Sur le théâtre de Madame de Staël

Sur le théâtre de Madame de Staël

par Benoît Malbranque

 

 

Germaine de Staël, Œuvres complètes, série II, tome IV : Œuvres dramatiques (en deux volumes). Honoré Champion, 2021.

L’œuvre littéraire et la carrière politique de Germaine de Staël se tiennent et se répondent, et derrière la figure omniprésente de la romancière elle-même, on retrouve constamment dans Corinne ou dans Delphine le souffle de l’opposante politique. Son théâtre, cependant, touche de plus près à l’art ; au milieu des effervescents débats sur la tragédie, les compositions du groupe de Coppet inaugurent et préparent un renouvellement de la dramaturgie française. Les pièces composées par Germaine de Staël ont aussi une portée plus intime encore que ses romans : non qu’elle ait manqué, dans ceux-ci, d’apparaître en permanence et de se donner constamment la réplique ; mais au moins le roman a une vocation qui est d’emblée publique : le théâtre de Germaine de Staël, au contraire, se joue de la frontière parfois mince entre sphère privée et sphère publique. Ses pièces sont jouées avant tout devant les amis et les proches, moitié par vocation, moitié par devoir. 

L’intérêt de leur lecture, aujourd’hui, pourrait s’en ressentir. Il est certain que composer pour l’amusement de son entourage ne promet pas les mêmes ambitions et la même grandeur. Les éditeurs des deux volumes de son théâtre, publiés récemment chez Honoré Champion, et qui continuent la collection, presque achevée, des Œuvres complètes, ne se font à cet égard que peu d’illusions. 

Ce qui survit, toutefois, dans ce théâtre semi-privé, c’est d’abord la mise en scène récurrente de Germaine de Staël elle-même, avec ses principes directeurs, et jusqu’à ses combats politiques. Voyez la pièce intitulée Le capitaine Kernadec (1811) : Germaine de Staël y met brillamment en scène un militaire qui refuse d’accepter pour gendre le jeune homme dont sa fille est éprise, tant que celui-ci n’aura pas prouvé sa bravoure au cours de sept campagnes successives. De connivence avec le reste de la maison, la fille va donc prétendre au réveil de son père que sept ans se sont passés, et que lui seul ne se souvient de rien. La pièce est habile, elle est plaisante encore aujourd’hui à lire ; elle serait plus agréable encore représentée, avec les déguisements de rigueur, les fausses moustaches, et le comique de situation. Enfin dans ce théâtre même, conçu pour divertir, Germaine de Staël ne peut s’empêcher des traits d’ironie mordante à l’endroit de Napoléon. « Mais, mon capitaine, vous êtes donc malade ? » dit le valet. « Vous oubliez qu’en 1815, nous avons battu les Anglais sur la côte de Coromandole. » (Volume 2, p. 791) Le procédé est vengeur : Germaine de Staël marque par cette simple réplique que Napoléon est un conquérant qui a failli, et qu’il faut le recours de la fiction pour lui donner une victoire contre l’Angleterre.

Un autre thème majeur, quoique ambivalent, chez Germaine de Staël, est la position sociale des femmes. Il ressort clairement à la lecture de Corinne et de Delphine, et certaines pièces de théâtre fournissent, de ce combat important de l’auteur, une énième manifestation. La principale à cet égard est naturellement Le Mannequin (1811), qui met en scène un homme songeant tellement à épouser une femme passive, silencieuse et sans volonté, que parlant à distance avec un simple mannequin il est trompé et croit avoir trouvé l’élue. Cette pièce est l’occasion pour Germaine de Staël de moquer la conception « anglaise » de la femme, à travers un comique assez bien manié, mais dont le fond reste au fond sérieux et grave. Voici un autre texte qui survit très bien au passage du temps, et dont la publication dans cette collection des Œuvres complètes n’entache pas, bien au contraire, la réputation de l’auteur.

Benoît Malbranque

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