Un thème récurrent dans l’œuvre de Germaine de Staël, est la position sociale des femmes. Il ressort clairement à la lecture de Corinne et de Delphine, et certaines pièces de théâtre fournissent, de ce combat important de l’auteur, une énième manifestation. La principale à cet égard est naturellement Le Mannequin (1811), qui met en scène un homme songeant tellement à épouser une femme passive, silencieuse et sans volonté, que parlant à distance avec un simple mannequin il est trompé et croit avoir trouvé l’élue. Cette pièce est l’occasion pour Germaine de Staël de moquer la conception « anglaise » de la femme, à travers un comique assez bien manié, mais dont le fond reste au fond sérieux et grave.
LE MANNEQUIN,
PROVERBE DRAMATIQUE EN DEUX ACTES,
composé en 1811.
PERSONNAGES.
M. le comte D’ERVILLE, gentilhomme français.
M. DE LA MORLIÈRE, d’une famille de réfugiés établie à Berlin.
SOPHIE, sa fille.
M. Frédéric HOFFMANN, peintre allemand.
La scène est à Berlin, dans la maison de M. de La Morlière.
Nota. Le rôle de M. de La Morlière doit être joué avec l’accent allemand.
ACTE PREMIER.
Scène I.
M. DE LA MORLIÈRE et SOPHIE.
M. DE LA MORLIÈRE.
Non, ma fille, l’amour de la patrie l’emporte sur tout dans mon cœur.
SOPHIE.
Mais, mon père, il y a cent ans que votre famille a quitté la France, et vous n’y avez jamais mis les pieds !
M. DE LA MORLIÈRE.
Ma fille, mon grand père a été forcé de se réfugier en Allemagne, à cause de la révocation de l’édit de Nantes ; mais nous avons toujours conservé le cœur français, le sang français, le goût français…
SOPHIE.
Au moins, mon père, pas tout à fait l’accent français.
M. DE MORLIÈRE.
Quoi ! parce que j’ai le malheur de prononcer quelques mots un peu durement, tu as la cruauté de me le reprocher ? — C’est pour avoir vécu avec ces maudits Allemands, que j’ai perdu quelque chose de la grâce de mon langage ; c’est pour cela aussi que je veux un gendre français, qui corrigera ma prononciation, arrangera tout ici à la française, et me racontera ces beaux temps de Louis xiv, dont mon grand père me parlait toujours dans mon enfance.
SOPHIE.
Mais, mon père, M. le comte d’Erville que vous voulez me donner pour mari, est l’homme du monde le moins propre à vous raconter ce qui pourrait vous intéresser à cet égard. J’aime assurément les Français autant que vous ; mais celui-ci n’est rien que la caricature de leurs défauts, et tout au plus celle de leurs agréments. Il est venu à Berlin, dit-il, pour assister aux revues de notre grand roi Frédéric. Je vous le demande, a-t-il su ce qu’il voyait ? n’a-t-il pas regardé une armée avec sa lorgnette d’opéra ? À quoi pense-t-il, si ce n’est à lui ? Il voyage, non pour s’instruire, mais pour se montrer. Il est d’une ignorance d’autant plus remarquable, qu’il a des phrases sur tout, et des idées sur rien. Mon père, ce n’est pas là vraiment un Français, et nous avons ici des Allemands beaucoup plus dignes de porter ce nom que M. le comte d’Erville.
M. DE LA MORLIÈRE.
C’est pourtant, ma fille, un homme d’un très grand nom.
SOPHIE.
Il ne pourrait pas entrer dans les Chapitres d’Allemagne.
M. DE LA MORLIÈRE.
Les noms de France, tu le sais, ma fille, n’ont pas les trente-deux quartiers dont les Allemands sont si fiers ; mais il y a dans la noblesse française bien plus de brillant, d’éclat et de grâce.
SOPHIE.
De la grâce, en fait, de généalogie, quelle idée ! Au reste, vous aimez ce mot de grâce extrêmement, et je conviens qu’il est le plus français de tous. Mais trouvez-vous, en conscience, que le comte d’Erville ait de la grâce ? d’abord, il n’écoute personne.
M. DE LA MORLIÈRE.
C’est que personne ne cause comme lui.
SOPHIE.
Il parle sans cesse !
M. DE LA MORLIÈRE.
Qu’avons-nous de mieux à faire que de l’entendre ?
SOPHIE.
Il ne sait rien.
M. DE LA MORLIÈRE.
Il devine tout.
SOPHIE.
Le roi s’est moqué de lui l’autre jour, pour les absurdités qu’il débitait sur l’art militaire, dont il prétend s’être occupé toute la vie.
M. DE LA MORLIÈRE.
Non, c’est en littérature qu’il est le plus fort
SOPHIE.
En littérature ! M. de Voltaire l’a tourné hier en ridicule, pour quelques sottises qu’il a dites avec complaisance devant le plus bel esprit de France.
M. DE LA MORLIÈRE.
M. de Voltaire est certainement très spirituel ; on ne peut pas le lui contester : mais il n’est-pas un grand seigneur, et, pour être un Français accompli, il faut réunir l’esprit du monde avec l’esprit littéraire.
SOPHIE.
Vous avez raison, mon père, il faut les réunir : mais suffit-il d’y prétendre ?
M. DE LA MORLIÈRE.
Tu es injuste pour M. d’Erville.
SOPHIE.
Et quand cela serait, n’est-ce pas une bonne raison pour ne pas l’épouser ?
M. DE LA MORLIÈRE.
En France, on ne se marie que par convenance.
SOPHIE.
Comme nous sommes en Allemagne, je voudrais bien qu’il me fût permis d’y mêler un peu d’amour.
M. DE LA MORLIÈRE.
Oui, si je te laissais faire, tu épouserais ce jeune peintre, Frédéric Hoffmann, qui n’est jamais sorti de Berlin, qui ne s’entend qu’aux beaux-arts.
SOPHIE.
Frédéric est simple et naturel ; il est fier et modeste tout ensemble ; sa grâce est celle de tous les pays et de tous les rangs, parce qu’elle vient de la supériorité de l’esprit et de l’âme.
M. DE LA MORLIÈRE.
Il ne nous ferait pas honneur en France ; et ne faut-il pas enfin retourner une fois dans nos foyers glorieusement comme nous en sommes sortis ?
SOPHIE.
Quoi ! mon père, vous voudriez quitter les lieux où vous êtes né ?
M. DE LA MORLIÈRE.
Il est vrai que je suis né ici ; mais la naissance est un accident qui ne compte pas dans la vie d’un homme : ma vraie patrie, c’est la France. La France, la France ! je m’ennuie partout ailleurs.
SOPHIE.
Mais y pensez-vous, mon père, vous qui n’y avez jamais été ?
M. DE LA MORLIÈRE.
J’en conviens ; mais qu’est-ce que cela fait ? je me figure toujours y avoir passé ma vie.
SOPHIE.
Songez donc que si j’épouse M. d’Erville, il faudra que je me sépare de vous. Tel que je vous connais, vous parlerez toujours de voyage, et vous n’en ferez point.
M. DE LA MORLIÈRE.
Il est vrai que c’est mon imagination qui voyage, et que mes pieds ont un peu la goutte. Ne me trahis pas, Sophie ; à la maison j’aime assez le poêle, la bière et la pipe.
