : il ne m’en croira pas non plus, si je lui dis que cet ouvrage est de l’Abbé Dubos, qui le fit par ordre du Gouvernement de France, et avec si peu de succès, qu’en retournant le titre de l’ouvrage, le public l’intitula, les Intérêts de l’Angleterre dans la guerre présente, mal entendus par l’Abbé Dubos.
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