SOPHIE.
Mon père, savez-vous que ces trois choses-là sont terriblement allemandes ?
M. DE LA MORLIÈRE.
Ce sont de mauvaises habitudes dont il ne faut pas parler ; mais quand je te saurai en France, que je pourrai dire : ma fille, la comtesse d’Erville, me mande qu’on a donné telle pièce nouvelle, qu’il a paru tel livre, que le roi a fait telle nomination ; je me croirai où étaient mes ancêtres, et cela me rajeunira de cent ans.
SOPHIE.
Se rajeunir de cent ans, mon père, c’est comme si l’on n’avait pas existé. À quelles chimères, hélas ! vous sacrifiez votre bonheur !
M. DE LA MORLIÈRE.
M. d’Erville sera ici dans un moment ; reste un peu avec nous, pour que je te fasse sentir…
SOPHIE.
Mais, mon père, vous ne savez pas une chose, c’est que je déplais beaucoup à M. d’Erville.
M. DE LA MORLIÈRE.
Comment peux-tu dire cela, ma fille ? toi que j’ai élevée à la française, et fait instruire à l’allemande ? M. d’Erville aime tant l’esprit !
SOPHIE.
Oui, le sien ; mais pas celui des autres, ni surtout celui de la femme qu’il épouserait.
M. DE LA MORLIÈRE.
Cependant tu sais qu’en France toutes les femmes sont aimables et piquantes.
SOPHIE.
Toutes, c’est beaucoup dire ; mais M. d’Erville ne saurait souffrir qu’une femme attire sur elle une partie de l’attention qu’il veut conquérir pour lui seul, et je me suis aperçue dix fois que ce que vous avez la bonté de louer dans mon entretien, ne lui serait jamais aussi agréable que mon silence.
M. DE LA MORLIÈRE.
Folie que tout cela. Ne me tourmentez plus sur ce mariage ; j’ai donné ma parole, et vous savez, ma fille, si comme Allemand, si comme Français, j’y puis manquer.
SOPHIE.
Hélas ! mon père, j’aperçois M. d’Erville ; je vous laisse avec lui.
M. DE LA MORLIÈRE.
Reste donc encore une fois ; il est si impatient de te voir !
SOPHIE.
Impatient de me voir ! ah ! vous le connaissez bien.
M. DE LA MORLIÈRE.
Parle-moi franchement ; crois-tu qu’il te préfère quelque femme ici ou ailleurs ?
SOPHIE.
Non du tout, car il n’aime que lui ; mais cette rivalité-là en vaut bien une autre, et jamais femme n’en a triomphé.
(Elle sort)
Scène II.
M. DE LA MORLIÈRE et le COMTE D’ERVILLE.
LE COMTE.
Bonjour, mon cher beau-père ; car je me plais à vous appeler ainsi ; mon cœur est déjà tout à vous, comme si le lien qui doit nous unir était formé.
M. DE LA MORLIÈRE.
Que c’est aimable ce que vous me dites là ! ces Allemands sont des années à former une liaison intime, tandis que vous je vous connais depuis quinze jours, et nous sommes déjà les meilleurs amis du monde.
LE COMTE.
Oh ! cela est vrai : tout ce qui vous intéresse m’est, pour ainsi dire, personnel.
M. DE LA MORLIÈRE.
Vous avez donc eu sûrement la bonté de recommander mon frère au ministre, pour l’emploi qu’il désirait ?
LE COMTE.
Monsieur votre frère ! Est-ce que vous avez un frère ?
M. DE LA MORLIÈRE.
Comment ! si j’en ai un ! depuis une semaine je vous ai parlé de lui chaque jour au moins deux heures.
LE COMTE.
C’est que le temps me paraît si court quand vous me parlez…
M. DE LA MORLIÈRE.
Que vous ne m’écoutez pas. Allons, allons, laissons cela ; c’est la vivacité française qui excuse tout : mais puisque vous ne m’avez pas entendu, je recommencerai avec plus de détails.
LE COMTE.
Oh ! cela n’est pas nécessaire ; je conçois… Monsieur votre frère est Allemand.
M. DE LA MORLIÈRE.
Allemand ! non, puisque je suis Français ; mais réfugié. Auriez-vous aussi oublié cela, par exemple ? il me semble cependant que la manière dont je parle…
LE COMTE.
Est très agréable. Mais dites-moi, je vous prie, entendez-vous tout en français ?
M. DE LA MORLIÈRE.
Si j’entends tout en français ! mais je sais à peine l’allemand ; je ne le parle jamais que pour affaires.
LE COMTE.
Vous avez raison, il n’y a que le français qui soit de bonne compagnie ; il n’est pas poli de parler les langues étrangères ; aussi moi je n’en sais pas une. Mon gouverneur voulait me les faire apprendre, mais j’ai craint de gâter mon français en parlant une autre langue.
M. DE LA MORLIÈRE.
Ah ! c’est bien vrai. Pour moi, je ne peux pas m’empêcher de savoir un peu l’allemand ; mais je vais tâcher de l’oublier.
LE COMTE.
Vous avez raison ; à quoi cela sert-il ?
M. DE LA MORLIÈRE.
En Allemagne cependant, c’est quelquefois commode.
LE COMTE.
Oui, cela peut se soutenir ; mais moi je m’en suis toujours passé.
M. DE LA MORLIÈRE.
Je voudrais que vous me dissiez naturellement si j’ai de l’accent.
LE COMTE.
De l’accent ! gascon, picard, normand ?
M. DE LA MORLIÈRE.
Non, de l’accent de ce pays, de l’accent allemand enfin, puisqu’il faut le dire ?
LE COMTE.
Je n’y ai pas trop fait d’attention ; mais à présent que vous me le dites, il me semble bien que…
M. DE LA MORLIÈRE.
Achevez, achevez.
LE COMTE.
Qu’il y a quelques mots que vous prononcez…
M. DE LA MORLIÈRE.
Comment ?
LE COMTE.
Un peu trop bien.
M. DE LA MORLIÈRE.
Que voulez-vous dire ?
LE COMTE.
Un peu trop fort.
M. DE LA MORLIÈRE.
Hélas ! mon Dieu, c’est bien vrai. Mon grand père m’en avertissait toujours ; mais c’est que j’ai tant de zèle à parler le français, que je crains toujours de ne pas le faire assez bien entendre.
LE COMTE.
Ah ! c’est tout simple ; mais quand nous aurons passé quelque temps ensemble, vous le parlerez comme moi, d’une façon légère et rapide. Le roi de Prusse, par exemple, le croiriez-vous ? le grand Frédéric ne parle pas comme un Français. Ce qu’il dit est bien ; mais il n’y a pas d’aisance dans ses phrases ; il prononce lentement ; on dirait qu’il réfléchit en parlant, et cela n’a pas du tout de grâce.
M. DE LA MORLIÈRE.
Et M. de Voltaire, qui est à présent à la cour de notre roi, comment l’avez-vous trouvé ?
LE COMTE.
Si vous voulez que je vous parle franchement, je ne l’ai pas fort écouté ; j’étais très empressé de raconter Paris que je venais de quitter, et dont chacun était curieux ; et j’ai pensé que j’aurais toujours le temps de causer avec M. de Voltaire.
M. DE LA MORLIÈRE.
Cependant il part demain, à ce qu’on dit.
LE COMTE.
Ah ! j’en suis fâché ; mais il se fait souvent imprimer : ainsi je suis toujours à portée de le lire quand je voudrai ; il n’y a que ceux qui ne font que parler dont il ne faille rien perdre. Ceux qui écrivent, on est toujours à temps de connaître leur esprit.
M. DE LA MORLIÈRE.
Et comment trouvez-vous celui de ma fille ? dites-le moi naturellement.
LE COMTE.
Vous le voulez, je répondrai avec une extrême franchise ; c’est mon genre, et comme il a réussi, je n’ai pas songé aux inconvénients qu’il peut avoir. Elle est fort spirituelle, Sophie, fort spirituelle ; mais elle se met trop en avant ; elle fait un peu trop de bruit dans une chambre.
M. DE LA MORLIÈRE.
Ma fille a une innocente vivacité, que je croyais surtout dans le goût des Français.
LE COMTE.
Oui sans doute ; mais cependant moi, je ne sais si vous êtes de mon avis, mais j’aime les femmes qui parlent peu ; un sourire d’approbation, d’encouragement m’est cent fois plus agréable que cette manière de tenir le dé de la conservation ; et je trouve plus convenable…
M. DE LA MORLIÈRE.
Quoi, monsieur ?
LE COMTE.
Votre fille est charmante, et je l’adore ; je vous l’ai déjà dit ; mais je ne sais, il y a quelque chose dans vos manières de plus français que dans les siennes
M. DE LA MORLIÈRE.
Ah ! c’est tout simple, je me suis toujours plus occupé de la mère-patrie.
LE COMTE.
Vous croirez y être, quand je serai votre gendre. À propos, vous savez que mes affaires ne sont pas trop en ordre ; je ne vous l’ai pas caché ; j’ai d’immenses terres qui sont depuis bien des siècles dans ma famille ; mais j’ai beaucoup de dettes, ah ! beaucoup
M. DE LA MORLIÈRE.
Était-ce l’usage en France ?
LE COMTE.
Universel.
M. DE LA MORLIÈRE.
En ce cas il faut s’y soumettre. Vous ne voulez pas cependant, je pense, ruiner ni vous ni ma fille ?
LE COMTE.
Non assurément, non ; c’est un vieux genre ; on ne se ruine plus ; on a senti que l’argent était nécessaire à l’élégance même, et l’on tâche d’être le plus riche qu’on peut, parce que la fortune a de la grâce.
M. DE LA MORLIÈRE.
Sans doute ; mais, à mon grand regret, j’ai bien peu d’argent comptant.
LE COMTE.
Tant pis ; c’est le plus agréable. Je voudrais, par exemple, que vous m’en vissiez dépenser ; la façon dont je m’y prends vous plairait.
M. DE LA MORLIÈRE.
Oui, si c’était le vôtre, mais le mien…
LE COMTE.
Qu’importe pour un homme comme vous ? c’est la manière qui fait tout.
M. DE LA MORLIÈRE.
Vous avez raison, je suis bien Français à cet égard ; vivent les manières ! il n’y a que cela qui plaise. À propos, je vous ai préparé une surprise qui, je crois, vous sera agréable. Vous connaissez ce peintre allemand, Frédéric Hoffmann, qui a du talent, et qui…
LE COMTE.
Ah ! je vous entends ; vous voulez que je fasse faire mon portrait pour mademoiselle votre fille : c’est bien aimable, mais j’ai prévenu vos désirs. Le voici.
M. DE LA MORLIÈRE.
Mais non, c’est celui de ma fille dont je me suis occupé.
LE COMTE.
Ah ! vous avez bien raison ; je le désirais beaucoup aussi, mais je n’osais pas…
M. DE LA MORLIÈRE.
Cependant il faut plus d’assurance, à ce qu’il me semble, pour offrir son portrait, que pour recevoir celui de la femme qu’on aime.
LE COMTE, regardant son portrait.
Vous êtes bien bon.
M. DE LA MORLIÈRE.
Mais vous ne répondez pas à ce que je dis.
LE COMTE.
Pardon, j’étais distrait. Il manque à mon portrait de la physionomie ; les peintres ne savent jamais la saisir.
M. DE LA MORLIÈRE.
Faites-le corriger par Frédéric, il est habile… Vous vous taisez en seriez-vous jaloux ?
LE COMTE.
Jaloux ! pourquoi ?
M. DE LA MORLIÈRE.
Parce qu’on dit qu’il est amoureux de ma fille.
LE COMTE.
Ah, mon Dieu ! je n’y pensais pas. Il n’est pas dans mon caractère, à moi, d’être jaloux ; et puis je me fie un peu à mon étoile, elle m’a toujours bien servi. — D’ailleurs, en conscience, un artiste…
M. DE LA MORLIÈRE.
Sans doute. Cependant, il faut en convenir, Frédéric est bien né, spirituel, et je n’ai guère vu d’Allemand qui parlât si bien le français.
LE COMTE.
Hors de France, cela passe pour un mérite, de bien parler le français ; mais nous autres, nous sommes un peu blasés sur cet avantage. Il y a pourtant des manières de s’exprimer qui se font remarquer. Croyez-vous que mademoiselle votre fille en puisse sentir toutes les nuances ?
M. DE LA MORLIÈRE.
En doutez-vous ?
LE COMTE.
Elle m’écoutait si mal hier ! c’est un grand talent pour une femme que d’écouter. Vous, par exemple, vous l’avez ; il y a du plaisir à vous parler.
M. DE LA MORLIÈRE.
Ah ! c’est que je suis plus près que ma fille du moment où mon grand-père a quitté la France ! La tradition française s’affaiblit à chaque génération.
LE COMTE.
Comment, à chaque génération ! un mois d’absence suffit pour rouiller. Il me faudra du temps, quand je reviendrai à Paris, pour retrouver… pour être, enfin, tout ce qu’on doit être.
M. DE LA MORLIÈRE.
Ah ! s’il en est ainsi, hâtons le mariage : dès demain, dès ce soir. Je ne voudrois pas, pour rien au monde, avoir un gendre rouillé ; je sens par moi-même à quel point c’est triste. On est tout je ne sais comment, quand on ignore, comme on est à Paris ; on parle au hasard, on ne sait pas seulement si l’on a raison de sentir ce qu’on sent ; enfin, on n’est sûr de rien.
LE COMTE.
Comptez sur moi pour vous mettre au fait.
M. DE LA MORLIÈRE.
Attendez ici, je vous prie, le peintre, qui doit vous apporter le portrait de ma fille. — Mais je vois à ma montre que je suis obligé de sortir, pour aller chez mon frère ; c’est bien familier de vous laisser ainsi chez moi ; mais je veux vous quitter à la française, sans faire des excuses. N’est-ce pas ainsi que cela se passe à Paris ? (Il fait plusieurs révérences.) Ne croyez pas pourtant que j’ignore, monsieur le comte, les égards que je vous dois ; mais je m’en vais sur la pointe des pieds, sans dire un mot, sans faire une seule révérence, lestement, comme l’aurait fait mon grand-père ; je veux dire comme un vrai Français. Allons, allons, ne me saluez pas. Je pars. — Je suis parti.
Scène III.
LE COMTE D’ERVILLE, seul !
Il appelle cela ne rien dire ! J’ai cru qu’il ne sortirait jamais, à force de me demander la permission de sortir. Cependant, tel qu’il est, je voudrais bien que sa fille lui ressemblât. C’est une petite personne trop avisée, et je n’aime point cela.
Scène IV.
LE COMTE D’ERVILLE, FRÉDÉRIC.
LE COMTE.
Bonjour, monsieur Frédéric. Je suis désolé de n’avoir pas fait faire mon portrait chez vous ; je suis sûr que vous auriez mieux réussi que ce M. Schiehle… Schlihles : je ne sais comment prononcer un nom allemand.
FRÉDÉRIC.
La même chose nous arrive pour les noms français.
LE COMTE.
Comment cela est-il possible ?
FRÉDÉRIC.
Très possible, puisque nous sommes tous des étrangers les uns pour les autres.
LE COMTE.
Des étrangers, les Français ! y pensez-vous ?
FRÉDÉRIC.
Non en France, mais bien en Allemagne.
LE COMTE.
C’est vrai, mais cela ne peut pas durer. — Mon futur beau-père, M. de La Morlière, m’a dit que vous aviez à me remettre un portrait de sa fille, mademoiselle Sophie.
FRÉDÉRIC.
Je ne savais pas, Monsieur, qu’il fût pour vous.
LE COMTE.
Et pour qui vouliez-vous donc qu’il fût ?
FRÉDÉRIC, à part.
Hélas ! — Le voilà, Monsieur. Le trouvez-vous ressemblant ?
LE COMTE.
Ressemblant ! oui. — Mais fort embelli.
FRÉDÉRIC.
Je ne le croyais pas possible.
LE COMTE.
Ah ça, mon cher, par exemple, c’est de l’illusion. Elle est bien, Sophie, mais votre portrait est cent fois mieux qu’elle.
FRÉDÉRIC.
Je suis bien loin de le trouver ainsi.
LE COMTE.
C’est tout simple, vous êtes amoureux de Sophie ; je le sais, le beau-père me l’a dit.
FRÉDÉRIC.
Monsieur…
LE COMTE.
Je ne m’en fâche pas du tout, car moi je ne le suis pas. J’ai trente ans ; j’ai déjà beaucoup aimé, je l’ai été beaucoup : aussi je ne me fais plus d’illusion sur rien.
FRÉDÉRIC.
Vous m’étonnez, Monsieur. Quand vous épousez une personne que tant de gens vous envient, je pensais que vous sentiez mieux votre bonheur.
LE COMTE.
Parions, Monsieur, que vous lisez beaucoup de romans ; enfin, parions.
FRÉDÉRIC.
Oui, sans doute, Monsieur ; mais il ne me semble pas pourtant qu’il y ait rien de bien exalté dans ce que je viens de vous dire.
LE COMTE.
Tout ce qui n’est pas dans les bornes de la raison est du roman.
FRÉDÉRIC.
Et où placez-vous les bornes de la raison ?
LE COMTE.
Dans l’usage du monde. Il est convenable qu’un homme comme moi épouse une fille riche, d’une naissance moins illustre que la sienne. Si cela n’était pas convenable, je vous assure que je vous céderais bien volontiers mademoiselle Sophie.
FRÉDÉRIC.
Je désirerais, Monsieur, que vous voulussiez bien ne pas me parler de ce qui me touche.
LE COMTE.
Et pourquoi pas ? je parle bien de moi, moi-même.
FRÉDÉRIC.
Chacun a sa manière.
LE COMTE.
C’est vrai. Je ne vous blâme pas ; mais je voulais ; seulement vous dire que c’est le beau-père qui s’est entiché de moi, et que le mariage que je fais n’est pas du tout de mon invention. Mademoiselle Sophie a des opinions décidées sur tout ; souvent elle me contredit, et ce n’est pas le moyen de me connaître ; car moi je me tais, dès qu’on veut disputer : cela m’ennuie. Il faut savoir m’apprécier d’abord, ou bien renoncer à m’entendre. Le croiriez-vous ? j’aime les manières anglaises, la timidité anglaise. Il y avait hier chez le ministre…
FRÉDÉRIC.
Lady Berwick.
LE COMTE.
Précisément ; que J’ai trouvée la plus spirituelle du monde.
FRÉDÉRIC.
Comment, l’avez-vous trouvée spirituelle ? elle ne dit pas un mot de français.
LE COMTE.
Elle l’entend si bien ! et puis elle a des regards…
FRÉDÉRIC.
Elle a été enchantée de vous
LE COMTE.
J’ai cru m’en apercevoir. Je voudrais, avant de m’en aller, lui laisser une copie de ce portrait. Si vous vouliez la faire et la perfectionner d’après mes conseils…
FRÉDÉRIC.
Monsieur, si vous me permettes de conserver le portrait de mademoiselle Sophie, je ferai deux copies du vôtre, dont vous serez très content.
LE COMTE.
Le portrait de Sophie ! mais cela se peut-il ? Je ne demande pas mieux, pour ma part, parce que… Oui, j’en ferai faire un meilleur en France. Cependant, le beau-père pourrait se fâcher.
FRÉDÉRIC.
Je me charge de l’apaiser.
LE COMTE.
Mais Sophie !…
FRÉDÉRIC.
Mais la dame anglaise, qui écoute si bien ! qui regarde si bien !
LE COMTE.
Ah ! c’est vrai, il n’est point de femme dont l’entretien, je veux dire dont le silence, ait plus de grâce. Faites comme vous l’entendrez ; je veux qu’un galant homme comme vous soit content de moi. — Écoutez, il me semble que les yeux ne sont pas bien dans…
FRÉDÉRIC.
Dans le portrait de mademoiselle Sophie ?
LE COMTE.
Non, dans le mien. — Mais ne les corrigez pas d’après moi aujourd’hui ; je suis abattu, je me sens triste. Il me fâche de ne pas faire un mariage d’inclination ; ce n’est pas assurément que je voulusse qu’il ne fût pas de convenance ; mais il serait doux de tout réunir. Vous croyez qu’il n’y a que vous autres Allemands de mélancoliques ; mais nous aussi, nous avons des moments de rêverie. Par exemple, saisissez celui-ci pour mon portrait, ce regard perdu ; c’est bien, n’est-ce pas ? Adieu.
Scène V.
SOPHIE, FRÉDÉRIC.
SOPHIE.
Je guettais le moment où M. d’Erville serait sorti, pour vous voir seul un instant, mon cher Frédéric.
FRÉDÉRIC.
Ah ! ma Sophie, se pourrait-il que vous fussiez la femme d’un tel homme ! Savez-vous qu’il ne vous aime pas ?
SOPHIE.
Pensez-vous que j’aie attendu jusqu’à présent pour m’en apercevoir ?
FRÉDÉRIC.
Croiriez-vous qu’il m’a laissé votre portrait, à condition que je lui fisse deux copies du sien propre ?
SOPHIE.
C’est un peu fort, j’en conviens ; mais enfin qu’y puis-je ? mon père a donné sa parole, et rien au monde ne l’y ferait manquer.
FRÉDÉRIC.
Pouvez-vous me répondre avec cette indifférence ? avez-vous déjà pris le caractère de l’homme auquel vous devez être unie ? êtes-vous, comme lui, légère, insensible, et décidée par l’amour-propre, dans la plus importante circonstance de votre vie ? Pardon, Sophie, pardon, ce n’est pas ainsi que je vous ai connue ; mais puis-je vous parler tranquillement de mon malheur et du vôtre ! Le comte d’Erville n’est pas fait pour vous. Quand vous seriez indifférente à mon amour, quand vous ne conserveriez aucun regret pour celui qui vous a tant aimée, votre âme noble et profonde ne pourrait jamais être comprise par un homme de ce caractère.
SOPHIE.
Frédéric, j’ai tort de ne vous avoir pas confié mes projets. Je voulais dissimuler avec vous, jusqu’à ce que je me fusse entretenue de nouveau avec mon père ; mais vos accents si vrais ont pénétré jusqu’au fond de mon cœur, et rien ne peut vous y rester caché.
FRÉDÉRIC.
Ah ! de grâce, quels sont donc ces projets ?
SOPHIE.
Je connais mon père ; si M. d’Erville ne lui rend pas sa parole, jamais il ne la redemandera.
FRÉDÉRIC.
Et comment espérer que ce M. d’Erville ?…
SOPHIE.
J’ai essayé de lui déplaire, et j’y ai déjà, grâce au ciel ! parfaitement réussi ; car il ne s’agit pour cela que de lui ôter une occasion quelconque de briller. Mais comme il ne m’épouse pas parce qu’il m’aime, je ne gagne rien à me rendre désagréable à ses yeux.
FRÉDÉRIC.
Qu’espérez-vous donc ?
SOPHIE.
Lui tendre un bon petit piège dans lequel il tombera.
FRÉDÉRIC.
Que dites-vous, chère Sophie ! attraper un Français ! cela est-il jamais arrivé à un Allemand ?
SOPHIE.
Rarement, j’en conviens ; mais M. d’Erville est si occupé de lui-même, qu’il n’observe rien avec finesse. La vanité offre beaucoup de prise ; et M. d’Erville en a tant, que je me flatte de le gouverner à son insu par ce moyen. D’ailleurs il aime assez l’argent et quoique ce soit pour le dépenser, c’est un goût toujours un peu vulgaire, dont on peut tirer parti pour se débarrasser de lui. Mon cher Frédéric, j’ai tant d’envie d’échapper au triste sort qui me menace, et de me conserver pour vous ; que je veux tout tenter pour y parvenir.
FRÉDÉRIC.
Ah ! Sophie, je n’ose espérer tant de bonheur.
SOPHIE.
Cher Frédéric, nous n’avons fait de mal à personne ; pourquoi le sort ne nous protégerait-il pas ? Je vois venir mon père, laissez-moi seul avec lui.
Scène VI.
M. DE LA MORLIÈRE, SOPHIE.
M. DE LA MORLIÈRE.
Je te croyais avec M. d’Erville.
SOPHIE.
Ah ! il y a long-temps qu’il est parti. Vous figurez-vous donc qu’il pense à moi ?
M. DE LA MORLIÈRE.
Mais je l’imagine, puisqu’il t’épouse.
SOPHIE.
Belle raison ! Il se marie, je crois, sans songer qu’il faut être deux pour cela.
M. DE LA MORLIÈRE.
Je n’aime pas ta malveillance contre le comte d’Erville.
SOPHIE.
Mon père, je vous jure que j’ai raison.
M. DE LA MORLIÈRE.
J’en serais très fâché ; car, encore une fois, j’ai donné ma parole.
SOPHIE.
Et si je vous la faisais rendre par M. d’Erville lui-même ?
M. DE LA MORLIÈRE.
Alors je serais libre ; mais je vous saurais très mauvais gré d’avoir rompu un mariage qui…
SOPHIE.
Mon père, avant de me blâmer, daignez venir avec moi chez mon oncle ; il connaît mieux M. d’Erville que vous ; il, vous dira…
M. DE LA MORLIÈRE.
Ton oncle ne sait pas un mot de français ; il nous fait tous passer pour Allemands ; il oublie ses ancêtres, sa patrie, enfin…
SOPHIE.
Mon père, malgré tout cela, vous aimez beaucoup mon oncle.
M. DE LA MORLIÈRE.
C’est vrai.
SOPHIE.
Eh bien ! c’est devant lui que je vous confierai l’espoir…
M. DE LA MORLIÈRE.
Quel espoir ?
SOPHIE.
Que M. d’Erville lui-même viendra vous demander en mariage votre nièce…
M. DE LA MORLIÈRE.
Comment ! ma nièce ! je n’en ai pas ; veux-tu me faire dire un mensonge ?
SOPHIE.
Non assurément ; j’aimerais mieux m’en charger moi-même.
M. DE LA MORLIÈRE.
Quoi ! tu te permettrais de tromper ?…
SOPHIE.
La ruse est si innocente, que vous-même vous l’approuverez.
M. DE LA MORLIÈRE.
Je voudrais savoir…
SOPHIE.
Vous le saurez tout à l’heure ; suivez-moi chez mon oncle. Je consens à vous obéir, si M. d’Erville lui-même ne vous dégage pas de votre promesse.
M. DE LA MORLIÈRE.
Allons, je veux bien te suivre ; mais je n’augure rien de bon de tout ceci.
FIN DU PREMIER ACTE.
ACTE SECOND.
Scène I.
M. DE LA MORLIÈRE et SOPHIE.
M. DE LA MORLIÈRE.
Mais, ma fille, tu es folle. Je ris, j’en conviens, de ton idée : elle est plaisante ; mais il est impossible qu’elle réussisse.
SOPHIE.
Vous verrez qu’elle réussira.
M. DE LA MORLIÈRE.
Quoi ! M. d’Erville prendra le mannequin d’un peintre pour ma nièce ?
SOPHIE.
Je le placerai derrière ce rideau, où je dessine quand Frédéric m’aide à copier votre buste.
M. DE LA MORLIÈRE.
Comment ? là ! Voyons. — Et qui donc est là ? (il salue et Sophie aussi.) Par quel hasard as-tu donc des visites chez toi à présent ? On a peut-être entendu ce que je te disais.
SOPHIE.
Non, mon père, je vous l’assure.
M. DE LA MORLIÈRE.
Cette dame a l’air mécontente de ce que tu l’as fait attendre.
SOPHIE.
Mon père, cette dame est très pacifique, et nous nous raccommoderons bientôt.
M. DE LA MORLIÈRE.
Madame, auriez-vous quelque chose à dire à ma fille ?… Et que diable ! elle ne répond pas ! — Va donc lui parler. — Tu ris ! mais y penses-tu donc ? à qui en as tu ?…
SOPHIE.
Eh bien ! mon père, vous voyez que M. d’Erville pourra bien s’y tromper.
M. DE LA MORLIÈRE.
Comment ! c’est le mannequin !
SOPHIE.
Oui, mon père.
M. DE LA MORLIÈRE.
Oh ! par exemple, c’est inconcevable. Mais enfin, quand ma prétendue nièce ne parlera pas ?
SOPHIE.
M. d’Erville prendra, son silence pour de l’admiration.
M. DE LA MORLIÈRE.
Mais quand il voudra savoir s’il en est aimé ?
SOPHIE.
Il fera la demande et la réponse.
M. DE LA MORLIÈRE.
Enfin s’il lui prend la main, ne sentira-t-il pas qu’elle est de carton ?
SOPHIE.
Oh ! c’est une autre affaire ; mais la réserve de ma cousine retardera ce moment ; et comme je serai toujours présente à l’entretien, j’espère mener la chose de manière que votre parole vous sera rendue, et que je pourrai disposer de mon cœur.
M. DE LA MORLIÈRE.
Allons, si mon gendre futur est dupe à ce point, il faut convenir que ce n’est pas un Français ; car un Français est le plus pénétrant des hommes.
SOPHIE.
En conscience, mon père, voudriez-vous donner votre fille à un homme qui lui préférerait un mannequin ?
M. DE LA MORLIÈRE.
Non assurément. Et tu crois qu’il est à ce point insensible au charme de ta conversation ? Cependant madame de Sévigné, madame de La Fayette étaient des personnes, à ce que m’a dit mon grand-père…
SOPHIE.
M. d’Erville voudrait réduire les femmes au rôle le plus nul.
M. DE LA MORLIÈRE.
C’est bien sévère, pour un homme si léger.
SOPHIE.
La vanité est, à certains égards, bien plus sévère que la vertu.
M. DE LA MORLIÈRE.
Allons, je ne m’en mêle plus. S’il vient me demander ma nièce en mariage, alors tout est dit, et tu épouseras ton peintre ; sinon, tu signeras ce soir ton contrat avec M. d’Erville.
SOPHIE.
Ce soir !
M. DE LA MORLIÈRE.
Adieu.
Scène II.
SOPHIE, FRÉDÉRIC.
SOPHIE.
Eh bien ! mon oncle a-t-il parlé à M. d’Erville ?
FRÉDÉRIC.
Oui, chère Sophie ; vous ne pouvez pas vous figurer avec quelle facilité il s’est pris au piège qu’on lui tendait. Conçoit-on qu’un homme qui vous a vue…
SOPHIE.
Ah ! trêve de ménagements, mon ami ; vous ne savez pas combien vous me ravissez, en me prouvant qu’il ne m’aime pas !
FRÉDÉRIC.
Votre oncle a dit à M. d’Erville qu’il avait une fille unique, infiniment plus riche que vous ; mais qu’on ne présentait pas dans le monde, parce qu’elle ne savait pas parler le français, et qu’elle était trop timide. — Les femmes timides me plaisent beaucoup, a-t-il dit ; je suis bon, j’aime à rassurer. — Votre oncle a ajouté que votre prétendue cousine avait vu passer à cheval M. d’Erville, et que depuis ce temps elle en avait la tête tournée. — La pauvre petite ! a-t-il répondu ; mais c’est que je monte à cheval à merveille, et d’ailleurs elle n’a vu personne… — Il voulait dire, personne dans ce pays qui ait de la grâce comme moi ; mais la modestie l’a retenu, et j’ai cru poli d’achever sa phrase ; qu’il n’a point désavouée. Votre oncle, qui déteste M. d’Erville, s’est plu à lui répéter que vous étiez si jalouse de votre cousine, que vous ne la receviez jamais que le matin, et sans la laisser voir à personne. M. d’Erville croit vous surprendre en venant ici tout à l’heure. Je lui ai dit qu’à l’instant même j’irais chercher votre cousine, et que je la conduirais dans votre cabinet. Tirons ce rideau, et ne l’ouvrez qu’à mon retour : je vous laisse le temps d’exciter la curiosité de M. d’Erville, en paraissant lui refuser de voir votre cousine. — Chère Sophie, je sens que vous souffrez comme moi d’être réduite à tromper, même celui qui vous épouse sans vous aimer ; mais enfin je crois qu’il nous est permis, dans cette circonstance seulement, de quitter le rôle de dupe pour lequel nous sommes si fiers d’être faits.
SOPHIE.
Oui, cher Frédéric, vous avez deviné le mouvement de trouble que j’éprouvais ; mais j’aperçois M. d’Erville, et son air confiant dissipe tous mes scrupules. Allons, faisons habilement notre rôle ; aussi-bien M. d’Erville n’en joue-t-il pas un tout le jour ?
Scène III.
les précédents ; LE COMTE D’ERVILLE.
LE COMTE, à Frédéric.
Allez-vous revenir avec elle ?
FRÉDÉRIC.
Tout à l’heure.
LE COMTE.
Hâtez-vous ; je suis d’une impatience…
FRÉDÉRIC.
Tranquillisez-vous ; vraiment vous m’intéressez.
LE COMTE.
Mon imagination se monte si facilement !
Scène IV.
LE COMTE D’ERVILLE, SOPHIE.
SOPHIE.
Ah ! monsieur, je vous salue ; je ne vous ai pas vu de tout le jour. Êtes-vous sorti ce matin ? avez-vous été au Musée ? avez-vous vu les tableaux qu’on vient d’y exposer ? Moi, j’en ai été ravie ; il y a un ton de couleur, une exactitude de dessin, une chaleur de composition…
LE COMTE, à part.
Quel bavardage ! — Non, mademoiselle ; je me suis occupé de tout autre chose.
SOPHIE.
Et pourrais-je me flatter que mon souvenir…
LE COMTE.
Sans doute, mademoiselle, il est bien fait pour remplir tout mon esprit ; mais, je l’avoue, ma curiosité a été vivement excitée.
SOPHIE.
Et peut-on savoir à quel sujet ?
LE COMTE.
On dit que vous avez une cousine très aimable.
SOPHIE.
Aimable ! elle ne dit pas un mot.
LE COMTE.
Mais elle a néanmoins un sens exquis.
SOPHIE.
Qui vous a dit cela, monsieur ?
LE COMTE.
Son père d’abord, et puis un homme dont vous estimez le jugement, monsieur Frédéric.
SOPHIE.
Ah ! ne voyez-vous pas qu’il aurait envie que vous renonçassiez à moi pour épouser ma cousine ?
LE COMTE.
Mademoiselle, pourriez-vous croire… D’ailleurs votre cousine ne voudrait sûrement pas…
SOPHIE.
Qui sait ?… c’est une personne dont on fait tout ce qu’on veut, qui n’a point d’idées ni de volontés à elle : où on la pose elle reste.
LE COMTE.
Permettez-moi de vous le dire, mademoiselle, j’aime beaucoup cette docilité dans une femme.
SOPHIE.
Il faut convenir que ma cousine est docile ; mais jamais vous n’auriez avec elle ce plaisir que vous appréciez sans doute au-dessus de tous les autres, celui de s’entendre et de se répondre, de se communiquer ses sentiments et ses pensées.
LE COMTE.
Je renonce à ce plaisir-là plus facilement que vous ne croyez : ce qu’il me faut avant tout, c’est être compris. D’ailleurs, je ne suis pas exigeant ; je n’ai pas besoin que les autres me parlent de leurs affaires ; je respecte leurs secrets.
SOPHIE.
L’indifférence sert beaucoup dans ce cas à la discrétion. Enfin, monsieur, je vois que ma cousine vous convient mieux que moi sous tous les rapports. Je me suis déjà aperçue depuis long-temps que mon oncle désirait vous avoir pour gendre ; mais ne m’obligez pas à vous faire connaître dans ma propre maison celle que vous me préférez.
LE COMTE.
Chère Sophie, je suis touché de votre peine, et je la conçois ; mais le peintre allemand vous aime tant ! il est bien plus fait pour vous que moi ; il est romanesque comme vous : moi je suis d’une raison parfaite ; l’esprit de votre cousine ressemblera bien mieux au mien.
SOPHIE.
En êtes-vous bien-sûr ?
LE COMTE.
Je le serai quand je l’aurai vue.
SOPHIE.
Eh, bien ! monsieur, comme sa fortune est beaucoup plus considérable que la mienne…
LE COMTE.
Ah ! vous dites là précisément ce qui m’empêchera de rendre à monsieur votre père sa parole.
SOPHIE, à part.
(Ah ! ciel, qu’allais-je faire ?) Vous êtes trop généreux, monsieur le comte ; la dot considérable de ma cousine, et qui doit être payée comptant, n’est point du tout, je le pense, une raison pour que votre délicatesse vous défende de la demander en mariage ; car je ne pourrais m’unir à vous qu’en étant sûre de posséder votre cœur sans partage ; et si vous ne sentez pas une passion pour moi qui vous rendît heureux dans la misère et dans la solitude, de grâce, monsieur, ne m’épousez pas, ne m’épousez pas.
LE COMTE.
La misère et la solitude, mademoiselle ! mais savez-vous bien que c’est affreux ? Auriez-vous, par hasard, l’idée que cela pût nous arriver ? dites-le moi naturellement.
SOPHIE.
C’est une supposition qu’il faut toujours admettre quand on s’aime.
LE COMTE.
Ah ! que dites-vous là ? Et votre cousine fait-elle aussi cette supposition ?
SOPHIE.
Ô mon Dieu non ! c’est une personne qui… enfin une personne dont il n’y a pas le moindre mal à dire.
LE COMTE.
C’est un témoignage d’un grand prix rendu par une rivale.
SOPHIE.
Ah ! l’expression est un peu forte ; et peut-être trouverez-vous par la suite que cette rivalité n’est pas si redoutable que vous croyez.
LE COMTE.
Allons, n’y mettez pas d’amertume, je vous en prie ; montrez plutôt la générosité qui vous caractérise. Vous autres Allemands, vos romans sont pleins de ces sacrifices admirables…
SOPHIE.
Que vous me conseillez de faire pour vous.
Scène V.
les précédents ; FRÉDÉRIC.
LE COMTE.
Ah ! monsieur Frédéric, la cousine de mademoiselle est-elle ici ?
FRÉDÉRIC.
Oui, monsieur ; elle est dans ce cabinet.
LE COMTE.
En ce cas, permettez que je la voie.
SOPHIE.
Doucement, monsieur, doucement ; vous lui feriez une peur terrible si vous alliez comme cela brusquement vers elle. M. Frédéric et vous, asseyez-vous ici, et ma cousine et moi nous nous placerons sur le canapé qui est derrière ce rideau.
LE COMTE.
Vous le tirerez au moins, j’espère.
SOPHIE.
Oui, mais à condition que vous n’approcherez pas de nous.
LE COMTE.
Quelle idée !
SOPHIE.
Je le veux ; m’en donnez-vous votre parole ?
LE COMTE, à Frédéric.
Comme la jalousie des femmes est exigeante ! je n’ai pas cessé d’en souffrir. — Eh bien ! oui, mademoiselle ; je me soumets à votre volonté.
SOPHIE.
J’y compte, et je reviens à l’instant.
Scène VI.
LE COMTE, FRÉDÉRIC.
LE COMTE.
Avez-vous l’idée de la peine qu’éprouve cette pauvre Sophie ? cela me fait mal. Je ne croyais pas, je l’avoue, qu’elle me fût attachée à ce point. Pardon de vous le dire, à vous qui l’aimez ; il n’est pas délicat à moi de vous en parler.
FRÉDÉRIC.
Monsieur, il faut supporter son sort avec courage.
LE COMTE.
Vous avez raison, d’autant plus que sûrement elle sentira votre mérite, dès qu’elle me verra décidé pour sa cousine. Dans les premiers moments elle me regrettera, cela est certain ; mais vous êtes trop aimable, pour ne pas me faire oublier. D’ailleurs vous direz que je suis un ingrat, un infidèle, tout ce qu’il vous plaira : pourvu que vous m’aidiez à réussir auprès de la belle cousine, je suis content.
FRÉDÉRIC.
Je ferai mon possible, comptez-y.
Scène VII.
les précédents ; SOPHIE.
SOPHIE, ouvrant la porte du cabinet.
Ma cousine me charge, monsieur, de vous dire qu’elle est bien impatiente de vous entendre, après avoir eu déjà le plaisir de vous voir.
LE COMTE, à Frédéric.
Ne la trouvez-vous pas bien faite ? Son chapeau cache un peu son visage ; mais il me semble pourtant qu’elle a le profil grec.
FRÉDÉRIC.
Tout à fait.
LE COMTE.
La ligne du front au nez est parfaitement droite.
FRÉDÉRIC.
Il ne s’en manque pas un cheveu.
LE COMTE.
C’est bien rare. (au mannequin.) Je ne savais pas, mademoiselle, que vous fussiez à la fenêtre quand je suis passé à cheval : si j’avais pu le prévoir, je me serais sûrement arrêté.
FRÉDÉRIC.
Ne trouvez-vous pas de bon goût qu’elle ne réponde pas ?
LE COMTE.
Oui, cela suppose de l’émotion, et j’ai toujours aimé à produire cet effet-là sur les femmes.
SOPHIE.
Ma cousine me dit, monsieur, qu’elle croyait savoir le français avant de vous avoir entendu ; mais que votre facilité d’expression l’intimide tellement, qu’elle veut rapprendre votre langue, avant d’oser la parler avec vous.
LE COMTE.
Il est vrai que je parle si vite, que j’ai souvent embarrassé les étrangers ; c’est un tort dont je n’ai pu me corriger. — Oserais-je, mademoiselle, vous adresser quelques questions que vous voudrez bien traduire en allemand à votre cousine ?
SOPHIE.
Monsieur, ce que vous exigez de moi est cruel.
LE COMTE.
Ah ! mademoiselle, si cela vous déplaît, j’y renonce à l’instant, et je vais…
SOPHIE.
Non, monsieur, non, restez ; je l’exige ; vous serez content, je l’espère, de ma générosité.
LE COMTE.
Mademoiselle aime-t-elle la lecture ?
SOPHIE.
Ma cousine dit que jusqu’à ce jour elle s’en est peu occupée.
LE COMTE, à Frédéric.
Je suis bien sûr que vous n’aimez pas cela, vous qui êtes un homme cultivé, comme on dit en Allemagne ; eh bien ! moi, la franchise de cette réponse me plaît. Que ma femme lise mes lettres, c’est toute la littérature que je lui demande. — Aimez-vous le dessin, mademoiselle ?
SOPHIE.
Ma cousine pense qu’il n’est pas convenable à une femme de dessiner.
LE COMTE, à Frédéric.
Comprenez-vous pourquoi ?
SOPHIE.
J’imagine que c’est parce qu’elle ne veut connaître que les traits de celui qu’elle aime.
LE COMTE.
Mais c’est charmant cela, c’est charmant ! les dessins d’amateur m’ont toujours ennuyé ; fausse prétention que tout cela. — Mademoiselle aime-t-elle la musique ?
SOPHIE.
Ma cousine dit qu’elle n’a point de voix.
LE COMTE.
Tant mieux, tant mieux ; mauvaise compagnie que celle des musiciens ; et puis comment causer dans une chambre où l’on fait de la musique ? — Mademoiselle aime-t-elle la danse ?
SOPHIE.
Ma cousine dit qu’elle n’a jamais dansé, et qu’elle s’en est toujours très bien trouvée.
LE COMTE, se levant.
C’est vraiment une femme accomplie !
SOPHIE.
Ah ! il est facile de plaire par tout ce qu’on ne sait pas.
LE COMTE.
Je vous entends, mademoiselle ; il vous faut de l’esprit, des talents dans une femme.
SOPHIE.
Oui, monsieur, j’en conviens.
LE COMTE.
Eh, bien ! mademoiselle, je ne me soucie de rien de tout cela.
SOPHIE.
C’est bien flatteur pour ma cousine.
LE COMTE.
Ah ! n’y mettez point de malice ; ne faites point que j’offense cette charmante personne dont la douceur angélique mérite tant d’amitié. Une femme, pardonnez-moi de vous le dire, une femme n’est point faite pour briller à côté de nous, pour nous effacer par son éclat. Il faut qu’elle nous soutienne, qu’elle nous console dans l’ombre.
SOPHIE.
Dans l’ombre comme à la lumière, ma cousine sera toujours la même.
LE COMTE.
Voudrait-elle me suivre en France ?
SOPHIE.
Elle dit qu’elle se trouvera toujours également bien partout où vous la placerez.
LE COMTE.
Quelle aimable complaisance !
FRÉDÉRIC.
Ne lui souhaiteriez-vous pas un peu plus de mouvement dans l’esprit ?
LE COMTE.
Un peu plus, j’en conviens ; mais Paris lui en donnera.
FRÉDÉRIC.
Paris peut faire des miracles.
LE COMTE.
Eh bien donc ! il ne me reste plus qu’une question à faire à la belle cousine ; mais la plus importante de toutes. Ai-je eu le bonheur de lui plaire ? mademoiselle Sophie, daignez le lui demander.
(Sophie en se retournant dérange le mannequin, qui est sur le point de tomber.)
SOPHIE.
Ah ciel !
LE COMTE.
Comment donc ! est-ce qu’elle se trouve mal ?
FRÉDÉRIC, bas à Sophie.
Sophie, prenez garde. — Oh ! non, ce n’est rien…
SOPHIE.
Ma cousine a voulu faire effort pour vous cacher, ou plutôt pour vous avouer ce qu’elle éprouve ; et son agitation était telle, qu’elle a failli tomber par terre.
LE COMTE.
Par terre ! Ah, quelle sensibilité profonde ! Il faudrait avoir un cœur de pierre pour résister à des preuves si sincères d’une affection…
FRÉDÉRIC.
Qui ne changera jamais ; j’ose vous en répondre.
LE COMTE.
Je vois venir monsieur votre père. Mademoiselle, me permettez-vous ?…
SOPHIE.
Tout ce qu’il vous plaira, monsieur.
LE COMTE.
Pardon, mademoiselle ; mais la sympathie des cœurs est irrésistible, vous le savez.
Scène VIII.
les précédents ; M. DE LA MORLIÈRE.
LE COMTE.
Monsieur, j’attends tout de votre bonté ; je croyais aimer mademoiselle votre fille ; j’avais été justement frappé de ses brillants avantages ; mais je sens que ce sont les rapports de l’âme qui font le bonheur. Je suis devenu plus sérieux depuis mon séjour en Allemagne, et je pense comme les philosophes de ce pays, qu’il faut se marier par inclination.
M. DE LA MORLIÈRE.
À la bonne heure, monsieur le Comte ; vous m’avez rendu ma parole ; je me tiens pour libre, et ma fille aussi.
LE COMTE.
Sans doute ; mais ce n’est pas tout encore ; il faut que vous me prêtiez votre appui pour obtenir votre adorable nièce.
M. DE LA MORLIÈRE.
Quelle nièce ?
LE COMTE.
Et ne la voyez-vous pas devant vous ? Son aimable pudeur la rend immobile. Ah ! de grâce, ne prolongez pas son embarras.
M. DE LA MORLIÈRE.
Mon adorable nièce est à vos ordres ; emportez-la… Je veux dire, emmenez-la quand vous voudrez.
LE COMTE.
Ah ! mademoiselle. (Il s’approche du mannequin.) Ciel ! qu’est-ce que je vois ? un mannequin ! C’est ainsi que l’on s’est joué de moi !… Mademoiselle ?
SOPHIE.
Pardonnez-moi, monsieur, d’avoir voulu savoir si vous m’aimiez réellement ; c’est la crainte de ne pas vous plaire assez qui m’a suggéré cette ruse.
LE COMTE.
Et vous, monsieur, à votre âge, deviez-vous consentir à ce qu’un tel piège me fût préparé ?
M. DE LA. MORLIÈRE.
Je n’ai pas dû croire, monsieur, qu’un homme de votre esprit s’y laissât prendre.
LE COMTE, à Frédéric.
Et vous, monsieur ?
FRÉDÉRIC.
Je suis prêt à m’expliquer avec vous.
SOPHIE.
Monsieur le Comte, ne rendez pas cruelle une simple plaisanterie. Je vous savais mauvais gré de ne pas faire cas de l’esprit des femmes, et de blâmer celles qui se font remarquer dans le monde. N’est-il pas vrai que votre talent de railler s’est exercé cent fois contre les personnes qui me ressemblent ?
LE COMTE.
Je l’avoue.
SOPHIE.
Eh bien ! j’ai voulu vous en montrer une qui ne se mettait en avant sur rien, qui ne manquait à aucune convenance ; enfin une vraie poupée de carton, tandis qu’il y en a tant de vivantes. Pardonnez-moi cette petite vengeance ; et vous qui avez si souvent accablé de ridicules mon pays et ses habitants, souffrez qu’une femme allemande, sans que cela tire à conséquence pour l’avenir, ait pu vous plaisanter une fois avec quelque avantage. J’aime Frédéric, et je ne vous conviens pas : si cependant vous persistez à vouloir de moi, je ne me considère pas comme libre, et je suis prête à tenir la parole que vous avez rendue à mon père. Ainsi donc tout dépend de vous : vous êtes, je le sais, vraiment noble et généreux ; je remets mon sort entre vos mains.
LE COMTE.
Mademoiselle, puisque vous vous en remettez à moi, je me conforme en tout à vos vœux ; mais permettez-moi d’espérer qu’il est des femmes moins malicieuses que vous, sans être pour cela des mannequins.
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